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à la grande avenue de Versailles, Louis XVI plongé dans la sécurité, malgré le nombre infini d'indices qui lui sont parvenus depuis plusieurs jours et la veille même, prend le divertissement de la chasse aux environs de Meudon. Il revient, et se hâte d'ordonner à ses gardes et à d'autres corps rangés en avant du château, de se replier dans les cours ou de se retirer dans leurs quartiers. Ces dispositions encouragent la multitude. Les gardes-du- corps assaillis par elle, reçoivent ordre de ne pas se défendre, et dix à douze d'entre eux (suivant la relation la plus modérée) sont tués, massacrés, mis en pièces.

La Fayette arrive vers dix heures du soir. Il dispose des postes à l'extérieur du château; les commandants des gardes-du-corps se refusant à partager les postes de l'intérieur, soit par dévouement ou parce que l'ordre du service autour du roi leur semble une étiquette inviolable. Tout paraît tranquille; on se livre au repos avec confiance.

Quelques scélérats d'élite veillent seuls. Des guides travestis les introduisent avant le jour dans le château. Ils s'y répandent en proférant des imprécations contre la reine. Deux gardes-du-corps, en faction près de son appartement (Varicourt, d'Assas) sont égorgés, la résistance de quelques autres lui laisse le temps de se dérober à demi-vêtue au poignard des assassins qui parviennent jusqu'à son lit. A ce tumulte, la garde de Paris accourt, et, avec une ardeur digne du souvenir de la postérité, elle repousse les émissaires du crime. Mais cette multitude, qui est restée audehors, ne consent à retourner aux lieux d'où, elle fut amenée, qu'après avoir entendu le roi, promettre du balcon de la cour de marbre, d'aller, ce jour même, fixer sa résidence à Paris. Aussitôt cette abjecte populace fait retentir les airs de ses acclamations et commence à s'éloigner; mais emportant, comme trophées de son expédition, les têtes sanglantes des deux défenseurs de la

reine.

Il est pénible de ne pouvoir pas douter que le duc d'Orléans et Mirabeau (le comte) soient au nombre des instigateurs de cette nuit pleine d'horreurs. L'empressement que, pendant une année entière, ce dernier mettra à prévenir, émousser, détourner l'instruction judiciaire qu'un reste de pudeur aura contraint la majorité de l'assemblée nationale à permettre; les étranges allégations de cet homme perdu d'honneur; ses injures, ses menaces à la tribune; la rédaction si confuse de l'apologie dressée par le rapporteur du comité nommé à cet effet; les témoignages de plusieurs centaines de témoins, qui

tous ne peuvent être mus par un même esprit de parti ou de vengeance aveugle; la faiblesse des mémoires publiés en faveur du prince infâme qu'on verra commettre un régicide plus froidement médité; tout enfin prouve, atteste que ni l'un ni l'autre ne furent étrangers, ni à l'attentat des 5 et 6 octobre, ni aux mouvements qui se tramaient visiblement à Paris, depuis le commencement de septembre. On ne peut pas douter davantage, que les dominateurs de l'assemblée nationale n'aient favorisé des projets qui forceraient le roi à transférer le siége du gouvernement. On observa que, pendant cette nuit, les gardes nationaux de Paris parvinrent très-difficilement à se procurer du pain; tandis qu'à l'aube du 6, la foule regorgea de subsistances.

Le roi avec toute sa famille, se met en route à une heure après midi. Il est harangué par le maire Bailly, qui ne craint pas de lui dire, que si Henri IV autrefois avait conquis son peuple, le peuple en ce jour a conquis son roi. Louis XVI descend à l'Hôtel-de-Ville; il est salué par des acclamations universelles. — A minuit, il se retire aux Tuileries, résidence abandonnée, depuis la minorité de Louis XV. Monsieur ( Louis XVIII) se retire au Luxembourg.

Paris offre déja l'apparence du calme. Le 5, la disette y était ; le 7, l'abondance y regnera.

