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Août 1. Un détachement de milice bourgeoise amène à Paris l'arsenal de Chantilly, où, entre autres objets, se trouvent vingt-sept pièces de canon, dont quelques-unes avaient été données au grand Condé, après la victoire de Rocroi, et deux au dernier prince de Condé, après la bataille de Johannisberg.-L'arrivée de ce convoi militaire, ainsi que la saisie de dix-sept canons trouvés à l'Isle-Adam, château du prince de Conti, fortifieront les défiances populaires qu'a produites une foule de brochures et d'affiches touchant les princes et les nobles qui ont abandonné la France.

4, 5. Séance mémorable, tenue la nuit, dans laquelle, sur la motion du vicomte de Noailles, sans délibération et par un mouvement d'ivresse philanthropique, on abolit, avec les droits féodaux et les justices seigneuriales, tous priviléges, franchises ou immunités de pays d'états, de villes, de communautés, d'individus; on supprime la vénalité des charges de justice; les annates et déports, comme les droits casuels des curés de campagne; on déclare rachetables les dîmes et redevances féodales on reconnaît que tous les Français sont également admissibles aux emplois civils et militaires; on interdit la pluralité des bénéfices et des pensions ecclésiastiques; on décrète la revision des pensions. L'étincelle électrique n'est pas plus rapide que ce mouvement patriotique. L'exaltation des opinions et des sentiments généreux est à son comble, et tient lieu d'examen, de discussions; tout ce qui est offert est reçu; soit que l'offre vienne du possesseur ou de celui qui envie la possession. Et dans ce violent tumulte, l'évêque de Chartres demande l'abolition du droit de chasse ; un noble d'épée, celle de la vénalité des offices de judicature; un homme de loi, celle des justices seigneuriales. Toutes les motions sont adoptées par acclamation, aussitôt qu'énoncées, et suivies d'un torrent de renonciations. Toutes les dépouilles des classes privilégiées sont confusément jetées sur l'autel de la patrie; et sur les débris de tant d'intérêts immolés, on ne distingue que l'ardeur à fournir des holocaustes. Une espèce d'inspiration surnaturelle semble commander aux préjugés invétérés. Chacun les abandonne, dans l'espoir de régénérer l'état, de rétablir les finances, de mettre un terme à la disette du jour, d'appaiser les troubles et de satisfaire l'énergique impatience de la nation qui réclame la liberté pleine et entière, et une forme précise et constante de gouvernement.

Cette détermination unanime de l'assemblée nationale, mais si précipitamment amenée, en détruisant d'un seul coup tous les abus', doit entraîner les plus graves désordres et conduire à d'injustifiables

excès. Une transaction entre des partis politiques ne saurait être solide qu'autant que chaque contractant voit ses sacrifices compensés, ou du moins réduits dans de certaines limites. L'Angleterre, la Suède, sont deux exemples très-frappants de cette nécessité, ou de cette convenance. Chez nous, les classes privilégiées ont déja fait voir une majorité généreuse renonçant à ces prérogatives reconnues nuisibles, mais qu'une ancienne possession et l'état de la société avaient consacrées (V. 23 mai et 27 juin). Cette majorité cède sans effort, comme sans hypocrisie, à l'impulsion du siècle. Il ne s'agirait donc que d'attendre un très-petit nombre d'années, pour amener de grands biens sans mélange. Mais d'autres hommes, trop fougueux défenseurs des droits généraux, ardents et ambitieux tribuns, refusent d'admettre le temps comme élement de la réformation sociale; ils abattent l'édifice avant d'avoir formé le plan de reconstruction. De ces hommes, si les uns sont séduits par des considérations abstraites, d'autres nourrissent de perfides intentions ou d'ignobles ressentiments; et tous n'obtiennent une première concession, que pour en demander une seconde, en exiger une troisième, en prescrire une quatrième. Ils procèdent avec une jalouse fureur au renversement de toutes les institutions; ils détruisent tous les appuis de la morale, de l'ordre public; ils ébranlent le respect dù à la propriété, en attaquant sans ménagement toutes les anciennes propriétés. Et, pour tous ces maux qu'ils déversent à-la-fois sur la France, ils ne présentent d'autres palliatifs que des théories, des conceptions métaphysiques. En prononçant les mots de liberté, d'égalité, ils croient en avoir établi l'usage.

