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«<et même soixante pour cent. La France compta « par milliers les ruines et les fortunes scandaleuses. L'usure, qu'aucun frein ne retenait « plus, fit irruption dans la société, elle s'y implanta et y jeta des racines tellement profon«des, que la sévérité des lois et des magistrats « n'est pas encore parvenue à les extirper entiè«<rement. L'ordre social eut tant à souffrir des << ravages de l'usure, qu'on sentit le besoin de « la proscrire de nouveau, et c'est alors que fut << rendue la loi du 3 septembre 1807 1. »

Ainsi, dix-huit ans de liberté absolue, de 1789 à 1807, avaient non-seulement rendu le mal présent dangereux et intolérable, mais encore grevé déplorablement l'avenir. Où en serionsnous arrivés si aux réclamations incessantes des populations désolées le législateur eut répondu qu'il n'avait pas le droit d'intervenir?

Ainsi l'utilité d'une loi répressive, ce grand critérium qu'exige Bentham, est parfaitement démontrée. Vainement fait-on observer que cette loi n'a pas mis fin à l'usure. Le législateur n'a pas pu être arrêté un instant par la pensée qu'on éluderait sa volonté. Tout ce qu'il devait faire d'ailleurs, c'était d'édicter une peine dans cette prévision, et c'est un devoir auquel la loi de 1807 n'a pas failli. Sans doute le mal n'est pas extirpé, mais un premier effet est obtenu. L'usure ne se manifeste plus le front haut et la démarche assurée, elle se cache, elle s'enveloppe dans le mystère et l'ombre au milieu desquels la sagacité de la justice sait et peut quelquefois l'atteindre et la punir.

1118.- La question d'utilité tranche celle de la convenance. Cependant les raisons qui ont fait contester cette dernière exigent un examen sérieux. Nous avouons même qu'en pareille matière une loi fixe, immuable, n'est pas dans la nature des choses; qu'elle est dans le cas de substituer le mensonge à la vérité, et de se placer en contradiction avec les intérêts qu'elle a pour objet de garantir.

Qu'est-ce, en effet, que l'intérêt ? Les économistes ont beaucoup écrit sur la matière, sans cependant prendre à tâche de réduire la question dans les limites les plus nettes, dans les termes les plus simples. Say voit dans l'intérêt le profit du capital ainsi que celui du fonds de terre, et il le définit le prix d'un service qui n'est pas un travail humain, mais qui est néanmoins un service productif, lequel concourt à la production des richesses, de concert avec le travail humain 2. A travers ces expressions, qui ne pèchent pas

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par un excès de clarté, Say a sans doute voulu dire que le prêt n'exige aucun travail de la part du prêteur, qui acquiert, par la disposition. qu'il fait temporairement de son capital, le droit de participer au bénéfice que le travail de l'emprunteur doit faire produire à ce capital. En d'autres termes, le capital est une propriété dont la jouissance, cédée à un tiers, est susceptible de produit en faveur du propriétaire. Le prêt n'est donc, en définitive, qu'un louage dont l'intérêt est le prix. Telle est aussi, nous l'avons dit, l'opinion de Turgot.

Cela posé, il semblerait en résulter que le taux de ce loyer doit être abandonné à la libre disposition des parties, ou du moins n'obéir qu'aux fluctuations que feront surgir les causes de nature à exercer sur son cours une influence nécessaire.

Or ces causes sont : 1° l'abondance ou la rareté de l'argent. Chacun convient, en effet, que c'est là un des éléments essentiels pour la fixation de l'intérêt, dont la détermination se règle sur la quantité des capitaux disponibles et prêtables; qu'ainsi le taux est naturellement bas dans les pays riches, élevé dans les pays pauvres.

