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blée nationale, et consolidèrent la révolution. La réunion des trois ordres fut célébrée à Lyon par des fêtes, les 2 et 3 juillet 1789. La première journée fut paisible, mais vers le soir des groupes d'ouvriers, hommes, femmes et enfants, se répandirent dans la ville, en faisant entendre pour la première fois les cris de : « A bas les calotins! à bas les aristocrates!» Quand elle passait devant les maisons qui n'étaient pas illuminées, la foule redoublait ses clameurs, et lançait des volées de pierres dans les vitres. Pendant la nuit, on renversa un mai élevé devant l'hôtel du premier échevin, M. Imbert-Colomès, commandant de la ville en l'absence de M. de Tolozan, prévôt des marchands. La bourgeoisie y avait inscrit sur un écriteau Cives dilecto civi, quoique le premier échevin fût connu par ses opinions monarchiques. Le lendemain le peuple, après avoir désarmé les troupes dans les corps-de-garde, attaqua la barrière Saint-Clair et le bureau des fermes; il commençait à y mettre le feu, quand l'autorité se détermina à requérir les dragons casernés à la Croix-Rousse. Une lutte s'engagea; il y eut des hommes tués et blessés de part et d'autre; à la nuit tombante, l'émeute était dispersée, et les dragons se retirerent lentement sur la Croix-Rousse.

Pour prévenir le retour des troubles, des jeunes gens de Lyon, fils de famille, banquiers, commis marchands, clercs du palais, au nombre d'environ huit cents, s'organisèrent en corps de volontaires; ils adoptèrent un uniforme particulier, se nommèrent des officiers, et concoururent au maintien de l'ordre sans se confondre avec la milice bourgeoise. Le premier échevin les appelait sa garde d'honneur; le peuple les qualifia de muscadins.

La création de cette force militaire empêcha Lyon de ressentir le contre-coup de la prise de la Bastille. L'agitation populaire fut comprimée; quelques hommes projetèrent en vain la démolition du chàteau de Pierre-Scize, ancienne demeure des archevêques, récemment métamorphosée en prison. Le comité des électeurs, qui, demeuré en permanence à l'Hôtel-de-Ville, s'était emparé de l'administration au préjudice du Consulat, employa son autorité naissante à entretenir l'ordre par des arrétés aussi sages que courageux. Cependant plusieurs membres du comité avaient demandé que l'on protestât contre la conduite de la cour et contre la disgrâce des ministres Necker et Montmorin. L'avocat Lemontey, et un protestant, Dubois, associé d'une maison de banque, entraînèrent les électeurs indécis de la noblesse

et du clergé, et provoquèrent une adresse que tous les citoyens furent appelés à signer. Les trois ordres réunis de la ville de Lyon y adhéraient à tous les arrêtés de l'Assemblée nationale, lui promettaient obéissance, et juraient sur l'autel de la Patrie de défendre leur liberté et leurs justes droits avec le courage le plus inébranlable, recommandant dès à présent à la France entière les familles des généreux citoyens qui pourraient se sacrifier pour elle. L'adresse fut imprimée à Lyon, envoyée à toutes les villes du Royaume, et lue à l'Assemblée nationale, dans la séance du 21 juillet 1789 les applaudissements qui l'accueillirent redoublèrent, quand M. de Castellas, au nom des électeurs lyonnais, déclara que ceux qui jouissaient de certains priviléges pour les propriétés féodales, réitéraient leur renonciation à toute exemption pécuniaire.

