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MERCURE DE FRANCE, OCTOBRE 1814. 119

non sur leur objet et les résultats qui les ont suivis. Je ne répéterai pas ce que vingt journaux ont déjà publié sur l'ouvrage de M. de Cevallos; trois éditions, rapidement épuisées, ont satisfait à l'empressement général. Quel Français n'a pas frémi d'horreur en voyant une guerre intestine allumée dans le sein de la maison royale d'Espagne; le roi Charles IV, son auguste famille, le roi Ferdinand VII et ses fidèles serviteurs, attirés à Baïonne par de trompeuses promesses, et les marques du plus tendre intérêt! Tout à coup la seène change. L'abdication du roi Charles n'est plus qu'un acte arraché par la violence; Napoléon se constitue le vengeur d'un père outragé. Ce sont les droits méconnus de la nature et du trône, qu'il invoque en faveur de son crime qui' commence à éclater; le roi Ferdinand s'indigue: Prince, lui dit Buonaparte, il faut opter entre la cession ou la mort. En même temps la correspondance la plus étrange s'ouvre entre le fils et le père. Rien n'est oublié pour colorer la suggestion, la contrainte que décèle chaque expression. L'Europe attentive vit le dénoûment de ce drame polique le malheureux roi ne reprit la couronne des mains d'un fils respectueux que pour la voir passer sur la tête d'un aventurier. Des fers, des humiliations, des outrages multipliés furent le prix, dont on paya tant de bonne foi, une confiance trop aveugle et l'abandon d'une puissante monarchie! Mais des actes extorqués ou supposés, des diffamations, des promesses, dont la magnificence ne dissimule pas la fausseté, sont encore des moyens insuffisans pour s'emparer d'un trône que défend l'amour des peuples, et le courage d'une nation entraînée par le légitime enthousiasme de l'indépendance. On connaît les chances variées de cette lutte opiniâtre et terrible; tout ce que l'impétuosité et la valeur française eurent de plus brillant; tout ce que la fierté castillane et l'horreur de l'esclavage, ont de plus énergique, fut déployé tour à tour. Les ruines de Saragosse, de Ciudad Rodrigo, et de tant d'autres villes, déposeront, aux siècles à venir, des grands exploits qui signalèrent l'attaque et de la fureur que les Espagnols mirent à se défendre. La capitale était envahie, le royaume couvert de troupes victorieuses, le monarque prisonnier;

et l'espoir du succès n'abandonnait pas encore les fidèles partisans de la famille royale; le gouvernement, renfermé dans une petite île à l'extrémité de la péninsule, bravait encore l'oppresseur de l'Europe, et appelait sur sa tête la vengeance des nations civilisées. C'est de là, que la junte suprême fit paraître ce manifeste, éternel monument d'un courage au-dessus des revers, et le plus noble exemple de fidélité qu'un peuple put donner à son souverain. M. de Cevallos a joint cette pièce importante à la 3o. édition de son ouvrage, elle en est le complément. La junte suprême osa faire un appel à tous les rois de l'Europe; la violence, les parjures, les forfaits projetés même de Napoléon, tout est dévoilé; son hypocrite bienveillance pour le malheureux Charles Iv, est expliquée aux yeux du monde. Si les princes de l'Europe, plus tôt éclairés sur leurs véritables intérêts, eussent répondu au courageux appel de la nation espagnole, plusieurs millions d'Européens ne seraient pas enterrés dans les plaines sablonneuses de l'Arragon et de la Castille, ou dans les vastes forêts de l'Allemagne, ou dans les déserts glacés de la Russie; tant de familles, naguères heureuses et paisibles, ne seraient pas maintenant vouées à l'indigence et au désespoir: ce colosse de puissance qui pesait sur l'Europe, serait depuis longtemps écroulé ; la France, rendue à son prince légitime, aurait déjà cicatrisé ses plaies, et les larmes que le tyran a fait couler, eussent été moins abondantes. Mais il faut du temps pour qu'une grande vérité puisse s'établir. L'Espagne, dans son manifeste, prédit tout ce que la folle ambition de Buonaparte lui a fait entreprendre. Elle voit la chute de toutes les monarchies, et la soif insatiable d'un agrandissement qui doit toujours être suivi de nouvelles conquêtes; mais il fallait une volonté ferme, dégagée des prétentions et des vues secrètes de l'ambition particulière; les temps n'étaient pas encore arrivés, et la France devait, pendant plusieurs années, prodiguer son sang et ses trésors pour satisfaire aux caprices orgueilleux de l'homme qui affecta toujours le plus profond mépris pour ceux même qui se disaient ses sujets et pour l'espèce humaine en général.

Le mémoire de M. de Cevallos est une pièce historique

qui sera consultée un jour avec fruit par ceux qui écriront l'importante histoire de notre siècle. Le traducteur était assuré d'un succès non équivoque, en publiant en France ce récit intéressant; il n'avait pas besoin de recourir aux injures pour donner plus de vogue à son ouvrage. Ses notes sont pour la plupart superflues, quelques-unes même renferment des personnalités outrageantes envers des hommes étrangers, par leurs fonctions et par leur caractère, aux sanguinaires folies de Napoléon; la confiance de notre monarque et l'estime publique les vengent de ces obscures attaques. Ceux là sont de véritables anarchistes, qui veulent élever, par des écrits au moins indiscrets, des barrières entre les fidèles sujets du roi. Sous la tyrannie, des discours ne signifient rien; ils sont commandés, et leur effet est en raison inverse de la contrainte employée pour les obtenir. Sous un gouvernement paternel, ils sont la véritable mesure de la confiance et de l'amour; tous doivent tendre à la concorde, à la paix; et c'est manquer aux premiers devoirs d'un bon Français, que de chercher à perpétuer de funestes divisions.