Mais pour que l'abondance ou la rareté du numéraire ait une influence réelle sur le cours des intérêts, il faut que l'une ou l'autre trouve sa cause dans un fait purement commercial, à savoir : la diminution ou l'augmentation des besoins des travailleurs. Donc l'accroissement des richesses, entre les mains de ceux-ci, devra nécessairement être considéré comme le second terme de la proposition. En effet, le loyer de l'argent, considéré comme instrument de travail, sera moindre, suivant que l'argent sera plus offert que demandé. Or ce résultat ne sera pas toujours la conséquence uniquement de l'abondance du numéraire entre les mains des capitalistes, il sera surtout déterminé par la diminution des besoins chez l'emprunteur. Supposez, en effet, que les besoins soient les mêmes, l'abondance d'argent chez le disposeur ne sera pas pour lui un motif d'en abaisser le prix. Elle deviendra bien plutôt l'occasion de réaliser de plus gros bénéfices, soit en travaillant sur une plus grande échelle, soit en ne satisfaisant que les besoins de la place, à l'effet de maintenir un taux favorable à ses intérêts.

Ce qui donc influera réellement sur le prix de l'argent, c'est la position et les besoins des travailleurs. Tant que celle-ci sera précaire, lant que ceux-là seront urgents, ils seront forcés de

2 Traité d'économie politique, chap. VIII, 1. 2.

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subir le joug des disposeurs, seuls en mesure de leur fournir l'instrument capable de les faire vivre eux et leur famille.

Que si, au contraire, leur position s'est améliorée, si le besoin de recourir à autrui se fait moins sentir, parce que, dans une certaine mesure, ils ont acquis ce qui leur est nécessaire, ils pourront à leur tour n'accepter ce qui manque au développement de leur industrie qu'à des conditions que celui qui le leur offre sera forcé d'accepter, sous peine de garder son argent improductif, ce à quoi les capitalistes se résignent difficilement.

Ainsi, c'est surtout dans les besoins des travailleurs qu'il faut trouver les causes influençant le prix du loyer de l'argent. On ne doit pas cependant en exclure l'abondance de celui-ci entre les mains des capitalistes. Quelque réduits, en effet, que fussent les besoins, si les capitaux disponibles et prêtables étaient insuffisants pour les couvrir, toute baisse dans l'intérêt serait impossible.

2o Le développement de la confiance générale, représentée dans l'industrie par le développement et l'organisation du crédit. C'est encore à ce point de vue que la position des travailleurs influera puissamment sur le taux de l'intérêt. Commercialement parlant, ce taux ne représente pas seulement la valeur réelle du prix de l'argent, il doit de plus offrir une prime d'assurance pour les risques que court le prêteur, soit en raison des circonstances générales politiques ou industrielles, soit à raison des qualités et de la situation personnelle de l'emprunteur. C'est ainsi que les crises politiques ou financières exercent un contre-coup inévitable sur le prix de l'argent; c'est ainsi que, dans des circonstances égales, les maisons de premier crédit obtiendront l'argent à de bien meilleures conditions que les maisons d'un crédit moindre.

L'accroissement des richesses entre les mains des travailleurs, en affermissant leur crédit, fera évanouir d'autant les chances de perte, et amènera nécessairement l'affaiblissement de la prime que ces chances font percevoir confondue dans l'intérêt.

En résumé, le taux de l'intérêt se calcule sur le plus ou moins d'abondance de l'argent, coïncidant avec une diminution ou avec une augmentation des besoins; sur le développement du crédit devant rendre moins forte la prime d'assurance contre les dangers que court ou que croit courir le préteur. Chacun de ces éléments est essentiellement variable, et c'est ce caractère incontestable qui est invoqué contre la conve

nance d'une loi qui lui substitue une règle fixe et invariable. En effet, une pareille règle ne peut que favoriser le capitaliste, au détriment de la classe des travailleurs. Car, de deux choses l'une, ou la loi a été rendue dans un moment critique ou dans une époque de prospérité commerciale.

Dans la première hypothèse, le taux de l'intérêt admis par la loi se ressentira des circonstances au milieu desquelles elle aura été promulguée, et sera nécessairement dans de hautes proportions. Mais la crise cessant pour faire place à un état prospère, le taux de l'intérêt ne sera plus en rapport avec la vérité des choses, et il ne cessera cependant pas d'être exigé ou adjugé par les tribunaux.

Dans la seconde hypothèse, le taux légal sera nécessairement bas, et une crise survenant lui fera perdre toute proportion avec le prix réel de l'argent. Mais qu'arrivera-t-il? Ce que voici : les disposeurs ne se contenteront pas de cet intérêt, et ils exigeront des avantages occultes qu'on ne pourra leur refuser sans renoncer à leurs fonds, au moment précisément où le besoin s'en fera le plus vivement sentir.

