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Aucune de ces considérations n'est rappelée lors qu'on défend la cause du maréchal Ney. On l'engage dans les plus obscurs détours judiciaires. On le contraint de se défendre pied à pied, dans le chaos des législations. L'intrépide guerrier ne comprend rien à cette manière de se battre. Le héros de la Moskowa, comme le héros de Rocroy, n'est grand qu'un jour de bataille. Laissé à sa seule impulsion, sans doute, il eût adressé aux juges les mêmes paroles que le duc de Montmorenci fit entendre : J'ai failli, eh bien! je dédaigne de chicaner ma vie. Alors le brave des braves n'eût

pas cessé d'être lui-même.

On lui a suggéré de se laisser défendre comme le vulgaire des criminels. Un praticien, vieilli dans les formules paralogistiques du droit, prononce, devant la cour de Paris, un plaidoyer dont les subterfuges sont des atteintes aussi réelles à l'honneur qu'à la cause du maréchal.

Laissant le fait trop évident de sa défection, ne pouvait-on représenter que, depuis 25 ans, tous les principes d'ordre social ont été méconnus ou contestés; que tous les devoirs, jusqu'à ceux de l'enfance, ont été violés dans les temps de discorde; que,très-peu de citoyens sont restés fidèles aux dogmes de la morale? Comment, après 20 serments qui s'entre-détruisaient, la religion du serment se serait-elle conservée? Les divers gouvernements avaient trop bien réussi à fausser les esprits. En 1815, les apostats de toutes les croyances politiques sont innombrables.

La postérité croira-t-elle ce récit qui lui montrera Fouché dit de Nantes, siégeant au conseil de l'autorité royale, et désignant ceux qui abjurèrent leurs serments à la royauté, et qui doivent être portés sur la liste du 24 juillet? Quoi! demandera-t-elle, est-ce le même Fouché qui, aux Tuileries même, vota la mort de Louis XVI; ce jacobin effréné, l'un des plus atroces délégués de la convention, spoliateur des familles, couvrant Lyon de ruines et de sang, y mitraillant des femmes, des enfants, et se mettant en défiance des larmes du repentir? Fouché, inventeur des coups-d'état du directoire, artisan de conspirations sous le gouvernement consulaire, fervent adorateur de l'idole impériale, le fourbe de tous les temps, le fourbe des fourbes; c'est lui qui lève le glaive de la justice nationale sur un guerrier dont mille faits héroïques consacrent la célébrité, et qui, peut-être, ne faillit que par impétuosité?

Ney est soldat, n'est que soldat. Pour ce soldat, les formes de l'autorité du dedans, ne sont que de légers accidents du terrain.

Ayant, de son bivouac, vu passer dix gouvernements, il se persuade trop aisément, en 1815, que les tableaux de cette mouvante optique changeront encore. Il s'est toujours battu pour le sol qui le vit naitre. Ses pénates, voilà ses dieux; il n'en connaît point d'autre, e tout étranger qui s'avance en armes, est son ennemi. Ainsi le c nonnier meurt sur sa pièce; ainsi le lierre reste adhérent à sa tig favorite.

Ney a promis de tenir arboré le drapeau blanc ; mais on lui di que le drapeau blanc ne flotte plus qu'au-delà des frontières; mais il est entouré de 10,000 braves qui triomphèrent sous le drapear tricolore, que les plus glorieux exploits attachent à ce drapea Ne se figure-t-on pas le vertige qu'amène la plus brillante des illsions? Et, dans cet instant décisif, nul conseil ne défend le tra vaillant maréchal des souvenirs qui l'assiégent, et détruisent, pièc à pièce, l'œuvre de sa primitive résolution, tandis que les sugge tions les plus déliées viennent l'enlacer. Jeté sur le Rubicon, il s'e croit encore loin lorsqu'il touche à la rive fatale.

Les destins ont prononcé à Waterloo. Mais celui qui ne conne l'étranger qu'en apprenant à le vaincre, n'ira pas, exilé volontaire. lui demander l'eau et le feu. S'il fuyait sa patrie, il se mépriserait lui-même sans calmer ses remords. Il reste au centre de la France, absorbé dans sa douleur, et se livrant à la destinée qui le protége tant de fois. Il est pris, jugé, exécuté. —Puisse la France n'aver pas à déplorer la mort de Ney, comme au 16° siècle elle déplorab disgrace du connétable de Bourbon!

