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Par une conséquence contraire, on aurait dû, ce semble, déclarer de plein droit illegitime l'enfant né plus de trois cents jours après la dissolution du mariage. Cependant l'article 313 se borne à dire que sa légitimité pourra être contestée. Doit-on induire de ces termes que, la contestation se réalisant, l'enfant doit nécessairement, et par le fait de sa naissance tardive, perdre la qualité d'enfant légitime, ou bien que les tribunaux ont la faculté de repousser la prétention des ayants droit et maintenir la légitimité de l'enfant par l'appréciation des faits et circonstances?

851.

C'est dans ce dernier sens que jugeait notre ancienne jurisprudence. Mais il faut remarquer qu'à cette époque la législation n'avait arrêté aucune règle applicable à cette matière, et que le recours au droit romain, si souvent utile, n'offrait, à cet égard, qu'une ressource illusoire par les contradictions dans lesquelles ce droit s'était jeté.

En effet, la loi des Douze Tables était plus explicite encore que ne l'a été, depuis, notre Code civil. Elle déclarait formellement illégitime l'enfant né plus de dix mois après la dissolution du mariage. Mais un édit d'Adrien avait porté à onze mois le terme de la gestation, et cela d'après l'avis des médecins et des philosophes anciens : In hoc decreto Adrianus se statuere dicit, requisitis veterum philosophorum et medicorum sententiis 1.

Justinien paraissait avoir condamné cet avis, d'abord en n'insérant pas dans sa compilation l'édit d'Adrien, ensuite en formulant dans le Digeste le principe consacré par la loi des Douze Tables 2. Mais il paraît plus tard revenir sur ce principe. En effet, dans la novelle 39 il déclare illégitime un enfant né dans le douzième mois de la dissolution du mariage: Nondum enim completo anno, undecimo mense perfecto peperit, ut non esset possibile dicere quia de defuncto fuisset partus; neque enim in tantum tempus conceptionis extensum est. Ce qui paraît indiquer que la solution eût été différente, si la naissance se fut réalisée avant l'expiration du onzième mois.

852. A ces incertitudes, puisées dans le droit romain, venaient se joindre les incertitudes bien plus grandes encore de la science. Ainsi, un traité spécial, publié en 1766, par un docteur, régent de la faculté de Paris, citait des gestations qui s'étaient naturellement con

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tinuées treize, quatorze et même seize mois.

On comprend, dès lors, qu'en l'absence d'une règle législative, qu'au milieu du doute de lat législation précédente, des perplexités que les hommes de l'art affichaient, les tribunaux se laissassent aller à une appréciation qu'ils croyaient indispensable. Le résultat de cette conduite avait été celui-ci. Tel enfant né dix mois et quelques jours après la dissolution du mariage était déclaré illégitime, tandis que tel autre, dont la naissance avait eu lieu treize, quatorze et même seize mois après cette dissolution, était reconnu appartenir au mari et, comme tel, devoir jouir des prérogatives de la légitimité.

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853. Le Code civil nous paraît avoir voulu mettre un terme à cette anomalie, en déterminant une règle fixe, invariable, applicable à tous les cas et les régissant tous d'une manière absolue. A ce point de vue, il serait évident que l'article 315 a fait cesser le pouvoir d'appréciation que les tribunaux exerçaient avant sa promulgation. De là cette conséquence qu'aujourd'hui la naissance après plus de trois cents jours du mariage dissous imprime à l'enfant le sceau de l'illegitimité. Cette conséquence peut être injuste dans certains cas; mais il faut aussi avouer que ces cas seront on ne peut pas plus rares ; et qu'en les négligeant, le législateur a obéi à l'un de ses principaux devoirs : Quod semel aut bis extitit prætereunt legislatores 3.