C'est donc, dans tous les cas, les travailleurs qui seront lésés par l'effet d'une loi régulatrice. Cet inconvénient ne se produirait pas avec la liberté des transactions. Si cette liberté, en effet, permettait, dans la seconde hypothèse, aux capitalistes d'exiger plus, elle laisserait, dans la première, aux travailleurs la faculté de donner moins. On ne pourrait plus leur dire : Je ne vous demande que ce que la loi m'accorde.

Ces considérations incontestables accusent un mal réel et le remède indiqué serait décisif, si le législateur n'avait dù prendre en considération que ce qui intéresse le commerce dans l'acception légale et probe qu'il comporte. Oui, nous croyons que dans l'exercice honorable de celle honorable profession, la liberté serait plus favorable à l'équité et surtout plus conforme à la réalité des choses. Mais il est dans le commerce de très- fâcheuses exceptions, et bientôt, sous l'apparence d'une industrie qu'on exploiterait comme pour se couvrir d'un masque, l'usure s'ouvrirait une large voie et porterait ses ravages dans tous les rangs de la société.

D'ailleurs, à côté du commerce assez bien placé pour discuter les prétentions des usuriers et pour se passer d'eux au besoin, existe, ainsi que nous l'avons déjà dit, le commerce en petit, la classe des laboureurs, la petite propriété. Pour ceux-ci, il n'y a jamais de motifs pour la fluctuation des intérêts, car l'argent qu'on leur prête a pour garantie un modeste patrimoine

que l'usure a bientôt englouti. Qu'importe à un riche négociant, à qui l'argent emprunté produit le vingt ou le trente, de payer dix à douze pour cent? L'opération est assez fructueuse pour qu'il consente à s'en contenter. Mais, comment voulez-vous appliquer une règle uniforme à ce negociant et à celui à qui un travail de tous les jours suffit à peine pour subvenir à ses besoins personnels et à ceux de sa famille ; à celui qui n'a d'autre ressource que le revenu chétif d'un modeste patrimoine dont l'entretien a été souvent l'unique cause de l'emprunt?

Or ceux-ci, remarquez-le bien, sont les plus nombreux. C'était donc justice, dans l'examen de la question de convenance, de se décider pour le parti qui devait surtout leur profiter, et c'est ce qu'avec raison a fait le législateur.

Maintenant, qu'on compare l'état de la France avant la loi de 1807 avec ce qui s'est réalisé depuis. Sans doute le mal n'est pas extirpé, mais, en définitive, il a cessé de progresser, il a même incontestablement diminué, sans qu'il en ait trop coûté au commerce. Quelle preuve plus décisive de la convenance parfaite de la loi?

Ainsi, à l'utilité, la législation réunit la convenance. Elle mérite donc l'approbation de tous. Aussi, lorsqu'en 1856 la chambre des députés fut saisie de la proposition de l'abroger pour en revenir à la liberté des transactions, n'hésitat-elle pas à repousser cette proposition que personne n'a renouvelée depuis.

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1119. Ce n'est pas au reste que nous considérions la loi de 1807 comme le dernier mot sur la matière qu'elle régit. Cette loi a pu rendre service au moment de sa promulgation et à d'autres époques critiques qu'elle a eu à traverser dans ses quarante années d'existence, mais elle porte avec elle le cachet de son origine.

En 1807, la France était heureusement sortie des cataclysmes effrayants qu'elle venait de traverser, mais les affaires étaient encore bien loin de la prospérité qu'elles ont acquise depuis.

Aussi, des hommes de bonne foi, des financiers éminents, n'hésitent pas à considérer le taux de l'intérêt comme actuellement trop élevé. L'un d'eux, devant qui on parlait de l'intérêt légal, s'écriait : Dites donc l'usure légale.

