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Moïse, ce législateur si humain, et en même temps si sévère, fit à la multitude un devoir essentiel de la bienfaisance et de la charité. Ce fut probablement ainsi qu'il rendit inutiles, aux Hébreux, les établissemens en faveur des pauvres (2).

Moïse est aussi le premier exemple d'un enfant exposé sur les eaux par sa mère, pour le soustraire au barbare édit de Pharaon. Mais la confiance des Hébreux dans l'infinie bonté du Seigneur, dut rendre fort rare un tel attentat contre l'humanité et la nature, et par conséquent dispenser d'ouvrir des asiles à ces innocentes victimes.

Salomon lui-même, que sa sagesse merveilleuse avait fait nommer l'inspiré de Dieu, quelque grande que semble avoir été sa sollicitude pour les guerriers, paraît ne s'être point occupé de leur préparer des secours pour les accidens de la guerre, et il est très-vraisemblable que, dans ces temps reculés, comme plus tard, ceux qui ne périrent pas d'hémorrhagie sur le champ de bataille, étaient secourus par leurs compagnons.

Les Macédoniens, les Perses, les Babyloniens et les Égyptiens, exposaient leurs malades dans les carrefours, pour exciter la commisération publique, et n'avaient pas non plus d'établissemens de bienfaisance.

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Cependant nous voyons Alexandre se confier à son mé◄ decin, et, chez les Grecs, les ministres d'Esculape desser vir les autels et guérir les malades; ceux-ci devaient y de meurer quelque temps; ainsi, l'on peut augurer de là l'ori gine des hôpitaux; mais les célèbres écoles de Gnide, de Cos, de Rhodes et même d'Alexandrie, qui se succédèrent, n'avaient aucun de ces établissemens particuliers. Chez les Grecs plus modernes, ils y existaient sous la dénomination de Geronthocomia, Pthocotropia, Orphanotropia, selon qu'ils étaient destinés aux malades, aux vieillards, aux pauvres et aux orphelins. Chez les Athéniens, ce peuple spirituel, délicat, et que sa jalouse inquiétude rendit si ingrat envers ses grands hommes, les soldats mutilés et infirmes étaient cependant l'objet des soins les plus honora❤

(2) Dissertation sur la Médecine et les Médecins des anciens Hébreux, par dom Calmet.

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bles, ils étaient entretenus par l'état, en vertu d'une loi de Pisistrate. Au rapport de Plutarque, les premiers des peuples civilisés, ils avaient donné ce bel exemple, et Aristide les en félicite en leur disant, dans une de ses panathénées : « Vous seuls de tous les peuples, ô Athéniens! avez >> consacré, par une loi, que les citoyens, devenus inva-, » lides au service de l'état, seraient entretenus à ses >>> frais ».

Au surplus, les sages lois de Lycurgue et de Solon prescrivaient des distributions de deniers et d'alimens au peuple, de même que sous les premiers tribuns romains; et cela se pratiquait, dès les temps les plus reculés, chez les Hébreux, comme nous en avons de nombreux témoigna ges d'après l'Écriture sainte. Toutes ces précautions avaient pour but de prévenir la mendicité; conséquemment les hôpitaux et autres établissemens de ce genre n'étaient pas, à proprement parler, d'une nécessité indispensable.

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Les Romains, dans l'enfance de leur république, furent presque aussi barbares, que les Lacédémoniens; mais, quand ils eurent à peu près soumis tous leurs voisins, on vit les lois de l'hospitalité aussi religieusement observées chez ces mêmes Romains, devenus les maîtres du monde, que chez les Athéniens, le peuple le plus policé de la Grèce. Ils eurent des médecins qui se faisaient accompa gner par un très-grand nombre de disciples, et qui incommodaient beaucoup par ce nombreux cortége, si on en juge d'après ce passage de Martial, qui doit avoir inspiré Molière, quand il fait dire à son docteur : Gare de là, ou je te donne la fièvre.

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Languebam: sed tu comitatus protinus ad me
Venisti centum, Symmache, discipulis
Centum me tetigere, manus aquilone gelata;
Non habui febrem, Symmache, nunc habeo.

MARTIAL. L. v. epigr. 9,

Il faut remarquer, avec les auteurs du mémoire, que chez les peuples les plus célèbres de l'antiquité, mais surtout chez les Romains, la munificence du gouvernement, l'attention qu'ils donnaient aux grands objets de salubrité

publique, les soins et les dépenses des édiles; l'établisse ment de magnifiques égoûts, entretenant la propreté dans' les villes, d'aquéducs y portant de bonne eau, de portiques multipliés, de bains publics vastes, et d'un prix à la por tée du peuple, que toute cette prévoyance, tous ces soins, toute cette sollicitude, prévenaient les maladies que font naître et fixent souvent, chez les nations modernes, nombre de circonstances, qui tiennent au défaut de prévoyance ou aux petites vues des gouvernemens.

Cependant, chez les Romains, nous allons véritablement prendre connaissance des hôpitaux et de leur fondation, particulièrement des ambulances à la suite des ar

mées..!

*On lit dans Végèce, de re Militari, au sujet des militaires blessés, d'assez amples détails sur la manière dont les soldats romains étaient soignés dans les hôpitaux des camps; les personnes qui y étaient employées; la surveil lance qu'exerçaient les chefs sur ces établissemens: ils étaient, dit Végèce, sous la direction des préfets du camp; cet auteur recommande aux chefs militaires d'y veiller as sidument, aussi se faisaient-ils un devoir de visiter les ma lades et de leur procurer tout ce qui leur était nécessaire. Velleius Paterculus fait cet éloge de Tibère, Pline de Trajan, Tacite de Germanicus.