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Évidemment les termes de l'article 315 peuvent prêter au doute, mais ce doute disparaît devant l'explication qu'en donne le législateur lui-même : « Les naissances tardives, dit M. Duveyrier au nom du tribunat, n'exigent aucune disposition conditionnelle. Il est clair que la légitimité d'un enfant pourra être contestée, « s'il naft dans le onzième mois après la disso«lution du mariage ou, pour mieux dire, au << moins trois cents jours après le mariage dissous, << parce qu'il ne peut plus placer dans le mariage «ni sa conception, ni, par conséquent, la présomption légale de sa légitimité.

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fant ne plus de trois cents jours après la dissolution du mariage est illégitime, car il ne peut placer sous l'égide du mariage ni la conception, ni, conséquemment, la présomption de sa légitimité. Mais la loi a compris qu'il y aurait une rigueur injuste à chasser de la famille celui que la famille consentirait elle-même à recevoir, parce qu'elle ne verrait dans l'accouchement tardif de la mère qu'un événement accidentel sans mélange de fraude. Elle a donc voulu consacrer un principe dont elle abandonne la poursuite à la conscience intéressée des parents. Elle accepte la décision de ce tribunal et admet la légitimité si cette légitimité est acceptée. Mais si, rompant le silence, la famille conteste cette légitimité, tout est dit, les tribunaux n'ont plus qu'à appliquer la règle comme le législateur l'a lui-même appliquée dans certains cas.

Ainsi, nous voyons les articles 228 et 296 permettre à la veuve de se remarier dix mois après la mort du mari. Dans l'article 212, le législateur permet d'accueillir, ordonne même de consacrer le désaveu si le mari prouve qu'il a été, pendant les trois cents jours qui ont précédé la naissance, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme; toutes choses inconciliables avec l'idée de la légitimité de l'enfant né plus de trois cents jours après la dissolution. En effet, si la gestation peut se prolonger au delà de dix mois, la confusion des familles n'est pas dans le premier cas évitée, le désaveu devient un mensonge dans le second, puisque l'impossibilité de cohabitation pendant ces trois cents jours n'est plus un obstacle à la paternité du mari.

Ajoutons que, dans l'hypothèse de l'article 512 et sauf les fins de non-recevoir, le désaveu est la conséquence forcée de la preuve de l'impossibilité de cohabitation. Pourquoi donc l'enfant perdrait-il forcément sa légitimité dans ce cas, et ne la perdrait-il pas également dans celui de la naissance tardive? Est-ce que dans ce dernier la mort du mari, arrivée trois cents jours avant la naissance, n'établit pas suffisamment cette impossibilité de cohabitation dont parle l'article 512? Il est évident, dès lors, qu'on ne pourrait, sans inconséquence, considérer la règle des trois cents jours comme fatale dans un cas, tandis qu'elle ne serait que facultative dans l'autre.

Concluons donc que tout ce que fait l'article 315, c'est d'abandonner le sort de l'enfant à la volonté, à la conscience de la famille. Gardet-elle le silence, l'enfant conserve sa légitimité.

↑ Toullier, t. II, p. 155; Duranton, t. III, nos 56 et suiv.; Chabot, Success., sur l'art. 725; Proudhon, Cours de droit, t. II, p. 28; Zachariæ, t. III, p. 633; Dalloz,

Conteste-t-elle cette légitimité, il n'y a plus qu'une question de date dont les termes extrèmes sont, d'une part, l'acte de naissance; de l'autre, l'acte de dissolution du mariage.

Cette opinion, défendue par des auteurs graves 1, a été sanctionnée par les cours de Grenoble et d'Aix. Il est vrai que les arrêts de l'une et de l'autre examinent les circonstances de fait dont il était excipé. Mais cette appréciation surabondante n'enlève rien à la solution du droit qui y est si nettement formulée 2.