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Décembre 20. Loi qui rétablit les jurisdictions prévótales.

Il sera établi dans chaque département une cour prévôtale. Les cours prévôtales seront composées de cinq juges civils, pris parmi les membres des tribunaux de première instance, et d'u prévôt, pris parmi les officiers, ayant le grade de colonel au moins. Les fonctions du ministère public seront exercées par le procereur du roi ou par l'un des substituts. Les cours prévôtales connaîtront des crimes qui étaient attribués aux cours spéciales, par le code d'instruction criminelle, et de tous désordres commis par des vagabonds, gens sans aveu, criminels déja jugés, des crimes de rebellion à force armée, de contrebande armée, de fausse monnaie, des assassinats lorsqu'ils auront été préparés par attroupe ments armés, etc. L'interrogatoire du prévenu aura lieu dans les 24 heures; l'information, l'audition des témoins, se feron! dans le plus court délai. - La cour prévôtale déclare sa propre com

pétence. Le ministère public pourra, dans les dix jours de ce jugement, se pourvoir contre, par-devant la cour royale, chambre d'accusation. Si cette dernière cour réforme le jugement, elle renverra la cause et les parties à une autre cour prévótale de son ressort, qui procèdera immédiatement au jugement définitif. — Dans le cas où la cour prévôtale se déclarerait compétente, le jugement de compétence sera envoyé immédiatement au procureur-général, qui sera tenu, toute affaire cessante, de le soumettre à la délibération de la cour royale, pour qu'elle statue définitivement, sans recours en cassation. Les arrêts des cours prévôtales seront ren

dus en dernier ressort et sans recours en cassation. Ils seront exécutés dans les 24 heures, à moins que le condamné ne soit recommandé à la commisération du roi. Cette loi cessera d'avoir son effet, à la fin de la session de 1817, si elle n'y est pas renouvelée.

Cette loi qui livre à cinq juges subalternes, dont les fonctions se bornèrent toujours aux matières civiles ou correctionnelles, la vie des citoyens, l'honneur des familles ; qui met à leur merci, la tranquillité des cités et des campagnes; qui donne des armes terribles et d'un effet si prompt; cette loi est adoptée dans la chambre des députés, à la majorité de 290 voix contre 13, et, quoiqu'elle contienne 57 articles, les débats n'auront duré que six heures, en deux séances. L'ardeur de la plupart des députés à prévenir la renaissance des troubles, l'exagération de leurs craintes, leur font précipiter la discussion. A peine daignent-ils entendre les observations de quelques-uns de leurs collégues, mieux instruits en jurisprudence, observateurs plus froids des symptômes qui peuvent apparaître, appréciateurs plus éclairés des moyens de répression qu'il conviendrait d'adopter, et sur-tout moins passionnés dans leur zèle. La voix des députés Royer-Collard, de Serre, est perdue dans les bruyantes clameurs d'une fougueuse majorité.

Dès qu'en jurisprudence on admet des tribunaux extraordinaires; qu'ils s'appellent révolutionnaires, comme en 1793 (V. 11 mars), spéciaux, comme en 1801 (V. 5 février), cours prévôtales comme en 1815, on confond les règles, on dénature les principes. A diverses époques de la monarchie, ainsi que durant la révolution, lorsque les gouvernements ont voulu s'assurer des sentences dans des procès politiques, ils ont eu recours à des commissions extraordinaires. C'est cependant pour les causes extraordinaires que les magistrats ont été plus spécialement institués. Le lord Erskine, plaidant dans une cause célèbre où il s'agissait d'un attentat contre la personne

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même du roi d'Angleterre ( Georges III), disait que, loin qu'aux époques d'agitations et de passions politiques, il faille supprimer ou abréger les formes que la justice a destinées à la protection des accusés; c'est alors, au contraire, qu'il faudrait y ajouter, s'il était possible, pour garantir des plus déplorables surprises, des magistrats que tout expose alors à être circonvenus et jetés dans l'égare

ment.

