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Brigitte, sa sœur, institua ses trois fils ses héritiers, ordonna que sa femme et sa sœur demeureraient avec ses enfants, à peine de déchéance de l'usufruit légué, et, en cas de mariage de l'une ou de l'autre, ou de leur séparation d'une manière quelconque d'avec ses enfants, il les réduisit à leur dot respective.

« Jean Ardizzoni a survécu longtemps à son testament. En 1791, il souscrivit une obligation sous seing privé d'une somme de 500 francs au profit de Jeanne, sa sœur, alors veuve d'un sicur Boëri, et celle-ci est morte après avoir fait un testament par lequel elle avait institué pour son héritière Brigitte, sa sœur.

« Jean Ardizzoni n'est décédé qu'en 1795. Deux ans après, Brigitte a quitté ses neveux, au moyen de quoi elle a perdu la portion de l'usufruit qui lui était léguée et s'est trouvée réduite aux seuls intérêts de la dot, car, n'étant pas mariée, elle ne pouvait en exiger le fonds.

« Pour vaincre cet obstacle, voici à quel moyen elle eut recours.

« Le 29 octobre 1798, il fut célébré ou il parut se célébrer un mariage entre Brigitte et un nommé Luc Admiranti, mendiant de profession. Cet homme était alors malade dans un hôpital. Il fut représenté à la célébration par un sieur Carli, prêtre, en vertu d'une procuration portant, outre ce pouvoir, une cession de droit ainsi conçue: Et comme ledit Admiranti ne veut pas se mêler du recouvrement de la dot, droits dotaux et legs pieux qui compètent à la future, il cède et transporte audit sieur Carli, présent et acceptant, tous les droits, raisons et actions qui lui compètent ou peurent lui compéter, soit à l'égard de ladite dot, soit à l'égard desdits droits dotaux et legs pieux, en le subrogeant à sa place en ses droits et en le constituant, par procuration, son procureur AD VOTUM ET CUM LIBERA TANQUAM UT ALTER EGO, en sorte qu'on ne puisse lui opposer le défaut d'aucun pouvoir.

«Il paraît constant que Brigitte n'a jamais vu son prétendu mari, qui a continué son métier de mendiant et qui est mort en 1800.

« Les choses sont restées en cet état jusqu'en 1807, époque à laquelle Brigitte, se disant veuve Admiranti, fait assigner ses neveux au tribunal de première instance de San-Remo pour se voir condamner à lui payer: 1o la somme de 5,000 francs, monnaie de Gênes, avec intérêts; un trousseau ou sa valeur ; 2o la portion de l'usufruit à elle léguée par son frère depuis le 7 mars 1795, jusqu'au jour de son mariage; 5o 1,600 francs qui restaient dus sur la dot de sa sœur

BÉDARRIDE. 1.

Jeanne, dont elle était héritière instituée; 4o les 500 francs à elle dus suivant le billet souscrit à son profit par le défunt Jean Ardizzoni.

« Ses neveux l'ont soutenue non recevable sur tous les chefs. Ils ont surtout révoqué en doute le mariage; mais elle a rapporté l'acte de sa célébration, ils l'ont alors querellé de simulation et de fraude. Condamnés en première instance, ils émirent appel et reproduisaient devant la cour les moyens repoussés par le tribunal.

« Au système de simulation et de fraude dans le mariage, l'intimée répondait : On ne peut contester un mariage célébré dans les formes prescrites par les lois du pays où il a été contractė; le soutenir simulé sans l'arguer de nullité, c'est une contradiction... La cohabitation des époux n'est pas essentielle au mariage ; c'est un contrat qui se forme par le seul consentement, et le défaut par les parties d'accomplir les obligations qu'il impose n'annule ni n'altère le lien qui n'en existe pas moins. En dernière analyse, le mariage est un acte de l'état civil qui ne peut être simulé ni querellé comme tel. Il suffit qu'il existe et qu'il soit prouvé par écrit, pour réaliser la condition des libéralités faites dans le cas où il y aurait mariage.

