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C'est pourquoi, lorsqu'il fut proposé à S. M. d'entrer en négociation pour une paix générale de concert avec les alliés de S. M., et de traiter ou sur la base d'uti possidetis, qui a déjà été le sujet de tant de discussions, ou sur toute autre base compatible avec la justice, l'honneur et l'égalité, S. M. se détermina à répondre à cette sincérité et à cette modération apparentes avec une sincérité et une modération réelles de la part de S. M.

» Le roi déclara qu'il était disposé à entrer dans une négociation de cette nature de concert avec ses alliés, et s'engagea de leur communiquer sur le champ les propositions qui avaient été faites à S. M. Mais comme S. M. n'était point liée avec l'Espagne par un traité d'alliance en forme (1), S. M. jugea nécessaire de déclarer que les engagemens qu'elle avait contractés à la face de l'univers avec cette nation étaient considérés par S. M. comme aussi sacrés et aussi obligatoires pour elle que les traités les plus solennels, et d'exprimer la juste persuasion de S. M. que le gouvernement d'Espagne agissant au nom de S. M. C. Ferdinand VII était considéré comme partie dans la négociation.

» Dans la réponse faite par la France à cette proposition de S. M., elle écarte l'artifice mal ourdi auquel elle avait eu recours pour remplir l'objet du moment, et montre même dans les ménagemens ordinaires l'arrogance et l'injustice de ce gouvernement. La nation espagnole tout entière y est désignée sous la dénomination dégradante d'insurgés espagnols, et la demande d'admettre le gouvernement d'Espagne comme partie dans une négociation rejetée comme inadmissible et insultante.

» Avec autant d'étonnement que de douleur, S. M. a reçu de l'empereur de Russie une réponse semblable en substance, quoique moins inconvenante dans le ton et la manière. L'empereur de Russie flétrit du nom d'insurrection les glorieux efforts du peuple espagnol en faveur de son souverain légitime et de l'indépendance de sa patrie, donnant ainsi la sanction de l'autorité de S. M. impériale à une usurpation qui n'a pas d'exemple dans l'histoire du monde.

» Le roi n'eût pas hésité à saisir l'occasion de consentir à une négociation qui eût pu offrir l'espoir ou la perspective d'une paix compatible avec la justice et l'honneur.

» S. M. regrette profondément qu'elle se soit terminée d'une manière qui doit aggraver et prolonger les calamités de l'Eu

(1) Le traité d'alliance de l'Angleterre avec le peuple espagnol est du mois de janvier 1809.

rope; mais ni l'honneur de S. M. ni la générosité de la nation britannique ne permettaient à S. M. de consentir à entrer en négociation en abandonnant un peuple brave et fidèle, qui combat pour la conservation de tout ce qui est cher à l'homme, et dont S. M. s'est solennellement engagée à seconder les efforts dans une cause dont la justice est si évidemment manifeste. »

Tout espoir d'une paix générale s'était ainsi évanoui. Déjà, pour réaliser au moins en partie les projets combinés de Baïonne et d'Erfurth, Napoléon conquérait l'Espagne, tandis qu'Alexandre fortifiait sa domination dans le nord. L'Angleterre continuait avec acharnement de porter en tous lieux ses différens genres d'hostilités, tant ostensibles que secrets.

La victoire conduisit rapidement l'armée française à Madrid. (Voyez le précédent volume.)

NAPOLÉON allait achever de soumettre et d'organiser la péninsule : les insurgés cédaient à la force, et peut-être n'auraient-ils pas tardé à écouter la voix de la persuasion : les Anglais fuyaient de toutes parts, presque sans avoir combattu; leur arrière-garde avait seule été atteinte et foudroyée : le roi Joseph était remonté sur son trône, qu'entouraient un grand nombre d'Espagnols distingués. C'est alors que la vieille diplomatie, incitée par les intrigues de la GrandeBretagne, se réveilla effrayée de ce nouvel accroissement de la prépondérance française; pour attaquer encore le grand Empire, elle crut propice le moment où ses forces étaient dispersées, et son chef occupé à constituer le pays qu'il avait conquis: d'une puissance naguère débile, elle fait un ennemi formidable qui appelle et défie Napoléon dans une autre extrémité de l'Europe.