G. M.

CAMPAGNE DE PARIS en 1814, précédée d'un coupd'œil sur celle de 1813, ou précis historique et impartial des événemens depuis l'invasion de la France, par les armées étrangères, jusqu'à la capitulation de Paris, avec une carte pour l'intelligence des mouvemens des armées, etc., par P.-F.-F.-J. Giraud. Sixième édition, revue, etc. - A Paris, chez A. Eymery, libraire, rue Mazarine, no. 3o.

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Quand les mots sixième édition se trouvent dans l'annonce d'un livre, chacun voit d'abord qu'un grand nombre de personnes le connaissent, et que si on en parlait encore au public, ce serait moins pour lui en rendre compte que pour faire, sur la matière qui y est traitée, quelques observations particulières.

Le précis de la campagne de 1814 en fournirait beancoup, et tout en rendant justice à l'auteur, peut-être ne

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serait-on pas de son avis sur divers points: cela viendrait surtout de ce qu'en s'attachant moins au présent, on s' s'efforcerait de considérer d'avance cette mémorable année à sa place, dans l'histoire du dix-neuvième siècle, et les événemens du Rhin, de la Marne, de la Seine, d'après leur influence probable sur les destinées générales de l'Europe. Après avoir invoqué la justice au commencement de 1814, l'Europe se souviendra-t-elle de ses vœux à la fin de l'année ? Les guides qu'elle reconnaît depuis peu, s'attacheront-ils long-temps à une justice sur laquelle on puisse être d'accord, et qui ne paraisse pas très-commode dans quelques pays, mais incompréhensible dans d'autres?

On ne saurait trop louer, toutefois, l'impartialité dont M. Giraud fait profession, le soin qu'il paraît avoir mis dans ses recherches, les sentimens de justice ou d'humanité qu'il montre en divers endroits, et son aversion pour un gouvernement immoral et tyrannique.

Ce n'est pas une chose très-simple de juger un tyran. Que d'idées un peu vagues ce seul mot réunit! Un tyran, c'est également Octave ou Sylla, Périclès ou Lysander; c'est surtout Mahomet, Cortez ou Timour, l'un de ces hommes à qui l'on a cent reproches à faire, et que pourtant l'histoire ne sait comment flétrir, qui excitent de justes ressentimens, mais que ceux qui ne les ont jamais approuvés ne condamnent qu'avec circonspection, que les esprits faibles se hâtent de mépriser et que les gens sages doivent observer long-temps.

Il faut calculer les obstacles, comparer les circonstances, entrevoir les desseins, discerner ce qui fut de l'homme ou de la fortune. Il ne faut attribuer à celui qui gouverne, ni tout le bien que son siècle aurait pu faire sans lui, ni tout le le mal qu'une sagesse extrême aurait pu seule empêcher.

Il n'appartient qu'aux hommes raisonnables, mais forts, de juger ces hommes dont la force est souvent injuste et quelquefois désordonnée. Les Sylla sont compris par les Montesquieu.

C'est la honte de la terre civilisée qu'elle paraisse encore, à de certaines époques, avoir des raisons de souffrir un tyran, un homme dont le génie altier soutienne les peuples en les fatiguant, un homme qui plein de la sombre

énergie d'un temps difficile, précipite une génération pour combler l'abîme où les générations suivantes pourraient être poussées, et que l'on croie assez actif, assez heureux, assez impitoyable pour tout menacer et tout régénérer, comme ces incendies après lesquels on rebâtit des villes plus régulières ou plus magnifiques. DE SEN**.

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DE L'INTÉRÊT DE LA FRANCE A L'ÉGARD DE LA TRAITE DES NEGRES; par J.-C.-L. SIMONDE DE SISMONDI -seconde édition, 1814.-A Genève, chez Paschoud; et à Paris, même maison de commerce, rue Mazarine,

n°. 22.

Cet écrit est plus important par son objet que par son étendue. L'auteur, à qui les idées d'utilité publique sont familières, ne s'y borne pas à des réflexions générales; il y discute la question d'après des renseignemens positifs, et à plusieurs égards il semble la résoudre.

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M. de Sismondi objecte contre la clause du traité de Paris, relative aux colonies, que tout ce qui a pu contribuer soit dans le principe, soit après un long usage, à rendre la traite moins odieuse, n'existant plus pour nous, elle serait aujourd'hui sans excuse.

La Martinique et la Guadeloupe, dit-il ensuite, n'ont point perdu leur prospérité sous le régime auquel ces îles sont soumises depuis plusieurs années. C'est donc presque uniquement pour Saint-Domingue qu'il paraîtrait nécessaire de se procurer de nouveaux Nègres : mais auparavant il faudrait avoir exterminé tous ceux qui possèdent l'île ; car si l'on ne veut que se les concilier et les gouverner ensuite comme on gouverne les blancs, on doit trouver très-dangereux d'exciter leur indignation, ou de leur inspirer de fortes craintes, en leur montrant d'autres Africains amenés parmi eux pour l'esclavage, et traités sous leurs yeux en bêtes de somme. Et d'ailleurs, eût-on même, à la manière des premiers conquérans de cette ancienne Haïti, fait périr toute la race plus forte et beaucoup mieux préparée pour la défense, qui la possède aujourd'hui, il serait encore contraire à l'intérêt de l'Etat d'employer,

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