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Je ne prolongerai pas davantage cet article. L'importance des faits qui me restent à parcourir, me mènerait trop loin. Dans l'un des prochains numéros, je continuerai cet extrait et mes observations.

G. M.

ESSAI SUR LA VIE DE T. WENTWORTH, comte de STRAFFORD, principal ministre du roi CHARLES Ier, etc.; par M. le comte de LALLY-TOLENDAL, etc.

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TOUTES les révolutions qui tour à tour ont ensanglanté la face du monde, ont entr'elles un point affreux de similitude; le renversement de ce qui est bien et la proscription de la vertu. Quel que soit le but que d'abord on se propose, de quelque idée de modération que soient guidés les premiers agitateurs, ils ne seront pas les maîtres d'arrêter le funeste élan d'une révolution. Jamais l'homme qui osa le premier faire un coupable appel aux passions de tout un peuple, ne consomma entièrement son ouvrage et n'en recueillit les fruits; c'est un germe de mort qu 'il laisse entre des mains avides de se disputer ce sanglant héritage. Hélas! que d'exemples l'histoire n'offre-t-elle pas de cette triste vérité! La progression des secousses politiques est déterminée par les obstacles que le crime rencontre dans ses projets. Si un roi vertueux, digne du trône et de l'amour de ses peuples, devient tout à coup l'objet de la haine de quelques factieux, pour arriver jusqu'à lui, pour comprimer par l'effroi les efforts généreux des fidèles amis du prince et de la patrie, c'est aux serviteurs dévoués qu'ils porteront les premiers coups; ses actions les plus pures seront empoisonnées; s'il est clément, il passera pour être pusillanime, pour tyran s'il est sévère; la victoire ne le sauvera pas même d'une accusation; il est perdu s'il éprouve des revers. Que peut le monarque pour défendre son ami contre une multitude conjurée? Le pouvoir royal est impuissant contre les soupçons, les haines et l'envie bien déterminée de nuire. Il faut une victime à la rage en délire en attendant une victime plus auguste; l'innocent, le sage, tombe sous le

fer d'un bourreau; ce premier pas franchi, on aperçoit un second échafaud réservé à un sacrifice plus solennel. Telle est en peu de mots l'histoire du comte de Strafford et de l'infortuné Charles Ier. Le roi put prévoir son sort, lorsque cédant aux horribles menaces des factieux, aux larmes de la reine, aux supplications de Strafford luimême, il ratifia le bill qui, le privant du meilleur de ses amis, enlevait aux partisans de l'ordre l'espoir du calme, et à l'Angleterre son appui. Il ne faut pas se le dissimuler, cette énorme faute du roi fut le signal de tous ses désastres. Ses ennemis s'enhardirent de sa faiblesse, et ses amis en furent épouvantés. Charles Ier. ne convenait ni à l'Angleterre, ni à son siècle; faible, il avait à gouverner un peuple inquiet, jaloux de ses priviléges, et lassé du joug où l'avaient réduit et la tyrannie d'Henri VIII, et l'orgueilleux despotisme d'Élisabeth; humain, il fit verser des torrens de sang; religieux, on le força d'adopter une doctrine qui blessait ses principes et répugnait à ses lumières; juste, il donna son nom pour consommer la plus grande injustice; modéré, pacifique, il fut presque toujours en guerre, et ses peuples qu'il chérissait devinrent sous ses yeux les déplorables victimes des discordes civiles. Strafford seul pouvait arracher son roi à tant d'adversités; on ne l'ignorait pas; sa perte fut jurée, et Charles luimême rendit impossible le salut de son ministre.

A

Le tableau de cette sanglante catastrophe, l'histoire d'une aussi grande injustice a depuis long-temps occupé la plume de M. le comte de Lally-Tolendal. C'est en quelque sorte à la défense du malheur et de l'innocence que cet écrivain doit et son talent et son éloquence. Voué au noble et douloureux ministère de plaider à la face du monde la cause de la nature et de l'honneur, il a cherché dans des momens plus calmes, un sujet qui pût offrir quelques rapprochemens avec l'objet de ses longs travaux de ses constans efforts et de son touchant et honorable triomphe. La vie du comte de Strafford s'offrait à ce talent si cruellement éprouvé. Cet épisode de l'histoire d'An gleterre appartenait de droit à l'homme qui peut-être connaît le mieux les annales, les lois, les diverses opinions de ce pays qui l'a vu naître. et le génie de ses ha

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bitans. Une sorte de complaisance douloureuse, de satisfaction mêlée d'amertume semble avoir guidé l'auteur dans son choix et dans son travail. Non content d'avoir élevé un monument historique à la mémoire de Strafford, M. de Lally-Tolendal a fait de ce personnage le héros d'une tragédie; une épître dédicatoire placée à la tête de l'ouvrage qui nous occupe, et adressée en 1795 au célèbre prince Henri de Prusse, nous apprend, ainsi que l'avertissement des éditeurs, l'existence de cet œuvre dramatique. Les amis des lettres forment le vœu bien sincère de voir publier en France une tragédie dont le talent de l'auteur fait concevoir les beautés. Ce double hommage rendu au nom d'une illustre victime porte avec lui je ne sais quel sentiment mélancolique et religieux, qui s'accroît encore en soulevant le voile dont M. de Lally-Tolendal couvre sa constante et profonde pensée. Ce tableau d'un homme vertueux condamné au supplice des traîtres, réveille d'affreux souvenirs; l'innocence et l'honneur méconnus! quel rapprochement! de quelle verve ne devait-il pas animer une âme généreuse, toute remplie et de sa tendresse et de la sainteté de ses devoirs.!

