Page images
PDF
EPUB

avoir considéré l'Autriche dans son ensemble, il en dé crit les diverses provinces en particulier. Avant de faire connaître le plan de l'auteur, qu'on nous permette quelques réflexions sur les obstacles que la publication de cet ouvrage a éprouvés.

L'éditeur du Voyage en Autriche nous apprend que l'ouvrage de M. de Serres a été long-temps retardé par les circonstances politiques : lorsqu'on a jeté les yeux sur ce travail, on ne peut qu'être étonné d'une pareille proscription. Nous avons été encore bien plus surpris lorsque nous avons su que l'on avait inspiré des craintes au gouvernement contre cet ouvrage. Ainsi le même gouvernement qui en avait été le premier investigateur, avait décidé qu'il pouvait tout au plus être imprimé dans quatre ans, Comme ces rapports existent et que plusieurs sont signés des principaux membres de l'ancien gouvernement, on peut se convaincre combien (ainsi que le remarque fort à propos l'éditeur de cet ouvrage ) la force est près de la faiblesse. Ces circonstances étaient trop piquantes pour ne pas nous faire rechercher avec empressement les passages qui pouvaient avoir offusqué un gouvernement si chatouilleux. Quant à l'esprit du livre, il nous a paru excellent. On n'y trouve jamais rien qui sente la déclamation; l'on n'y voit pas non plus des éloges faciles à démentir. L'ouvrage entier nous a paru écrit avec justice et impartialité; il annonce même plus de calme et de jugement que n'en ont ordinairement les jeunes gens. Enfin, après avoir parcouru le livre de M. de Serres avec la plus grande attention, nous n'avons pu découvrir que deux passages qui pouvaient fort bien ne paraître que trop vrais à un gouvernement qui paraissait quelquefois craindre les vérites utiles. Qu'on nous permette de les citer, d'autant qu'ils sont assez piquans, quand on se rapporte à l'époque où ils ont été écrits,

« Depuis long-temps, remarque M. Marcel de Serres, on a dit que les Allemands n'avaient point d'esprit na¬ » tional et qu'ils manquaient de cette unité et de cet en> semble qui caractérise les nations, ou, pour mieux dire, » qui en fait la gloire et la force. Ce reproche est-il tout» à-fait mérité et a-t-il toute la justesse qu'on lui a sup¬

>posée? Plusieurs causes, qui dépendent moins des peuples » que de leurs institutions, s'opposent à ce qu'il y ait en » Allemagne cette même unité qu'en Angleterre, en Es>>pagne ou en France. Les Allemands n'étant point réunis » sous le même chef ne peuvent point se considérer comme >> formant une seule nation; c'est à cette division du pou» voir que l'on doit attribuer la faiblesse politique de » l'Allemagne comparativement à son étendue et à sa » population. Cependant de trop grands maux pèsent sur » cette contrée pour ne point faire présumer que cette >> nation sentira qu'elle ne peut avoir de la force que dans >> son union. Ainsi l'époque n'est sûrement pas éloignée » où elle abandonnera des rivalités particulières pour ne » plus penser qu'à la cause commune, Les hommes de >> lettres du nord de l'Allemagne disposent les esprits vers » ce grand changement. Leurs écrits, lus par toutes les >> classes, exercent une influence qu'on ne soupçonne pas » encore en France ».

[ocr errors]

Il est facile de juger combien ces réflexions pouvaient déplaire à une époque où le gouvernement français semblait prendre à plaisir toutes les mesures qui devaient détruire en Allemagne son influence, acquise cependant par tant de sang et achetée par des victoires dues antant à l'intrépidité de notre nation qu'à l'habileté de nos généraux. M. de Serres avait assez voyagé en Allemagne pour sentir combien toutes les mesures que prenait depuis longtemps le gouvernement français, étaient propres à détruire l'esprit de soumission que des conquêtes brillantes et des entreprises hardies avait rendu général en Allemagne, L'Allemagne obéissait à la France, parce que tous les individus de la première de ces nations pensaient que rien ne pouvait s'opposer à la valeur française. D'ailleurs si le gouvernement français était redouté, les Français eux-mêmes se faisaient aimer, et la bonté des Allemands ne pouvait leur en vouloir des maux qu'ils étaient obligés de supporter. Mais l'empire de la crainte ne peut durer, et lorsqu'on veut le pousser trop loin, il change en désespoir l'abattement et jusqu'à la pusillanimité. D'ailleurs on a tout à craindre des peuples susceptibles d'enthousiasme, et les brouillards du nord exaltent autant la tête que le soleil ar

dent du midi. Ainsi nous avons vu ces mêmes peuples qui avaient si long-temps ployé sous le joug, se réunir pour mieux nous vaincre, et venir nous dicter des lois dans des lieux où ils ne seraient jamais parvenus s'ils avaient eu une cause moins juste à défendre.

Le second passage où nous avons cru remarquer des réflexions dont la mauvaise politique d'alors pouvait s'alarmer, est cependant moins remarquable que celui dont nous venons de parler. L'auteur observe, avec raison, que ་ l'esprit public est aussi nécessaire à la prospérité des »nations que l'étendue et la fertilité de leur territoire, » et le nombre de leur population. Les peuples qui pré» fèrent l'intérêt de tous à leur intérêt particulier méri>>tent seul le nom de nation. Eux seuls peuvent exécuter » de grandes choses sans des efforts trop au-dessus de >> leurs forces, et eux seuls enfin savent conserver ce qu'ils » avaient exécuté par leur valeur ou l'étendue de leurs

