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rieux orages de la mer, arrêta tout d'un coup la dernière ruine de ce Roi si présomptueux et si superbe, après lui avoir fait goûter à longs traits sa faiblesse, sa misère et son

néant. »

Tel est l'inévitable abîme où le pouvoir absolu conduit une nation. Le despotisme amènera la perte de l'empire par l'excès de la violence, ou la subversion de l'État, en détruisant tous ses appuis, en dépravant la morale publique, afin d'atteindre quelque objet de peu d'importance dans un intérêt particulier et momentané. Tous les moyens, toutes les manières de nuire aux hommes sont dans l'exercice comme dans l'essence du pouvoir absolu, de ce pouvoir qui, ne voulant pas être surveillé, ne pouvant pas être balancé, ne saurait être retenu que par des considérations passagères. Ainsi le sultan est, de loin en loin, informé par l'incendie d'un quartier de Constantinople, que tel de ses actes déplaît à la multitude. Chez nous, le mécontentement des opprimés s'exhalait en chansons légères dont la vapeur, quelquefois importune aux tyrans secondaires, produisait assez d'effet pour leur faire suspendre d'iniques concussions ou des guerres désastreuses. Toute puissance qui croit exister par elle seule, creuse son tombeau. Notre révolution a prouvé jusqu'à l'évidence combien était faux le système du gouvernement qui l'a précédée. Mais, comme si cette catastrophe ne suffisait pas pour instruire les princes autocrates, le monde retentit, de nos jours aussi, de la chute soudaine de cette vaste monarchie, qui, suivant l'expression d'un poëte, se présente partout où luit l'astre du jour, de l'Espagne, de cet empire gouverné par le favori tout puissant d'un souverain qui ne rend à ses sujets aucun compte des actes de sa politique ou de son administration.

Voilà deux exemples contemporains qui prouvent irrécusablement à quels extrêmes malheurs conduisent, soit la faiblesse ou l'incapacité de ces princes dont la puissance est indéfinie. Notre histoire montre également, et sous plusieurs règnes, qu'une action trop forte de la main qui tient les rênes de l'État, en compromet la destinée. Plus le despote se distin

guera par ses qualités, plus la nation sera plongée dans l'asservissement. Malheur, cent fois malheur à cette nation qui verra ses chaînes couvertes de fleurs, à laquelle on ne montrera que la gloire des conquêtes, quand les arts s'empresseront de la distraire par leurs brillantes frivolités! A cette époque où les dominateurs du monde se, passionnaient pour les spectacles, ils obéissaient à de vils affranchis. Périclès, Auguste, Louis XIV, Napoléon, ont agi l'un comme l'autre ; ils semblent s'être passé de main en main leurs instruments d'oppression.

Sans doute on a vu des princes absolus dignes d'être comptés parmi les bienfaiteurs de l'humanité. Mais combien ils furent rares, ceux qui joignirent à la noble passion de faire le bonheur de leurs semblables, une immuable volonté et de grands talents d'exécution, dont l'oreille se fermait à la flatterie, dont l'ame résistait aux séductions qui dépravent les sentiments généreux! Des trente-deux Capétiens qui ont gouverné la France pendant une période de huit siècles, il n'en est que deux pour lesquels un Français devrait réserver son estime tout entière, dont il doive bénir les travaux; parce qu'eux seuls furent véritablement grands, c'est-à-dire éminemment utiles à la nation, et qu'ils eurent la force, comme le desir, d'imposer à leur autorité des bornes qu'ils ne trouvaient pas dans les institutions. Possédant l'un et l'autre la plénitude de la puissance, ils aimèrent à ne se considérer que comme les représentants nés du peuple.

Ces deux Rois, seuls dignes de l'immortalité, Charles V (le Sage), Henri IV, ont trop long-temps resté bannis du souvenir des Français. Le culte qu'obtint enfin la mémoire du chef des Bourbons a pris naissance dans le poëme de Voltaire. Henri IV, dont on parlait à peine dans les années qui suivirent sa mort, et qui ne reçut, depuis l'érection de sa statue (en 1614), aucun hommage public, dont le nom même ne se prononçait pas à la cour de son petit-fils, sembla ressusciter, après un siècle, dans les cœurs français, alors qu'écrasés sous le poids d'un règne trop long de moitié, ils gémissaient sans espoir. Mais, alors même, leurs yeux, éblouis par les fausses lueurs du siècle, se portaient de préférence sur les hauts faits du

conquérant; ils ne rendaient qu'une imparfaite justice au Roi administratenr; et, quand ils avaient fait l'éloge de sa bonté, de sa valeur, de ses qualités sociales, ils croyaient cet éloge achevé. L'adversité nous le présente aujourd'hui sous un nouveau jour qui le grandit et l'élève encore; le héros ne perd rien de sa vaillance; le Français par excellence, de sa grâce native; l'homme généreux et compatissant est toujours aussi renommé pour ses actes de bonté privée ; et, de plus, il nous apparaît comme le bienfaiteur des sociétés, le modèle des souverains, l'instituteur des hommes d'État, l'ange tutélaire de la patrie.

Mais les Français oublient encore le nom de Charles V, qui répara sans bruit, avec une modération céleste et avec une si exquise habileté, tous les désastres de la France, réduite aux abois. Ses traits restent inconnus; tandis que les arts travaillèrent à l'envi pour transmettre l'effigie de Catherine de Médicis!