Les recherches qu'il était nécessaire de multiplier pour écrire dignement la vie du comte de Strafford, ont dû être pénibles, et surtout minutieuses. Il fallait écarter avec soin les préventions de l'esprit de parti; elles sont nombreuses dans les écrits qui suivent les révolutions, et le nom de Stratford, réhabilité sous Charles II n'était pas entièrement lavé de quelques-unes des accusations que ses meururiers firent peser sur sa mémoire. Il fallait également com- battre par des preuves évidentes, ou par une profonde discussion, les censeurs qui condamnaient Strafford sur quelques points de sa vie politique. A cet égard, M. de Lally-Tolendal peut se flatter d'avoir remporté une victoiré complète. Soit qu'il peigne Strafford dans la chambre des communes défendant les droits de ses commettans, contre les sourdes usurpations du pouvoir monarchique; soit qu'il le représente déployant toutes les ressources de son génie et de sa vertu pour assurer la prérogative du trône; soit qu'il le montre enfin, investi de la puissance royale, chargé de ramener la paix dans l'Irlande si long-temps agitée; on

voit partout, l'homme supérieur aux événemens, l'admi nistrateur éclairé, le citoyen enivré de l'amour de la pa trie, le sujet fidèle et l'ami respectueux de son souverain. Cette apologie continuelle laisserait quelque doute sur son exactitude, si M. le comte de Lally-Tolendal n'indiquait les sources auxquelles il a puisé. Mais on ne peut lui faire ce reproche; non content de rapporter des opinions et des faits authentiques en faveur de son héros, il cite les auteursi qui lui sont le plus contraires, et l'on ne peut se dissimuler que ses raisonnemens ne soient très-concluans. Toutefois, si Strafford, comme le démontre fort bien son défenseur fut une victime dévouée à la haine des factieux, il faut avouer que sa hauteur, et quelques mesures d'une justice un peu rigoureuse qu'il crut devoir adopter dans sa viceroyauté d'Irlande, durent lui faire de nombreux et d'im placables ennemis; mais il fut le bienfaiteur du pays qu'il gouvernait, son administration fut marquée par des actes d'une bienfaisance éclairée. La malheureuse Irlande, si long-temps opprimée, plutôt considérée comme une en nemie par l'Angleterre, que comme une portion de l'em-> pire britannique; l'Irlande, nouvellement encore arrosée du sang de ses citoyens, vit renaître l'espoir d'un gouvernement fondé sur des idées paternelles. Un parlement convoqué par les soins du vice-roi, mit des bornes aux vexa→ tions sous lesquelles gémissait la nation irlandaise. Le droit public fut assuré ; la tranquillité des familles, la sûreté des propriétés, le perfectionnement de l'agriculture, la justice égale pour tous, une distribution proportionnée de l'im pôt, la police intérieure établie, l'abolition des distinctions injustes entre les habitans de diverse origine, tout cela fut l'ouvrage du parlement ou plutôt de Strafford. L'église et la couronne devinrent également l'objet de ses soins, un grand nombre de terres avaient été envahies par des usurpations successives. Strafford fit rechercher les titres originaux, et un sévère examen rendit au domaine du roi, ainsi qu'au clergé, de riches propriétés dont ils étaient dépouillés. L'équité n'avait rien à opposer à une pareille conduite; mais l'intérêt personnel, cruellement abusé, ne pardonna point au vice-roi; et les nouveaux proprié taires dépouillés, devenus puissans à leur tour, se réuni

rent pour accabler celui qu'ils regardaient comme leur spoliateur.

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M. le comte de Lally-Tolendal entre dans les plus grands détails de l'administration de Strafford en Irlande; pour mettre le lecteur à même de concevoir tout ce que ce ministre put faire de grand et d'utile, il donne un aperçu des maux auxquels cette contrée était en proie depuis l'époque de la conquête. L'ancienne histoire de l'Irlande est peu connue du reste de l'Europe. On serait porté à croire que ce royaume, séparé du monde européen, privé de toutes communications directes avec les autres états au moins dans les siècles reculés, aurait dû se trouver à l'abri de ces long déchiremens qui, tant de fois, ont bouleversé l'Europe; il n'en est pas ainsi. Peu de peuples ont éprouvé de plus terribles vicissitudes. L'Irlande, livrée souvent aux guerres intérieures lorsqu'elle était gouvernée par ses souverains nationaux, n'a été, depuis la conquête qu'un vaste champ de persécutions, de massacres et d'incendies. Les lois les plus absurdes, portées par les premiers conquérans contre les Irlandais, formèrent bientôt l'unique. code dont le gouvernement favorisât l'exercice; code de sang qui légitimait l'oppression, et punissait l'opprimé qui osait se plaindre. Tel était l'état de l'Irlande, lorsque Strafford vint la gouverner. Son génie répara une partie du mal; mais après lui, d'horribles massacres furent le prélude de massacres plus affreux encore. L'ancienne barbarie reparut, se perpétua, et peut-être sans la sage humanité du vénérable monarque qui occupe encore aujourd'hui le trône de l'Angleterre, verrions-nous, au 19. siècle, une nation européenne frappée encore par les Anglais euxmêmes de cette dégradation politique, dont il faut chercher les exemples chez les anciens Perses, dans l'Inde, et jusqu'à nos jours en Europe, à l'égard des Israélites. Ce fragment de l'histoire d'Irlande est fort remarquable, et ajoute puissamment à l'intérêt qu'inspire l'ensemble de l'ouvrage. On y trouve des faits qui, comme les mœurs de cette régionreléguée au bout du monde, ont une physionomie qui leur est particulière. Il semble que tout chez ce peuple. emprunte quelque chose de ce vague, dont le moindre individu enveloppe sa propre origine. Nulle part, peut-être,

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