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que de souffrir ainsi pour une chienne. Albert interrompit brusquement l'insensible harangueur, sauta súr lui, et lui donnant un violent coup dans les jarrets, il l'étendit à terre, s'élança hors de prison, enferma le geôlier, et courut aussitôt délivrer sa Diane chérie, qui versa des larmes d'attendrissement en voyant son jeune maître.

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Comme Albert voulait qu'il ne restât aucun doute sur sa probité, il se décida à attendre M. Wormes de Reindolf qui devait arriver le lendemain, à la suite d'une partie de chasse faite avec son père, son beau-père M. de Beligheim, et d'autres gentilshommes du voisinage. Albert trouva madame Pétersling soupant seule, et de fort mauvaise humeur contre le garde qui n'arrivait pas. Le jeune homme s'empare de la place vide, en racontant son expédition à madame Pétersling, et en lui annonçant qu'il agirait de même à son égard, si elle ne prenait son parti de bonne grâce. Il lui dit qu'elle doit s'attendre à céder à Diane la moitié de son lit, mais que pour lui il se contentera du canapé. La bonne femme jugea que puisqu'Albert était le plus fort, ou le plus adroit, ce qui est la même chose, cela voulait dire qu'il avait raison. Car, pensaitelle, Dieu se range du bon côté bien des gens moins religieux qu'elle font le même calcul, ainsi qu'on ne la blâme point. Tous trois soupèrent fort gaiement, et se couchèrent dans la meilleure intelligence, quoique la concierge fût d'abord trèsscandalisée de voir une chienne occuper la meilleure place de son lit; mais elle ne put davantage lui refuser son amitié, lorsqu'elle sentit la bonne bête promener sa langue sur son visage, et lui. faire mille tendres caresses,

Avant de s'endormir, madame Pétersling parla de son maître et de sa bonne maîtresse; elle raconta comment Joseph Wormes s'était fait reconnaître de son oncle M. d'Elnach; comment il s'était marié, comment par la mort de ce même oncle, il avait hérité de la terre de Reindolf dont il avait aussitôt porté le nom; elle parla des qualités de ses maîtres. C'est bien le plus heureux ménage qui soit sous le ciel, ajouta-t-elle, il faut voir comme il s'aiment!... Monseigneur est. aussi empressé auprès de madame que s'il n'était pas son mari. C'est une bien aimable femme que madame !... il n'est qu'une chose qui la chagrine, c'est de n'avoir point d'enfans. Le premier né lui a été enlevé on ne sait pourquoi, ni comment, et les deux autres sont morts en bas âge. Ce que c'est que le monde!... moi qui ne voulais pas d'enfans, j'en ai eu douze; Dieu me les a donnés, je les ai pris; Dieu me les a ôtés, je l'ai›

laissé faire, ainsi soit-il: bonne nuit. Bonne nuit, répondit Albert ; et tous trois dormirent d'un profond sommeil.

Albert fit un rêve qui le combla de joie. Il se voyait assailli de toutes parts, et sur le point de perdre sa belle Diane; mais sainte Pétronille s'avance vers lui, et lui présente, ainsi qu'à sa chienne, une main secourable. Son air de bonté, et son souris gracieux ravissent Albert, qui est aussitôt distrait de son illusion par les aboiemens de Diane dont on n'a jamais su le rêve. Albert entendit plusieurs voix d'hommes, qui frappaient avec l'opiniâtreté de gens qui veulent entrer à toute force. Ce sont mes maîtres, s'écria madame Pétersling en s'élançant hors du lit. Ils font bien d'arriver, dit tranquillement Albert; demain j'irai leur souhaiter le bonjour, me faire rendre justice, et prendre congé d'eux.

Les voyageurs, fatigués de la chasse, se couchèrent aussitôt, et madame Pétersling pressée d'en faire autant, et encore à moitié endormie, oublia de fermer la grille, et vint reprendre sa place auprès de la chienne ; laissant ainsi la maison ouverte au premier aventurier que cette facilité pouvait séduire.

