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Mais il n'en faut pas conclure qu'un voisin est toujours à temps de réduire le propriétaire limitrophe à l'étendue de terrain énoncée dans ses titres.

L'exercice du bornage ne va pas jusques là; et quand il est question de procéder à cette formalité, le propriétaire voisin est autorisé à étendre ses bornes jusques sur les objets qui lui sont acquis par la voie de la prescription AU DELA de ses titres. Exemple:

Vous avez provoqué contre moi un bornage de nos propriétés limitrophes.

Par la représentation de mes titres, appliqués à ma possession, il résulte que ma possession s'étend à vingt arpens au-delà: ce n'est pas une raison pour m'enlever ·ces vingt arpens; car la prescription tient aussi nature de titres; prescrire au-delà de son titre, et prescrire contre son titre, sont deux choses bien différentes. Le bornage doit être effectué sur les vingt arpens, comme s'ils étaient compris nominativement dans mes titres.

Mais cette prescription ne s'applique qu'à une portion de terrain susceptible d'une possession authentique, et qui excède cinq pieds, conformément à la loi quinque pedum. Cod. fin. regund. (Voyez Anticipation, Complainte.)

[[Le droit de faire borner des héritages est imprescriptible (1), les titres respectifs font la règle, à moins que par une prescription trentenaire l'un des voisins n'ait prescrit au-delà de ses titres; car si l'on ne peut prescrire contre son titre, c'est-à-dire changer la nature et l'origine de sa possession, on peut prescrire outre son titre et au-delà de son titre (2).

Pardessus, no 130.
Contrat de société, no 233. — Duparc-
Toullier, tom. 1, pag. 120.

(1) Toullier, tom. III, no 175. (2) Pothier, Appendice au Poullain, tom. vIII, pag. 28. dessus, no 124.

- Par

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Mais il faut que la possession soit bien caractérisée, -et qu'elle ne puisse être clandestine; c'est ce qui aurait lieu si elle était le résultat d'une légère anticipation commise soit en fauchant, soit en labourant; aussi la Cour royale de Paris a-t-elle jugé, par Arrêt du 28 février 1821, que le voisin qui possède par suite d'anticipation faite graduellement en labourant, est réputé posséder clandestinement, et qu'une telle possession ne peut servir de base à la prescription (1). Si cependant l'anticipation était tellement considérable qu'elle ne pût être ignorée du voisin, ou s'il y avait des bornes visibles, elle ne pourrait plus être réputée clandestine.

Mais, lorsque nonobstant l'accroissement de possession et de propriété acquis par la jouissance, on a consenti à ce que le bornage fut fait d'après les titres respectifs, peut-on revenir contre cette adhésion? nous ne le pensons pas; il est libre à chacun de renoncer à invoquer cette exception; cette dérogation aux titres respectifs, cette renonciation n'a pas besoin d'être expresse; il suffit qu'elle résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis, conformément à l'article 2221 du Code civil (2).

Il est bon d'ajouter qu'il importe peu qu'il existe des bornes anciennes ou des limites certaines; la prescription qu'on peut opposer contre des titres l'emporte sur des signes qui ne sont que des présomptions.

L'opération du bornage s'effectuant dans l'intérêt réciproque des parties, c'est par ce motif qu'elle doit avoir lieu à frais communs. ]]

La demande en bornage peut être formée par quiconque est en possession légitime, à autre titre néan

(1) Sirey, tom. xxi,

(2) Pardessus, no 125.

moins que celui de fermier; tel que l'emphitéote, l'usufruitier. Par la même raison, l'action en bornage peut être dirigée contre les détenteurs de cette classe, mais non contre le fermier.

Et même lorsque l'action en bornage est formée par un usufruitier et un emphitéote, ou contre eux, il est convenable de mettre en cause le propriétaire, afin de prévenir la réclamation qu'il pourrait faire un jour contre un bornage qui ne lui conviendrait pas, et dont il demanderait la rectification sous prétexte de collusion et d'intelligence.