>>

conceptions. En effet les hommes qui pensent ne doivent » point admirer ces entreprises hardies qui étonnent sou>> vent par les succès qui les suivent, mais bien ces desseins >> sagement combinés, que le calcul fait entreprendre et >>> que l'habileté conserve. L'audace peut tout oser et même » être suivie du succès; mais le génie seul met à l'abri du >> temps les institutions qu'il crée et les conquêtes qu'il a >> su habilement ménager. Un ancien l'a déjà dit : celui » qui exécute et transmet à ses descendans fortunés ce » que sa sagesse ou sa valeur lui ont fait produire, est » seul digne de notre admiration ». Voilà les deux seuls passages de tout l'ouvrage où la malignité pouvait trouver quelqu'application à faire dans les circonstances où nous nous sommes trouvés vers la fin de 1812; peut-on du reste s'imaginer que, ces passages ayant été encore supprimés par la perspicacité des censeurs, on ait pu empêcher la publication d'un ouvrage qui éclairait le gouvernement lui-même dans les rapports qu'il avait avec l'Autriche ? Que conclure de cela si ce n'est qu'il faut plaindre les hommes et les temps où la vérité ne peut se dire, et bien plus encore lorsqu'elle paraît dangereuse?

Les circonstances présentes ne peuvent que donner un grand intérêt à l'ouvrage de M. de Serres. C'est au milieu

de cette Autriche, dont il est le digne historien, que va se régler le sort de l'Europe, et que va probablement se rétablir cette balance politique si nécessaire à la prospérité et au bonheur de toutes les nations. C'est dans les lieux même où Marie-Thérèse dicta des lois si sages après avoir reconquis un trône qu'elle ne dut qu'à son courage et à la fidélité de ses sujets, que va maintenant être réglé le sort de l'Europe, et nous pouvons dire celui du monde. Puissent des lieux illustrés par les talens politiques des Kaunitz et des Thugut inspirer encore les ministres qui doivent présider à de si hautes destinées!

Le plan que M. de Serres a dû suivre dans son ouvrage devait être nécessairement subordonné aux motifs qui l'avaient fait entreprendre, et au but que le gouvernement s'était proposé ainsi cet ouvrage devait renfermer sur l'Autriche un très-grand nombre de données, et cela dans un cadre fort resserré; il a été en quelque sorte forcé de suivre un plan didactique qui pût renfermer tous les renseignemens. C'est aussi le parti que l'auteur a pris; et si son livre y a gagné sous le rapport de l'ordre et de la méthode, il y a perdu sous celui de la grâce et de l'agrément. M. de Serres paraît s'être moins occupé de faire un ouvrage agréable qu'un ouvrage utile: sous ce dernier rapport son livre deviendra fondamental pour l'Autriche. On reconnait cependant la brillante imagination de l'auteur dans la description de Vienne et de ses environs, et pour en donner une idée aux lecteurs, nous citerons plus tard les passages qui nous ont le plus frappés.

L'ouvrage de M. de Serres se compose, ainsi que nous l'avons déjà dit, de quatre volumes. Le premier, peutêtre le plus intéressant, est uniquement consacré à un aperçu général sur l'Autriche. L'auteur, après avoir fait connaître dans une introduction très-savante la plupart des écrivains qui ont publié des travaux sur l'Autriche, porte ensuite ses recherches sur les commencemens de cette monarchie, et montre à quel point de splendeur l'avait portée le génie de Charles-Quint. Successivement il indique les pertes et les agrandissemens que cette puissance a éprouvés à différentes époques, et enfin nous trace le tableau de ce qu'elle était vers la fin de 1813. Ses tableaux, tous pleins

d'intérêt, l'amènent à faire sentir combien cette puissance peut accroître sa population, soit à cause de la fertilité de son territoire, soit en excitant l'industrie dans un grand nombre de ses provinces. Il n'oublie pas non plus de faire remarquer combien le gouvernement de l'Autriche est sage dans son administration, et combien il est loin d'avoir adopté toutes ces idées de fiscalité qui, pour le malheur de la France, n'ont que trop germé dans les têtes peu réfléchies de nos ministres. L'habitant de l'Autriche est si heureux, que de tous les peuples de l'Europe il est celui qui désire le moins, étant peu tourmenté par cette funeste inquiétude de l'existence qui occupe tous les habitans de nos grandes cités. Un changement quelconque est pour lui le plus grand des malheurs; c'est probablement à cette inactivité qui existe dans toutes les classes que l'on doit attribuer le peu de succès des Autrichiens dans la culture des sciences et des lettres. Les lettres n'y donnent pas le moindre éclat, et leur culture n'y est jamais excitée par aucun genre d'émulation.

Après avoir tracé un aperçu succinct sur l'étendue de l'empire d'Autriche, l'auteur porte ensuite son attention sur les peuples qui l'habitent. Îl donne surtout une attention particulière à la race esclavonne, dont on voit en Autriche un grand nombre de branches. Rien n'est plus intéressant que le tableau qu'il trace sur la manière dont ces races se trouvent réparties dans les différentes provinces. Il faut certainement avoir bien observé et bien recueilli des données positives pour esquisser un pareil tableau. Du reste ce grand tableau est suivi d'un autre qui classe les habitans de l'Autriche d'après leurs différentes races, et qui fait distinguer d'un coup d'œil les races primitives des branches secondaires. L'auteur étudie ensuite l'aspect physique de l'Autriche, il montre l'influence que l'inégalité du sol a exercée sur le climat et les habitans, et finit ce chapitre, un des plus curieux de l'ouvrage, par des observations fort piquantes sur les moeurs de ces habitans. Nous ne pouvons nous empêcher de citer l'auteur luimême, d'autant que l'on pourra prendre ainsi une idée de sa manière de voir.

« Les Autrichiens ont en général (observe-t-il ) une

« PreviousContinue »