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contre les insurrections n'aura pas son effet. Il faut que la munici»palité nous donne l'ordre secret de nous insurger. Alors, vous dés>> armerez tous les gens suspects, et vous en arrêterez pendant vingt-quatre heures. Ensuite, vous formerez dans chaque section

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» un comité révolutionnaire, pour juger promptement les coupables, » et faire servir votre guillotine, qui se rouille, faute d'agir. »>

La société jacobine, jalouse de se montrer digne de son affiliation, s'occupa, sans délai, du choix des membres qui devaient composer le tribunal révolutionnaire; les juges et les jurés furent choisis dans les différents clubs de la ville; dans la prévision d'une prochaine vengeance, Challier fit imprimer chez Bernard, et placarder une affiche intitulée :

LES TROIS CENTS ROMAINS

A tous les conjurés dont les complots liberticides sont dévoilés.

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» Serait-il donc vrai que les ennemis de la patrie, dont le nombre est incalculable dans cette ville, eussent juré sa perte? Serait-il donc vrai qu'un vertige d'iniquité se soit emparé de toutes les têtes? Serait-il possible que ces malheureux habitants ne voulussent jamais " ouvrir les yeux à la lumière, en adoptant l'esprit révolutionnaire qui doit fixer les bases éternelles de notre sainte liberté ? Serait-il donc possible que des cœurs gangrenés eussent à se réjouir des maux de leur patrie? Non..... Non... Ils n'existeront plus du moment où leurs ennemis qui ne sont pas les nôtres voudront entrer dans cette cité.

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>> Trois cents Romains ont juré de poignarder les modérés Porsenna » qui nous menacent et qui nous assiégent; ils ont juré de s'ensevelir » avec leurs antropophages ennemis, sous les décombres fumants de cette nouvelle Sagunte. Vils scélérats!!!!! nous connaissons tous » vos plans infernaux pour vous défaire de ces généreux patriotes qui » vous observent. Oui, dans vos barbares et sombres orgies, vous souriez d'une maligne joie, par votre cruel espoir de voir bientôt et » dans dix jours, dites-vous, vos vœux accomplis! Insensés, traîtres, misérables, calculez-vous aussi notre courage, notre fermeté, notre

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union et l'étendue de notre dévouement pour sauver notre mère» patrie ?

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Aristocrates, feuillantins, rolandins, modérés, égoïstes, égarés, >> tremblez, tremblez! A la première atteinte portée à la liberté, les ondes ensanglantées du Rhône et de la Saône charrieront vos cada»vres aux mers épouvantées! Tremblez ! le peuple est debout, le 10 août peut encore renaître! »

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Pour donner à ces menaces un commencement d'exécution, la municipalité se fit adresser une pétition, signée par cent cinquante clubistes de la Grande-Côte, qui réclamaient une visite domiciliaire; c'était tout ce qu'elle désirait pour donner une apparence de légalité à la circulaire, qu'elle expédia aussitôt aux Jacobins des sections. Elle portait l'ordre de désarmer tous les citoyens soupçonnés d'incivisme, et d'arrêter tous les ci-devant nobles, prètres et religieux, même tous les citoyens domiciliés, s'ils étaient dans le cas d'être regardés comme suspects, laissant à la probité des Jacobins le soin d'en décider. Effrayés des exigences de leur parti, redoutant à la fois le royalisme et la Montagne, les trois conventionnels, par l'organe de Rovère, demandèrent des troupes à Kellermann, qui commandait en chef l'armée des Alpes; mais le général répondit qu'il ne pouvait détacher de son armée que deux bataillons; encore n'osait-il prendre sur lui une semblable détermination, sans y être autorisé par la Convention qui venait de lui envoyer un commissaire-ordonnateur extraordinaire, nommé J. Ledoist-Botidoux, ex-constituant, avec la recommandation expresse de le surveiller; ce refus obligea les conventionnels à suivre. sans résistance l'impulsion démocratique.

