Page images
PDF
EPUB

M. Imbert-Colomès demeura à Bourg-en-Bresse. Feydel, rédacteur de l'Observateur, l'accusa, quelques mois après, de venir à Lyon fomenter des troubles. « Il va, vient, court les rues, disant : Mes >> amis, la liberté consiste à ne point payer d'impôt et à piller son » prochain. On prétend qu'il n'est pas encore lanterné. » L'ex-premier échevin réclama le témoignage des municipaux lyonnais, déposa leur attestation, en date du 10 août 1790, chez le notaire Mouny, grande rue Saint-Martin, et en expédia copie au calomniateur.

M. Imbert-Colomès était d'ailleurs franchement attaché à la monarchie, et toute sa carrière l'a démontré. Émigré en 1793, il revint en France en 1797, se fit nommer député du Rhône au conseil des Cinq-Cents, et combattit le Directoire tant à la tribune que par d'occultes manœuvres. Condamné bientôt à la déportation, il établit à Augsbourg, de concert avec Dandré et Précy, une agence dont les opérations étaient soumises à la direction de Louis XVIII. Il fut arrêté à Bareuth, ainsi que Précy et plusieurs agents subalternes, par les ordres du roi de Prusse; leurs papiers furent saisis, examinés par la régence de Bareuth, et remis en originaux au général Beurnonville, qui les adressa au ministre des relations extérieures. Cette correspondance, publiée par ordre du gouvernement au mois de ventôse an x, renferme plusieurs lettres de Louis XVIII, de MM. de SaintPriest, du marquis de Besignan, du prince de Condé, du comte d'Avaray, du duc de Serent, à M. Imbert-Colomès, et attestent dans celui-ci le plus sincère dévouement à la cause royaliste. « Vous avez plus que personne, lui écrit M. de Saint-Priest, pendant que vous » commandiez à Lyon, fait naître et entretenu l'esprit de retour à la >> fidélité due à notre légitime maître. » Invariable dans ses principes, M. Imbert mourut à Bath, en 1807, auprès du futur auteur de la charte constitutionnelle.

[ocr errors]

Quand les événements du 7 février 1791 eurent déterminé M. Imbert à quitter sa ville natale, les deux autres échevins restés en place continuèrent à administrer pendant que les officiers de quartier travaillaient à constituer provisoirement un comité municipal. Le 12 février, les agitateurs renouvelèrent leurs tentatives; des placards avertirent le peuple que l'on conspirait contre lui, que l'on fabriquait, dans les logements des Suisses, huit cents habits destinés aux volontaires. On eut soin d'arracher les placards; néanmoins la foule s'ameuta, tumultueuse et menaçante. Les deux échevins invitèrent

quelques citoyens à visiter les casernes, et comme on n'y trouva rien de suspect, tout prétexte d'insurrection fut détruit.

Deux concurrents se mirent sur les rangs pour les fonctions de maire de la prochaine municipalité. L'un, Palerne de Savy, ancien avocat-général au conseil supérieur de 1771, se recommandait par des vues sages et conciliantes. L'autre était Jean-Marie Roland de la Platière; il occupait à Lyon, depuis 1784, l'emploi d'inspecteur des manufactures, aux appointements de huit mille francs. Partisan sincère de la révolution, il avait adopté complètement les idées de liberté, et restreignait celles d'égalité à l'abolition des priviléges nobiliaires. Lié avec Champagneux, rédacteur du Courrier de Lyon, en correspondance avec Brissot, qui venait de fonder le Patriote Français, il pouvait faire parler en sa faveur la puissante voix de la presse, et sa femme, plus ambitieuse et plus énergique que lui-même, avait reçu de la nature le don d'une éloquence entraînante. Non content de se recommander aux électeurs par une brochure tirée à plusieurs milliers d'exemplaires, Roland, si l'on en croit l'abbé Guillon, allait déguisé dans les tavernes pour insinuer son nom aux ouvriers en se mêlant à leurs orgies. Mais comment se fier au témoignage unique d'un auteur qui a écrit: «< Alors commençait à se montrer, dans l'arène des intri>> gans, un homme ardent, cynique, tracassier, opiniâtre, hypocrite, » impie et féroce. » Assurément le Girondin Roland ne mérite pas ce luxe d'épithètes, et sur la foi de celui qui n'a pas craint de les accumuler, nous nous garderons bien d'accuser de bassesse un homme respectable par ses malheurs, malgré ses fautes. Qu'elles qu'aient été les menées de Roland, son concurrent, Palerne de Savy, l'emporta à une imposante majorité. Roland n'obtint qu'une place de notable. Après sa proclamation, le nouveau maire, dans un juste transport, prononça la plus emphatique et la plus déclamatoire des harangues: « O mes chers concitoyens, disait-il, par où ai-je mérité ce comble de la gloire auquel vous m'avez élevé?... Je suis, par vos suffrages libres, le premier citoyen de la seconde capitale de l'empire français ! Moi, qui me fusse tenu si honoré de marcher à la suite des citoyens. respectables qui m'entourent, je suis leur chef! Cet honneur immortel ne peut m'être ravi!... O ma patrie, pourquoi n'ai-je qu'une seule vie à te donner! Si j'en avais mille à t'offrir, elles ne suffiraient pas pour m'acquitter envers toi. Messieurs, je suis votre ouvrage; mais daignez le soutenir : il y va de votre gloire autant que de la mienne...

