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séjour à Lyon à organiser de nouveaux clubs. Chaque section eut le sien, et les commissaires unis des vingt-huit sections constituèrent un club central, qui communiquait et recevait l'impulsion. Madame Roland, Philaminte politique, assistait aux séances, écrivait et prenait souvent la parole. Sa curieuse correspondance avec Henri Bancal peint mieux que tout autre renseignement la situation de Lyon, telle que la jugeaient les révolutionnaires. L'état présent de la ville, le terrible avenir vers lequel elle marchait à grands pas, les intentions secrètes de la commune, l'abattement et la consternation du parti démocratique, nous paraissent jugés avec un talent supérieur dans ces fragments des lettres des 26 et 28 juillet, et du 28 septembre : « La contre-révolution est commencée ici; c'est un pays perdu; il est incurable. Il n'y a que la constance et la vigueur de la révolution dans toute la France qui pourra le contraindre et définitivement le ramener un jour. Mais l'objet des ministres, du parti dominant, et du plus grand nombre des membres de la municipalité, est de pousser le peuple, ou de le laisser exciter, pour être autorisés à déployer la force, à réunir ici beaucoup de troupes, et à s'y faire un point d'appui pour soutenir les mécontents, et favoriser l'invasion des étrangers..... L'aristocratie devra triompher, car elle jouit des torts du peuple, et s'en prévaudra longtemps. La régénération de cette ville est plus éloignée que jamais, et je n'imagine plus à quelle époque on peut l'espérer. On compte gagner aisément Lyon aux princes en lui accordant quelques priviléges pour son commerce. Il n'y a véritablement dans cette ville que l'esprit du gain..... L'aristocratie lyonnaise n'a jamais ambitionné que de pouvoir accuser le peuple de factions, et d'être autorisé à faire garder la ville par des troupes réglées. Elle est parvenue à voir le peuple, irrité par une nuit de négligences ou de manœuvres, oublier les voies légales et recourir à la violence. Dès lors, l'emploi de la force est devenu nécessaire et juste; donc Lyon est ou sera bientôt perdu pour la révolution, à moins que celle-ci ne devienne si bien assurée, si triomphante, que son ascendant agisse irrésistiblement sur toutes les parties de la France.... Lyon est asservi; les Allemands, les Suisses y règnent par leurs baïonnettes au service d'une municipalité traîtresse, qui s'entend avec les ministres et les mauvais citoyens. Bientôt il n'y aura plus qu'à pleurer sur la liberté, si l'on ne meurt point pour elle.

CHAPITRE III.

SOMMAIRE: Vues des royalistes sur Lyon.

Conspiration pour ramener les princes. Rapport de Voidel. - Élection d'une nouvelle municipalité. Détails sur Châlier, Laussel, Bottin, etc.

La fin de l'année 1790 justifia les prévisions dont madame Roland se faisait l'écho. Les royalistes de l'intérieur et de l'extérieur avaient les yeux fixés sur Lyon. On songeait à en faire le centre de la résistance, à profiter de la situation géographique de la ville, et des dispositions du peuple. Le projet de M. de Maillebois, dénoncé par son secrétaire au comité des recherches, indiquait Lyon comme rendezvous des troupes sardes qui devaient entrer dans le Dauphiné par Embrun, dans le Lyonnais par la Savoie, dans la Provence par Nice, pendant que Louis XVI s'échapperait de sa capitale rebelle.

Trois hommes d'un courage éprouvé et d'une énergie peu commune reconstruisirent ce plan avorté, c'étaient MM. de Jorjoyes, le marquis de Chaponnay et le chevalier de Pommelles, faisant partie tous les trois d'une société royaliste organisée à Paris sous le titre de : le Salon français. Après en avoir tracé le plan de concert avec ses deux amis, le chevalier de Pommelles le remit au mois de juillet à monseigneur de Sabran, évêque de Luçon; ce digne prélat l'examina, et s'empressa de le communiquer non point à madame Élisabeth, ainsi que l'assure l'abbé Guillon, mais à la reine elle-même, qui l'approuva sur tous les points, et en ordonna la prompte exécution. Marie-Antoinette prévoyait déjà la rapidité des événements qui menaçaient la monarchie, elle en avait calculé toutes les conséquences; combien de fois, dans les douceurs et les épanchements de la vie privée, ne s'était-elle pas