Tant d'abnégation n'avait point désarmé la gent corvéable; de toutes parts les paysans s'attroupaient pour piller les châteaux et brûler les archives. C'était, disaient les meneurs, l'ordre exprès du roi, c'était le vœu de l'Assemblée. Les belies habitations de MM. de Loras, de Leuze, de Combe, de Saint-Priest, de Pusignat, furent démolies ou réduites en flammes. Des incendiaires parcoururent le Dauphiné, détruisant les titres féodaux, maltraitant et rançonnant les propriétaires la classe pauvre des villes semblait applaudir à ces excès. Le comité des électeurs-unis de la ville et sénéchaussée de Lyon, appréhendant un mouvement dans les faubourgs, demanda des secours au gouvernement; un escadron de chasseurs à cheval, le régiment suisse de Sonnenberg, vinrent de Bourg-en-Bresse et de Grenoble, et formerent le complément de la garnison. Dès que le comité put disposer d'une force suffisante, il mit les volontaires en réquisition, pour arrêter les déprédations des brigands, qui venaient d'extorquer une contribution de trois cent cinquante louis aux chartreuses du couvent de Salette en Dauphiné. Cent cinquante volontaires et quinze dragons partent, le 30 juillet, sous les ordres de M. Coinde, l'un des capitaines de la milice. Ils arrivent au couvent de Salette, qu'ils trouvent menacé pour la seconde fois. Les volontaires se précipitent avec ardeur sur le rassemblement; les paysans se dispersent, quatre-vingts restent sur le champ de bataille; soixante sont arrêtés, liés avec des cordes, et le détachement reprend la route de Lyon. De nouveaux adversaires l'attendaient au faubourg de la Guillotière; des habitants avaient monté dans les maisons des pierres qu'ils se préparaient à

faire pleuvoir sur les muscadins vainqueurs. Six cents hommes de la milice et deux cents dragons s'avancèrent dans le faubourg pour protéger la rentrée des volontaires. Aux premières pierres lancées, on répondit par deux coups de fusil, et deux insurgés tombèrent du haut de leur toit dans la rue. La troupe fit une décharge générale en l'air; les consuls et syndics de la ville déclarèrent que si, dans cinq minutes, les toits ne se dégarnissaient point, le faubourg serait mis à feu et à sang; et les rebelles, frappés de stupeur, n'osèrent pas s'exposer aux effets d'une aussi terrible menace... « Ce faubourg, dit le narrateur le plus complet de cette journée du 3 juillet, dans une » brochure intitulée : Les Lyonnais sauveurs des Dauphinois, ce faubourg nous avait déjà plusieurs fois donné de l'inquiétude. Les habitants sont nombreux; ils auraient pu porter le désordre dans » la ville, s'ils n'avaient été contenus. Nous avons beaucoup de >> peine à contenir le peuple de Lyon, la ville serait peut-être en >> cendres sans les précautions que nous prenons, la bonne garde que » nous faisons, et le secours des dragons et des Suisses, qui rendent » de grands services. »

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La commission intermédiaire du Dauphiné arrêta que les noms de M. Coinde et de ses compagnons seraient inscrits sur les registres de la province, et qu'on y ferait mention de l'événement. Elle envoya un extrait de sa délibération au corps municipal de Lyon. Louis XVI n'applaudit pas moins à la conduite des volontaires lyonnais, et chargea son ministre de leur témoigner sa vive satisfaction.

Les partisans de l'ancien régime, de même que les modérés, attribuaient universellement les troubles à des brigands soudoyés, étrangers aux régions où ils exerçaient leurs ravages. Telle fut la préoccupation qui dicta l'arrêté du comité des Électeurs en date du 10 août 1789. Il obligeait tous les étrangers à comparaître, dans le délai de trois jours, par-devant les syndics des paroisses, ou les juges de police, à l'effet de produire les certificats dont ils seraient munis, ou de déduire les motifs de leur séjour. « Une fois délivrés de >> tous étrangers suspects et malintentionnés, les villages, bourgs » et villes de la Sénéchaussée où il arriverait des désordres, ne pour»ront, sans manquer à l'honneur, ne pas dénoncer quiconque, en les commettant, associerait le lieu de sa naissance ou de sa demeure à la honte et à la flétrissure qui sont attachées au nom de séditieux et de rebelles.

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Tout citoyen dont les actions ou les discours tendraient à donner » une fausse idée de la liberté, qui ne fut jamais autre chose que le

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>> pouvoir de faire tout ce que les lois ne défendent pas, sera livré » à la vengeance des lois qu'il aurait outragées, et au ressentiment de » la patrie qu'il aurait troublée.