855. L'action en désaveu est, comme nous le dirons bientôt, personnelle au père; celle en contestation de légitimité appartient à tout ayant droit. Les héritiers mêmes de la mère, qui ne peuvent jamais exercer la première, peuvent exercer l'autre. Quelque similitude qu'il y ait dans les résultats, ces deux actions diffèrent sur plusieurs points essentiels dont le principal est, sans contredit, celui qui concerne la paternité. Ainsi, le désaveu n'a pas d'autres bases que l'absence de cette paternité, dont l'acceptation. par le mari assure la légitimité à l'enfant. La contestation de légitimité fait abstraction de cette paternité; la reconnaissance du mari n'éteint pas le droit, car un homme peut donner la filiation, mais la légitimité jamais. Ainsi, le père d'un enfant né dans les cent quatre-vingts jours qui ont suivi le mariage peut reconnaitre l'enfant comme lui appartenant, il peut en être réellement le père, et tout cela n'empêchera pas que, sur la poursuite de la partie intéressée, cet enfant ne soit déclaré adultérin, si le moment de sa conception remonte à une époque où ses parents, ou l'un d'eux seulement, engagés dans les liens d'un précédent mariage, ne pouvaient procréer que des enfants adultérins. « Ainsi, dit Toullier, inutilement le mari divorcé reconnaîtrait un enfant né trois cents jours après la prononciation du divorce et lui prodiguerait les soins d'un père ses héritiers, ses parents, les héritiers mêmes de la mère n'en seraient pas moins recevables à contester la légitimité de l'enfant, parce que le mari ne peut, par cette reconnaissance, détruire la présomption légale et reporter la conception de l'enfant au temps du mariage pour lui donner les droits de famille 3.

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de la part de tout ayant droit. Ces deux actions, indépendantes l'une de l'autre, obéissent à des principes différents, quoique arrivant à un résultat à peu près identique. Ajoutons que l'effet du désaveu est absolu et décisif. L'enfant justement désavoué perd sa légitimité envers et contre tous. Le jugement qui statue sur la contestation de légitimité ne lie que les parties contendantes; il reste, pour tous ceux qui n'y ont pris aucune part, res inter alios acta.

857. L'enfant conçu et né pendant le mariage est de plein droit légitime. Énergiquement protégé par la maxime pater is est, il ne peut perdre cette légitimité que par le désaveu, lequel n'est lui-même recevable que dans les cas limitativement prévus par la loi.

L'article 312 permet le désaveu au mari, s'il prouve que pendant le temps qui a couru depuis le trois centième jusqu'au cent quatre-vingttroisième jour avant la naissance de l'enfant, il était, soit pour cause d'éloignement, soit par l'effet de quelque accident, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme.

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858. Nous n'avons nullement à insister sur les doctrines plus ou moins ingénieuses que la théorie de l'éloignement a engendrées. Les jurisconsultes anciens, imités en cela par quelques docteurs modernes, se sont livrés à des développements que le Code ne comporte pas ou qu'il ne comporte plus. Tout se réduit désormais à cette idée unique: a-t-il existé une impossibilité physique de cohabitation? et cette question de fait est souverainement appréciée par le magistrat, soit que l'impossibilité alléguée résulte d'une absence au delà des mers ou sur le continent, d'une détention dans une prison ou dans un bagne. Il est évident qu'une pareille appréciation ne saurait reconnaître des limites précises, ni obéir à des règles absolues. C'est par la nature du fait, la position des parties et les circonstances spéciales que chaque espèce devra recevoir la solution qui lui convient.

859. A côté de l'éloignement et sur une ligne parallèle, se place l'impossibilité physique résultant d'un accident survenu à l'époux. Nous retrouvons ici l'impuissance accidentelle dont nous nous sommes occupés en traitant de la nullité du mariage. Elle est une cause de désaveu, tandis que l'impuissance congéniale, même visible, ne saurait l'autoriser. Nous avons déjà exposé les motifs de cette différence. Nous nous bornons à nous en référer à nos précédentes observations 1.

Voy. t. Jer, chap. III, sect. 11, nes 360 et suiv.

