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évidemment le même objet et la même cause, qui était la nullité de l'obligation pour vice de formes 1. »

Depuis lors, de nombreuses décisions sont venues confirmer cette doctrine 2, fondée ellemême sur celle maxime de droit: In judicium omne jus deduxisse videtur.

546. C'est surtout en matière de nullité d'actes que la distinction de la cause et des moyens est importante. Ici, en effet, l'objet est le même, et la demande sera inévitablement admissible ou non, suivant qu'elle procédera d'une nouvelle cause, ou qu'elle ne constituera qu'un moyen nouveau. 547. A cet égard, toute difficulté cesse devant un classement exact des causes pouvant déterminer cette nullité. Nous avons dit que les moyens du fond constituent une cause différente de celle résultant des moyens de forme. On doit donc ranger les nullités dans une double catégorie, à savoir: celles qui naissent de l'irré

Plus tard, Erhard investit le tribunal de Belfort d'une demande en nullité du même acte, sur le motif que l'un des témoins instrumentaires n'avait pas la qualité de Français. Son ad-gularité de l'acte, celles procédant de son invaversaire lui opposa la chose jugée, résultant de l'arrêt du 24 décembre 1814.

Cette fin de non-recevoir est repoussée par le tribunal; mais, sur l'appel, le jugement est infirmé et l'exception accueillie en ces termes :

« Attendu que par un précédent arrêt du 24 décembre 1814, la nullité prétendue de l'obligation a été rejetée, qu'ainsi cette obligation est défendue par l'autorité de la chose jugée; que l'intimé n'a pu, sans lui porter atteinte, remettre en question cette même nullité, sous prétexte d'un autre vice de forme que celui qu'il avait d'abord objecté ; que la simple proposition d'un nouveau moyen ne constitue pas une nouvelle cause de demande ou d'exception; que les cas rares où une partie peut, par des moyens qu'elle aurait omis de produire, faire rétracter les jugements ou arrêts en dernier ressort, sont énoncés parmi les ouvertures de requête civile, voie que l'intimé n'a tenté, ni pu

tenter. »

Erhard s'étant pourvu en cassation, la cour régulatrice rejeta son pourvoi. « A la vérité, dit l'arrêt, lors du premier arrêt, Erhard fondait la nullité alléguée sur la minorité d'un témoin, tandis que lors du second il la fondait sur la qualité d'étranger non naturalisé d'un autre témoin. Mais ce n'était pas là une cause differente, c'était seulement un moyen nouveau, d'où il suit que l'une et l'autre action ont eu

1 Cass., 3 février 1818.

2 Vid. Dalloz jeune, Dictionnaire de jurisprudence et

lidité. Le jugement rendu sur une de ces catégories n'a aucune influence sur l'autre.

Mais il comprend virtuellement tous les moyens à l'aide desquels les nullités de cette catégorie peuvent être obtenues. Ainsi l'irrégularité de l'acte peut tenir à la violation d'une formalité essentielle, à l'oubli d'une mention exigée par la loi, à l'incapacité du notaire, à une erreur sur l'âge, la qualité ou la capacité des témoins. Or ce ne sont pas là des nullités distinctes. L'ensemble de ces faits ne constitue qu'une seule et même nullité. Dès lors, si le juge, appréciant l'une de ces exceptions, l'a rejetée en déclarant l'acte régulier, cet acte est désormais à l'abri de toute attaque sous ce rapport. En d'autres termes, il y a chose définitivement jugée sur sa régularité.

On peut encore l'attaquer pour vice intrinsèque, à savoir pour cause de dol, de violence, d'erreur, d'insanité d'esprit, mais on déciderait pour ces moyens ce que nous venons d'établir pour ceux de forme. Ainsi, le jugement qui repousserait l'un d'eux créerait la chose jugée contre tous les autres. «Dans les nullités de ce genre, dit Toullier 3, la cause prochaine de l'action est le défaut de consentement. Le dol, l'erreur, la violence, l'insanité d'esprit, l'incapacité de la partic, ne sont que des moyens de prouver que le consentement n'a pas été ou ne pouvait pas étre donné. » Conséquemment, celui qui, pou

Supplément, vo Chose jugée, no 135.