Dans le même temps, l'arrivée fortuite à Lyon du duc de Chartres donna une certaine consistance à une prétendue conspiration orléaniste, fomentée secrètement, pensait-on, par les trois commissaires et les factions de Roland et de Brissot. Il faut avouer que tout concourait à accréditer ce projet. Le duc de Chartres était descendu à l'hôtel de Milan; il n'en sortait presque pas, on ne l'avait vu qu'une seule fois en public, et il avait refusé de prendre la main que Challier lui offrait. Bien loin d'avoir organisé, comme l'ont affirmé et l'assurent encore quelques personnes, le fameux club des Jacobins, il n'accepta point l'invitation officielle que lui adressèrent les principaux chefs de cette société d'assister à l'une de leurs séances. Ce dernier refus parut dès lors significatif aux partisans de Marat. Des républicains français,

domiciliés à Chambéry, avaient écrit à la municipalité lyonnaise, que tous les préparatifs militaires qu'on faisait en Savoie avaient l'unique but de favoriser et d'appuyer, le cas échéant, les prétentions du duc d'Orléans; enfin une correspondance secrète venait d'être saisie sur la route de Paris: le citoyen Delessert père, à Paris, et son frère Paul-Benjamin Delessert, à Lyon, en étaient les principaux intermédiaires. Cette correspondance mystérieuse consistait en des lettres écrites dans un style de commerce, avec des notes en chiffres, dont on n'a jamais pu trouver, la clef.

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La Convention avait donné des ordres pour dresser des procès-verbaux sur cette affaire, mais les poursuites avaient été presqu'aussitôt étouffées; et cette intrigue, que l'abbé Guillon considère comme un projet d'établir une nouvelle monarchie en France, ne put venir à terme. Quoi qu'il en soit de toutes ces circonstances, les trois commissaires furent dénoncés aux Jacobins de Paris comme des traîtres à la nation. Leurs liaisons avec le banquier protestant Finguerlin et autres aristocrates reconnus, leurs orgies, leurs débauches de toute espèce choquaient les républicains sincères. « Je ne sais où j'en suis à l'aspect de leurs perfidies. Ce qu'ils ont paru faire pour les chauds patrio» tes, n'a servi qu'à couvrir leurs trahisons. La ville de Lyon est livrée aux ennemis du peuple. Qu'une centaine de Jacobins au >> moins viennent à son secours! sauvez, sauvez-la; elle est perdue! » Telles étaient les paroles d'alarme qu'adressait Challier, le 7 avril, à Renaudin, luthier, rue Saint-Honoré, à Paris. Il se mit aussi en communication directe avec Marat, dont il était depuis longtemps l'admirateur et la copie. « Ami et frère, lui écrivit-il, je ne te connais que parce que j'ai été affligé, l'année dernière, des persécutions » que tu as éprouvées de la part de la faction brissotine et par son journal, le Sauveur de la Liberté du Peuple. Je suis en ce moment persécuté comme toi; il est si glorieux de l'être pour une si belle » cause. L'Assemblée conventionnelle a voulu sauver cette ville en

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» y envoyant des montagnards; mais Lyon est plus que jamais exposé aux couteaux des assassins. Sauvez-le, sauvez-le, amis de >> l'humanité, du déluge de maux dont les patriotes vont être inon» dés..... Demandez aux Jacobins, et à grands cris, que l'on nous » envoie au moins cent citoyens énergiques, pour tirer les patriotes » de l'état de stupeur dans lequel ils sont plongés. Il n'y a pas de >> temps à perdre; ne balancez pas, ami les patriotes vont être

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exposés plus que jamais, si l'on n'y porte remède. Il nous faut » des Jacobins purs et incorruptibles. Et ne va pas croire que, quoi>> que nous venions par les conseils de vos trois commissaires, Rovère, Bazire et Legendre, d'établir un club de Jacobins, que cela » opère quelque changement; il n'y en aura d'autre que celui de » se donner un vernis de patriotisme. Il ne sera pas moins vrai que les patriotes seront abandonnés, et que les ennemis du bien

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>> public échapperont impunément. Au nom de la patrie, n'abandonnez pas cette ville infortunée, où il y a tant de patriotes éga>> rés ou séduits; sauvez cette ville, et la République est affermie. » Nos ennemis y fondent toutes leurs espérances criminelles, parce » que tout paraît favoriser leurs funestes projets. Je ne t'en dis pas davantage; frappez, tonnez, parez aux coups dont nous sommes menacés, et la patrie est sauvée, et le peuple bénira ton nom en » horreur aux aristocrates.