Aidez-nous à vaincre tous les orages qui fatiguent le vaisseau de la patrie, et à le ramener au port. Aidez-nous à maintenir la paix, si désirable pour cette cité, et si nécessaire au bonheur du plus auguste monarque..... Rendons à ce bon roi amour pour amour, immolons-lui tout ce qui pourrait s'opposer au rétablissement de cette heureuse réunion des esprits et des cœurs, l'unique. objet de ses peines et de ses vœux. Immolons-lui surtout les murmures de cet égoïsme impie, qui, dans les malheurs communs de la patrie, voudrait toujours conserver le privilége barbare de goûter seul le bonheur, lorsque le monarque est le premier à nous donner le généreux exemple de toutes les privations.

» Nation généreuse! lois sacrées! monarque vertueux! le même serment nous associe; la même fidélité va vous être jurée..... >>

Les assistants, électrisés par ce discours, renouvelèrent en même temps que l'orateur le serment constitutionnel; puis, M. de Savy, suivi du corps municipal, se rendit à la cathédrale. Le chapitre tout entier l'attendait à la porte honneur qui n'avait jamais été décerné à un homme; car les princes, les souverains eux-mêmes n'étaient reçus que par une simple députation des comtes de Lyon. Soixante prêtres, revêtus des plus somptueux ornements, célébrèrent le service divin; l'autel étincelait de bougies et de cierges; et mille voix se mêlèrent au chant du Te Deum, pour appeler la bénédiction divine sur la France régénérée.

Outre le corps municipal, il y avait à Lyon, en vertu des lois nouvelles, une administration pour toute l'étendue du département de Rhône-et-Loire, et une seconde administration de district pour la ville et la banlieue, et qui servait d'intermédiaire entre la commune et le directoire central. Les élections des membres de ces deux corps furent défavorables au parti révolutionnaire. Madame Roland écrivait, le 22 juin, à Bancal des Essarts : « La cabale a presque tout fait pour » le département de Lyon, dans lequel il n'y a pas ce qu'on appelle un » homme dans un pays libre; je veux dire un être qui, à la connaissance » des droits de l'homme et des devoirs d'administrateur, joigne le caractère et les talents nécessaires pour défendre les uns et suffire aux » autres. On travaille à la formation du district; il est douteux qu'il s'organise plus heureusement. Il règne dans ce pays la quadruple aristocratie des prêtres et des petits nobles, des gros marchands et

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

des robins. Ce qu'on appelait les honnétes gens, dans l'insolence du

>> vieux régime, présente à peine quelques patriotes; il n'y a que le >> peuple qui chérisse la révolution, parce que son intérêt tenant immé» diatement à l'intérêt général, il est juste par sa situation comme par >> sa nature; mais ce peuple peu instruit est en proie aux perfides insinuations. »

[ocr errors]

En effet, l'esprit des masses inspirait aux nouveaux municipaux non moins d'alarmes qu'à leurs prédécesseurs, et, dans leur juste inquiétude, ils appréhendaient toutes les circonstances propres à déranger l'ordre accoutumé. Ainsi, ils s'opposèrent au remplacement du RoyalGuienne, en garnison à Lyon, par le régiment Penthièvre-dragons, quí devait arriver de Vienne. Pour établir entre les citoyens armés une communauté de sentiments indispensable à l'énergie de l'action, ils eurent recours à une fédération générale, dont l'époque fut fixée au 30 mai. Les 28 et 29, des officiers, remplissant les fonctions de commissaires, se placèrent aux portes de la ville, pour recevoir les nombreux corps de troupes envoyés des départements voisins, et qui défilèrent, en lignes déployées, tambours en tête, au son d'une musique militaire, au bruit retentissant de l'artillerie. Le lendemain, à quatre heures du matin, le canon gronda; la générale se fit entendre dans tous les quartiers, et l'armée fédérative se rendit aux lieux indiqués pour se ranger en bataille. Deux heures après, cinquante mille hommes bien armés et parfaitement organisés, s'ébranlèrent dans la direction de la plaine des Brotteaux, depuis longtemps réservée, sous le nom de Grand-Camp, aux évolutions militaires; les vingt-huit bataillons lyonnais s'avançaient dans l'ordre que le sort leur avait assigné, sous des drapeaux ornés d'emblèmes et de légendes patriotiques (1). Dix pièces de canon et un corps de cavalerie suivaient la marche. Une musique nombreuse précédait l'état-major et les députés des villes voisines, escortés par un second corps de cavalerie. L'arrivée des troupes au Grand-Camp fut annoncée par une nouvelle salve d'artillerie. Alors s'offrit aux yeux un magnifique spectacle: cent soixante-dix mille hommes, retenus non par une haie de baïonnettes, mais par un simple ruban tricolore, s'échelonnaient en silence autour de l'immense plaine, au milieu de laquelle s'élevait un monticule en forme de rocher, sur une base de vingt-sept mètres, et sur une hauteur de vingt-six. Le sommet de ce rocher, construit par

(1) Voir à la fin du volume les documents historiques.

[graphic][merged small][merged small][merged small]
« PreviousContinue »