1120. Quelle proportion y a-t-il, en effet, entre le revenu de l'argent à cinq pour cent et le revenu de la propriété foncière? Cependant leur corrélation intime intéresse, à un très-haut degré, l'agriculture, dont la désertion est aujourd'hui le sujet de tant de réclamations, de regrets et de plaintes. Comment veut-on que les fonds se dirigent vers elle tant que l'argent

pourra rendre ailleurs le cinq ou le six pour cent? Qui voudra abandonner ce produit assuré, n'exigeant aucun travail, pour chercher, après bien des dépenses, des peines et des fatigues, un revenu de deux, deux et demi, trois pour cent tout au plus.

Ajoutons que l'un des éléments que nous avons vus concourir à la détermination du taux des intérêts, ne se rencontre pas dans les prêts civils. En général, ces prêts se font tous sous garantie. Il n'y a donc pas lieu d'accorder une prime d'assurance contre un danger qui n'existe que dans des proportions indéfinissables. Le cinq pour cent représente donc uniquement la valeur de l'argent, et, comme tel, il est exagéré. Comment est-il possible que le propriétaire puisse, avec un revenu de trois pour cent, payer cet intérêt, auquel viennent s'ajouter les frais d'enregistrement, ceux de timbre, ceux d'hypothèque, les honoraires du notaire, du courtier, etc...?

1121. L'exagération que nous reprochons au cinq pour cent en matière civile, nous la retrouvons dans le six pour cent en matière commerciale. La preuve de cette dernière nous est fournie par les faits se réalisant journellement au vu de tous. Le banquier qui ferait le six pour cent à ses disposeurs passerait pour un homme ruiné. Aussi ce qu'il paye c'est en temps de crise, le cinq pour cent; en temps ordinaire, le trois et demi ou le quatre; en temps de prospérité, à peine le trois. Cependant, à quelque époque qu'il prête lui-même, il exige le six.

On tenterait en vain d'expliquer cette différence par des raisons tirées de la position particulière des banquiers. Nous convenons que l'argent qu'ils reçoivent peut demeurer improductif dans leur caisse pendant un temps plus ou moins long; qu'ils ont à payer des frais considérables, des commis, des ports de lettres, une patente, etc... Nous avouons que pour tout cela il leur est dù une légitime indemnité. Mais, cette indemnité, ils la reçoivent par la faculté qu'ils ont d'exiger un droit de commission, d'escompte ou de change, de capitaliser trimestriellement les intérêts. Ils ne peuvent donc, sans vouloir se la faire payer deux fois, l'obtenir en outre sur la différence de l'intérêt.

Certes nul ne peut être incriminé de ce qu'il a le moyen de prendre au trois ou au quatre ce qu'il donne au six. Tout ce que nous voulons induire de notre observation, c'est que la valeur réelle de l'argent n'est pas le six pour cent. Pour avoir celle-ci, il faudrait s'arrêter à ce que payent les maisons de premier crédit. Si elles donnent le trois ou le quatre pour cent, c'est que l'argent

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vaut à peine ce taux. Remarquons, en effet, que la prime d'assurance comprise dans le six pour cent, les maisons de premier crédit la supportent également, quoique sur des proportions moindres. 1122. Un autre reproche à faire à la loi de 1807 nous est inspiré par l'exécution qui lui a été donnée, à savoir : d'autoriser la perception de l'intérêt commercial entre personnes non commerçantes et pour une opération qui n'a au fond rien de commercial. Il suffit, en effet, qu'un propriétaire, qu'un cultivateur souscrive une lettre de change, pour qu'il doive payer le six pour cent.

Ce résultat est surtout remarquable en ce sens que le prêteur, s'il portait son argent chez le banquier, recevrait le quatre pour cent. Mais, prétant à un cultivateur, il reçoit le six. Ainsi, s'il consentait un prêt réellement commercial, il ne retirerait pas même l'intérêt civil; il fait un prêt civil, il perçoit l'intérêt commercial. Singulière et étrange anomalie!

Ce qu'on objecte pour la justifier, c'est que la souscription d'une lettre de change est un acte commercial. Mais cette objection a le tort de s'arrêter à la surface et de sacrifier le fond à la forme, la réalité à la fiction. Ce qui fait que la loi donne à l'intérêt commercial un taux plus élevé qu'à l'intérêt civil, c'est qu'elle suppose que la somme empruntée est immédiatement versée dans le tourbillon des affaires 1. A cette présomption se rattachent deux idées qui justifient l'élévation de l'intérêt : 1o une idée d'un bénéfice considérable pour l'emprunteur; 2o une idée d'un danger pour le prèteur dans la chance de perte que court le capital ainsi exposé.

