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ou partie de ce que je possède. Découvrant le dol, je refuse de livrer l'objet vendu que je continue de posséder. Dix ans après, l'acquéreur me poursuit, en exécution de la vente; j'ai le droit d'en faire prononcer la résiliation. Vainement opposerait-on la prescription, cette prescription m'a enlevé la faculté de faire prononcer la rescision par voie d'action; mais l'absence d'exécution, la continuité de la possession, enfin ma qualité de défendeur m'autorisent à me prévaloir de la maxime quæ temporalia, etc.

635. La possession est donc réellement le fait dominant du litige. De là, cette conséquence que le débiteur qui l'aurait perdue ou qui ne l'exercerait pas jure suo, ne pourrait, après la prescription de l'action, demander la rescision de l'acte par voie d'exception. La possession, pour conserver, doit offrir les caractères exigés pour celle qui fait acquérir, c'est-àdire qu'elle doit être paisible, publique et exercée animo domini. Une possession matérielle, contraire à un titre régulier ou entaché de précarité, ne suffirait donc pas.

636. Dès lors, celui qui aurait ratifié l'obligation rescindable, soit expressément, soit tacitement, et qui aurait ainsi aliéné le droit de l'attaquer par action, ne serait plus recevable à en demander l'annulation par voie d'exception. La possession de fait dont il exciperait ne pourrait prévaloir contre le titre régulier et légitime de son adversaire, à moins que, s'étant prolongée au delà de trente ans, elle fùt sanctionnée par la prescription. La même fin de non-recevoir écarterait la prétention à faire rescinder l'acte par exception, lorsque le défendeur n'a conservé les biens qu'il détient qu'à titre de locataire ou de fermier.

637. — En dernière analyse, l'exception n'est proposable que lorsqu'elle a pour objet de maintenir un fait existant au moyen de l'annulation d'un titre contraire. C'est ce qui se réalise lorsque celui qui est actionné en revendication excipe de sa possession constante et demande la rescision du titre en vertu duquel on veut l'en dépouiller.

Mais lorsque dépouillé, soit de fait, soit en vertu d'un titre dont il a reconnu la validité, il veut reconquérir ce qu'il a perdu, sa prétention ne peut plus constituer une exception. De quelque manière qu'elle se produise, elle n'en constituera pas moins une action tombant sous l'application des articles 1504 et 1358. Ainsi, la maxime quæ temporalia, etc... n'est applicable que lorsqu'il s'agit de conserver ce que l'on possède. Elle ne peut jamais être appelée au

secours d'une prétention tendant à se faire restituer ce qu'on a perdu. La possession de l'objet en litige est donc une condition sans laquelle on ne saurait même l'invoquer. Cette conclusion de la cour de cassation n'est que la consécration des principes anciens sur la matière 1.

638. C'est dans ce caractère essentiel de l'exception que se trouve la solution des difficultés que son applicabilité peut créer dans certains cas. La loi 9, § 4, Dig., de jurejurando, nous offre une hypothèse qui peut fréquemment se présenter encore un individu, déchu de l'action en rescision, intente purement et simplement l'action en revendication de l'objet qu'il prétend lui appartenir, sans indiquer le titre qui l'en a dépouillé. Lorsque ce titre lui est opposé, il en demande à son tour la rescision, répondant au reproche de prescription par la maxime quæ temporalia, etc...

Évidemment l'application de cette maxime est ici invoquée par voie d'exception, mais elle n'en doit pas moins être refusée. Son objet n'est plus de conserver, il tend à faire acquérir un droit définitivement aliéné. Dès lors celui qui l'invoque n'est pas dans les conditions voulues par la loi. Qu'importe, en effet, qu'en formulant sa demande première, il n'ait fait aucune mention du titre qu'il savait exister? Ce silence ne peut changer l'état des choses, ni surtout empêcher que la revendication exercée ne puisse être accueillie tant que le titre restera debout. Sa rescision est donc l'objet principal du litige, le but réel de l'action principalement intentée; dès lors si par la prescription encourue, cette rescision n'est plus admissible, cette demande doit être rejetée.