« Ces prétentions, combattues par l'éloquent Manuel, furent rejetées par la cour. L'arrêt qui intervint décida, contrairement à ce qu'avait admis le premier juge, qu'un mariage peut, sans être annulé, être déclaré frauduleux et simulé, et, comme tel, incapable de donner ouverture aux avantages testamentaires ou conventionnels dont il a été la condition. Voici, en droit, les motifs de cet arrêt :

« Considérant que dans le statut ligurien les dots des filles leur tenaient lieu de tous les droits et pouvaient être grevées de toutes charges par le constituant; que celle réclamée par la veuve Admiranti devenait propre à ses neveux dans le cas où elle garderait le célibat, sauf la réserve de deux cents francs pour le salut de son âme; que la partie de l'usufruit léguée à ladite veuve par son frère, et qui devait cesser dans le cas où elle quitterait ses neveux ou se marierait, ne l'a point affranchie de la condition qui lui était imposée par la mère commune, ni pu lui donner la propriété de sa dot, assurée à ses neveux dans le cas où elle ne se marierait pas; qu'il reste donc à examiner si cette condition a été remplie ;

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du mariage de leur tante dès l'instant qu'il est régulier; mais ils peuvent avec succès lui refuser l'efficacité quant à la condition pour laquelle il était nécessaire. lorsqu'on en excipe contre eux; que c'est un principe de droit commun qui était en vigueur dans la ci-devant Ligurie, que contractus imaginarii juris vincuIlum non obtinent, surtout à l'égard des tiers dont ces contrats simulés blessent les intérêts; que bien loin que cette règle soit étrangère aux mariages et aux divorces, elle est au contraire appuyée sur divers textes des lois romaines. La loi 50, Dig., de rit. nupt., a dit: Simulatæ nuptiæ nullius sunt momenti; la loi si filius, Dig.. de divortiis, porte aussi : Imaginaria repudia et simulata nullius sunt momenti; la raison en est donnée par la loi 3, Dig., de divortiis; c'est qu'il n'y a pas intention de réaliser une séparation éternelle, tout comme il n'y a pas réellement mariage, là où les deux époux n'ont pas eu l'intention de s'unir pour toujours 1. »

344. Ledru-Rollin se demande, à la suite de cet arrêt, pourquoi, sous la législation qui nous régit, un mariage ne pourrait pas, comme tout autre acte, être déclaré dolosif ou frauduleux, si les circonstances prouvent que les parties n'ont pas eu réellement l'intention de s'unir et de vivre ensemble dans la société conjugale; si elles établissent que les formes et les cérémonies n'ont véritablement été qu'une comédie, qu'une feinte employée pour faire arriver ostensiblement la condition d'un legs, d'une donation? N'est-il pas clair, poursuit ce jurisconsulte, que dans ce cas l'intention du testateur ou du donateur n'a point été remplie; que le fait prévu n'est pas réellement arrivé et qu'on n'a eu d'autre but que de profiter de la libéralité, en trompant, en éludant la condition? Pourquoi alors, sans déclarer le mariage nul, ne pourrait-on pas le priver de l'effet qu'on a voulu lui faire produire par fraude?

D'un autre côté, continue Ledru-Rollin, comment ne pas être effrayé des dangers que peut présenter l'investigation nécessaire à laquelle les juges devront se livrer de la vie intime des deux époux, des causes qui auront pu donner naissance au mariage et motiver ensuite une séparation? N'est-il pas à craindre qu'à l'intention présumée des contractants les juges ne substituent leurs propres passions et même leur opinion?

345. Quelque puissantes que soient ces

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dernières considérations, elles ne nous paraissent pas de nature à faire résoudre la difficulté dans le sens contraire à celui de l'arrêt que nous venons de transcrire. Chacun a le droit de se mettre à couvert du dol de quelque manière qu'il se manifeste, fût-ce même par un mariage, et de là naît, pour le magistrat, le devoir et l'obligation de le réprimer partout où il le découvre. Dans toutes les hypothèses, en effet, le préjudice est le même pour celui qui doit en souffrir. Lui refuser, dans tel ou tel cas, la réparation qui lui est due, ce serait le punir de l'excès de précaution déployé par son adversaire et consacrer une injustice flagrante.