Cependant la nation applaudit avec transport. L'excuse de cette nation ne peut se trouver que dans son ignorance des moyens d'amener la felicité publique; ignorance qu'entretinrent avec un soin si attentif et un si malheureux succès, pendant un siècle et demi, les ministres des deux prédécesseurs de Louis XVI, et qui lui ont légué les funestes résultats de leur systême de gouvernement. A mesure que les lumières se propageaient, ils redoublaient d'efforts pour soutenir les abus, ils reproduisaient les actes du pouvoir absolu. Aussi l'inconsidération qui doit caractériser les députés de la nation, pendant tout le cours de cette session, est déja profondément marquée dans cette nuit du 4 au 5 août.

Août 12. Décret.

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Suppression de la dime ecclésiastique sans rachat. Ce décret est en contradiction avec le décret du 4. Il établit une disposition injuste, en dépouillant d'une propriété ceux

et

qui en jouissent depuis plusieurs siècles, et cela sans leur assigner d'indemnités; inconsidérée, en abandonnant ce tribut à ceux qui le doivent; inutile à l'état qui devait puiser d'abondantes ressources dans le rachat. Ainsi les premiers pas de l'assemblée nationale dans la route de la liberté, sont des injustices perdues pour la nation, contagieuses pour l'avenir. Le peuple, voyant supprimer soudainement, ce que jusque alors il a respecté, perdra toute pudeur, en se livrant à l'impétuosité des passions qui lui seront inspirées. Dèslors les provinces offriront le plus affligeant spectacle; le pillage des titres seigneuriaux; l'incendie de beaucoup de châteaux, de plusieurs abbayes, et, aussi, de quelques manufactures ; des meurtres fréquemment renouvelés et souillés de barbaries; des dévastations qui accableront le revenu public comme celui des particuliers. Les moyens de répression seront sans force; car les institutions judiciaires qui pourraient contenir les malfaiteurs, sont livrées à la déconsidération, au mépris même des classes inférieures.

Août 18. Insurrection démocratique à Liège, qui chasse le princeévêque, et s'empare du gouvernement. Les factieux se donneront une constitution. Ils appelleront à leur tête, le prince Ferdinand de Rohan, archevêque de Cambrai, qui ne craindra pas l'índignation de l'Europe, en répondant à leurs desirs (V. 12 janvier 1791).

23. Décret qui proclame que, « nul homme ne doit être in« quiété dans ses opinions, même religieuses; pourvu que leur ma<< nifestation ne trouble pas l'ordre public, établi par la loi. »

24. Décret qui reconnaît que la liberté indéfinie de la presse est un des droits inaliénables de l'homme.

Septembre 9. Décret.

manence.

chambre.

L'assemblée nationale déclare sa per

10. Décret portant que le corps législatif ne sera composé que d'une Très-peu de députés conçoivent les inconvénients de cette disposition. On ne saurait en citer que cinq ou six dont l'opinion paraisse arrêtée sur ce point essentiel : Lally-Tollendal, Dupont de Nemours, Mounier, Malouet, Cazalès. Le premier a vainement, dans un discours aussi profond qu'éloquent, développé tous les avantagés qui résultent d'une monarchie constituée avec deux chambres législatives. Tous ces Français qui veulent un gouvernement représentatif, sont tellement dans l'ignorance, à l'égard de la distribution des pouvoirs, que ce discours est écouté avec défaveur, interrompu par de bruyants murmures. Trop peu de membres du tiers-état, savent, qu'en concentrant en eux seuls, toute l'autorité

des états-généraux avec l'autorité royale, qu'en s'étant constitués assemblée unique, ils ont ouvert la porte au despotisme de la démocratie, qui, s'il n'est pas le plus durable de tous les despotismes, en est le plus terrible, à cause de l'infixité de ses agents et de la continuelle mobilité de ses caprices.