S'il suffisait du détour que nous venons de signaler pour échapper à l'article 1304, sa disposition ne serait bientôt plus qu'une lettre morte sans efficacité, sans application. On évitera ce fâcheux résultat en appréciant la prétention dont on investit la justice plutôt par ses effets que par la circonstance dans laquelle elle se produit. L'exception est-elle invoquée à l'appui et pour le maintien d'un état de choses actuel? Elle est perpétuelle, la règle quæ temporalia, etc..., est applicable. A-t-elle pour objet de faire acquérir un droit perdu, la possession d'une chose dont on s'est dépouillé? Elle constitue une véritable demande principale régie par la disposition de l'article 1504. L'in

A Vid. L. 31, Dig., quibus causis majores, etc... président Favre, Rationalia in pandectas, sur la L. 9, § 4, de jurejurando.

vocation de la maxime quæ temporalia, etc..., n'est qu'un abus.

Il en est de même lorsque cette invocation est faite pour échapper à la prescription qu'on oppose contre une demande qui, sans être une défense contre l'action à laquelle on défend, tend cependant à la modifier ou à en atténuer les résultats. Telles sont les demandes reconventionnelles ou en compensation.

Henrys estime que ces demandes constituent des actions plutôt que des exceptions. Ce sont, dit-il, des demandes réciproques accumulées, et le défendeur, par ces exceptions, tend plutôt à une compensation qu'à détruire la demande principale. Par exemple: Titius fait demande à un journalier, à un laboureur, du payement d'une obligation; le défendeur excipe de quelques journées ou labourages qu'il prétend. Cette exception n'est pas inhérente à l'action principale, c'est plutôt une nouvelle action qu'une exception >

De là Henrys conclut, avec raison, que, si cette exception était à son tour repoussée par celle de prescription, celui qui l'oppose ne pourrait se prétendre relevé de celle-ci par l'action principale à laquelle il défend. L'action, en effet, ne produit ce résultat qu'à l'endroit de l'exception qui lui est viscérale et connexe, qui procède, conséquemment, de l'action elle-même qu'elle a pour but d'anéantir : Quæ perimit actionem. Or, tel n'est pas, évidemment, le caractère de l'exception compensatoire ou reconventionnelle. Elle ne peut être admise que si elle est fondée en fait et en droit au moment où on l'oppose. Dès lors, si elle se trouve frappée de prescription, les conditions de la raison et de la loi ne se rencontrent plus, et le rejet qui l'accueille n'est qu'un devoir rigoureux pour le magistrat.

L'absence de connexité entre les deux droits les rend tellement indépendants l'un de l'autre, que les diligences faites par le créancier de l'un

1 L. 4, quest. 44, t. II, p. 961.

ne sauraient même suspendre la prescription à l'égard de l'autre. Ainsi, il suffirait que la prescription non accomplie au moment de l'introduction de l'instance le fut au moment où l'exception se produit, pour que cette exception dut être rejetée. C'est ce que la cour de cassation a formellement décidé par arrêt du 50 mars 1808.

Ainsi, la nature de la demande reconventionnelle ou en compensation n'est nullement modifiée parce qu'au lieu d'être introduite par action principale, elle est opposée par exception à une instance pendante. Elle ne peut triompher dans ce cas que si elle eût dû être accueillie dans le premier. Donc, la prétention d'échapper à la prescription qui l'eut repoussée dans celui-ci, par application de la maxime quæ temporalia sunt ad agendum, sunt perpetua ad excipiendum, n'est ni admissible ni fondée; elle tend à confondre deux choses essentiellement distinctes et à poursuivre abusivement un avantage que la raison et la loi repoussent également.

639. 639. En résumé, la perpétuité de l'exception est admise par notre législation. Mais ce caractère n'appartient qu'à celle qui est viscérale et connexe à l'action elle-même et dont le but est d'obtenir par le rejet de cette action le maintien et la conservation de l'état des choses qu'elle met en question. Réclamer un droit dont on s'est dépouillé en se ménageant la faculté de le faire par voie d'exception, opposer à une demande. une prétention qui, sans la détruire, doit en modifier ou en atténuer les effets, c'est former une demande principale plutôt qu'opposer une exception, dans quelque circonstance qu'on se trouve placé. Dès lors, la prescription qui a éteint le droit est un obstacle invincible à ce qu'il puisse être revendiqué. Décider le contraire par application de la maxime quæ temporalia sunt ad agendum, sunt perpetua ad excipiendum, ce serait méconnaître son véritable caractère et lui accorder une étendue dont elle n'est pas susceptible.