Qu'on veuille bien le remarquer d'ailleurs, les considérations qui militent en faveur de l'indissolubilité du mariage ne peuvent, dans ce cas, subir aucune atteinte. Il est, en effet, entendu que non-seulement le mariage ne sera pas annulé, mais encore que toute attaque contre sa validité sera irrecevable. Celui-là donc qui aurait contracté un lien honteux pour acquérir par des voies illégitimes un avantage quelconque resterait à tout jamais sous le joug qu'il se serait forgé. Il suffit aux tiers intéressés de faire prononcer que cet acte sera sans effet contre eux pour conserver la possession des biens qu'on voulait leur arracher.

Le juge ne doit donc pas hésiter, lorsque, l'aide des moyens que la loi lui donne, il a acquis la conviction de la simulation du mariage, à protester énergiquement contre ce dol; et, tout en respectant le mariage, à le priver de l'effet qu'on a voulu lui faire produire. Telle est aussi l'opinion de Ledru-Rollin, et, ce qui le prouve, c'est l'adhésion entière qu'il donne à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix; il ne l'approuverait certes pas s'il croyait qu'il renferme une violation de la loi qui nous régit.

Il est vrai que les magistrats qui l'ont rendu invoquent soit le statut ligurien, soit les textes de la loi romaine, mais ils ne cherchent dans le premier que les principes sous l'influence desquels on devait ranger les droits de la demanderesse sur sa dot, droits qui s'étaient ouverts avant la promulgation du Code civil, et dans un pays alors étranger; ils ne demandent au second qu'une règle d'interprétation de la volonté de notre législateur, lequel, ayant virtuellement consacré le principe que les contrats simulés ne peuvent produire aucun effet contre les tiers, s'est par cela même, et quant aux conséquences de ce principe, approprié les dispositions du droit romain relativement au mariage.

Nous conviendrons sans peine que, dans l'ap

plication, le système consacré par l'arrêt offrira beaucoup de difficultés. Indépendamment de celles que présente toujours un procès en nullité pour dol, on en rencontrera bien d'autres lorsqu'il s'agira d'apprécier si un mariage est ou non simulé, mais la prudence des magistrats saura dans tous les cas faire bonne et exacte justice. Ils ne perdront jamais de vue que la preuve même de la simulation ne saurait être admise que lorsque son existence est rendue vraisemblable par un ensemble de faits significatifs comme l'étaient ceux de l'espèce jugée par la cour d'Aix. Il ne suffirait donc pas que le mariage eût été suivi d'une séparation immédiate des deux époux, il faudrait en outre que les antécédents, que la position des parties vinssent indiquer le véritable caractère de cette séparation, et prouver ainsi le concert des deux époux et conséquemment la simulation du mariage.

346. En ce qui concerne les époux euxmêmes, il n'y a de mariage valable que celui qui est librement consenti par chacun d'eux. L'article 146 du Code civil assigne au mariage le caractère que lui reconnaissait la loi romaine: Nuptias non concubitus, sed consensus facit L

Il n'y a donc pas réellement de mariage, s'il n'y a pas, de la part de chacune des parties, un consentement éclairé, spontané et libre.

347. — Faut-il appliquer au mariage la disposition de l'article 1109 et décider la nullité lorsque le consentement n'a été donné que par erreur, ou lorsqu'il a été surpris par dol, ou extorqué par violence?

En droit commun, le consentement vicié par une de ces circonstances est jugé incapable de créer un lien obligatoire. Si donc il fallait examiner l'article 146, sous l'influence de ce droit, la question que nous avons posée devrait se résoudre par l'affirmative.

Mais ici se présentaient les considérations que nous avons déjà rappelées et qui plaçaient le mariage dans une catégorie spéciale et exceptionnelle. Nous n'avons pas à nous occuper de la violence dont l'effet est pour le mariage le même que pour tous les autres contrats. Mais pour ce qui concerne l'erreur, soit accidentelle, soit produite par le dol, nous trouvons l'exception parfaitement établie par l'article 180 du Code civil. Cet article, en effet, amène à cette conséquence que le mariage ne peut être annulé pour cause

Loi 50, Dig., de reg. juris. 2 Pothier, nes 304, 313.

d'erreur que lorsqu'il y a eu erreur dans la

personne.