3 T. X, no 163.

vant exciper de plusieurs, n'en a fait valoir qu'un, D'ailleurs, apparent ou vrai, dit Toullier, ce seul à l'appui de sa demande, ne peut, après avoir succombé, renouveler le procès et exciper des autres. Le jugement qui déclare le consentement sincère et régulier s'oppose à ce qu'on soutienne plus tard le contraire.

Ainsi, il n'y a qu'une nullité en la forme, qu'une nullité au fond. Celui qui en excipe doit l'étayer de tous les moyens à sa disposition, sous peine d'être non recevable à exciper plus tard de ceux qu'il aurait omis. Mais il est certain que la partie qui n'en aurait fait valoir qu'un seul en première instance est recevable à les proposer tous en cause d'appel, l'article 464 du Code de procédure civile, qui prohibe en appel toute demande nouvelle, restant forcément étranger aux moyens nouveaux à l'appui de la même demande. Or, nous venons de le dire, chaque grief distinct, soit en la forme, soit au fond, ne constitue qu'un moyen et non une cause.

548. - Troisième condition. Identité de parties, agissant en la même qualité.

La partie qui n'a pas figuré dans une instance ne saurait être liée par le jugement qui l'a terminée. Mais elle ne peut à son tour l'invoquer: Res inter alios judicata, neque emolumentum his qui judicio non interfuerunt, neque præjudicium solent irrogare 1.

La présomption de vérité résultant de la chose jugée, alors même que l'erreur en est démontrée, est certes assez exorbitante pour qu'on doive la restreindre dans ses bornes naturelles. Or, s'il est rationnel qu'une décision souveraine règle à l'avenir les droits de coux qui y ont concouru, il serait injuste de l'imposer comme loi à ceux qui n'ont pas même été appelés à user du droit le plus imprescriptible, celui d'une légitime défense.

Ainsi, la personne demeurée étrangère au jugement est toujours recevable à soutenir et à faire prévaloir le contraire de ce qui a été décidé. La partie condamnée peut, elle-même, faire admettre contre cette même personne le contraire de ce qui a été admis en faveur de celui qui a obtenu le jugement. L'équité, en effet, voulait que, par cela seul qu'on ne peut être atteint par un jugement, on ne fût pas admis à en revendiquer le bénéfice. Cette conséquence n'était que l'indispensable corollaire de la première.

Vainement se récrierait-on contre le scandale de ces décisions contradictoires. Ce scandale est plutôt apparent que réel, car ce qui peut être vrai pour l'un peut ne pas être vrai pour l'autre.

1 L. 2, Cod., quibus res jud. non nocet.

scandale ne peut être une raison suffisante pour violer la première règle de justice et pour me condamner sans m'entendre, en m'appliquant un jugement lors duquel je n'ai pu déduire les moyens qui eussent amené une décision contraire. La disposition de l'article 1351 prouve que telle a été l'opinion du législateur.

L'exigence de l'identité des parties est donc équitable et juste. Nous allons résumer les divers cas dans lesquels elle doit être admise.

549. On est partie dans un jugement, nonseulement par soi-même, mais encore par les personnes qui ont qualité et droit pour nous représenter. Tels sont les ayants cause, les mandataires, les administrateurs légaux. 1o Ayants cause:

550.

-

Les héritiers, les légataires universels sont évidemment les ayants cause du défunt. Ils sont censés continuer son individualité. Ils ne font avec lui qu'une seule et même personne. Dès lors, si j'ai fait juger contre le défunt qu'une obligation que j'avais contractée envers lui est le résultat du dol, ses héritiers ou légataires ne pourraient plus m'actionner en vertu de la même obligation, sans être repoussés par l'exception de chose jugée. Par réciprocité, cette exception me serait applicable si, ayant succombé dans ma demande contre le défunt, je voulais la renouveler contre ses héritiers ou légataires.