Puissent les malheurs dont nous avons été les auteurs, les témoins et les victimes, servir utilement à nos neveux! Notre expérience leur laissera des notions plus justes sur une foule d'objets dont dépend l'existence ou le bien-être des nations. Ils ne recueilleront pas du moins, de notre héritage, ces semences de désordre que nous apporta le gouvernement de Richelieu et de Louis XIV. Et, quoique des hommes intéressés à dénaturer le principe comme à rapprocher l'époque de notre révolution, prétendent qu'elle ne s'est annoncée que le jour où elle a frappé ses premiers coups, il est trop évident que ses germes, pleins de vie, avaient été semés par les siècles antérieurs. Dira-t-on que les flancs du Vésuve ne reçoivent le sonfre et le bitume qu'à l'instant où le cratère mugissant les répand en torrents enflammés? dira-t-on que ces mines qui soulèvent un vaste terrain et lancent au loin des débris prodi. gieux, ne sont chargées qu'au moment où l'étincelle en excite l'explosion? La génération d'un tel phénomène n'a pu s'improviser; et plus l'apparition est merveilleuse, plus long-temps elle a dû être préparée. Le pouvoir avait usurpé sans ménagement, depuis Henri IV; la raison, l'humanité, les passions,

si l'on veut, réclamèrent; on les rebuta toujours. L'occasion reparut; avec elle tous les sentiments généreux se ranimèrent; la raison elle-même s'indigna; les passions s'enflammèrent, et la force aveugle se vengea des résistances inconsidérées.

L'insurrection des idées était faite dès le temps où le sceptre de Louis XIV les comprimait avec une attention si jalouse, qu'elle allait jusqu'à la barbarie. Les solitaires de PortRoyal, si affreusement traités, avaient pour premiers torts, d'exercer la faculté du raisonnement et de fixer des limites à la crédulité, comme d'établir des règles pour le donte. On aperçoit dans Molière des traits qui montrent sur quels objets se serait élancé son génie, s'il lui avait été permis de franchir les limites hors desquelles il ne hasardait que des bonds modérés. Sans doute il y avait des esprits exercés à l'investigation, dans le monde intellectuel, à cette époque où La Bruyère croyait devoir à ses protecteurs des dissertations contre les esprits forts. Lorsque Descartes révélait sa philosophie, lorsque Montaigne doutait, lorsque Molière écrivait son Tartufe, ils préparaient la révolution de 1789.

Et, depuis Louis XIV, de quel ordre partirent les scandales qui révoltaient l'Europe? Ces généraux qui s'humiliaient aux pieds des courtisanes en titre, après les avoir produites sur une scène élevée de prostitution, sortaient-ils eux-mêmes de familles récemment obscures? Ces trois filles d'un régent, dont les déportements décolorent les tableaux de Suétone; ces deux indignes descendants du vainqueur de Rocroi, l'un, fuyant le premier du champ de Crévelt, où coulait à grands flots le sang français; l'autre exerçant sa meurtrière adresse sur des couvreurs où fut placé leur berceau ? était-ce sous un toit de chaume? Et ce cardinal, d'un nom illustre, trop habile négociateur d'une alliance infortunée, ne dut-il pas sa célébrité à de ténébreuses négociations? L'éclat de ce collier destiné à la Reine (en 1786), n'était-ce pas une étrange révélation faite à la multitude, une atteinte visiblement portée à la majesté de ce trône, que les ancêtres de ce prélat outragèrent quelquefois, à la vérité, mais par de plus nobles attentats ? Bientôt

après, un archevêque, un prince du Saint-Empire, un rejeton de cette même tige, s'unit à la populace de Liége contre le souverain de cet État (V. 18 août 1789, 12 janvier 1791). Le peuple, imitateur, n'a donc fait que suivre les traces des grands. Le Cordon-bleu qui protégeait Champfort, ou tel autre plébéien bel-esprit, et l'employait à chansonner des magistrats petits-maîtres, des prélats administrateurs profanes, pouvait-il compter sur la déférence d'un protégé qui sentait en lui-même des talents d'un ordre plus élevé? dut-il s'étonner lorsqu'il s'en vit abandonné? Oui, les courtisans de Versailles allumèrent eux-mêmes l'incendie qui dévora la France. Après avoir été les auxiliaires du peuple, les antagonistes du trône, ils ont vu le trône périr, et le peuple les immoler. A qui s'en prendront-ils? Les ordres privilégiés et les parlements commencèrent l'insurrection contre l'autorité royale; mais 'par des motifs exclusifs dont les intérêts de la nation fournissaient le prétexte.

L'histoire du siècle antérieur, c'est-à-dire du XVII siècle, quoique moins connue que celle du siècle de Louis XV, n'avait pu rester entièrement ignorée du vulgaire. Que lui présentaitelle? Les princes, les seigneurs, ayant Condé, Turenne à leur tête, osant, au plus léger mécontentement, attaquer et combattre le souverain, s'allier à l'étranger, exiger des indemnités, marchander leur soumission. Car les bourgeois de ces tempslà se livraient à de tout autres industries que celle des intrigues publiques. Leurs esprits n'enfantaient point de complots. Ils désiraient n'être ni trop humiliés, ni trop grevés d'impôts, pouvoir semer ou trafiquer en sûreté, et recueillir à moitié pour eux-mêmes.

Telles sont déja, sous Louis XIV, les dispositions du TiersÉtat, ou des trente-neuf quarantièmes de la nation. Fénélon, Vauban, Racine, se font en vain ses interprètes le premier est exilé, le dernier meurt du regret d'avoir déplu, le second conserve ses dignités, parce qu'on ne pourrait suppléer un talent d'autant plus nécessaire que l'oppresseur de la France et le fléau de l'Europe a plus besoin chaque année d'élever des bastions contre les étrangers et contre ses sujets; il lui faut

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