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Lorsque l'immeuble assujetti est hypothéqué, celui à qui la servitude est due peut-il refuser l'abandon?

Il est incontestable qu'il y serait fondé. Il en serait de même quand il n'y aurait qu'une partie de l'immeuble qui lui fut abandonnée; l'indivisibilité de l'hypothèque l'exposerait aux poursuites des créanciers tant qu'il n'aurait pas purgé leurs droits hypothécaires. Pour que l'on puisse user de la faculté de faire l'abandon, il faut que l'on en ait le droit; et que celui au profit duquel il a lieu, semblable à un acquéreur, ne coure aucun risque d'être troublé dans la propriété qui lui est transmise. Nous croyons cependant que si celui dont l'héritage est grevé de servitude, ne fournissant pas la preuve qu'il est libre de toute hypothèque, donnait caution, celui à qui la servitude est due ne pourrait refuser le délaissement. (Arg. de l'art. 1653) (1).

Il ne faut pas cependant étendre la faculté de refuser l'abandon, au cas où l'on alléguerait qu'il est plus onéreux que profitable à celui à qui il est fait.

Le droit d'user d'une servitude n'a été, en effet, acquis qué sous la condition que le grevé aurait la faculté de choisir entre l'exécution de la servitude et l'abandon de l'objet grèvé, et le créancier ne peut, sous le prétexte qu'il en éprouverait un tort réel, empêcher le débiteur de se libérer par l'un des modes que la loi laisse à son choix. ]]

4. Abandon de bestiaux pour cause de délits.

Lorsqu'un propriétaire est poursuivi en dommages et intérêts, pour raison de délits commis dans un champ voisin, par un ou plusieurs de ses bestiaux, la loi lui

(1) Traité des Servitudes, no 316.

fournit un moyen d'échapper à la condamnation, en abandonnant à la partie lésée l'animal qui a causé le dommage. C'est la disposition de la loi des douze tables (1) qui a été adoptée par le Code civil des Romains.

Si quadrupes pauperiem fecisse dicatur, actio ex lege duodecim tabularum descendit: qua lex voluit aut dari id quod nocuit, id est, id animal quod noxiam commisit, aut æstimationem noxia offerre. L. 13 ff. lib. 9.

Si un animal a causé du dommage, il y a une action qui descend de la loi des douze tables. Cette loi enjoint au maître, ou de livrer l'animal qui a fait le dommage, ou d'offrir le prix estimatif du dommage.

(1) La loi des douze tables. C'est un des plus précieux monumens de l'antiquité romaine : l'influence qu'il a conservée dans la législation moderne ne permet pas d'ignorer quelle fut l'origine de cette fameuse loi, et quelles en ont été les conséquences.

Vers l'an 300 de la fondation de Rome, il s'éleva de violentes altercations entre les Patriciens et les Tribuns,

Ceux-ci se plaignaient du défaut de lois précises, et de l'arbitraire des jugemens, qui tournaient toujours à l'avantage des nobles.

Ils demandaient à grands cris la confection d'un code civil et criminel, qui mit des bornes au pouvoir absolu des consuls, et qui servît de base aux tribunaux. Mais, en même temps, ils exigèrent que ce code fût arrêté dans l'assemblée du peuple, sur un projet rédigé par dix commissaires de la classe plébéienne.

Après plusieurs années de résistance de la part du sénat, un amendement pacifique vint rapprocher les deux ordres; ce fut de composer la commission des dia, mi-partie des membres de l'un et de l'autre ordre, en nombre égal.

Pendant que cette modification était au sénat l'objet d'une nouvelle discussion, voilà qu'elle fut écartée par un nouvel amendement que proposa Romilius.

Avant de disputer sur le choix des rédacteurs du Code, ne convenait-il pas de s'assurer d'avance des matériaux de ce Code? N'était-ce • pas là une occasion toute naturelle d'aller prendre des instructions « chez les nations étrangères qui étaient renommées par la sagesse de

[[La faculté laissée au maître de l'animal de réparer le dommage ou d'abandonner l'animal qui l'avait causé, n'avait pas lieu dans tous les cas; cette distinction est

leurs lois, afin de profiter de leur expérience, et d'enrichir le Code ⚫ romain de leurs conceptions heureuses? »

Il conclut donc à ce qu'on envoyât des députés en Grèce, et surtout à Athènes, pour y recueillir les lois les plus analogues à la constitution et aux mœurs de la république.

Cet avis ayant réuni l'universalité des suffrages, il fut consacré par un sénatusconsulte, confirmé en l'an 300 par le consentement unanime du peuple.

Cette même année, trois députés, nommés par le sénat, partirent pour leur destination.

Après un an d'absence ils revinrent à Rome avec un porte-feuille rempli des plus belles lois de la Grèce; et assurément ils se trouvaient placés dans la circonstance la plus favorable pour faire une pareille collection, puisque c'était l'époque brillante de l'administration de Périclès, et qu'alors Athènes était considérée comme l'école générale de la Grèce.

Le sénat n'ayant pas montré, au gré des tribuns, assez de vivacité pour la rédaction du nouveau code des lois, ceux-ci sollicitèrent et obtiprent l'établissement d'une commission de DIx citoyens pour faire le choix et l'arrangement des lois apportées de Grèce.

De plus, il fut arrêté que pendant la durée de cette commission toutes les autorités judiciaires, même celle des tribuns, seraient suspendues, et que leur pouvoir serait transféré à la commission des dix. Telle fut l'origine de ce décemvirat, si fameux par la catastrophe de Virginie, qui se rattache à l'histoire de la loi des douze tables.