551. Le donataire, les légataires particuliers sont, pour tout ce qui concerne l'objet donné ou légué, au lieu et place du donateur ou du testateur. Ils agissent réellement, quant à ce, loco hæredum. Les jugements rendus en faveur ou contre leur auteur conservent donc, à leur égard, l'autorité de la chose jugée. Ils créent donc un obstacle invincible à ce qu'ils puissent actionner ou être actionnés à raison du même objet et pour la même cause.

552. Mais si l'héritier, les légataires et donataires sont chacun en droit soi les ayants cause de leur auteur, ils ne le sont nullement les uns des autres. Chacun d'eux agit en une qualité qui lui est propre et ne saurait engager l'autre que s'il en a reçu le mandat formel.

De là il résulte : 1o que la chose jugée contre un héritier agissant pour la part lui obvenue dans la succession ne saurait nuire ou profiter à son cohéritier, alors même que celui-ci agirait en vertu du même titre de créance ayant fait la matière du premier procès.

Ainsi, une créance de 4,000 francs est échue par moitié au lot de Joseph et par moitié à celui de Jacques. Joseph actionne le débiteur pour ses

2,000 fr. Celui-ci soutient que la créance n'émane pas de lui ou qu'elle est le résultat de manœuvres dolosives et frauduleuses. Cette prétention est accueillie et Joseph débouté de sa demande par un jugement qui acquiert l'autorité de la chose jugée.

Plus tard, Jacques demande le payement des 2,000 fr. qui lui sont échus. Cette demande a la même cause que celle de Joseph, à savoir : le titre de 4,000 fr. annulé par rapport à celui-ci. Mais l'exception de chose jugée, que le débiteur voudrait tirer du premier jugement, est inadmissible par deux raisons:

D'abord, parce qu'il n'y aurait pas dans les deux instances identité des parties. Jacques n'est pas l'ayant cause de Joseph. Comme celui-ci, il agit en vertu d'un droit propre et personnel, qui n'a jamais pu se confondre avec celui de Joseph, et qui, dès lors, n'a nullement été agité lors du premier procès. Le jugement qui a mis fin à ce procès reste donc pour Jacques res inter alios judicata, sans qu'on pùt le lui opposer, tout comme il ne pourrait en exciper lui-même pour empêcher le débiteur de renouveler les exceptions dont ce jugement l'aurait débouté 1.

De plus, il n'y a pas identité d'objets, car, comme l'observe Pothier, et après lui Toullier, les 2,000 francs réclamés par Jacques ne sont pas les 2,000 francs que Joseph demandait. Ces deux sommes procèdent bien d'une origine commune, mais elles se sont divisées en passant sur la tête des héritiers et sont devenues deux capitaux distincts, n'ayant rien de commun l'un avec l'autre. Leur annulation ne saurait donc être prononcée que contradictoirement avec chacun de leur propriétaire.

Conséquemment, le débiteur ne pourra se soustraire à la demande de Jacques qu'en faisant admettre contre lui les exceptions qu'il a fait consacrer à l'égard de Joseph.

2o La chose jugée contre le légataire universel ne saurait être opposée aux légataires particuliers, ni leur profiter, alors même qu'il s'agirait de la nullité de l'institution. Ainsi, l'annulation du testament, pour cause de dol, de captation ou pour vice de forme, serait sans influence sur le sort des légataires particuliers qui seraient demeurés étrangers à l'instance.

Le contraire était admis en droit romain. Mais cela ne tenait nullement aux principes de la chose jugée; ce résultat n'était que la conséquence de la maxime partim testatus, partim intestatus nemo decedere potest. Notre loi ad

L. 22, Dig., de except. rei jud.

mettant le cumul des successions testamentaires et légales, la décision du droit romain ne pourrait être suivie qui si l'on admettait que le légataire universel représente les légataires particuliers, et qu'il y a chose jugée pour ceux-ci dans le jugement rendu en faveur ou contre celui-là. Or, cela ne pourrait être consacré que s'il y avait identité de personnes entre eux, et nous venons de voir qu'on ne saurait l'admettre.