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Napoléon quitte l'Espagne, où l'anarchie se remontre aussitót, mentée par la guerre civile et par la guerre étrangère. De ce moment, et pendant cinq années, la péninsule ne sera plus qu'une proie que déchireront avec une égale fureur et ses propres enfans, égarés par l'ignorance et le fanatisme, et les Anglais, dont la politique fut toujours aussi fatale à leurs alliés qu'à leurs ennemis, et les Français, qui ne conserveront l'attitude de vainqueurs que par des efforts de courage ct par des sacrifices dont le seul résultat, jusqu'à l'abandon de cette funeste conquête, sera le deuil de leur patrie.

L'ennemi qui s'annonce est encore cet Autrichien, tant de fois agresseur et toujours pardonné, plus facile à vaincre par les armes que par la clémence, et persévérant dans sa haine autant que dans les routines que lui impose l'incapacité de son gouvernement, C'est en affectant des relations amicales, c'est en protestant toujours de

ses intentions pacifiques que le cabinet de Vienne a préparé de loin et ses forces effectives et ses moyens secrets. Il a mis sur pied, à la solde de l'Angleterre, toute sa population disponible; six cent mille hommes seront opposés à la France, qui peut à peine dans les circonstances en distraire deux cent mille de ses armées. Si l'Autrichien est vainqueur, la défection, sourdement organisée, éclatera de toutes parts; l'Allemagne, le Tyrol, l'Italie, secoueront le joug français. La Prusse aussi est prête à se venger; des partisans armeront dans ses états, et, selon les événemens, seront ou protégés ou désavoués par elle. La Russie, occupée à démembrer la Suède, attendra également le sort des combats pour pousser une de ses colonnes sur le vaincu. L'Angleterre, indépendamment des subsides qu'elle fournit à ses alliés, fait encore des armemens considérables; aussitôt que le feu de la guerre aura embrasé le continent, ses flottes cingleront vers les ports de France pour les incendier. Enfin, il n'est pas jusqu'à la cour de Rome qui ne voulût donner la main à cette nouvelle coalition; mais déjà depuis plusieurs mois, pour déjouer et punir ses saintes menées, des troupes françaises ont pris possession des états du pape; et c'est de Vienne qu'un décret de Napoléon, plus * puissant que les bulles d'excommunication de Pie VII, annoncera que le territoire de l'Église fait partie de l'Empire français.

Instruit des dispositions hostiles de l'Autriche, Napoléon avait quitté Madrid en toute hâte; il était de retour à Paris le 23 janvier 1809. Depuis lors il ordonnait des préparatifs de guerre; mais il suivait avec plus d'empressement et de confiance des négociations tendantes au maintien de la paix. Tout à coup il apprend que les généraux autrichiens ont tiré l'épée, et envahi le territoire de ses alliés. Le prince Charles, les archiducs Jean et Ferdinand, le premier se dirigeant sur la Bavière, le second sur l'Italie, et le troisième sur la Pologne, venaient de dénoncer officiellement aux autorités de ces pays l'ordre qu'ils avaient reçu de leur cour de se porter en avant avec les troupes sous leurs ordres, et de traiter en ennemies toutes celles qui leur feraient résistance. A cette déclaration, datée du 9 avril, étaient jointes des proclamations qui appelaient à la liberté et à leur affranchissement tous les peuples de la Confédération du Rhin et des nouveaux royaumes créés par Napoléon, dont on représentait les alliés comme ses vassaux : Nous venons vous protéger ou vous combattre, leur disaient les généraux autrichiens; choisissez! - L'empereur d'Autriche, s'adressant à ses peuples, leur montrait des griefs et des dangers dans la réunion à la France de plusieurs de ses conquêtes, entr'autres de la Toscane; dans les événemens de l'Espagne, dont le sort lui paraissait être réservé à tous les états du continent qui ne feraient pas respecter leur indépendance; dans les démêlés de Napoléon avec le chef de l'Eglise,

et la violation des états romains; enfin dans les agrandissemens suc cessifs « d'un Empire que son chef ambitieux proclamait grand avec tant d'emphase, mais auquel il n'était pas de la dignité de l'Autriche de rendre hommage, etc. »

Napoléon reçut ces pièces dans la nuit du 12 au 13 avril; il partit sur le champ pour se rendre d'abord à Strasbourg, laissant à ses ministres l'ordre de dénoncer au Sénat la conduite de l'Autriche.

SÉNAT. Séance du 14 avril 1809, présidée par le prince archichancelier.

Communications faites au Sénat par M. le comte de Champagny.

1o. RAPPORT fait à l'empereur par le ministre des relations extérieures.