Octobre 6. Formation à Paris du club des amis de la constitution, appelé plus tard club des Jacobins; club dont l'influence amènera les calamités des années suivantes. Il est une dérivation du club breton, formé d'abord à Versailles par des curés de la Bretagne. Il tient ses séances dans ce même couvent des jacobins, rue Saint-Honoré, où s'étaient tenues les assemblées de la sainte ligue, assemblées composées de prêtres invitant au régicide, et des plus méprisables factieux.

14. Le duc d'Orléans, universellement regardé comme le principal moteur ou l'instrument le plus dégradé des forfaits des 5 et 6 octobre, se rend en Angleterre. On ignore s'il cède à sa pusillanimité naturelle, ou bien à des insinuations faites au nom du roi, dont il n'ose encore méconnaître l'autorité. Il part chargé des plus graves inculpations, et paraissant chargé d'une mission de confiance.

19. L'assemblée nationale tient sa première séance à l'Archevêché de Paris. L'assemblée constituante, dit madame de Stael, transportée à Paris par la force armée, se trouva, à quelques égards, « dans la situation du roi lui-même; elle ne jouit plus entièrement

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de sa liberté. Le 5 et le 6 octobre furent, pour ainsi dire, les miers jours de l'avènement des jacobins; la révolution changea d'objet et de sphère; ce n'était plus la liberté, mais l'égalité qui « en devenait le but; et la classe inférieure de la société commença, dès ce jour, à prendre de l'ascendant sur celle qui est appelée par ■ ses lumières à gouverner. Mounier et Lally quittèrent l'assemblée « et la France. Une juste indignation leur fait commettre cette er« reur; il en résulta que le parti modéré fut sans force. Le vertueux « Malouet et un orateur tout à-la-fois brillant et sérieux, M. de Clermont-Tonnerre, essayèrent de le soutenir; mais on ne vit plus « de débats qu'entre les opinions extrêmes. L'assemblée constituante avait été maîtresse du sort de la France, depuis le 14 juillet jus« qu'au 5 octobre; mais, à dater de cette dernière époque, c'est la «force populaire qui l'a dominée..... La révolution devait descendre toujours plus bas, chaque fois que les classes les plus élevées lais« saient échapper les rênes, soit par leur manque de sagesse, soit < par leur manque d'habileté. »

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Octobre 21. Loi martiale contre les attroupements jugés dangereux. A toute proclamation de la loi, le canon d'alarme sera tiré et un drapeau rouge flottera sur la maison commune, comme un signa] fait aux attroupements de se dissiper. En cas de désobéissance, le magistrat sommera par trois fois le rassemblement de se séparer; et le dissipera par la force s'il se refuse à cette triple sommation.

21. Arrêté des représentants de la commune de Paris portant établissement d'un comité des recherches. Il se compose de six membres: Agier, Oudart, Perron, Lacretelle ( aîné) Garran de Coulon, Brissot. Ce comité est le modèle de ces institutions inquisitoriales qui désoleront les citoyens au nom de la liberté. Les grandes villes donneront le spectacle d'officiers de police municipale exerçant sans lois, les fonctions les plus redoutables que la tyrannie ait jamais confiées à ses agents. Tel est le caractère des factions, qui ne brisent le joug que pour l'imposer elles-mêmes: ainsi se vérifie ce fait consigné dans chaque page de l'histoire; qu'à l'ardeur de l'indépendance extrême succède infailliblement le despotisme, et que trèspeu, infiniment peu d'hommes ont le sentiment de la liberté.

Novembre 2. Décret rendu sur une motion primitive de l'évêque d'Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, qui met à l'entière disposition de la nation, toutes les propriétés et tous les revenus ecclésiastiques : 568 voix pour; 346 contre; 40 nulles. · L'évêque d'Autun est ce personnage qu'on retrouvera dans les princi22 Octubre - Defect in man

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pales phases de la révolution, croissant et décroissant comme elles, et célèbre enfin à force de variations politiques (V. la Table des ma

tières).

Novembre 9. L'assemblée nationale siège au manège des Tuileries, situé sur l'emplacement qu'occupent les maisons n° 36 et 38 de la rue de Rivoli.

Décembre 3. Mort de Vernet, peintre célèbre de marine à l'âge de soixante-quinze ans; son fils et son petit-fils Carle, Horace, héritiers de son talent qu'ils appliquent à d'autres genres de peinture, renouvellent l'illustration de ce nom.