écriée : « Ce n'est pas seulement la couronne de France qui est menacée; c'est la tête du roi ! » Elle éprouvait même, dit-on, un frémissement involontaire lorsque son regard, plongeant dans la longue avenue du jardin des Tuileries, s'arrêtait sur la place qui en forme l'extrémité. Le projet d'établir momentanément à Lyon le siége de la France, examiné sous toutes ses faces, semblait offrir par ses diverses combinaisons un résultat infaillible. Le roi, la reine, madame Élisabeth et les enfants de France, accompagnés de madame de Tourzel leur gouvernante, se seraient rendus au château de Fontainebleau: de là Louis XVI, prétextant une partie de chasse, devait longer à cheval la rivière du Loing et rejoindre la reine à Avallon, pour se réunir ensuite à madame Élisabeth et à ses enfants qui l'auraient attendu à Autun. Un régiment de chasseurs à cheval aurait éclairé la route entre ChâIons et Autun; d'autres troupes échelonnées sur la route de Châlons à Lyon devaient protéger ce voyage, d'où le salut de la monarchie dépendait peut-être. Dans ce but, le gouvernement avait déjà concentré près de quatorze mille hommes autour de Lyon. Les chasseurs à cheval de Bretagne et d'Alsace cantonnés à Bourg, Macon et Senecey donnaient la main au régiment de la marine et à celui de Bourgogne, casernés, le premier à Trévoux, le second à Villefranche de leur côté, les dragons de Penthièvre et le régiment suisse Steiner étaient prêts à seconder activement le mouvement. Enfin la ville de Lyon se préparait à devenir capitale par des dispositions militaires en parfaite harmonie avec le concours promis par la cour de Piémont, le gouvernement des treize Cantons, et l'appui des princes émigrés, déjà les uns à Turin, les autres à Chambéry.

Imbert-Colomès, le trésorier Regny, le procureur Boscary, Guillin de Pougelon, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, préparèrent l'exécution du complot. Guillin de Pougelon parvint à conférer avec Trouard de Riolles, dans la prison de Pierre-Scize, et mit à profit les plans qu'avait conçus, les premiers résultats qu'avait obtenus ce complice de M. de Maillebois. Le nombre des conjurés augmentait, ils attendaient le moment d'agir, quand le prince de Condé, écoutant plutôt l'ardeur de ses gentilshommes que les conseils de la prudence, envoya à Lyon MM. d'Escars, de Maccarty, d'Égrigny, et son aide de camp Terrasse de Tessonet, jeunes gens d'un rare courage.

Ces quatre gentilshommes ayant pris sur les lieux une connaissance exacte de l'état des choses, de la disposition des esprits, et, se trou

