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Il a soin de faire valoir ce charme de tous les festins, la bonne mine et le bon cœur :

Accessére boni.

Super omnia vultus

Cet accueil simple et vrai, ce bon coeur sans réserve,

comme dit Saint-Ange, en rendant avec beaucoup de bonheur ce passage qui a échappé à l'attention de La Fontaine, à la naïveté duquel il eût dû plaire cependant et inspirer de ces vers charmans qui naissaient d'eux-mêmes dans son âme ingénue. Il a négligé aussi ces vers d'Ovide qui peignent pourtant si bien un bon ménage où tout se fait de concert, après que les deux époux ont un moment conféré ensemble:

Cum Baucide pauca locutus,

Consilium Superis aperit commune Philemon.

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Il est vrai que La Fontaine n'avait pas connu ce bonheur si parfait d'un bon ménage, lui qui ne regardait comme tel que celui qu'il retrace dans son conte de Belphegor :

J'appelle un bon, voire un parfait hymen,

Quand les conjoints se souffrent leurs sottises.

Dans cette imitation même, il lui échappe, au sujet de son union, un trait qui doit être remarqué. Il vient de parler de Philémon et de Baucis qui, changés en arbres,

il ajoute :

Courbent sous le poids des offrandes sans nombre;

Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans.
Ah! si.... mais autre part j'ai porté mes présens.

Cette allusion à son état n'est pas la seule ni la plus touchante
que
l'on remarque dans ses fables.

Poursuivons. L'auteur de la fable dont nous nous occupons met dans la bouche de Philémon des vers qui semblent appartenir aux élégies de Tibulle, tant ils offrent de sensibilité naïve et de grâce touchante : Nos années ont coulé ensemble sans discorde; ah! qu'une même heure nous enlève tous les deux à la vie! ne me laissez pas voir le bûcher de Baucis ! ne permettez pas qu'elle soit obligée de me rendre les derniers devoirs :

Et, quoniam concordes egimus annos

Auferat hora duos eadem ; nec conjugis unquam
Busta mexe videam, neu sim tumulandus ab illá.

La Fontaine me paraît dans son imitation bien loin de la beauté de l'original. Il termine ainsi le discours de Philémon :

Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux

Ne troubleraient non plus de leurs larines ces lieux.

Comme on sait, et comme le dit La Fontaine d'après le poëte latin,

Baucis devint tilleul, Philémon devint chêne.

Ovide, grand amateur de sentences, termine sa fable par ce beau vers:

Cura pii Dis sunt; et, qui coluére, coluntur. Sans doute il est consolant de croire que les gens de bien ne sont point indifférens aux Dieux, et que celui qui rendit hommage à la vertu en la pratiquant, recevra à son tour des hommages. Cette réflexion d'Ovide est belle, et termine, par une affabulation très-morale, le récit d'une bonne action bien récompensée mais La Fontaine, qui finit bien aussi ses narra tions, a ici l'avantage d'avoir commencé par des vers sublimes que je ne puis in'empêcher de transcrire, quoiqu'ils soient dans la mémoire de tous ceux qui aiment à se rappeler de belles pensées rendues en très-beaux vers par un de nos plus grands poëtes :

Ni l'or, ni la grandeur ne nous rendent heureux;

Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille.
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile;

Véritable vautour, que le fils de Japet

Représente enchaîné sur son triste sommet.

L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste :
Le sage y vit en paix et méprise le reste ;
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois ;

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne,
Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du bat, quitte-t-il ce séjour,

Rien ne trouble sa fin: c'est le soir d'un beau jour.

L'Anglais Swift a fait de cette touchante histoire une parodie très-spirituelle qui a été imitée en allemand. par Hagedorn. Celui-ci est descendu jusqu'au grotesque le plus trivial; cependant son récit est assez gai. Il donne pour cause du

voyage de Jupiter la mauvaise humeur de l'acariâtre Junon, qui, dit-il, mêlait trop souvent du fiel dans le nectar. Suivant lui, Mercure et Jupiter, rebutés par de grands seigneurs qui avaient oublié qu'ils étaient hommes, et qui étaient presqu'aussi vils que leurs valets, ne furent guère mieux accueillis tantôt par des riches, qui ne se doutaient pas seulement que la bienfaisance eût quelque attrait, tantôt par des pauvres qui semblaient trouver du plaisir à se venger de ce que leur position avait de fâcheux. Enfin ils furent reçus et bien reçus par le vieux Philémon et la vieille Baucis, qui vint au-devant d'eux appuyée sur ses béquilles. On lit ensuite les détails du festin champêtre, les contes dont Philémon riait le premier, en cherchant à amuser ses hôtes; puis il est question de la tasse qui ne désemplit pas; puis de la divinité de Jupiter et de MerCure authentiquement reconnue par les bonnes gens; puis enfin la métamorphose de la cabane ainsi que de ses propriétaires.

La cabane, dit Hagedorn (6), fut changée en un temple superbe, sa table en un autel, sa tasse en vase de libation, ses meubles simples en magnifiques ornemens, et ses petites provisions en victimes pour les sacrifices ».

La parodie de Swift est beaucoup plus gaie. Il n'a pas non plus changé le nom des personnages, mais il place la scène dans nos temps modernes, et métamorphose la cabane en un prêche.