19. Décret qui ordonne la vente de domaines, soit de la couronne au choix du roi, et autres que les forêts, ou de domaines ecclésiastiques pour la valeur de 400 millions; et qui crée 400-millions d'assignats territoriaux, papier-monnaie destiné à être reçu en paiement desdits domaines nationaux.

23. Mort de l'abbé de l'Epée, âgé de 72 ans. - La mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité vivra aussi long-temps qu'il existera des hommes auxquels la nature aura refusé le sens de l'ouïe. Seul, sans appui et sans secours, il forma et soutint, pendant plusieurs années, l'établissement destiné à l'éducation des sourds-muets. Il ne put obtenir du gouvernement français l'adoption de cet établissement, qui faisait l'admiration de l'Europe, et que plusieurs souverains avaient imité. Aucune compagnie savante n'admit de l'Epée dans son sein. Décembre 24. Décret qui rend les non-catholiques admissibles à tous emplois civils et militaires.

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26. Monsieur (Louis XVIII), frère du roi, se rend à l'Hôtel-deVille de Paris. Il désavoue les bruits répandus à l'égard de ses relations avec le marquis de Favras, récemment arrêté comme prévenu de complots tendant à renverser les nouvelles institutions. — « Mes«<sieurs (dit le prince à l'assemblée générale des représentants de la « commune), le desir de repousser une calomnie atroce m'appelle auprès de vous..... Vous n'attendez pas, sans doute, que je « m'abaisse jusqu'à me justifier de crimes aussi bas......... Quant à « mes opinions personnelles, j'en parlerai avec confiance à mes concitoyens. Depuis le jour où, dans la seconde assemblée des notables, « je me déclarai sur la question fondamentale qui divisait les esprits น (V. 12 décembre 1788), je n'ai pas cessé de croire qu'une grande « révolution était prête; que le roi, par ses intentions, ses vertus et « son rang suprême, devait en être le chef, puisqu'elle ne pouvait « être avantageuse à la nation sans l'être également au monarque ;

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« enfin, que l'autorité royale devait être le rempart de la liberté na«tionale, et la liberté nationale la base de l'autorité royale. Que l'on cite une seule de mes actions, un seul de mes discours qui ait démenti ces principes, qui ait montré que, dans quelques cir⚫ constances où j'aie été placé, le bonheur du roi, celui du peuple, « aient cessé d'être l'unique objet de mes pensées et de mes vues: jusques-là, j'ai le droit d'être cru sur ma parole. Je n'ai jamais <changé de sentiments et de principes, et je n'en changerai jamais. ».

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1790.

Janvier 15. Décret portant division du territoire en 83 départetements, dont chacun sera subdivisé en districts; chaque district le sera en cantons; chaque canton en municipalités :

21. Décret qui abolit la confiscation des biens des condamnés, dans tous les cas.

25. Décret contre le préjugé qui entache les familles des criminels. 26. Décret qui défend à tout membre de l'assemblée nationale, d'accepter aucune place ou don du gouvernement. Ce décret absurde, constitue le corps législatif en état permanent d'hostilité avec le pouvoir exécutif. Mirabeau réclame vainement, et ne peut même obtenir que les ministres assistent aux délibérations de l'assemblée, si on leur interdit d'en être membres.

Février 4. Le roi se rend près de l'assemblée nationale. Il promet de défendre la liberté constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le sien, a consacré le principe. Chaque député jure d'étre fidèle à la nation, à la loi, au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l'assemblée nationale, et acceptée par le roi.

C'est précisément à cette époque où les opinions devraient s'adoucir, les dissentiments perdre de leur violence, que les folliculaires et les harangueurs de la démagogie redoublent leurs invectives contre l'autorité, le caractère et la famille du monarque; que les menaces des partisans de l'ancien régime se produisent à la cour avec une plus vaine ostentation.

13. Décret rendu, suivant la rédaction de l'abbé de Montesquiou, qui interdit les vœux monastiques.

19. Le marquis de Favras (V. 26 décembre 1789), reconnu coupable de haute trahison, par le châtelet de Paris, à la majorité de 28 voix sur 38, est exécuté en place de Grève avec un appareil ex

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