Il était trois heures du matin, lorsqu'un second avertissement de Diane réveilla de nouveau le jeune Albert, qui, prêtant une oreille attentive, distingua parfaitement les pas d'un cheval. La chambre de la concierge était au rez de chaussée : l'écurie en était si près, qu'il était difficile qu'il s'y passât la moindre chose, sans que l'on en fût aussitôt averti. Cependant Albert demeurait paisible, mais sa curiosité fut excitée par un mouvement plus brusque que fit le cheval en résistant, et il courut vers la croisée. Il vit un homme sortir de l'écurie, entraînant après lui une belle jument qui ne semblait pas disposée à voyager de nuit. Albert prit le fusil du garde, et couchant en joue l'im pudent voleur: Arrête, ou je fais feu, s'écrie-t-il d'une voix qu'il sait rendre imposante; cet homme se retourne et voit qu'il n'y a pas moyen de se refuser à une invitation si positive. Le jeune homme saute par la fenêtre avec sa chienne, et commande de plus près au voleur de faire rentrer le cheval dans l'écurie. Le malheureux pris sur le fait, veut attendrir le vain-. queur par des prières, puis par des menaces; ce dernier expédient ne sert qu'à fortifier notre héros, qui enferme l'homme et l'animal, et se constitue la sentinelle de la porte de l'écurie. Mais le héros, nullement façonné à la discipline militaire, s'endort avec le fusil et sa fidèle compagne dans les bras ; néanmoins Diane veille pour son maître, et gronde au moindre bruit qu'elle entend. Le matin, les domestiques, madame Pétersling et le garde-chasse qu'elle venait de délivrer,trouvent nos

deux héros étendus devant la porte qu'ils gardaient. De bruyantes plaisanteries réveillent Albert, qui raconte aussitôt son aventure en livrant le prisonnier. Tous les domestiques applaudissent à ce trait de courage; Antoine seul, secoue la tête d'un air de doute; mais Robert, l'ancien garde-chasse, maintenant domestique de confiance de M. Reindolf, dédommage Albert par ses complimens, de l'impertinence d'Antoine. Le voleur Bardelini avait remarqué le geste malveillant de ce dernier ; il espère en profiter, en s'informant du poste qu'Albert occupe dans le château, et jusqu'à quel point on peut se venger de lui, sans craindre aucun obstacle. Les renseignemens obtenus lui fournissent les moyens de nuire à son jeune vainqueur; et pour comble de maux, le destin perfide, qui ne se lasse point de poursuivre l'innocence, veut que Robert, le bon Robert, reconnaisse aussi la chienne de son maître : il examine le colier sur lequel étaient gravées les lettres initiales J. W. C'est elle en effet, dit Robert, mais quoi qu'il en soit, le jeune homme ne saurait être coupable, parce qu'il doit être du même âge que la chienne : car il y a douze ans que mon maître l'a perdue, elle était alors fort jeune.

Les maîtres de la maison et les convives étant rassemblés, on jugea ce moment favorable pour expliquer et terminer la chose. Albert, qui sentait bien que l'accident dont il avait si heureusement garanti le seigneur de Reindolf, lui servirait de recommandation auprès de lui, s'appropria le voleur. Son Bardelini d'un côté, sa chienne de l'autre, son petit paquet sur le dos, la broche et la bassinoire sur l'épaule, il se présenta dans cet équipage devant ses juges. Dieu me damne! c'est mon original, s'écrie un des convives. Albert reconnaît M. de Laufinburg, le chasseur qui avait voulu acheter la belle Diane. A côté de lui était sa femme qu'il aimait sans amour, mais qu'il affectait d'aimer, uniquement par vanité et par dépit d'avoir échoué auprès de madame de Reindolf, autrefois Hélène de Beligheim. Madame de Laufinburg était parfaite en tout point: parfaitement belle, parfaitement roide, parfaitement insipide, et Joseph de Reindolf n'était nullement jaloux du trésor que possédait son ancien rival.

L'entrée d'Albert exita la gaieté dans la réunion des chasseurs déjà disposés à la joie. Albert n'y fit aucune attention; tout entier à l'importante affaire qui l'occupait, et conservant ce sang-froid quisied à une longue expérience, il prit sa chienne, la posa au milieu de la table. Reconnaissez-vous ce chien, dit-il d'une voix élevée ? A cette vue le maître de la maison recule de surprise et rougit, sa femme rougit, les assistans étonnés rougis

sent provisoirement; et Albert pressentant de nouvelles difficul tés, rougit encore plus fort. C'est elle! dit M. de Reindolf: c'est elle! s'écrient au hasard les amis complaisans ; et l'émulation servile commençant à gagner les domestiques: c'est elle ! répètent-ils. Albert s'embarrassait dans une longue péroraison qui avait pour but d'attendrir l'aréopage, lorsque tout à coup, il lui prit fantaisie en jetant les yeux sur madame de Reindolf, de trouver qu'elle ressemblait singulièrement à la sainte qu'il avait vue en songe; il courut avec transport se jeter à ses pieds, en lui disant: Je vois, madame, à votre air parfaitement bon et gracieux, que vous êtes cette belle sainte Pétronille dont le pouvoir est aussi grand que respectable; je vous conjure de faire connaître la vérité, en me rendant ce qui m'appartient. Cette étrange erreur fit éclater de rire toute l'assemblée; sainte Pétronille elle-même sourit, mais ce sourire n'avait rien d'offensant, et ses yeux étaient remplis de larmes. Madame de Laufinburg, piquée de ne pas être sainte Pétronille, ridiculisa la bonhomie d'Albert qui, avec son flegme accoutumé, fit hommage à madame de Reindolf du voleur qu'il entraînait à sa suite, en expliquant de quelle manière il s'était emparé de lui.