Les décemvirs s'étant occupés promptement de la rédaction des lois confiées à leurs soins, ils les distribuèrent sur dix tables d'airain (*) quí furent exposées en public, afin que chacun pût les examiner à loisir ayant ensuite convoqué les comices par centuries en l'an 303, ces lois y furent adoptées aux acclamations générales.

Mais ces décemvirs, voulant proroger leur autorité, sollicitèrent la nomination d'un second décemvirat, sur le prétexte de donner la dernière main au Code qui avait besoin d'un supplément; et, effective

mais

(*) Sur dix tables d'airain.... Pomponius dit: tables d'ivoire, tabulas eboreas; on soupçonne que c'est une incorrection dans le texte, et qu'il faut lice areas an lien d'eboreas. En effet, à cette époque l'ivoire, bien loin d'être d'un usage habituel à Rome, n'y était pas même connu.

très-bien marquée au titre 9 des Institutes; on y rappelle la disposition de la loi des douze tables, et l'on ajoute : Hæc autem actio in iis quæ contra naturam moventur,

ment, ils rédigèrent deux tables additionnelles, ce qui porta le nombre à douze. Delà vient la dénomination de loi des douze tables, qui fut depuis le germe et la base de toute la législation romaine, et qui jouit de la plus haute vénération jusqu'à la chute de la république.

C'était la première lecture donnée dans les écoles, aux enfans, qui l'apprenaient de mémoire. C'était pour les jeunes gens le premier essai de la déclamation; Cicéron, en parlant des études de son enfance, dit: Discebamus pueri duodecim (tabulas).

Ces lois reçurent diverses dénominations. Jus priscum, Jus decemvirale, Lex antiqua, Jus civile; quelquefois la loi, sans aucune autre épithète ; c'est-à-dire, la loi par excellence; mais le nom le plus usité était Jus duodecim tabularum.

La considération de ce Code ne fit que s'accroître en traversant les siècles; quatre cents ans après on la regardait comme la source de tout droit public et privé (Tit.-Liv.) Cicéron l'élevait au-dessus de tout ce qui était sorti de la tête des philosophes. Fremant omnes licet; dicam quod sentio; bibliothecas, me hercule, omnium philosophorum uno duodecim tabularum libello, auctoritatis pondere et utilitatis ubertate superari. (De orat., lib. I, cap. 43). (Voyez Bouchaud, p. 166).

Les jurisconsultes romains se firent un devoir d'y puiser leurs décisions, et quand les empereurs du Bas-Empire voulaient appliquer à leurs lois un caractère sacré, ils ne manquaient pas de s'appuyer de l'autorité de la loi des douze tables.

Ce monument précieux s'est perdu sans qu'on puisse assigner le moment de sa disparition, mais il est certain qu'il y en avait encore des copies du temps de Justinien, à l'époque de la rédaction du Digeste, c'est-à-dire, dans le VIe siècle, mais aucune de ces copies n'a échappé aux injures du temps.

A la renaissance des lettres, des érudits se sont épuisés en efforts pour reconquérir la loi des douze tables à l'aide des lambeaux dispersés dans les auteurs du temps, et cette branche de la jurisprudence devint le foyer des recherches les plus profondes et les plus ingénieuses. Cujas, Joseph Scaliger, Juste Lipse, Antoine Augustin, François Hofman, Louis Le Charron, François Pithou, Paul Mensa, Vincent Gravina, Jacques Godefroy, se sont fait un grand nom par la sagacité de leurs recherches et le succès de leurs découvertes, soit pour rétablir des fragmens, soit pour les interpréter.

Ces fragmens, réunis par matière et tables, ont reproduit, sinon

locum habet, cæterum si genitatis sit feritas cessat actio; et, en effet, celui qui a éprouvé un dommage, bien loin d'être indemnisé par l'abandon d'un animal de cette espèce, aurait été exposé à souffrir encore de sa férocité. ]]

Conformément à cette loi, l'article 109 de la coutume de Melun porte:

«Si une bête est trouvée en dommage, le seigneur de la bête se racquitte en laissant la bête pour les dommages et intérêts, pourvu que ce ne soit garde «faite, auquel cas sont tenus de payer le dommage.

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[[ La coutume de Bretagne portait aussi, art. 640 : «Si les chevaux ou charrettes, ou autres choses méfai«saient, réparation en serait faite sur la valeur; et, au cas que ceux à qui sont les chevaux, charrettes ou «autres choses ne les voudraient laisser pour la répara<<tion du méfait, ils seraient tenus de réparer à la discré<«tion du juge. >>

Il y avait d'autres coutumes qui contenaient les mêmes dispositions.]]

Ce délaissement n'a lieu que pour le cas d'un dommage causé par une bête échappée, et contre le vœu du maître; ce qui arrive lorsqu'une bête est effarouchée ou piquée des mouches, pourvu que le gardien ait d'ailleurs fait tout ce qu'il pouvait pour la rappeler à lui.

Mais il en est autrement si la bête s'est introduite

la loi des douze tables elle-même, au moins une image de cette loi, aussi complète qu'il soit possible de le faire; c'est sur cette loi revivifiée que M. Bouchaud, membre de l'Institut, a publié en 1803 un commentaire en deux volumes in-4°, ouvrage estimable qui est de première nécessité pour tout jurisconsulte, et qui peut dispenser de tous les autres ouvrages faits sur cette matière. On le trouve à Paris, chez Warée oncle. Prix des deux vol. brochés, 25 fr., et reliés 30 fr.

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