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pations retardèrent ces projets sinistres. Sans force et sans pouvoir pour diriger le mouvement révolutionnaire, l'Assemblée législative avait convoqué une Convention nationale. Les Jacobins de Paris, par des lettres et des messages réitérés, invitèrent leurs frères et amis de Lyon à travailler les élections. Ceux qui regrettaient l'ancien ré gime, ou qui ne sympathisaient pas avec le nouveau, s'effacèrent de la scène politique et laissèrent le champ libre aux meneurs du parti populaire. Ce fut à Saint-Etienne-en-Forez que l'assemblée électorale fut convoquée. Le choix de cette localité était significatif; les patriotes pouvaient compter au besoin sur le concours des nombreux ouvriers qu'employaient les manufactures d'armes et de rubans, classe depuis longtemps souffrante, avide de changement, enthousiaste des idées nouvelles, et remplie de haine pour les adversaires de la révolution. Un incident signala les opérations préliminaires de l'assemblée; on y répandit à profusion une lettre dont les signataires, Perrochiat et Desarno, attaquaient la candidature de Cusset, marchand de soierie à Lyon, proposée par le parti exalté (1). Elle produisit un effet tout contraire à celui qu'on en attendait, et le nom de Cusset sortit le premier de l'urne électorale.

La majorité de la députation lyonnaise appartenait au parti modéré. Dubouchet, médecin à Montbrison; Noël Pointe, Cusset, Javogne et le chirurgien Pressavin siégèrent sur la Montagne. Lanthenas épousa la cause des Girondins, et eût partagé leur sort, si Marat ne l'eût fait rayer de la liste des proscrits « comme pauvre d'esprit, et ne méritant pas qu'on songeât à lui. » Le maire Louis Vitet modifia ses opinions premières au point d'être forcé de chercher plus tard son salut dans l'émigration. Pour préciser d'un seul trait la ligne politique que suivirent les députés lyonnais, qu'il nous soit permis d'anticiper sur les événements. Nous éviterons de longues considérations sur le caractère de ces hommes, en faisant connaître leurs votes dans le procès de Louis XVI; circonstance solennelle, où chaque juge résumait dans sa sentence ses pensées et ses convictions. Tous furent unanimement d'avis que le monarque détrôné était coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d'attentat contre la sûreté générale de l'État. Louis Vitet, Marcelin Béraud, Patrin et Michet demandèrent, avec la faction girondine, que le jugement fût soumis à la ratification du

(1) Voir les pièces justificatives.

peuple. Cusset et Noël Pointe votèrent la mort dans les vingt-quatre heures; Dupuis fils, Dubouchet, Javogne, Pressavin, la mort; Vitet et Michet, la détention; Chasset, Pressavin, Béraud, Forest, Fournier et Patrin, la détention et le bannissement à la paix. Moulin, montagnard timoré, vota la mort avec sursis jusqu'au bannissement des Bourbons; Lanthenas, la mort avec sursis jusqu'à la paix. Ainsi, sur les quinze représentants de Rhône-et-Loire, dix reculèrent devant la terrible responsabilité que les révolutionnaires rationnels acceptaient résolument.

CHAPITRE IX.

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SOMMAIRE: Troubles à l'occasion des subsistances.-Lettre du ministre de l'intérieur à la Convention. - Pillage des magasins d'épicerie et de droguerie. Arrêté de la municipalité lyonnaise.-Taxation des denrées. -Visites domiciliaires. —Arrivée des Marseillais, du 10 août. Discours de Riard-Beauvernois. — Rôle de Châlier dans les troubles. Exposition publique de la guillotine. - Nomination de trois nouveaux commissaires. - Affiche d'une section de Lyon. — Troubles causés par un bataillon des volontaires du Var. Travaux des commissaires de la Convention. — Municipalité nouvelle. Caractère du maire Nivière-Chol. — Proclamation du conseil municipal. - Tentative des royalistes. - Nouvelle proclamation de la municipalité.-Émissaires jacobins dans les campagnes.Discours de Châlier à l'audience du tribunal de district.

Dès leurs premières séances, les fondateurs de la République eurent à s'occuper de Lyon. Le 22 septembre, Roland, ministre de l'intérieur, écrivait au président de la Convention nationale : « Les >> nouvelles que je reçois de Lyon sont toujours alarmantes; le conseil de la commune pour céder aux circonstances a taxé le pain,

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» la viande, le beurre et les œufs au-dessous du prix auquel se ven» daient ces objets.

» D'autre part, les femmes sont allées en troupes dans différents » magasins, et plusieurs enlèvements ont été faits; une affiche sous

» le nom des citoyennes de Lyon, placardée dans toute la ville, portait

» la fixation du prix de presque tous les comestibles, cette fixation

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est à peu près la moitié au-dessous de la valeur réelle de ces denrées.

» Les corps administratifs, témoins presque muets de ces mesures

» extraordinaires, n'osent y résister et disent qu'ils sont sans force.