Une maladie grave, à l'époque déterminée par l'article 312, serait un motif valable de désaveu. En effet, il ne faut pas que la puissance accidentelle se produise d'une manière permanente et continue. Il suffit qu'elle ait existé réellement au moment de la conception. Cette existence peut provenir d'une maladie comme d'une mutilation. On devrait donc décider dans un cas comme on déciderait dans l'autre ; toutefois, la nature des choses indique avec quelle prudence devrait ici procéder le magistrat. Ce qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est que, dans le doute, la faveur due à la légitimité doit l'emporter.

L'impossibilité physique de cohabitation reconnue et admise, il y a certitude que le mari n'est pas le père de l'enfant. Celui-ci se trouve dès lors rejeté dans la classe des enfants naturels, et privé de tout droit dans la succession du désavouant. De plus, la qualité de femme mariée, que la mère ne saurait répudier, imprime à sa naissance le sceau de l'adultérinité et le réduit, quant à la succession de celle-ci, au droit d'obtenir des aliments.

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861. — Ainsi, on avait proposé au conseil d'État de considérer comme un motif de désaveu la séparation des époux, réunie à l'adultère de la femme. Mais cette proposition, d'abord admise par la section de législation, n'a plus figuré dans le projet définitivement adopté. Cette prétérition prouve qu'on a en définitive repoussé la proposition, et que la séparation de corps laisse les époux sous l'empire du droit commun à l'endroit des enfants nés depuis qu'elle a été prononcée. Cela est profondément regrettable, car la séparation, faisant cesser la fréquentation légale que le mariage produit, fait disparaitre le principal fondement de la maxime pater is est... L'adultère survenu dans ces circonstances ajoute à l'importance de ce premier effet et crée une forte présomption contre la paternité du mari. Cependant celui-ci ne pourra pas même être admis à désavouer l'enfant, si la femme a pris la précaution effrontée de lui annoncer la naissance, éludant ainsi l'ap

plication de l'article 313. N'est-ce pas là, s'écrie Valette 1, un résultat déraisonnable?

862. Peut-être que si le législateur de 1804 avait prévu l'abolition du divorce, la proposition eût-elle rencontré plus de sympathies. Le divorce, en effet, était un remède héroïque contre le mal que nous signalons, puisque, après sa prononciation, la femme, devenant étrangère à son mari, ne peut lui imposer la paternité des enfants auxquels elle donnerait le jour. Quoi qu'il en soit, le silence gardé par la loi du 28 mai 1816 laisse subsister l'effet de la séparation de corps tel que le Code l'avait admis. La paternité des enfants nés après est de plein droit imposée au mari. II ne peut la récuser que s'il prouve l'impossibilité physique de cohabitation aux époques fixées par l'article 312.

863. Ce qu'on décidait pour le cas de séparation de corps, on devait le décider pour celui d'adultère. L'adultère de la femme n'exclut pas la paternité du mari, surtout si l'on admet la continuité ou la possibilité de relations entre lui et sa femme. L'enfant peut aussi bien être le fruit de ces relations que le résultat du crime de la mère Cum possit et illa (uxor) adultera esse, et impuber defunctum patrem habuisse 2. Or, ces relations, la loi les présume dès qu'elles sont physiquement possibles. Elle ne pouvait donc autoriser un désaveu dont on ne pouvait même établir les fondements d'une manière certaine.

864. Mais si l'adultère est accompagné de l'aveu tacite de la femme sur ses conséquences, le désaveu devient recevable. La loi trouve cet aveu dans le recèlement de la naissance de l'enfant. Ce fait, personnel à la femme, fournit contre la paternité du mari une présomption d'une gravité incontestable. La naissance d'un enfant est pour une femme vertueuse un sujet d'orgueil et de juste fierté. Cette naissance peut, dans certains cas, exercer une bienfaisante influence sur le sort des époux, contribuer à resserrer le lien qui les unit et dissiper les nuages qui obscurcissaient la vie commune. Dès lors, la conduite de l'épouse déjà adultère qui, loin de déclarer la naissance de son enfant, l'entoure d'un profond mystère, la dérobe au regard de son mari, ne décèle-t-elle pas les replis les plus secrets de son cœur? N'est-ce pas le cri d'une conscience convaincue et la reconnaissance formelle de l'illegitimité de l'enfant? N'élève-t-elle pas en un mot, contre celui-ci, un préjugé assez

Sur Proudhon, t. II, p. 25.