La valeur de ces expressions n'était pas douteuse sous le droit ancien. L'erreur dans la personne ne s'entendait que de l'erreur sur la personne physique. Il n'y avait donc nullité que lorsque celle qu'on avait épousée n'était pas celle que l'on voulait épouser.

Toute autre erreur sur les qualités civiles du conjoint ne produisait aucun effet. C'est ainsi que des mariages contractés avec des individus morts civilement avaient été validés par les parlements 2. 348.

L'article 180 a-t-il voulu consacrer

la même doctrine? Le doute naît de la discussion que l'article 146 subit au conseil d'État. Dans le projet primitivement présenté, cet article était ainsi conçu : « Il n'y a pas de mariage sans consentement; il n'y a pas de consentement s'il y a eu violence, s'il y a eu erreur dans la personne que l'une des parties avait eu l'intention d'épouser. » Cette rédaction ayant été rejetée, on a voulu en conclure que l'article 146 se référait explicitement à l'article 1109. On concluait surtout à une dérogation aux anciens principes, de cette circonstance que la cour de cassation, trouvant l'expression personne beaucoup trop vague, avait demandé qu'on y substituât celle d'individu. Or, cette substitution, qui réellement inspirait la pensée d'une erreur physique, ayant été rejetée, il s'ensuivrait, a-t-on dit, que le législateur n'a pas voulu borner à celle-ci la nullité du mariage.

Mais les mots retranchés dans l'article 146 se retrouvent dans l'article 180; et, malgré que l'amendement de la cour de cassation n'ait pas été consacré, cet article a été interprété, par l'orateur du gouvernement, dans le sens des anciens principes.

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L'erreur dans le mariage, disait Portalis, ne s'entend pas d'une simple erreur sur les qualités, la fortune ou la condition de la personne à laquelle on s'unit, mais d'une erreur qui aurait pour objet la personne même. Mon intention déclarée était d'épouser une telle personne; on me trompe, ou je suis trompé par un singulier concours de circonstances, et j'en épouse une autre qui lui est substituée à mon insu et contre mon gré; le mariage est nul 3. »

Il résulte évidemment de ces explications, que sous l'empire de l'article 180, toutes les fois que la personne que l'on a épousée est bien celle

3 Exposé des motifs.

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que l'on a cru et voulu épouser, le mariage est inattaquable, alors même que cette volonté cût été déterminée par une erreur née des circonstances ou inspirée par le dol sur la véritable condition, sur les mœurs, la fortune, la qualité de cette personne. Ainsi celui qui, croyant s'unir à une femme vertueuse, a épousé une infâme prostituée; celle qui, croyant se donner à un homme honorable, aurait épousé un forçat, ne saurait faire prononcer la nullité du mariage 1. 349. Telle est, positivement, la rigueur du principe. Cependant quelques cours d'appel s'en sont écartées. Ainsi, celle de Colmar a jugé, le 6 décembre 1811, qu'on pouvait considérer qu'il y a erreur dans la personne capable d'emporter la nullité du mariage, lorsqu'une catholique a épousé un ci-devant moine profès dont la qualité lui a été celée. De son côté, la cour de Bourges a décidé, le 6 août 1827, qu'un mariage peut être déclaré nul, lorsque l'un des contractants, par suite de faux ou de mancuvres frauduleuses, a pris un nom de famille ou des qualités qui ne lui appartenaient pas, si d'ailleurs cette double circonstance a été pour l'autre époux la cause déterminante du mariage 2.

Le premier de ces arrêts applique au mariage les principes généraux en matière de consentement; le second excipe du rejet de la substitution du mot individu à celui de personne pour en induire que la loi laisse à l'appréciation du magistrat les circonstances constituant l'erreur sur la personne; il admet que cette erreur existe lorsque les manœuvres qui l'ont déterminée ont été la cause efficace du mariage; en d'autres termes, la cour de Colmar se décide par l'article 1109, celle de Bourges par l'article 1116; l'une et l'autre ne voient ainsi dans le mariage qu'un contrat soumis au droit commun en matière de consentement et de dol.

