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Quelle est-elle, messieurs?

-La commission populaire et républicaine, dont nous sommes les représentants, vous a nommé d'un commun accord général en chef des troupes départementales; acceptez-vous, citoyen?

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- D'autres que moi eussent été plus dignes du choix de la commission dont vous êtes les organes.

-La commission, pleine de confiance en votre courage, en votre probité et en vos talents militaires, a jeté de préférence ses yeux

sur vous.

- Elle ne sait donc pas que la révolution a brisé mon épée, et que je n'ai plus que des vœux pour la France.

-Elle le sait, c'est pour cela peut-être qu'elle nous a choisis, pour vous apporter l'épée de commandement qui doit nous conduire à la victoire.

- Ou à l'échafaud, répondit M. de Précy avec un sourire profondément triste, ou à l'échafaud, entendez-vous bien!

A l'échafaud plutôt qu'à l'oppression, reprirent les membre de la députation lyonnaise.

-J'aime cette mâle résolution; mais avez-vous bien réfléchi à toutes les conséquences d'une guerre avec la Convention, ce pouvoir central qui peut disposer contre vous de tant de ressources? avezvous songé aux sacrifices de toute nature qu'il vous faudra faire pour soutenir une lutte inégale ? savez-vous bien ce que c'est qu'une guerre civile?

- Nous le saurons bientôt, citoyen, et nous apprendrons aux tyrans de la Convention ce que peut faire un peuple qui connaît l'étendue de ses droits et de ses devoirs. Général, acceptez-vous le commandement que vous offrent des hommes libres qui préfèrent la mort à l'esclavage; acceptez-vous?

M. de Précy garda quelques instants le silence, puis il répondit avec fermeté :

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Louis-François Perrin, comte de Précy, descendait en droite ligne d'une ancienne et illustre famille du Dauphiné que les guerres de religion du XVIe siècle avaient transplantée en Bourgogne. Né le 15 janvier 1742, à Semur en Brionnais, il était entré, dès l'âge de treize ans, dans le régiment de Picardie, commandé par un de ses oncles, et avait bravement débuté dans la carrière militaire par les

belles campagnes d'Allemagne de 1755 à 1762. Il fit plus tard, en 1774, celle de Corse en qualité d'aide-major. Lors de la création des bataillons de chasseurs qui eut lieu en 1783, il obtint le commandement de celui des Vosges, réputé par sa discipline, sa bonne tenue, sa solidité au feu, et, dès les premiers événements de la révolution, il combattit dans le Midi pour la monarchie attaquée. En 1791, il fut nommé colonel du régiment d'Aquitaine. La tempête révolutionnaire grondait alors dans toute sa force autour du trône. Précy refusa la dignité qu'on lui offrait, pour se rapprocher du roi, prétendant que si la place d'un bon gentilhomme en champ de bataille était auprès de sa bannière, elle se trouvait en temps de révolution auprès du souverain menacé.

Cette même année, il forma, de concert avec le duc de Brissac, la garde constitutionnelle de Louis XVI qui, satisfait de ses services, lui conféra le titre de lieutenant-colonel de ce corps d'élite.

La tourmente populaire emporta bientôt ce dernier boulevart que la fidélité avait élevé pour garantir la royauté. Un jour, les gardes constitutionnelles reçurent un ordre de licenciement; la plupart se retirèrent dans les provinces. Cependant un certain nombre resta dans la capitale pour continuer un service actif et se tenir prêt à tout événement. On les voyait souvent le jour et quelquefois la nuit, rôdant autour du château où la monarchie de Louis XVI se débattait mollement dans les douleurs de son agonie. Précy était l'âme et la tête de ce noyau d'hommes dévoués. Le 10 août, ils se trouvèrent aux Tuileries au nombre de cent cinquante, armés jusqu'aux dents et demandant vainement au roi la permission d'agir. Précy se trouva réduit à combattre en simple soldat dans les rangs des Suisses. C'est là que Louis XVI, abandonnant son palais, l'aperçut: Ah! fidèle Précy! s'écria-t-il en remarquant ses mains et son visage noircis par la fumée de la poudre. Il eut le bonheur d'échapper au massacre des Suisses et de ses compagnons d'armes. La Providence réservait son dévouement pour d'autres épreuves et d'autres désastres.

Précy avait cinquante-un ans quand il accepta le commandement en chef de l'armée lyonnaise. D'une taille moyenne, mais bien prise, il avait, comme toutes les grandes races militaires, les épaules larges, et le cou fort court. On lui trouvait une ressemblance parfaite avec le grand Frédéric, surtout lorsqu'il montait à cheval. L'auteur des

Mémoires d'un pauvre diable, M. Passeron, témoin oculaire des événements que nous décrivons, prétend que son teint basané, son petit chapeau à trois cornes, ses grandes bottes, la redingote grise qu'il portait dans les jours froids, sur un petit frac boutonné droit sur le devant, et laissant apercevoir un gilet fortement échancré, lui donnaient une ressemblance plus grande encore avec Napoléon.