[[ Elle peut être intentée non-seulement par le propriétaire, mais encore par toute personne qui possède pro suo, sans que le voisin puisse exiger la preuve de son droit de propriété; sa possession de fait le fait présumer propriétaire. Elle peut l'être par l'usufruitier qui a un droit réel sur la chose (1); mais il est prudent de mettre le propriétaire en cause, afin que le bornage soit contradictoire avec lui; autrement, à l'expiration de l'usufruit, il pourrait en demander un nouveau. M. Pardessus avait pensé, dans les premières éditions de son Traité des Servitudes, contre l'avis de Pothier et des auteurs qui ont écrit avant le Code, que l'usufruitier ne pouvait intenter cette action, parce que la disposition de l'article 646 ne lui donnait pas ce droit : « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage.» Mais il a reconnu enfin lui-même (2) que cette expression n'était pas limitative et qu'il fallait s'en référer à l'ancienne doctrine à laquelle le Code n'a pas dérogé.

A l'égard d'un simple fermier, comme il n'a aucun droit dans l'héritage, il est évident qu'il n'est pas partie

(1) L. 4, S 9, ff. Fin. regund.

(2) Traité des Servitudes, no 333 et la note.

capable pour former cette demande contre le voisin; it. peut se pourvoir contre son bailleur et conclure à ce qu'il soit tenu de faire cesser le trouble qu'il éprouve dans sa jouissance, de la part du voisin, en faisant borner l'héritage tenu à ferme.

Cette action de bornage, dit Pothier, qui ne tend qu'à conserver à chacune des parties l'intégrité de son héritage, peut être donnée par un tuteur de mineurs aussi bien que par des majeurs : « C'est un acte d'administration, dit M. Toullier, tom. III, n° 82, qui peut être fait par le tuteur, sans consulter le conseil de famille, sauf à prendre son avis sur les incidens que ferait naître une question de propriété. Cependant, d'après l'art. 464 du Code civil, le tuteur ne pouvant exercer en justice, sans autorisation préalable, aucune action relative à des droits immobiliers, et le bornage ayant ce caractère, nous pensons avec M. Pardessus (1), que l'autorisation préalable est nécessaire pour pouvoir exercer cette action.

L'article 646 du Code civil qui accorde à tout propriétaire le droit d'obliger son voisin au bornage de leurs. propriétés contiguës, ne renferme aucune exception. Si deux héritages sont séparés par la propriété d'un tiers, par un chemin, par une rivière navigable ou flottable, ou tout autre objet qui rentre dans le domaine public, il n'y a plus contiguité; mais un sentier privé, un ruisseau, un ravin dont l'emplacement fait partie des fonds qu'ils bordent ou qu'ils traversent, ne serviraient de limites qu'autant qu'ils seraient déclarés ou reconnus comme tels par les titres de l'une ou de l'autre des parties (2); mais en leur absence on ne peut se sous-,

(1) Traité des Servitudes, no 355.

(2) Pardessus, no 118.

traire à l'action tendante au bornage; la Cour de cas-. sation a consacré ces principes par Arrêt du 30 décembre 1818 (1).

Un propriétaire ne peut se refuser au bornage demandé par son voisin, en se fondant sur ce que les limites der son héritage sont déterminées par des haies vives, des épines de foi, ou des arbres anciens; c'est ce que la Cour de Cassation a décidé par Arrêt du 30 décem-. bre 1818, en cassant un arrêt de la Cour d'Amiens (2).› L'arrêt de cassation est ainsi conçu :

« Vu l'article 646 du Code civil: Considérant qu'on ne doit pas confondre la délimitation avec le bornage; que la délimitation ne sert qu'à indiquer la ligne sur laquelle doivent être placées les bornes, tandis que le bornage a pour objet de constater d'une manière immuable cette délimitation;

« Attendu que l'article 646 précité est conçu en termes généraux et veut que dans tous les cas, sans exception, les propriétaires puissent obliger les voisins au bornage, à frais communs, de leurs propriétés contiguës;

« Que cette disposition impérative de la loi est appli- › cable toutes les fois qu'il n'existe pas de bornes ayant un caractère usité;

« Qu'il suit delà, qu'en déclarant Lotte non recevable dans sa demande en bornage, par cela seul que les limites de l'héritage des frères Dupuis sont déterminées, par des haies vives, des épines de foi et un vieux orme,

(1) Sirey, tom. xix.

Vaudoré, tom. 1o, pag. 33. (2) Répertoire de la nouvelle Législation, par M. Favard de l'Anglade, v Servitude, sect. 2, § 2.

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