Mais quel fut l'étonnement d'Albert, de se voir accusé de complicité par le voleur Bardelini lui-même! L'ingrat! s'écria ce dernier d'un ton pathétique, c'est moi qui l'ai formé ; c'est moi qui l'ai instruit dans l'art difficile de dérober te bien d'au→ trui: je fus forcé de le corriger pour une maladresse qui com→ promettait mon honneur; il m'a quitté, se croyant assez habile pour se passer de son maître. Cette nuit, en traversant le village, j'ai trouvé la grille du château ouverte j'entre dans l'unique intention de vous en avertir obligeamment; le cruel m'aperçoit, et saisit l'occasion de se venger en me supposant des intentions coupables, tandis que je ne cherche plus qu'à réparer mes anciennes erreurs. Eh quoi! ajouta-t-il, en s'adressant à Albert, tu ne t'attendris pas au souvenir de mes bienfaits? Albert n'était pas le moins du monde disposé à s'attendrir. Afin de prouver son innocence, il demanda que l'on fit venir sa mère pour le confronter avec elle.

Il se trouva que la concierge, madame Pétersling, était la femme du fermier chez qui Catherine était placée, et cette ferme dépendait du château; on y envoya aussitôt un domestique, avec l'ordre d'amener la mère d'Albert. La pauvre femme, ayant appris que son fils était vivement soupçonné d'avoir adopté un métier honteux, quoique très-lucratif, assurait à qui voulait l'entendre, qu'elle n'était pas la mère de ce fils, et qu'on ne pouvait la rendre responsable d'une chose qui ne la regardait

nullement. A son arrivée, elle distribue des revérences à droite et à gauche, elle embrasse son fils, le repousse, l'appelle son cher enfant, le renie, pleure et parle tout à la fois, et personne ne la comprend. Ce petit mauvais sujet est-il votre fils? lui demande Antoine. Non, Dieu merci, il ne l'est pas, il jamais été... Cependant, je vous en conjure, ne le tuez pas tout-à-fait. Nous nous en garderons bien, dit madame de Reindolf, c'est un charmant enfant. N'est-ce pas, madame?

ne l'a

c'est le plus aimable de mes fils. - Et pourtant vous avez dit que vous n'étiez pas sa mère. Quoi qu'il en soit, dit M. de Laufinburg, sa réputation est des plus mauvaises. Et l'infortuné n'en avait seulement pas! Bien certainement non, ce n'est pas mon fils, se hâta de répondre Catherine, il ne ressemble ni à défunt notre homme Polycarpe, ni à Guillaume, ni à Léonard; bref, il ne ressemble à rien; si ce n'est à monsieur, ajouta-t-elle, en désignant Joseph de Reindolf: à qui ressemblerait-il, le pau vre enfant ? il n'a ni père ni mère, et Dieu sait comment il est venu au monde. Bardelini s'approcha d'elle et lui demanda d'un air important et mystérieux, si Albert n'avait pas la marque d'un champignon sur l'épaule droite. Un champignon! s'écrie madame de Reindolf, et elle tombe évanouie. Un champignon! répète Joseph en relevant sa femme. C'est lui! c'est lui! c'est. lui! tels furent les mots qui circulèrent autour d'Albert, qui ne concevait pas qu'un champignon pût causer tant de trouble et de surprise. Bien certainement voilà le père du jeune homme, dit Catherine en saisissant Bardelini. Cet aventurier, que je crus être un grand seigneur, vint un jour m'apporter l'enfant et le chien, en m'assurant qu'il ne tarderait pas à me récompenser de mes soins. Bardelini, croyant mieux disposer l'auditoire en sa faveur par un noble aveu, interrompit Catherine, et raconta luimême comment et dans quelle intention, il avait enlevé le fils de M. de Reindolf. Je suis Italien, dit-il, mais comme les talens que j'avais acquis dès l'enfance avaient eu trop de publicité dans ma patrie, je la quittai pour venir faire une récolte dans l'Allemague. J'avais le génie inventif, et je trouvai le moyen de me faire, avec le temps, un revenu assez considérable; mais un associé m'était nécessaire: bientôt j'en trouvai un, et votre fils a été notre première victime. Voici quel était mon emploi : j'enlevais, soit par force, soit par ruse, les enfans nés de parens riches, dont la libéralité pouvait récompenser l'individu qui rendait ce trésor; trésor d'autant plus précieux que je donnais la préférence aux fils uniques. Mon associé devait, sous un nom respectable, se faire passer pour un voyageur, qui, attaqué dans sa route et s'étant rendu maître d'un voleur, avait découvert

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