L. 11, § 9, Dig., ad legem Juliam de adult.

fort pour balancer la présomption fondée sur le mariage 3?

865. Mais balancer une présomption, ce n'est pas la détruire. Aussi le mari qui a prouvé l'adultère de sa femme et le recèlement de la naissance de l'enfant n'a pas encore rendu le désaveu inévitable. Il y a probabilité, aveu tacite de la mère, si un autre motif ne vient pas expliquer sa conduite. Or, en matière de légitimité, ce n'est pas sur des probabilités, ce n'est pas même sur les déclarations de la mère qu'on décide du sort de l'enfant.

Jusque-là donc, il y a seulement doute grave qu'il convient d'approfondir. Le désaveu est recevable. Mais il ne sera fondé que si le mari complète la démonstration qu'il doit faire de l'illégitimité de l'enfant. Conséquemment, et par une exception aux règles ordinaires, la loi lui permet d'articuler et de prouver tous les faits propres à justifier qu'il n'est pas le père de l'enfant.

En dernière analyse, pour que le désaveu d'un enfant conçu et né pendant le mariage soit recevable, il faut que la femme convaincue d'adultère le soit également d'avoir recélé la naissance; pour qu'il soit fondé, il faut que le mari prouve qu'il n'est pas le père de l'enfant, bien entendu qu'il ne s'agit plus ici d'une impossibilité physique, comme tout à l'heure. L'impossibilité morale suffit, et l'on peut la faire résulter de tous faits, de toutes présomptions de nature à corroborer l'induction tirée de l'adultère et du recèlement de la naissance.

866. Mais que faut-il entendre par le recélé de la naissance? Cette naissance est un fait complexe impliquant le concours nécessaire de trois caractères la conception, la grossesse, l'accouchement. De plus, elle ne se manifeste que par la déclaration exigée par l'article 55 du Code civil. Cela étant, l'article 313 entend-il que le recélé porte sur l'ensemble de ces circonstances? En d'autres termes, faut-il que la femme ait tout à la fois dissimulé, nous ne dirons pas la conception, l'époque en est nécessairement inconnue, mais sa grossesse, celé son accouchement et fait une fausse déclaration? Suffira-t-il, au contraire, d'une ou de deux de ces circonstances? Quelle sera l'importance de chacune d'elles ?

Pour résoudre ces questions, il faut se pénétrer de l'esprit de l'article 513, tel qu'il résulte des discussions dont cet article a été l'objet dans le sein du conseil d'État.

3 Toullier, t. II, p. 126, no 814.

Nous l'avons déjà dit, l'intention du législateur a été de proscrire le désaveų fondé sur l'impossibilité purement morale. Cependant ce principe a dû fléchir lorsque, comme le disait le consul Cambacérès, il fallait se rendre à l'évidence des faits et ne pas placer les juges entre un texte trop rigoureux et le cri de leur conscience.

Mais comment arriver à cette évidence, si les présomptions les plus décisives ne parvenaient pas à en autoriser la recherche? Sans doute l'état des enfants ne pouvait être abandonné à la déclaration plus ou moins intéressée, plus ou moins sincère de la mère. Mais ce qu'une déclaration ne pouvait faire, le mystère dont la femme s'enveloppe dans une circonstance telle que la naissance d'un enfant était de nature à l'opérer. « Si la femme adultère, disait l'orateur du gouvernement, a caché à son mari sa grossesse, son accouchement, la naissance de l'enfant, le sentiment qui lui a dicté ce mystère et imposé les soins et les embarras qu'il exige, est d'une telle prépondérance, qu'il serait injuste de ne pas l'appeler en témoignage sur la question de la véritable paternité. Une femme, en ce cas, ne dit rien, ne déclare rien; au contraire, elle se tait, elle se cache, c'est son cœur lui-même qui, malgré elle, développe ses replis les plus cachés, c'est sa conscience qui laisse échapper son plus mystérieux jugement. »

Ainsi, le silence de la femme est l'aveu tacite le plus énergique de l'illegitimité de l'enfant. Conséquemment, que ce silence porte sur le fait matériel de la naissance, sur l'accouchement ou sur la grossesse, il n'existe pas moins, il n'en doit pas moins produire tous ses effets.