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553. L'acquéreur est l'ayant cause du vendeur relativement à ce qui a fait l'objet de la vente et pour tous les actes antérieurs au contrat. Personne ne peut céder à autrui des droits plus étendus que ceux qu'il possède lui-même, et la chose grevée en mes mains ne peut être transmise par moi qu'avec les mêmes charges. Conséquemment, les jugements rendus contre le vendeur, ou obtenus par lui, nuisent ou profitent à l'acquéreur, il ne pourrait être attaqué ou attaquer lui-même, pour tout ce qui en a fait la matière, sans que la chose jugée fùt opposable. 554. Mais le vendeur n'est dans aucun cas l'ayant cause de l'acquéreur: Julianus scribit exceptionem rei judicatæ, a persona autoris ad emptorem transire solere, retro autem ab emplore ad autorem reverti non debere 2. Cette décision se justifie très-bien en raison et en droit. On n'a pas à craindre, en effet, que le propriétaire, qui ignore peut-être encore qu'il vendra sa propriété, veuille laisser grever cette propriété au préjudice d'un futur acquéreur. On est donc certain qu'il fera tous ses efforts pour empêcher la réussite de l'action dirigée contre lui. D'ailleurs, l'acquéreur, au moment de la vente, connait ou doit connaitre tout ce qui se rattache à la propriété qu'il acquiert. Il se soumet donc, en l'acceptant, à toutes les obligations du vendeur.

On peut dès lors, et sans injustice, le considérer comme lié par les jugements rendus contre son vendeur. Mais ce ne serait pas sans danger pour ses intérêts qu'on obligerait celui-ci à accepter comme chose jugée ce qui aurait été décidé entre des tiers et son acquéreur, pendant sa possession.

L'acquéreur, en effet, peut avoir intérêt à rompre son marché, et trouver, dans la réussite des actions des tiers ou dans l'échec de celle qu'il a lui-même formulée, un motif de rupture. Il est évident que, en cet état, il n'apportera pas tous ses soins à assurer l'une et à repousser l'autre, et si la décision pouvait être définitivement obligatoire contre le vendeur, celui-ci se trou

2 L. 9, Dig., de except. rei jud.

verait souvent condamné sans avoir été réellement entendu.

Voilà le péril que le législateur a pressenti et qui lui a commandé de disposer que la chose jugée contre l'acquéreur ne pouvait jamais refluer contre le vendeur: Retro autem ab emplore ad autorem reverti non potest.

Conséquemment, si la chose aliénée rentre, par la résolution de la vente, entre les mains du précédent propriétaire, il la recouvre telle qu'il l'avait lui-même transmise. Toutes les charges que des tiers seraient parvenus à lui imposer disparaissent, sauf à ceux qui les ont obtenues à en faire judiciairement ordonner le maintien contre lui.

555. En thèse ordinaire, les créanciers sont les ayants cause du débiteur. Les jugements rendus en faveur de ce dernier, ou contre lui, sont donc profitables ou nuisibles aux premiers. La chose jugée contre le débiteur l'est contre les créanciers. Ce principe est vrai sans exception pour tous les créanciers postérieurs à la date du jugement.

Quant aux créanciers antérieurs, il faut distinguer entre ceux qui sont simplement chirographaires et ceux dont la créance est garantic par une affectation spéciale sur les immeubles.

Les premiers ne peuvent se soustraire à l'exception de chose jugée qu'en soutenant que leur débiteur a agi en fraude de leurs droits. Cette faculté, que l'article 1167 leur confère, constitue un droit personnel que le débiteur n'a jamais pu aliéner ni altérer. Mais la fraude ne se présumant pas, la charge d'en faire la preuve pèserait tout entière sur ceux qui l'allégueraient. A défaut de justification, les jugements rendus contre le débiteur acquerraient contre les créanciers l'autorité de la chose jugée.