Nous voici arrivés à la quatrième partie du mémoire, et à l'époque où nombre d'hôpitaux, de maisons de bienfaisance et de charité, naquirent de cette religion sainte, dont la sage conformité des maximes avec le bien public, nous rend compatissans aux maux d'autrui. Nous trouvons le premier exemple de bienfaisance chez une dame romaine, nommée Tola; cette illustre fondatrice vécut au quatrième siècle, établit à Rome une maison pour recueillir des pauvres et des infirmes; bientôt la capitale du monde chrétien vit les établissemens de charité se multiplier sous toutes les formes et pour toutes les classes de malheureux; les vieillards, les malades indigens, les orphelins, eurent des asiles. Selon le rapport d'Alexandre Donat, qui fait mention de la réparation des édifices 5.publics par les pontifes après le sac de Rome par Attila, on voit Grégoire 11, Léon lll, Etienne II, Serge II, Sixte IV,

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s'occuper du soin de rétablir les hôpitaux, et généralement tous les monumens de bienfaisance.

Grégoire de Tours parle de l'hôpital de Saint-Julien-lePauvre, près duquel il logea pendant son séjour à Paris; l'Hôtel-Dieu, élevé par les soins et en partie aux frais de saint Landry, vingt-neuvième évêque de cette cité, en 660, fut toujours voisin de la principale église près de laquelle hous le voyons encore aujourd'hui.

Au huitième siècle, les Arabes eurent à Cordoue un hôpital magnifique, où se formèrent plusieurs de leurs médecins fameux.

En 1113 fut fondé l'ordre religieux et militaire des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ainsi que plusieurs autres ordres qui eurent la même destination; la multitude des hôpitaux et lazarets fondés en Europe, est immense aux sixième, huitième, quatorzième, quinzième et seizième siècles, où des pestes très-meurtrières étendirent leurs ravages. Le nom de lazaret viendrait ou de ce que ces établissemens furent d'abord mis sous la protection de saint Lazare, ou peut-être mieux du mot arabe, el hesard, bel hôpital établi pour les aveugles, près de la grande Mosquée, dite des Fleurs, au Caire; lequel frappa tellement les croisés, que, corrompant son nom arabe, dont ils firent lazard, ils appelèrent ainsi tous les hôpitaux qu'ils firent construire à leur retour en Europe.

Ce fut après son premier voyage à la Terre sainte, que Louis IX, saint Louis du nom, agrandit l'Hôtel-Dieu de Paris, et qu'il ouvrit l'hospice des Quinze-Vingts à trois cents de ses guerriers, devenus aveugles pendant cette expédition. On sait que ce prince religieux fonda aussi des hôpitaux à Pontoise, à Verneuil, à Compiègne, et que, dans ce dernier, il daigna panser, de ses propres mains, le premier blessé qu'on y reçut.

Mais comment passerait-on sous silence le nom du bienfaiteur de l'humanité, ce philosophe chrétien, ce religieux tolérant qui donna la preuve la plus touchante de la bonté de son coeur, par ce peu de paroles qu'il prononça en voyant mener au supplice une malheureuse femme qui avait attenté à la vie de son enfant : Il vaut mieux, dit notre saint homme, bátir que détruire.

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Dès lors, saint Vincent de Paul devint le fondateur d'ordres religieux qui furent ensuite multipliés en France et s'il ne parvint pas tout-à-fait à tarir les sources du malheur, du moins il en opéra la diminution autant que cela est possible; en instituant l'ordre des Soeurs de la Charité, il Ꭹ introduisit des changemens singulièrement avantageux, et améliora beaucoup le sort de ces infortunés, qui auparavant étaient sans secours. Il savait que les femmes ont en général dans le cœur une vivacité, une fécondité de sentimens qui les rend capables des soins les plus assidus et les plus pénibles : nous avons eu surtout des preuves de dévouement, de la part de ces dames charitables, dont la douceur angélique, et les soins constans et multipliés, dictés par les sentimens de la religion, ont contribué si puissamment, dans les circonstances difficiles où nous nous sommes trouvés, au rétablissement de tant de braves et de pères de familles, qui eussent péri sans ces secours. Les orages politiques avaient dispersé ces êtres précieux; mais la famille auguste, qui nous est rendue, les a pris désormais sous sa protection; et, cette fois, ils vont jouir d'une paix inaltérable.

Dans les temps susmentionnés, il n'y avait pas encore de chirurgiens attachés aux corps militaires. Ambroise Paré, le père de la chirurgie française, fut nommé, comme il le dit lui-même, chirurgien de la compagnie de M. de Rohan, avant d'appartenir au roi François II. Ces compagnies eurent aussi des caissons, des médicamens et autres objets de pansement, comme on le voit par le témoignage de Paré. Malgré la forme plus régulière que Charles VII, Louis XI et Charles VIII, donnèrent à leurs armées, qu'ils augmentèrent considérablement, l'apparence d'ordre et d'administration qu'ils y introduisirent, ne s'étendit pas jusqu'à pourvoir aux besoins du soldat blessé, qui était réduit à se faire panser et soigner à ses frais. Mais ce n'est qu'au siége d'Amiens, en 1597, que, par les soins de Sully, on vit pour la première fois, à l'armée du roi, un hôpital réglé dans lequel les malades et les blessés reçurent des secours qu'on ne connaissait point encore, et en général l'armée était si bien pourvue de toutes choses, qu'on disait de Henri IV qu'il avait amené

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