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867. Cependant le silence d'abord gardé sur la grossesse peut être rompu avant l'accouchement, à une époque plus ou moins rapprochée de celui-ci. La connaissance qui en résultera pour le mari lui enlèvera-t-elle la faculté de désavouer l'enfant?

Admettre l'affirmative, c'est rendre la femme arbitre souveraine du désaveu. Elle pourrait, en effet, le rendre dans tous les cas irrecevable en décelant sa grossesse quelques jours avant l'accouchement, après l'avoir dissimulée pendant Jongtemps. Un pareil résultat serait une iniquité avec d'autant plus de raison, que la conduite de la femme peut n'être dictée que par esprit de bravade et de défi pour placer son mari en dehors des conditions prescrites par la loi pour l'exercice du droit du désaveu. Ainsi, le crime lèverait insolemment la tête, et l'enfant, étranger au mari, se verrait assurer, sans retour, un

rang, un titre, un privilége auquel il n'a jamais. eu aucun droit.

Une pareille immoralité ne pouvait entrer dans les prévisions du législateur. C'est ce que la cour de cassation vient de décider par son arrêt du 7 janvier 1830.

868. Le savant rapporteur, M. Mesnard, après avoir examiné la légalité, présentait à la cour suprême les observations suivantes : « Que conclure de tout cela? Une chose bien simple, c'est qu'il n'y a rien d'absolu dans les termes de l'article 515; que tout dépend des circonstances, et qu'en cette matière une grande latitude est nécessairement laissée aux tribunaux... En pareil cas, ce à quoi il faut s'attacher, ce n'est pas à ce que le mari a pu savoir ou ignorer, c'est à ce que la femme a voulu cacher. La loi ne prend pas garde à ce qui a pu venir à la connaissance du mari sur les faits relatifs à la naissance; elle ne s'occupe que de la conduite et de la dissimulation de la femme; elle n'exige pas que le mari ait ignoré la naissance, car il doit la connaître pour pouvoir désavouer; elle veut seulement qu'on la lui ait cachée. Que la femme réussisse complétement ou non dans son œuvre de mystère, jusqu'à un certain point, il importe peu. Les tribunaux auront à apprécier sa conduite; ils auront à vérifier si le secret qu'elle a fait à son mari des signes ou des preuves de la maternité contient ou non cet aveu tacite et spontané que les auteurs de la loi rattachent au recel de la naissance. »

Sur ces observations, la cour de cassation a consacré les solutions suivantes :

«Attendu, en droit, que le législateur, en admettant que la présomption consacrée par l'article 512 du Code civil, après avoir fléchi devant l'impossibilité physique de cohabitation, pourrait également fléchir devant la preuve de l'impossibilité morale de cette cohabitation, a entendu assujettir cette preuve à une condition qui servit de garantie contre les appréciations variables et arbitraires des tribunaux ; que c'est ainsi qu'il a exigé dans l'article 515, pour la recevabilité du désaveu fondé sur la preuve de cette impossibilité morale, que la femme eút caché au mari la naissance de l'enfant, trouvant dans ce recel ou cette dissimulation, de la part de la femme, l'aveu tacite de sa faute et un secret jugement de sa conscience contre la légitimité de l'enfant ;

« Attendu que, devant cette pensée incontestable de l'article 515, il est impossible d'admettre que le recel de la grossesse soit un fait insignifiant et que le recel de l'accouchement ait été

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