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Sire, vos armes victorieuses vous avaient rendu maître de Vienne; la plus grande partie des provinces autrichiennes était occupée par vos armées; le sort de cet empire était entre vos mains. L'empereur d'Autriche vint trouver Votre Majesté au milieu de son camp : il vous conjura de mettre fin à cette lutte, devenue si désastreuse pour ceux qui l'avaient provoquée; il offrit de vous laisser désormais, libre d'inquiétudes sur le continent, employer toutes vos forces à la guerre contre l'Angleterre, et reconnut que le sort des armes vous avait donné le droit d'exiger ce qui pouvait vous convenir; il vous jura une amitié et une reconnaissance éternelles. Votre Majeté fut touchée de ce triste exemple des vicissitudes humaines; elle ne put voir sans une profonde émotion ce monarque, naguère si puissant, dépouillé de sa force et de sa grandeur. Elle se montra généreuse envers la monarchie, envers le souverain, envers la capitale : elle pouvait garder ses immenses conquêtes; elle en rendit la plus grande partie. L'empire d'Autriche exista de nouveau ; la couronne fut raffermie sur la tête de son monarque. L'Europe ne vit pas sans étonnement cet acte de grandeur et de générosité.

» Votre Majesté n'a pas recueilli le tribut de reconnaissance qui lui était dû. L'empereur d'Autriche a bientôt oublié ce serment d'une amitié éternelle : à peine rétabli sur son trône, égaré sans doute par des conseils trompeurs, il n'a eu d'autres vues que de réorganiser ses moyens de force, et de se préparer à une nouvelle lutte pour le moment où elle pourrait être soutenue avec avantage. La guerre contre la Prusse fit promptement connaître ces dispositions malveillantes : l'Autriche se hâta de réunir des armées en Bohème; mais la victoire d'Iéna

vint déconcerter ses projets. Encore faible, manquant d'hom mes, de canons de fusils, elle remit à un autre temps l'exé

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cution de ses vues hostiles.

» Le traité de Tilsitt termina cette guerre. Les armées victorieuses de Votre Majesté, qui occupaient le nord de l'Allemagne, restèrent oisives; elles environnaient le territoire autrichien: certes si une politique ambitieuse eût guidé les vues de Votre Majesté, si l'affaiblissement de la monarchie autrichienne fût entré dans le calcul de ses intérêts, et si ces intérêts eussent été son unique règle, Votre Majesté, qui n'avait aucun ennemi, aucun mouvement à craindre sur le continent, à la tête de quatre cent mille hommes qui occupaient le grand duché de Varsovie, la Silésie et la Saxe, était toute puissante contre' l'Autriche; elle avait à lui demander compte des inquiétudes que sa conduite avait fait naître pendant la guerre de Prusse, et de Cattaro livré aux Monténégrins, lorsque, par le traité de Presbourg, on devait le remettre à la France. Votre Majesté se montra indulgente envers celui qui était faible; elle n'écouta ni ses ressentimens ni les conseils d'une politique envahissante. Votre Majesté, aspirant toujours à la paix maritime, marcha droit à ce but, et pour l'atteindre plus promptement elle se montra empressée de terminer avec l'Autriche les différens qui existaient encore. Un traité fut conclu à Fontainebleau en' octobre 1807: Votre Majesté rendit Braunau, quoique ce ne fût pas l'Autriche qui eût remis Cattaro entre ses mains: les limites des deux empires furent réglées du côté de l'Italie; au moyen d'un échange, l'Isonzo devint cette limite, qui, déterminée par la nature, semblait propre à prévenir toute contestation. Montefalcone, si importante à la sûreté de Trieste, cédée aux Autrichiens, leur prouva qu'on n'avait sur leur territoire aucune vue d'agrandissement. Il fut reconnu qu'il n'existait plus alors aucun sujet de discussion entre Votre Majesté et l'empereur d'Autriche. Dès lors plus de plaintes, plus de demandes, tous les symptômes de la plus parfaite harmonie. Votre Majesté crut pouvoir oublier et la guerre que l'Autriche lui avait faite sans aucune provocation, et les succès qui avaient` honoré les armes françaises; elle se livra à l'espérance d'une paix qui ne serait plus troublée.

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L'horrible expédition de Copenhague et les ordres du conseil du 11 novembre avaient prouvé que les Anglais ne voulaient pas de puissance neutre : leur conduite indigna toute l'Europe. L'empereur d'Autriche voulut paraître partager ce sentiment; il rappela l'ambassadeur qu'il avait à Londres. et ferma ses ports aux Anglais. Bientôt les troubles de l'Espagne éclatèrent; ils étaient fomentés par les Anglais. Le roi Charles IV fut

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