Aussi-bien ce parti nombreux, qui est populaire, mais qui n'est point la faction démagogique, qui n'a point de coupables ou d'ambitieux desseins, ce parti s'irrite de plus en plus contre les nobles qui se séparent de plus en plus des intérêts généraux. Il repousse cet élément de stabilité, parce qu'il n'envisage que la conduite actuelle de ceux qui seraient appelés à la chambre haute. Les priviléges et les prétentions de la noblesse ont profondément blessé la nation. Quelque avantageuse que pût être la perspective d'institutions analogues aux institutions qui régissent nos voisins d'outre-mer, les Français refuseraient l'établissement d'une magistrature patricienne. L'aversion est générale. On repousserait même un sénat semblable à celui des États-Unis, dont les membres sont renouvelés de six en six ans. Aussi l'assemblée nationale ne balance pas à se décider pour une seule chambre. Organisant la societé à contre-sens, elle réunit le pouvoir législatif et divise le pouvoir exécutif.

Septembre 12. Décret qui fixe à deux ans, la durée de chaque législature.

20. Le roi adopte les décrets du 4-5 août. S'abandonnant au systême de ses conseillers secrets, qui consiste à le faire regarder comme en état de contrainte, Louis XVI a résolu de sanctionner indistinctement tous les décrets de l'assemblée nationale. Il y mêle cependant quelques observations que les factieux interpréteront, de manière à s'en faire contre lui un moyen de préparer un mouvement populaire.

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Octobre 1o, 2. Les gardes-du-corps, et les officiers du régiment de Flandre, se donnent des fêtes à Versailles. La cocarde nationale est insultée. L'exaltation des convives, accrue à l'apparition de la reine, amène des scènes indiscrètes dont la relation exagérée produit audehors, et sur-tout à Paris, une impression des plus fâcheuses. Les orateurs des rues, les pamphlétaires démagogues y trouvent de nouveaux prétextes pour exciter un soulèvement. Et, certes, il fallait bien mépriser les dispositions du peuple et les défiances qui agitent tous les esprits, pour hasarder de semblables fêtes. On voit, à cha que circonstance de cette première époque de la révolution, le

parti de la cour irriter la fureur de ses ennemis, et ne savoir jamais les combattre.

JOURNÉES DES 5 ET 6 OCTOBRE.

5, 6. Le peuple de Paris est, depuis quelques mois, en proie à des souffrances qu'il supporte de plus en plus impatiemment. Les assassinats commis en juillet, les scènes aussi tumultueuses que fréquentes, excitées par les motionnaires du Palais-Royal, par les harangueurs des faubourgs, ont éloigné beaucoup de familles opulentes. Le peuple est privé de leur secours, des aumônes du clergé, et de travail; il se procure difficilement un pain de mauvaise qualité et très-cher, malgré l'abondance de la récolte nouvelle; et, soit que cette disette provienne d'une mesure préméditée ou d'une autre cause, elle contribue beaucoup à augmenter la fermentation. Le bas peuple encouragé dans ses desirs d'indépendance, agité de l'esprit novateur du temps, aigri par les annonces des mesures défensives de la cour, ainsi que par les bravades et les tentatives toujours moins heureuses des partisans de l'ancien régime, entraîné par les déclamations les plus violentes contre toutes les institutions, le bas peuple se soulève au même instant et comme d'un seul effort. Tout ce que les boues des faubourgs St. Antoine et St. Marceau peuvent receler d'impur: tout ce que les galetas et les égoûts des quartiers voisins de la Grève peuvent vomir de plus vil, de plus obscur, de plus crapuleux, se précipite à l'Hôtel-de-Ville, demandant du pain et la mort des aristocrates, exigeant du conseil municipal qu'on marche sur Versailles. Aussitôt, dans la matinée, des troupes d'ouvriers, bizarrement armés et mêlés à des femmes, la lie de leur sexe, en prennent la route. Toute la journée, Paris jette sur Versailles des masses de prolétaires furieux et déguenillés. - La garde nationale se met en marche avant la nuit, ayant à sa tête son commandant en chef.

Quelles qu'aient pu être les erreurs systématiques de la Fayette, ou l'impropriété de quelques-unes de ses démarches antérieures; quoi qu'il en soit, de l'espoir qu'il entretient aujourd'hui, lorsqu'il promet de contenir les malveillants, d'après l'idée qu'il s'est faite de l'importance de ses attributions, de la réalité de ses forces, ainsi que de la magie de sa popularité; on ne saurait s'empêcher de reconnaître dans sa conduite l'intention de prévenir les attentats et de garantir la personne du roi.

Pendant que les premiers flots de la populace parisienne arrivent

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