Il avait conservé toute la vigueur et même toute la fougue d'un lieutenant de hussards. «Un chef de parti, disait-il souvent, doit payer de sa personne comme le dernier de ses soldats. » Aussi n'épargna-t-il jamais la sienne. Excellent militaire, il manquait peutêtre de cette portée morale et politique qu'exigeaient les circonstances graves qu'il devait diriger; il faut avouer toutefois qu'elles étaient bien difficiles, et qu'un génie plus grand que le sien se serait trouvé fort embarrassé alors, surtout, que les départements fédéralisés lâchèrent pied de toutes parts, et que Lyon fut réduit à ses propres forces. Quoi qu'il en soit, Précy, abstraction faite de ses opinions anti-nationales, est une noble figure à laquelle l'auréole de la victoire a seule manqué, et que les Annales de la France militaire doivent mettre au nombre des plus belles et des plus héroïques.

Le même jour, et pendant que cette scène se passait non loin de Lyon, douze cents hommes de bonne volonté, sac au dos, drapeaux déployés, et précédés par quatre pièces de campagne, se dirigeaient de Sainte-Foy sur Saint-Étienne, où des troubles graves et mena çants pour l'avenir venaient d'éclater. Des avis pressants, envoyés par le district de Saint-Étienne et le maire de cette ville, M. PraireRoyet, annonçaient à l'administration départementale que le parti montagnard avait réussi à soulever la population, composée en grande partie d'ouvriers employés aux fabriques d'armes, ainsi qu'aux manufactures de rubans, et que la garde nationale craignait à chaque instant d'être débordée; des symptômes d'insurrection se manifestaient d'heure en heure; déjà les Jacobins avaient attaqué un détachement de dragons de Lorraine, caserné dans le couvent des Capucins, sous le prétexte faux que les officiers étaient des émigrés, et les soldats des contre-révolutionnaires; peu s'en fallut même que soldats et officiers ne fussent exterminés; la prudence et la fermeté du maire, l'attitude de la garde nationale purent seules les préserver.

Il n'y avait pas un moment à perdre. La colonne lyonnaise arriva

le lendemain à Rive-de-Gier, où les habitants lui firent un excellent accueil. Malgré l'excessive élévation de la température, les Lyonnais se remirent en marche le lendemain, et marchèrent par division sur la grande route, leurs têtes de colonnes appuyées sur leurs quatre pièces d'artillerie.

Ils étaient dirigés par des adjudants-généraux au milieu desquels on remarquait les girondins Biroteau et Chasset, commissaires du département, tous deux en grande tenue.

L'armée expéditionnaire marchait ainsi depuis quelques heures, lorsque le commandement de halte se fit entendre; un jeune homme de Saint-Chamond venait de prévenir les chefs, qu'un certain nombre de Jacobins se préparaient à défendre l'entrée de cette ville.

Trois cents hommes et une pièce de canon détachés du corps principal, reçoivent l'ordre de s'emparer des hauteurs qui sont à l'ouest de la route de Saint-Chamond du côté du mont Pila, pour dominer cette ville, tandis que la colonne d'attaque la prendrait de front, et l'emporterait de vive force.

Malgré l'ardeur des Lyonnais et l'impatience qu'ils avaient de brûler leurs premières cartouches, on continua de marcher avec précaution. Les éclaireurs, parmi lesquels se faisait remarquer par son ardeur le jeune Fleur-de-Lis, fils de l'ancien greffier de la sénéchaussée de Lyon, battaient les hauteurs à droite et à gauche, pour ne point se trouver pris dans quelque embuscade. De temps à autre, ils apercevaient au loin des hommes armés qui les observaient sans doute et n'osaient les attaquer. Le mauvais état des chemins retardait leur marche, par les difficultés sans nombre qu'ils rencontraient. Les canonniers se virent plusieurs fois obligés d'aider aux chevaux pour faire passer leurs pièces; ils parvinrent cependant sur les crêtes qui leur avaient été désignées.

Presque en même temps, la colonne principale qui suivait la grande route était arrivée à l'entrée de la ville, et s'était trouvée en présence d'une nombreuse troupe, qui témoignait, par ses démonstrations, l'intention de disputer vigoureusement le passage; c'étaient les Jacobins de Saint-Étienne qui, trop faibles pour oser résister à main armée à la garde nationale, étaient venus se joindre à ceux de Saint-Chamond, pour donner plus de consistance à leurs mouvements. On était près d'en venir aux mains. Les Lyonnais attendaient avec impatience le signal de l'attaque, lorsque tout à coup

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