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Un état de choses aussi violent ne saurait subsister, sans exposer

cette ville à une subversion totale. C'est dans ce moment qu'il » serait à désirer que des commissaires pris dans le sein de la Con»vention, revêtus des plus grands pouvoirs, se rendissent à Lyon pour y rétablir l'ordre et la soumission aux lois.

» Je ne dois pas taire à la Convention nationale un trait dont j'ai » été extrêmement touché. La commune d'Érigny, voisine de Lyon, » a pris un arrêté de porter en cette ville toutes les denrées que >> les habitants ont la coutume d'y conduire, et de les offrir aux ci»toyens de Lyon, au prix qu'ils voudront fixer eux-mêmes. Cette

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respectable commune ne veut conserver, dit-elle dans son arrêté, que le strict nécessaire pour elle, trop heureuse de pouvoir faire » des sacrifices en faveur de ses frères de Lyon pendant tout le temps » que la patrie sera en danger, et que les manufactures de cette ville languiront. Cette sublime détermination a été proclamée, et les > habitants d'Érigny, en y conduisant leurs denrées, portent écrit sur >> leurs poitrines le nom de leur commune. »

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Cette lettre contenait une énonciation très-succincte des événements, mais elle en indiquait la véritable cause: la suspension des travaux. La bienfaisance publique et particulière ne suffisait pas pour soulager la détresse du peuple lyonnais; la fabrication était interrompue; le commerce d'exportation n'avait plus lieu; la plupart des ouvriers étaient sans ressources, et d'autant plus malheureux que la rareté des subsistances en avait augmenté la valeur. Longtemps ils avaient courageusement lutté contre les tentations du besoin; longtemps la ville avait été pure de délits contre la propriété; mais leur force morale était vaincue par la misère. Des rassemblements, en grande partie composés de femmes, se portèrent chez les épiciers, établirent une taxe arbitraire, et s'approprièrent les marchandises au prix qu'ils jugèrent à propos de fixer. Au premier désordre, la garde nationale s'était réunie : les hommes qui avaient marché en 1790 audevant des paysans dauphinois, avaient pris les armes contre les pillards de la ville; mais les Jacobins paralysèrent les mouvements de la force armée, et la municipalité, loin de recommander l'obéissance aux lois, enjoignit à tous les bataillons de se disperser. Pendant quatre jours entiers, les magasins d'épicerie et de droguerie furent dévastés régulièrement, avec un ordre méthodique, sous la direction de deux anciens comédiens, Michu et Sulpice Huguenin,

agents spéciaux de la commune de Paris. « Grâce à nous, disaient ces hommes, la ville de Lyon ne sera plus en retard sur celle de Paris; si la capitale a donné l'exemple des septembrisades, Lyon donnera celui du partage civique des biens nécessaires à l'existence animale du peuple. » En effet, le sucre, le café, l'huile, le savon, furent, pendant quatre jours, répartis entre les citoyens pauvres de la ville; la Commune intervint, non pour arrêter le pillage, mais pour le sanctionner, et, dans une proclamation placardée le 17 septembre, elle attribua «< ces malheureux événements au prix excessif des denrées indispensables à l'existence du peuple. » Une longue souffrance, héroïquement supportée, était sans doute une circonstance atténuante; mais impliquait-elle la nécessité du désordre? Les officiers municipaux, qui se mêlaient aux groupes pour faire observer loyalement l'égalité des droits dans le partage, avaient-ils oublié que la propriété était au nombre des droits imprescriptibles, formellement garantis par la Déclaration fondamentale?

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Quand les magasins furent à peu près vides, la municipalité fit afficher une taxe des comestibles ainsi conçue : « Le peuple souverain » de Lyon, lassé depuis longtemps du joug et de la tyrannie des ari>> stocrates monopoleurs;

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» Fatigué, depuis quatre ans surtout, des pertes qu'éprouve le papier-monnaie;

» Ce peuple n'ayant que ce papier-monnaie pour se procurer] tout >> ce dont il a besoin, les choses de première nécessité, et éprou» vant de la part des monopoleurs les injustices les plus atroces; » Étant obligé de payer avec ce papier-monnaie qu'il reçoit pour prix » de son travail et de sa sueur, comme s'il recevait du numéraire; » Étant obligé de payer ce qu'il achète presqu'une fois plus cher qu'auparavant;

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» A arrêté, pour mettre fin à l'oppression des monopoleurs, pour déjouer tous les traîtres de la liste-civile, qui sont encore dans l'enceinte de cette ville; pour pouvoir, en un mot, se procurer sa subsistance, sans être dans le cas d'employer ces moyens violents que

» nécessitent les calamités publiques venues à leurs périodes;

» A arrêté qu'il ne paierait les marchandises servant à ses besoins » journaliers, qu'aux prix suivants, savoir: etc., etc. (1) » Une recom

(1) Voir les pièces justificatives.

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