M. Léonard avait donné de ce petit poëme une traduction Jibre, en s'assujétissant toutefois à l'idée principale de l'auteur anglais (7). M. LOUIS DUBOIS.

(L'auteur avait terminé cet article par une imitation en yers du poeme de Swift, dans laquelle il transportait la scène dans un pays catholique. Nous n'avons pas cru devoir insérer cette piece qui aurait pu scandaliser quelques personnes pieuses.)

(6) Traduit par Huber': Choix de Poésies allemandes, tom. 1, p. 166. (7) Œuvres de Léoñard, et Almanach d'Apollon, de 1787.

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BULLETIN LITTÉRAIRE.

SPECTACLES. Académie royale de Musique. Devin du Village.

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L'effet de l'oratorio de Saül est loin de répondre à la renommée des musiciens dont les ouvrages ont servi à en composer les différentes parties. Paësiello, Cimarosa, Mozart, Haydn, ont été mis à contribution, et cependant de leur réunion il n'est résulté qu'un ensemble médiocre, Cela ne tiendraitpas au plan même de l'ouvrage ? Est-il possible de créer un heureux ensemble de morceaux qui n'ont point été faits pour le cadre auquel on les adapte, qui n'ont entr'eux aucune liaison, et dont le style est aussi différent que la manière de leurs auteurs? L'unité, si nécessaire à l'effet et à la perfection d'une composition, peut-elle exister dans un tout aussi incohérent ?

Il est bon de faire remarquer aux enthousiastes exclusifs des musiciens étrangers que, de tous les morceaux de Saül, il n'en est aucun qui cause autant de plaisir que le trio des Lévites, sur le chant d'O Salutaris Hostia du bon et respectable M. Gossec. Ce trio, où les voix seules se font entendre sans aucune espèce d'accompagnement, est une réponse péremptoire à ceux qui veulent placer dans l'orchestre les beautés de la musique. On veut bien lui accorder quelque mérite; mais s'il était l'ouvrage d'un compositeur allemand ou italien, toutes les trompettes de la Renommée ne se réuniraient-elles pas à chaque occasion pour entonner son éloge ?

Que de grâce, de fraîcheur, de naturel et de sentiment dans cette charmante musique du Devin du Village, composée il y a plus de soixante ans! Quelle analogie intime entre les paroles et le chant! Par l'effet qu'elle produit sur tel ou tel individu, je ne balancerais pas à prononcer sur son organisation musicale et s'il avait assez peu de goût et de sensibilité pour en méconnaître le charme, je le jugerais digne de s'extasier sur les productions arides et froides d'un compositeur moderne. Il faut que les airs du Devin du Village aient des attraits bien puissans pour qu'ils puissent encore plaire, malgré leur exécution. Soit incapacité, soit négligence, les artistes qui les font entendre ne leur conservent point leur véritable caractère; le souffleur (chose inconcevable dans un ouvrage aussi souvent joué) est plus d'une fois dans le cas d'aider à leur mémoire.

Mais le ballet qui termine l'opéra est charmant, et le souvenir agréable qui en reste entretient l'indulgence pour ce qui a précédé.

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Les Bayaderes. Un beau spectacle et des chants agréables maintiennent au théâtre cet opéra, malgré le défaut d'intérêt et le vide d'action. C'est l'inverse de la Vestale; là le poëte a soutenu le musicien; ici le musicien et le décorateur ont soutenu le poëte, qui doit aussi beaucoup au talent distingué de madame Branchu. L'ouvrage était primitivement en trois actes, et par la mutilation qu'il a subie on a perdu quelques morceaux qui laissent des regrets.

Le Triomphe de Trajan. Ce monument d'adulation pour Buonaparte, à qui l'on comparait un empereur avec lequel il avait si peu de rapport, a survécu à la chute de l'usurpateur qui y était encensé. Les morceaux de chant sont généraleinent peu saillans; mais l'ouverture est d'un bon effet, et les airs de danse sont très-agréables, surtout le dernier, qui peut être placé à côté de ce qu'il y a de mieux en ce genre. Quant au spectacle et aux ballets, ils ne laissent rien à désirer, et sous ce rapport, le théâtre de l'Académie royale de Musique est le premier de l'Europe: aussi est-ce celui qui attire le plus la curiosité des étrangers. La danse y est portée à un point de perfection qu'on ne trouve point ailleurs. On pourrait bien, en lui appliquant avec justice le principe de l'imitation, penser que le caractère noble et expressif qu'elle avait autrefois est préférable aux tours de force, aux pirouettes qu'on admire tant aujourd'hui, et sous le rapport de la vérité, cet art aurait dégénéré comme la musique. Mais il me semble qu'une application rigoureuse des vrais principes est ici susceptible de quel que modification; et quel critique ne serait désarmé à la représentation des charmans ballets de Psyché, de Télémaque; d'Achille à Scyros, de l'Enfant Prodigue, de la Dansomanie, etc. ! Il est étonnant qu'un des plus brillans, le Jugement. de Paris, ait entierement disparu de la scène.

Thatre Français.

miste.

Représentation par ordre : Rhada

L'Arménie, occupée à pleurer sa misère,

Ne demande qu'un roi qui lui serve de père.

Ces deux vers, qui présentent une allusion si heureuse, ont été vivement sentis, et la présence d'un monarque si justement. désiré les rendait encore plus frappans; mais, abstraction faite de ces vers, il serait difficile d'expliquer le choix d'une des tra

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