Rien de pareil ne se réalise dans l'emprunt contracté par un propriétaire ou par un cultivateur. L'un et l'autre ne sont réduits à le faire que par des besoins qui n'ont rien de commercial, et c'est à satisfaire exclusivement à ces besoins que seront affectées les sommes empruntées. Les condamner à en supporter l'intérêt au taux commercial, c'est aggraver leur position sans nécessité, c'est leur imposer une charge sans qu'ils aient été jamais dans le cas de jouir de la chance favorable dans laquelle le commerçant peut trouver une compensation à l'obligation qu'il assume.

On fait donc produire à la forme de l'acte un résultat que la loi semble avoir attaché à la qualité de la partie; cela est d'autant plus injuste, qu'en signant une lettre de change, le débiteur

Art. 638 du Code de commerce.

n'aura fait que céder à des exigences qu'il n'était pas maître de repousser. Le créancier imposera cette forme d'abord pour avoir six au lieu de cinq, ensuite pour obtenir la faculté d'agir par voie de contrainte par corps, ce qui est une garantie d'autant plus énergique que sa mise à exécution entraîne l'aliénation du bien dotal lui-même. On conçoit dès lors que le créancier tienne à ce mode d'obligation, qu'il en fasse la condition du prêt, et qu'il se procure ainsi un surcroît d'intérêt avec un surcroît de garantie.

L'intérêt commercial est donc injuste, lorsqu'en réalité l'argent prêté ne doit point devenir le sujet d'opérations de commerce, c'est-à-dire lorsqu'il est impossible de rencontrer d'une part le danger de perte, de l'autre la chance d'un bénéfice considérable, éléments que la loi a pris en considération dans la détermination du taux de l'intérêt. Leur absence laisse donc l'intérêt commercial sans aucun motif plausible et devrait en conséquence en entraîner le refus.

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1123. - Nous en dirons autant du cas où le prèt fait à un commerçant est entouré de garanties telles qu'on se met à couvert des chances de pertes, en regard desquelles l'intérêt a été porté à un taux plus élevé. C'est ce qui se réalise dans le prêt fait sur nantissement, et dans celui qui ne se consomme que sur un crédit hypothécaire. Il n'y a pas, dans l'un et dans l'autre cas, ces chances aléatoires que l'idée du commerce entraîne, quelle que soit la condition future de l'emprunteur. Qu'elle se termine par une faillite, le prêteur rentrera dans ses fonds, il percevra même l'intérêt au six pour cent, il a donc un avantage sans avoir couru les dangers que la loi considère comme une juste compensation.

1124. En résumé, nous avons prouvé que le législateur a le droit d'intervenir dans la détermination du taux des intérêts; que l'exercice de ce droit, sans déraciner le mal, l'atténue en réalité et en ralentit les progrès ; qu'à ce double point de vue, cet exercice est utile et conséquemment convenable; enfin que la loi de 1807 n'est plus aujourd'hui dans de justes rapports avec la vérité des choses, et que l'intérêt qu'elle consacre est trop élevé; que, dans l'exécution qu'elle reçoit, on arrive à des anomalies qu'il importerait de faire disparaitre. Puisse la juste réforme que nous signalons frapper enfin l'attention du législateur et lui suggérer des dispositions dont l'urgence ne saurait, à notre avis, être méconnue !

Mais, en attendant, la tâche du jurisconsulte étant d'accepter les lois telles qu'elles existent,

nous allons nous livrer à la recherche de l'usure dans les nombreux et divers déguisements dont elle a soin de s'envelopper.

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1125. L'usure consistant à s'attribuer un bénéfice excédant le revenu légal de l'argent, il est évident qu'elle ne saurait exister que dans le prêt. Mais cette condition essentielle n'aboutit fatalement qu'à ce résultat, à savoir que les usuriers s'efforceront de déguiser leur opération sous l'apparence d'un autre contrat. Comment, en effet, se promettre un succès quelconque s'ils contractaient un prèt pur et simple? La quotité de l'intérêt, rapprochée du capital, trancherait immédiatement la question de la légalité du premier et amènerait sûrement la répression de l'usure. Les dangers de cette franchise en font concevoir l'impossibilité. L'usure veut réussir, et, pour cela, il lui faut tout d'abord faire illusion sur l'acte mème qui la cache.