DEUXIÈME PARTIE.

DE LA FRAUDE.

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640.

La fraude, plus subtile encore que le dol, n'en est que plus redoutable. Laissant moins de traces de son passage, parce qu'elle exige moins de calcul dans sa perpétration, elle n'en est que plus difficile à saisir, sans cependant que l'intérêt s'attachant à sa répression soit moindre aux yeux du législateur, aux yeux de la morale.

C'est donc servir celle-ci que de s'occuper des moyens pouvant amener cette répression. Sans doute il est impossible de suivre la fraude dans tous ses développements, de la signaler avec certitude dans tous les contrats qu'elle vicie. Mais en désigner les principaux caractères, dire quelles en sont les allures ordinaires, c'est faciliter les recherches confiées aux tribunaux, préparer la solution que les litiges doivent recevoir, et concourir ainsi à rendre plus facile et plus sure la mission que le juge a à remplir.

641. Heureusement qu'en matière de fraude la conscience du magistrat a, dans les résultats du fait, un auxiliaire puissant. L'existence certaine d'un préjudice crée, indépendamment de toute fraude, le droit d'obtenir une ré ́paration. La constatation de ce préjudice est donc un grand pas dans l'appréciation de l'intention imputée à son auteur.

Rappelons, en effet, que l'existence d'un préjudice est le caractère essentiel de la fraude. Que ce préjudice ait été préparé au moment du contrat, qu'il en ait été la cause déterminante ou bien qu'il ne soit que la conséquence d'une

Danty, de la Preuve test., p. 172, no 30.

pensée que l'exécution du traité aura fait surgir, peu importe. La fraude peut exister sans avoir été préméditée; elle se réalise par cela seul qu'il y a préjudice: Fraus non in consilio, sed in eventu.

Admettre le contraire, c'était confondre le dol et la fraude, c'était s'exposer à rendre la répression de celle-ci impossible en présence même du préjudice le plus considérable. Rarement, en effet, trouvera-t-on la fraude dans l'origine des contrats; c'est dans l'exécution qu'elle se manifestera le plus habituellement; et le plus ordinairement aussi, c'est par le résultat lésif qu'elle donnera à cette exécution qu'elle décèlera son existence. Conséquemment, la saisir dans ce résultat, pour lui en enlever le bénéfice, devient le contre-poids indispensable de la facilité qu'elle a à se produire.

642. — Nos anciens jurisconsultes avaient d'abord admis onze espèces de fraude. Bientôt une classification plus exacte les réduisit à trois, savoir la fraude consommée par une partie au détriment et à l'insu de l'autre partie, c'était la fraude de re ad rem ; celle concertée par les parties pour tromper les tiers étrangers à l'acte, on l'appelait de persona ad personam; enfin, la fraude de contractu in contractum, consistant à dissimuler, sous la forme de l'acte, le contrat réel que les parties avaient voulu faire 1.

Cette distinction embrasse aujourd'hui toute la matière. Sous l'empire de notre législation, en effet, la fraude est restée l'art perfide de braver les lois avec l'apparence de la soumission, de violer les traités en paraissant les exécuter, et de tromper, par l'extérieur des actes et des faits, sinon ceux qu'on dépouille, du moins les tribunaux dont ils pourraient invoquer la puissance 2.

2 Chardon, de la Fraude, t. II, p. 4.

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643. L'existence certaine de la fraude dont on se plaint est la première et la plus indispensable condition de la réparation réclamée. C'est donc à celui qui poursuit cette réparation qu'incombe la charge de prouver l'existence de la fraude.

Cette preuve, pour être utile, doit tendre à établir d'abord un préjudice certain et incontestable; en second lieu, que le fait dont il résulte est un fait illégal ou illégitime; enfin, que ce fait émane de celui à qui on l'impute.