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350. C'est là, à notre avis, une violation manifeste de l'article 180. Cependant ces arrêts ont rencontré des approbateurs. Un de nos plus éminents jurisconsultes, Toullier, a même érigé leur système en doctrine. Prouvons que cette doctrine ne saurait être admise et nous justifierons par là même les reproches que nous faisons à ces deux arrêts.

351. Toullier refuse à l'article 180 le sens que lui donnait Portalis lui-même ; il n'y a pas d'exemple, dit-il, d'un mariage contracté par erreur sur l'individu ou sur la personne physique, car, lorsqu'on se présente devant l'officier de

Ainsi jugé en 1858 par le tribunal civil de la Seine.

l'état civil pour se marier, on agrée la personne physique qu'on a devant les yeux. Conséquemment, réduire la règle à l'erreur sur la personne physique ou sur l'individu, ce serait l'anéantir presque totalement. L'erreur ne peut guère tomber que sur la personne morale ou sociale, c'està-dire sur les qualités qui la constituent.

Cependant Toullier reconnaît que l'erreur sur la condition ou le rang qu'une personne tient dans la société, sa fortune, ses mœurs, son caractère, enfin, sur son état civil, sa patrie, son nom, sa famille, alors même qu'elle serait le résultat du dol personnel de l'époux, n'annulerait pas le mariage, car, dit-il, il n'est pas présumable que les époux aient fait de ces qualités une condition irritante du mariage.

«Mais, continue Toullier, l'erreur sur la qualité, sur le nom, sur la famille, peut quelquefois dégénérer en erreur sur la personne ou, comme disent les auteurs, renfermer l'erreur sur la personne; elle peut aussi être produite par le dol personnel de l'un des conjoints et être telle qu'il est évident que sans ces manœuvres le mariage n'eut point été contracté.

« Ainsi, l'erreur sur la qualité renferme erreur sur la personne lorsqu'il paraît par les circonstances que c'est la qualité seule qui a déterminé la volonté de l'autre époux; que celle qualité était une condition tacite, sans laquelle le mariage n'eut pas été contracté, ce qui ne peut guère arriver qu'à l'égard d'une personne inconnue de l'autre époux avant le temps de la célébration du mariage. »

Ces derniers mots de Toullier renferment la réfutation de son système, car ils indiquent nettement que ce qu'il appelle erreur sur la qualité n'est pas autre chose que l'erreur sur la personne, ainsi que nous allons le prouver. S'il fallait l'entendre autrement, on devrait arriver à une conclusion contraire à celle que Toullier a tirée.

Le vice de cette dernière est de substituer à la règle invariable, que la loi a tracée dans l'article 180, l'appréciation nécessairement variable du magistrat ; c'est ensuite de donner à cette appréciation les éléments que l'article 1116 impose pour le cas de dol aux contrats ordinaires.

Or, nous l'avons déjà dit, s'il fallait examiner le mariage sous l'empire absolu de cette disposition, on arriverait à la nullité dans presque tous les cas d'erreur. Il est difficile, en effet, que dans cette matière l'erreur n'ait pas été produite par le dol. Comment persuader que

2 Journal du Palais, années 1814, 1827.

l'on est riche sans invoquer des titres justifica-, tifs, sans les produire? Comment s'attribuer un nom qui ne vous appartient pas, une position sociale à laquelle on n'a aucun droit, si des pièces fabriquées ne venaient pas ostensiblement justifier cette usurpation? C'est donc par le faux qu'on arrivera à tromper; n'y eût-il qu'un mensonge, qu'on se trouverait encore en présence de circonstances telles, que le dol serait incontestable. Le dol n'existe-t-il pas lorsqu'on dissimule, dans le dessein de tromper? Qui insidiose dissimulat.

Si donc il fallait s'en référer aux principes généraux, l'erreur n'étant, dans toutes ces hypothèses, que le résultat du dol, le consentement qu'elle aurait déterminé serait frappé d'incapacité, et le mariage qui en aurait été la conséquence devrait être annulé. Le contraire est cependant enseigné par Toullier lui-même. Ne nous apprend-il pas, en effet, que le lien est indissoluble, quoiqu'on ait épousé une roturière la croyant noble, une fille pauvre la croyant riche, une prostituée qu'on croyait vertueuse? quoiqu'on ait été trompé, par un dol personnel, sur le nom, la famille, la patrie du conjoint qu'on s'est donné?