Les créanciers ayant une affectation spéciale sur les immeubles du débiteur, c'est-à-dire les hypothécaires ou les privilégiés, ne peuvent voir leurs droits altérés, modifiés ou anéantis par le fait de leur débiteur. Conséquemment, les jugements intervenus entre celui-ci et des tiers, relativement aux immeubles affectés, ne peuvent jamais préjudicier aux créanciers qui n'y ont été ni parties, ni appelés.

Sans doute, aux termes de l'article 2125 du Code civil, ceux qui n'ont sur l'immeuble qu'un droit suspendu par une condition, ou résoluble dans certains cas, ou sujet à rescision, ne peuvent consentir qu'une hypothèque soumise aux

1 L. 29, § 1, Dig., de except. rei jud.; 1. 3, princ., Dig., de pign. et hypoth. Conforme, Pigeau, Obl., no 905;

mêmes conditions ou à la même rescision. Aussi, la certitude de l'existence de ces conditions, ou du principe de la rescision, déterminerait infailliblement la perte de tous les droits du créancier. Mais c'est cette existence au moment de la constitution de l'hypothèque qu'il faut établir, et cela contradictoirement avec le créancier. Le jugement qui a désinvesti le débiteur prouve bien qu'il n'était pas propriétaire au moment de la demande, mais il n'établit rien, quant au droit qu'il pouvait avoir au moment de l'emprunt qui peut être de beaucoup antérieur. Ce jugement ne peut donc acquérir l'autorité de la chose jugée sur ce dernier point. Dans tous les cas, le créancier, seul intéressé à justifier du droit de son débiteur, est d'autant moins représenté par celui-ci, qu'il peut arriver que ce débiteur trouve dans sa dépossession un avantage tel que sa résistance n'aura pas été sérieuse 1.

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Le mandataire, agissant en cette qualité, ne constitue avec son mandant qu'une seule et même personne: Qui mandat ipse fecisse videtur. Dès lors, les jugements rendus sur les poursuites du premier profiteront ou nuiront au dernier, selon qu'ils auront été favorables ou contraires. Le mandant ne pourra donc plus être actionné ou actionner lui-même, quant à la chose ayant fait la matière de l'instance intentée ou suivie par son mandataire.

Toutefois, cela n'est absolument vrai qu'en tant que le mandant avait capacité de se faire représenter au moment où l'instance a été introduite et jugée. Aussi la cour de cassation a jugé, le 4 mars 1835, que le jugement rendu contre un capitaine de marine, comme représentant le propriétaire, mais postérieurement à la faillite de celui-ci, ne peut être opposé aux syndics comme ayant acquis l'autorité de la chose jugée, alors qu'ils n'y ont été ni représentés ni appelės.

557. Ce qui est jugé contre le tuteur est jugé contre le mincur : Factum tutoris, factum pupilli. En conséquence, les personnes que le tuteur aurait fait condamner ne seraient plus recevables à renouveler le procès contre le mineur devenu majeur. A son tour, celui-ci ne pourrait se soustraire aux adjudications prononcées contre le tuleur, sauf le droit de se pourvoir en requête civile dans le cas de non suffisante défense.

Toullier, t. X, no 199, vid., sur les ayants cause, la discussion de Merlin.

558. Les actions intentées par le mari, soit comme chef de la communauté, soit comme administrateur de la dot, sont censées jugées contre la femme malgré qu'elle n'ait pas figuré dans l'instance. Elle ne pourrait donc plus revenir contre ce qui a été décidé, sans s'exposer à ètre repoussée par l'exception de chose jugée. En effet, si elle n'a pas été personnellement en cause, elle a été valablement représentée par son mari, autorisé à agir pour elle et à l'engager 1. Mais le mari serait tenu de l'indemniser des pertes que sa négligence aurait occasionnées pour elle.

559. Ce qui est jugé entre la femme et un tiers ne l'est pas entre elle et son mari, présent dans l'instance pour l'assister et l'autoriser, ou comme exerçant ses actions. C'est ce que la cour de cassation a formellement consacré dans l'espèce suivante :

Après le décès d'un sieur Rousseau, laissant des enfants mineurs, un jugement du 18 pluviose an VIII avait délaissé à la veuve, en payement de ses reprises, divers immeubles dépendants de la succession de son mari. La veuve Rousseau, épousant le sieur Fresnais, se constitua ces immeubles comme lui étant propres, avec stipulation expresse de remploi en cas d'aliénation.