>> Ceux qui, à l'aide de la séduction et du mensonge, faisant par>> tager à d'autres personnes et leurs excès et leur licence, croiraient >> trouver l'impunité dans le nombre de leurs complices, doivent » exciter contre eux, et contre leurs compagnons coupables, les ef» forts combinés du patriotisme et de la force militaire.... »

L'arrêté terminait en mettant le droit de propriété sous la sauvegarde des villes, en invitant les citoyens à une tranquillité calme, en les exhortant à dénoncer les écrits ou imprimés distribués furtivement, et à fuir les assemblées trop nombreuses. Plusieurs de ses dispositions furent considérées comme impolitiques, et plus propres à exaspérer qu'à détruire les tendances insurrectionnelles. Prescrire la dénonciation comme un devoir, stimuler le zèle homicide de la force militaire, c'était semer des germes de discorde en cherchant à terrifier les perturbateurs par de rigoureuses mesures. Néanmoins on crut avoir étouffé l'esprit de révolte, et l'impression produite par les premiers mouvements fut rapidement effacée, comme le démontre l'assertion d'un journal bien informé. « Lyon, dit le Mercure de France, dans un » numéro du 20 février 1790, s'était maintenu jusqu'ici dans une inalté» rable tranquillité. Point de sang répandu, point de lanternes, point de » proscriptions, pas même de tumulte. La sûreté et la paix de cette ville intéressante y avait retenu les capitalistes, les grands consommateurs, et y eût attiré nombre de fugitifs. Le corps municipal y avait consacré » la révolution, non par la terreur, l'inquisition et les violences, mais par une police sûre et active, confiée aux volontaires nationaux. »> Les instigateurs des premières émeutes appartenaient exclusivement aux classes souffrantes des faubourgs; la bourgeoisie eut son tour, et l'ordre fut troublé par ceux mêmes qui avaient mission de le défendre. La milice bourgeoise, toutes les fois qu'elle descendait la garde, était tenue de déposer ses armes à l'Hôtel-de-Ville. Une compagnie s'y refuse, et se prépare à les emporter, aux applaudissements de la multitude attirée par cet incident sur la place des Terreaux. Les dragons, les Suisses, la maréchaussée surviennent; on leur crie de descendre de cheval, on leur lance des pierres; quelques coups de fusil sont tirés

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par la troupe, et blessent plusieurs personnes. La nuit mit fin au tumulte, et les miliciens eurent gain de cause. Ainsi attaquée par tous les partis, l'administration lyonnaise se hâta de faire promulguer la loi Martiale, adoptée par l'Assemblée nationale le 21 octobre, sanctionnée immédiatement par Louis XVI, et proclamée à Paris le 22. Dès qu'elle fut parvenue à Lyon, l'huissier de la ville monta à cheval, escorté de détachements de chaque corps militaire, des diverses compagnies de volontaires et de la milice bourgeoise. Le cortége parcourut successivement tous les quartiers; dans les carrefours les plus populeux, le son des tambours réunissait les citoyens, et l'huissier leur lisait à haute voix le texte de la loi répressive.

Lyon fut paisible le reste de l'année. La municipalité, après avoir dompté les rebelles, s'occupa du sort des ouvriers réduits au dénùment par la perturbation du commerce. Ils furent secourus à l'envi par la société philanthropique, la loge martiniste, et l'institut de bienfaisance maternelle. Sur un mémoire particulier du prévôt des marchands, M. Tolozan de Montfort, le roi accorda un don de vingt-cinq mille livres aux ouvriers des manufactures de Lyon. Des mesures furent prises contre la disette rendue imminente par l'inexécution des décrets sur la circulation des grains. M. Regny, trésorier, prêta généreusement un million quatre cent mille livres pour l'achat des subsistances, et la ville de Dijon invita par une circulaire toutes les municipalités de Bourgogne à nommer des députés pour aviser entre elles aux moyens d'approvisionner le Lyonnais. Maintenus dans l'inaction par une surveillance assidue, les révolutionnaires lyonnais se signalèrent par des libelles et des discours. Plusieurs d'entre eux, Allier, professeur de mathématiques; Carret, ancien chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu; Sébastien Carret, Crat, Belissart, Mariotte aîné, négociant, rédigèrent, au mois de novembre, une adresse d'adhésion aux décrets de l'Assemblée nationale. On peut considérer cet écrit comme un complet manifeste des citoyens patriotes de Lyon; il résume parfaitement les idées qui les dominaient, les vœux qu'ils formaient, les sympathies et les haines dont ils étaient animés.

« Les citoyens de la ville de Lyon, considérant que le salut de l'État >> repose uniquement aujourd'hui sur l'Assemblée nationale, et tientimmédiatement à la continuation de ses travaux;

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Considérant que c'est un devoir sacré pour eux de manifester hau

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