Quelle sera donc la qualité sur laquelle l'erreur deviendra erreur sur la personne? Les diverses hypothèses qui viennent d'être rappelées les comprennent toutes. Aussi Toullier admet-il que ce soit l'une d'elles, mais à condition que la qualité sur laquelle elle a porté soit telle que la supposition ait été la cause déterminante du mariage.

Mais cette condition se rencontre précisément dans les cas pour lesquels Toullier admet l'indissolubilité du lien. Certes l'époux qui demande la nullité du mariage pour cause d'erreur, et à qui l'on reprocherait de n'avoir pas fait, de l'existence de la qualité supposée, une clause irritante du mariage, répondrait avec raison que la preuve du contraire se trouve dans sa demande même; que la qualité alléguée l'a tellement déterminé à conclure, que son absence lui fait demander la rupture du lien qu'il a formé dans la fausse persuasion de son existence. Comment, ajouterait-il, puis-je vous convaincre que la connaissance de la vérité m'eût empêché de traiter, d'une manière plus énergique qu'en réclamant d'être exonéré de l'engagement né de l'erreur dans laquelle on m'a jeté ?

Au fond, cette prétention ne serait pas aussi futile qu'on pourrait le croire. Il est sans doute des cas où la vérité, connue avant le mariage, n'aurait peut-être pas empêché sa célébration.

Aussi on peut admettre que celui qui a épousé une roturière la croyant noble, une veuve la croyant fille, n'aurait pas renoncé aux autres avantages que son union lui promet, s'il eût connu la vérité sur la qualité de sa future. Mais il est d'autres hypothèses où les plaintes de l'époux auront toute la force d'une démonstration.

Une personne se donne un nom et se présente comme appartenant à une famille très-honorable et occupant une position élevée. Déterminé par les avantages que je dois trouver dans les relations que le mariage va amener entre cette famille et moi, je préfère cette personne à d'autres partis plus avantageux sous plusieurs autres rapports. Dira-t-on que, si j'avais su que mon conjoint était étranger à cette famille, je n'en eusse pas moins contracté ce mariage?

Si le mariage n'a été que la conséquence de la fortune prétendue de l'un des conjoints, devra-t-on présumer que celui des deux qui a été trompé ne l'aurait pas moins contracté, alors que, peu fortuné lui-même, il serait dans l'impossibilité de faire face aux charges que ce mariage entraîne?

Enfin la présomption que l'on n'a pas fait de la qualité une condition irritante du mariage ne sera-t-elle pas une injuste et amère dérision pour cet époux honorable qui s'est un à une prostituée impure, lorsqu'il croyait épouser unc femme vertueuse? pour l'épouse qui, dans la persuasion d'unir son sort à celui d'un honnête homme, se sera associée à l'infamie d'un homme flétri par la justice et à peine sorti ou échappé du bagne où l'avaient conduit ses crimes? Peutil exister, pour une famille vertueuse, pour un homme d'honneur, une plus cruelle déception? N'est-il pas mille fois certain que la connaissance de la vérité eût apporté au mariage l'obstacle le plus invincible? Voilà donc au moins une hypothèse qui réalise la condition exigée par Toullier, et cependant lui-même enseigne que dans ce cas le mariage est indissoluble.

Il y a donc, dans le système que nous combattons, une véritable contradiction qui en prouve le peu de justesse. Oui, le dol qui a été la cause déterminante du contrat est une cause de nullité dans les actes ordinaires de la vie. Mais ce principe reçoit une exception formelle pour le mariage, et, ce qui motive cette exception, c'est la nature exceptionnelle de ce contrat, son importance; c'est que son indissolubilité est commandée par l'ordre public, l'intérêt de l'État, par la morale et la religion.

Et puis ce qui devait encourager le législateur à l'admettre ainsi, c'est que, dans le cas

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