La terre de Varennes, un de ces immeubles, ayant été vendue par les époux, ils ont acquis les domaines de Douet et de Redefond, avec déclaration de l'origine des deniers et de remploi au profit de la femme.

Plus tard, les mineurs Rousseau, devenus majeurs, ont fait annuler la liquidation de l'an VIII. Cette nullité, prononcée par un jugement de 1820, a été confirmée par arrêt de la cour de Rennes, du 51 mai 1821. La restitution des immeubles a été faite aux enfants.

En cet état, les époux Fresnais ayant fait prononcer leur séparation de corps, il s'est agi de savoir si les domaines de Douet et de Redefond, acquis en remplacement de celui de Varennes, dont la femme a été évincée, devaient appartenir à cette dernière, sans récompense, comme elle le soutenait, ou bien si, au contraire, ces biens devaient être réputés conquêts de communauté, comme le prétendait le mari, en excipant de la chose jugée résultant de l'arrêt du 31 mai 1821.

C'est dans ce dernier sens que se prononce le tribunal d'Angers, par jugement du 2 juillet 1822, confirmé par arrêt de la cour

1 Vid., art. 1421, 1428, 1550, 1551 et 1549 du Code civ.

d'appel de la même ville, du 12 mars 1823. Mais, sur le pourvoi de la dame Fresnais, l'arrêt de la cour d'Angers est cassé par la cour de cassation, pour fausse application des principes relatifs à la chose jugée.

« Attendu, dit la cour suprême, que si, par les jugement et arrêt des 22 février 1820 et 51 mai 1821, la liquidation du 18 pluviôse an vui, formant le titre de la dame Fresnais, a a été révoquée sur la réclamation de ses enfants, tout ce qui en résulte, c'est que les droits dont elle a longtemps joui ont été reconnus appartenir à ces mêmes enfants, comme héritiers de leur père; qu'en exécution de ces jugements, pouvait s'élever la question de savoir si les enfants avaient droit de revendiquer les biens que leur mère avait acquis à titre de remploi, ou seulement ceux qu'elle s'était constitués propres et qu'elle avait aliénés ; mais que cette question ne pouvait être agitée qu'entre la mère et les enfants qui, seuls, avaient figuré dans ces jugements, et qui, seuls, avaient qualité pour soutenir les débats auxquels ils pouvaient donner lieu; mais que le sieur Fresnais, qui n'avait paru dans l'instance sur la liquidation de l'an vin, personnelle à la mère, que du chef de sa femme et comme exerçant ses droits, ne pouvait pas personnellement se faire un titre de ces jugements de 1820 et 1821, rendus en faveur des enfants, sans exciper, contre toute règle, du droit d'autrui 2. »

La cour de renvoi s'étant conformée à la doctrine de la cour de cassation, Fresnais se pourvut contre l'arrêt, mais son pourvoi fut rejeté le 23 novembre 1826.

560. Le fondement légal et juridique de cette doctrine est la maxime que la chose jugée avec autrui ne saurait profiter ou nuire Res judicata aliis nec nocet, nec prodest. Or, la prétention du mari de s'enrichir par l'effet du jugement qui avait dépouillé la mère au profit des enfants était insoutenable. Tant que ces derniers n'avaient pas revendiqué les biens et que leur mère les possédait matériellement, ces biens étaient, par rapport à l'époux, soumis à la loi du contrat de mariage. Les en faire sortir en faveur d'un jugement ne prononçant aucune adjudication au profit de l'époux, c'était réellement abuser du principe de la chose jugée, on tout au moins en faire la plus étrange application. L'arrêt de la cour d'Angers méritait donc la censure dont il fut l'objet. 561.

Les syndics d'une faillite sont les

2 Cass., 4 mai 1825.

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