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Adieu! adieu! salut! santé! force! courage! ton compatriote,

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Accusés de toutes parts, menacés par leur propre parti, les commissaires conventionnels songèrent à détourner l'orage par quelque expédition révolutionnaire. Il existait alors sur les bords du Rhône, non loin du pont Morand, un limonadier fort réputé, autant par ses sentiments de bon et honnête homme que pour l'excellence de ses objets de consommation. La bière qu'il servait à ses nombreux habitués avait acquis surtout une telle renommée qu'elle portait le nom du café; la bière Gerbert possédait à juste titre toutes les faveurs de la mode. Chaque soir, à l'heure où les magasins et les comptoirs se ferment, les jeunes gens se rendaient en grand nombre au café Gerbert; la plupart, appartenant à l'opinion des Girondins, maudissaient le pouvoir tyrannique de la Montagne, et enveloppaient dans une haine commune Marat, Robespierre et les hommes les plus avancés du parti démocratique. Pérussel, beau-frère de Gerbert, dénonça ce lieu de réunion, et reçut des commissaires conventionnels un mandat d'arrêt qui lui assurait l'autorité la plus absolue :

Lyon, ce 8 avril 1793, l'an Ile de la République. Tous officiers civils et militaires demeurent requis de faire saisir, arrêter et conduire à la maison commune, pour y être détenus sous bonne et sûre

garde, et au secret, tous ceux qui seront indiqués par le porteur du présent et de la manière qu'il proposera.

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Signé Les commissaires de la Convention nationale pour le rétablissement de l'ordre dans le département de Rhône-et-Loire. »

Un soir, où les habitués du café Gerbert discouraient tranquillement sur les affaires publiques, l'établissement se trouva subitement cerné par trois cents hommes de troupe de ligne, les portes et toutes les avenues qui y conduisaient étaient gardées par de nombreux factionnaires. Pérussel présidait cette expédition nocturne; il ne dou tait pas d'avoir découvert la mèche qui devait mettre le feu à la mine contre-révolutionnaire. Surpris, mais nullement effrayés par les dispositions militaires dirigées contre eux, les jeunes Lyonnais choquent leurs verres et les vident à la santé de la République; puis escortés par les trois cents hommes, ils se rendent à l'hôtel commun, pour y subir chacun séparément, au lever du soleil, un premier interrogatoire.

En attendant, tous les membres de la municipalité étaient sur pied; les administrateurs du département s'étaient constitués en permanence, et pendant que de nombreuses patrouilles sillonnaient les rues de la ville, un courrier extraordinaire courait ventre à terre sur la route de Paris, porteur de cette dépêche :

« Grande découverte! Réjouissons-nous, la patrie est sauvée, nous » avons découvert à Lyon le noyau de la contre-révolution. Quatrevingt-treize conspirateurs sont en notre pouvoir; ils ne nous échapperont pas, car le glaive des lois est suspendu sur leurs têtes. Nous

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» allons procéder sans retard à leur jugement.

» VIVE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE!

Les commissaires délégués à la Convention nationale,

» BAZIRE, LEGENDRE, ROVÈRE. »

Ils n'attendent pas même le lever du jour : à cinq heures du matin l'instruction commence. Bazire, remplissant les fonctions de président, interroge les buveurs, à mesure qu'ils comparaissent un à un devant lui. Quel est votre nom?... Votre âge?... Votre état?... Votre demeure?... Qu'alliez-vous faire chez Gerbert? J'allais boire de la bière. » Quatre-vingt-treize fois il fit la même demande; et quatre

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