Qu'importe, en effet, qu'on ait révélé l'existence d'un fait même nuisible, si l'auteur de ce fait peut se retrancher dans le droit qu'il avait de l'exécuter. Ce que la loi considère comme une fraude punissable n'a jamais été ni pu être l'exercice d'un droit, quelque dommageable qu'il puisse être pour des tiers. C'est uniquement le préjudice résultant d'une pensée méchante que rien ne saurait justifier ou faire admettre, n'ayant d'autre but que de s'enrichir au détriment d'autrui.

645.

646.

SECTION I.

DE LA FRAUDE présumée.

SOMMAIRE.

Caractère et motif de la présomption.

La renonciation à une succession non ouverte est présumée frauduleuse.

647.

Quelle est la législation applicable au pacte sur succession future, antérieur au Code, lorsque la succession ne s'est ouverte que depuis sa promulgation? 648. Le pacte est-il susceptible de ratification après l'ouverture de la succession?

649.

---

La renonciation pour un seul prix à deux successions, l'une ouverte et l'autre non échue, est nulle pour le tout.

650. Examen de deux arrêts invoqués à l'appui de la

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660. 661.

-

La dette de jeu est présumée frauduleuse. Difficultés que présente cette présomption dans

Celui-là donc qui, sur le reproche d'un fait dommageable, pourra répondre jure feci, ne son application aux paris sur la hausse ou la baisse des

saurait encourir aucune responsabilité, ni être tenu à aucune réparation. Mais l'exercice d'un droit ne serait pas une excuse suffisante pour l'abus en signalant l'exécution. Conséquemment, le magistrat a toujours, dans l'appréciation du droit, à rechercher si son exercice s'est ou non renfermé dans de justes limites. 644. Par quels moyens la preuve de la fraude peut-elle être fournie? En général, il en est de la fraude comme du dol, elle ne se présume pas. Cependant cette règle reçoit des exceptions; il est des cas où la fraude est tellement imminente, tellement prochaine, que la loi l'a admise de plein droit. Il en est d'autres où la fraude résulte invinciblement du fait lui-même.

-

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680. Nature de la présomption dans le cas de vente ou d'hypothèque de la chose d'autrui. 681. Dans le cas où l'on présente comme libres des immeubles grevés, ou qu'on déclare des hypothèques moindres que celles existant.

682. Le silence gardé dans l'acte sur l'existence ou la quantité des hypothèques ne constitue pas le stellionat.

683. Il n'en est pas de même pour les maris et les tuteurs; pour eux, l'omission équivaut à la fausse déclaration.

681. Peut-on, dans ce cas, prendre en considération la bonne foi des uns ou des autres ?

685. En quoi consiste la bonne foi dans cette hypothèse ?

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705. Par qui peut être invoquée la nullité de l'adjudication rapportée contrairement à ces deux dispositions.

706. Motifs de la prohibition pour les juges, etc..., de se rendre cessionnaires de procès, droits ou actions litigieux.

707.

Que faut-il entendre par procès, droits ou actions litigieux?

708.

Qui est recevable à poursuivre la nullité de la cession?

709. L'interposition des personnes dans les deux cas précédents obéirait-elle à la règle tracée par l'article 911?

710. Nature de la prohibition faite aux courtiers ou agents de change par les articles 85 et 86 du Code de

commerce.

711. 712.

Peine encourue par la violation.

La loi ne prononce pas la nullité de l'opération illicite. Par quels motifs.

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-

Mais on ne saurait, dans tous les cas, refuser de la prononcer sur la demande de l'autre partie. — Distinction proposée.

714. La nullité opposable au courtier peut être opposée à la personne que celui-ci se serait frauduleusement substituée.

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645. Le législateur, déterminé des idées de morale et d'intérêt général, a dù proscrire certains actes, admettre certaines incapacités. Ces dispositions ne pouvaient être efficaces que par le soin qu'on mettrait à en surveiller la stricte exécution; vouloir s'y soustraire soit directement, soit indirectement, tenter de les éluder par l'apparence donnée au contrat, c'est se révolter contre la loi, et, conséquemment, c'est faire un acte insusceptible de créer aucun lien obligatoire.

Ce qu'on peut admettre, c'est qu'on se gardera bien de se constituer en état de rébellion aux ordres du législateur d'une manière flagrante et certaine. C'est toujours sous des dehors licites qu'on aura soin de dissimuler la violation

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