vant parfaitement d'accord avec la pensée du comité royaliste de Lyon, écrivirent au comte d'Artois et au prince de Condé qu'il y aurait folie de venir prendre possession de cette ville avant le roi, sans une démonstration auxiliaire, sans un mouvement de l'armée piémontaise. Cet avis déplut aux princes. Alors poussés dans une voie d'agression par les obsessions d'une centaine de.gentilshommes venus d'Auvergne, et les instances de deux cent cinquante officiers de toutes armes réunis à Lyon pour prendre part à l'action, les conjurés se décidèrent à la provoquer sans plus de retard. Le chevalier Terrasse de Tessonnet avait su gagner un maître ouvrier en taffetas, dont l'influence s'exerçait non-seulement sur les hommes de son état, mais encore sur toute la classe ouvrière de la Grande-Côte. Un autre maître ouvrier également influent, nommé le père Mathevon, fut employé à disposer les masses et à répandre des libelles. Le Vau d'un Français, l'Adresse aux Provinces, par M. de Calonne, distribués avec discernement, lus avec avidité, apprirent au peuple à regretter l'ancien régime. Quand les esprits semblèrent suffisamment préparés, le chevalier de Tessonnet manda Mathevon et lui annonça que, le moment d'agir étant venu, il fallait ameuter le peuple au plus tôt, et l'amener en masse dans les rues, sur les places, autour de l'Hôtel-de-Ville, pour demander à grands cris l'arrivée des princes à Lyon. Cet agent s'engagea à tout ce qu'on lui demandait, contre une somme de vingt-cinq mille écus, dont il avait besoin, disait-il, pour payer le silence et l'appui de ses nombreux affidés. Cette somme lui ayant été promise, il alla trouver un agent municipal et lui vendit contre une nouvelle somme fort importante le secret du complot dont il était le principal émissaire, et dont il avait tous les fils en main. On avait arrêté que le mouvement populaire aurait lieu le 8 décembre 1790, le jour de la fête de la Conception de la sainte Vierge. Le peuple, entraîné par ses meneurs, devait se porter le soir à l'Hôtel-de-Ville, pour forcer la municipalité à publier elle-même une proclamation qui invitât le comte d'Artois et le prince de Condé à choisir la ville de Lyon pour résidence, la place des princes n'étant point dans un moment aussi critique à l'étranger, mais en France, pour neutraliser les mouvements révolutionnaires, et défendre au besoin l'autorité du chef de l'État.

Le maréchal de camp de la Chapelle, commandant les troupes autour de Lyon, était entré dans la conspiration; elle allait éclater lorsque quatre agents subalternes, Monnet, Berthet, David et Charot, la

dénoncèrent à la municipalité. Le 4 décembre, à une heure avancée de la nuit, on arrêta Guillin de Pougelon, Terrasse de Tessonnet, le marquis d'Escars et le comte d'Égrigny, et ils furent aussitôt conduits au château de Pierre-Scize, au milieu d'une escorte qui chantait le Ça ira. Le samedi 20 décembre, dans la séance du soir, Voidel, au nom du comité des recherches, exposa à l'Assemblée constituante les détails de la conjuration. L'abbé Charrière, l'abbé Maury, prirent inutilement la défense des accusés, dont la translation dans les prisons de Paris fut immédiatement décrétée. Ils y furent traînés d'étape en étape, et relâchés, après huit mois de captivité, en vertu de l'amnistie qui suivit l'acceptation de la Constitution de 1791.

En apprenant l'échec de leurs affidés, les princes résolurent de payer de leurs personnes et de se rendre à Lyon, comptant, sinon sur le dévouement des masses, du moins sur la fidélité des troupes qui entouraient la ville; mais Louis XVI, soit qu'il ne partageât pas leurs espérances, soit qu'il craignît les effets de cette démarche hasardeuse, avait déjà prévenu ce dessein en envoyant à Turin un courrier extraordinaire portant la défense formelle de donner suite à ce projet. De son côté, le roi de Sardaigne, quoique tout dévoué aux intérêts de la maison de Bourbon, mais craignant que les événements survenus à Lyon ne donnassent lieu à quelques mesures hostiles de la part du gouvernement français, ne négligea rien pour décider les princes à quitter ses États. Le comte d'Artois se rendit alors en Italie pour conférer avec l'empereur Léopold; et le prince de Condé porta sa résidence à Stuttgard, où il se mit à la tête des émigrés.

L'affaire de la conspiration donna, suivant l'expression du Mercure de France, un coup de fouet au patriotisme endormi. Louis Vitet, médecin, président du club des Jacobins, fut porté à la mairie; Bret, membre influent de la même société, devint procureur de la commune; Châlier entra dans le corps municipal: on vit apparaître sur la scène encore d'autres démagogues qui prirent la direction des affaires et des esprits. L'importance du rôle qu'ils ont joué dans les sanglantes catastrophes qui suivront, nous engage à donner sur eux quelques détails biographiques.

Joseph Châlier était né à Beaulard, en Piémont, l'an 1747; son père le destinant dès son plus jeune âge à l'état ecclésiastique, lui fit donner d'abord cette première bonne éducation qui sert de base à la jeu

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