1126. Les questions d'usure seront donc des questions d'interprétation de l'intention des parties, il faudra presque toujours délaisser le texte de la convention pour en rechercher l'esprit. Quels seront les éléments de cette recherche? C'est ce que nous allons apprécier suivant la nature apparente du contrat; ce que nous devons dire tout d'abord, c'est que l'usure, avec une adresse infernale, sait se glisser partout; elle a même osé s'en prendre au contrat de mariage; c'est ce que nous apprend une espèce jugée, le 12 mars 1832, par la cour de Riom.

1127. En 1806, contrat de mariage du sieur Cheminat avec la demoiselle Mosnier. On constitue à la future une dot de 5,000 francs payables dans un an avec intérêt au cinq pour cent jusqu'à cette époque, et avec intérêt au dix pour cent passé cette époque, la dot étant alors considérée comme un prêt d'argent.

En 1827, commandement du sieur Cheminat au sieur Mosnier pour avoir à payer, outre les 5,000 francs, 9,250 francs pour les intérêts courus jusqu'alors, à raison de dix pour cent. Opposition fondée sur ce que les intérêts courus depuis la loi de 1807 ne sont dus qu'à raison de cinq pour cent. Jugement qui le décide ainsi.

Mais, sur l'appel, ce jugement est réformé, et les intérêts adjugés au taux du contrat de mariage 1.

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dans un contrat de mariage des intérêts audessus du taux légal. Dans la note dont il l'accompagne, il lui reproche d'être, tout à la fois, contraire à la loi, à la lettre du contrat et à l'esprit des conventions matrimoniales.

Nous serions complétement de cet avis, si nous pouvions admettre que la cour de Riom a réellement décidé en principe que la loi de 1807 doit rester sans application aux conventions matrimoniales.

Il est vrai que son premier motif paraît tendre à ce but, mais il est impossible d'isoler ce motif de l'espèce sur laquelle il est intervenu, et qui en explique nettement la portée.

Le contrat de mariage soumis à l'examen des magistrats portait la date de 1806. Or, à cette époque, on pouvait, dans un contrat de mariage, stipuler des intérêts au-dessus du taux légal, par l'excellente raison qu'on le pouvait dans tout autre acte. D'une part, en effet, la loi de 1807 n'avait pas encore été promulguée; de l'autre, l'article 1907 du Code civil permettait à l'intérêt conventionnel de dépasser l'intérêt légal toutes les fois que la loi ne le défendait pas, et aucune défense n'avait été faite avant la loi de 1807. Conséquemment l'appréciation de la cour, au point de vue de la législation régissant le contrat, était parfaitement juridique, une solution contraire à celle par elle adoptée eût été infailliblement censurée par la cour de cassation.

Donc cette décision devait non-seulement valider la stipulation, mais encore en ordonner l'exécution nonobstant la loi de 1807. Indépendamment du principe de la non-rétroactivité des lois, le législateur de 1807 déclare expressément qu'il n'est rien innové aux stipulations d'intérêts par contrats ou autres actes faits jusqu'au jour de la publication de la présente loi. Aussi a-t-il été admis en jurisprudence que, quel que fût le taux de l'intérêt, la convention des parties antérieure au 5 septembre 1807 devait recevoir son entier effet, après comme avant la loi de cette époque.

La seule modification admise consiste à restreindre la validité de la clause aux intérêts réglés par le contrat. A défaut de stipulation, ou si les intérêts n'ont été convenus que jusqu'à l'échéance, les intérêts courus depuis, sous l'empire de la loi de 1807, ne peuvent être exigés qu'au taux déterminé par celle-ci 2. Or il est à remarquer que, dans l'espèce jugée par la cour de Riom, les intérêts avaient été stipulės jusqu'à

vier 1857; Journal du Palais, t. Ier, 1837, p. 506; Bordeaux, 15 août 1829.

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