Décembre 27. Ordonnance du roi, concernant la garde-nationale. Tous les officiers sont à la nomination du roi. — Il y aura des inspecteurs dans chaque département. Le prince colonel – général, (Monsieur, comte d'Artois), se concertera avec le ministre de l'intérieur, pour faire les réglements et instructions que l'on soumettra au roi. Dans les departements, le préfet et l'inspecteur se concerteront pour régler le service ordinaire, diriger l'instruction et la discipline; en cas de dissentiment, le préfet en référera au ministre, et l'inspecteur au prince.

Cette ordonnance si contraire à l'essence, à la nature de l'institution primitive des gardes-nationales constitutionnelles, est due à la pernicieuse influence du ministre de l'intérieur Vaublanc, aujourd'hui desirant amener l'extension démesurée de la prérogative royale, après en avoir été l'antagoniste très-inconsidéré (V. 9, 29 novembre 1791) 1816.

Janvier 2. Ukase ou édit de l'empereur Alexandre, expulsant les Jésuites de ses états. Sectaires toujours offensifs, à peine quelques membres de cette affiliation réprouvée avec éclat par toute la catholicité, au 18 siècle, sont admis dans l'empire russe, qu'ils apportent la désunion dans les familles et troublent l'action du gouvernement. Les motifs qui déterminent leur renvoi sont aussi graves que ceux qui décidèrent le parlement de Paris (V. 7 août 1814) L'ukase porte : « .... Ils ont détourné de notre culte

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« des jeunes gens dont l'éducation leur avait été confiée, ainsi que quelques femmes d'un esprit faible et inconsidéré, et leur ont fait adopter leur croyance.......... Exciter un homme à abjurer sa foi, la foi de ses pères, détruire en lui l'amour de ceux qui pro⚫ fessent la même religion, en faire un étranger à son pays, semer « la discorde et l'animosité dans les familles, détacher le frère da frère, le fils du père et la fille de la mère; amener des divisions

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« parmi les enfants de la même famille, est-ce là la volonté de Dieu et de son divin fils, J.-C., notre sauveur ?

... Nous ne

« sommes plus surpris que l'ordre de ces religieux ait été éloigné de << tous les pays, et qu'il ne soit toléré nulle part. Quel est, en effet,

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l'état qui pourrait souffrir dans son sein, ceux qui répandent la « haine et le trouble?................

Janvier 12. LOI D'AMNISTIE.

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Art. 1er. Amnistie pleine et entière est accordée à tous ceux qui, directement ou indirectement, ont pris part à la rebellion et à l'usurpation de Napoléon Bonaparte, sauf les exceptions ci-après. 2. L'ordonnance du 24 juillet 1815, continuera à être exécutée à l'égard des individus compris dans l'article premier de cette ordonnance. 3. Le roi pourra, dans l'espace de deux mois, à dater de la promulgation de la présente loi, éloigner de la France ceux des individus compris dans l'article 2 de ladite ordonnance, qu'il y maintiendra et qui n'auraient pas été traduits devant les tribunaux. Dans ce cas ils sortiront de France, dans le délai qui leur sera fixé, et n'y rentreront pas sans l'autorisation expresse de S. M.; le tout, sous peine de déportation. Le roi pourra pareillement les priver de leurs biens et pensions à eux concédés, à titre gratuit. 4. Les ascendants et descendants de Napoléon Bonaparte, ses oncles et ses tantes, ses neveux et ses nièces, ses frères, leurs femmes et leurs descendants, ses sœurs et leurs maris, sont exclus du royaume, à perpétuité, et sont tenus d'en sortir dans le délai d'un mois, sous la peine portée par l'article 91 du code pénal, (la mort). Ils ne pourront y jouir d'aucuns droits civils, y posséder aucuns biens, titres, .pensions à eux accordés à titre gratuit; et ils seront tenus de vendre dans le délai de six mois, les biens de toute nature, qu'ils posséderaient à titre onéreux. 5. La présente amnistie n'est point applicable aux personnes contre lesquelles ont été dirigées des poursuites, ou sont intervenus des jugements avant la promulgation de la présente loi; les poursuites seront continuées, et les jugements seront exécutés conformément aux lois. - 6. Ne sont point compris dans la présente amnistie, les crimes ou délits contre les particuliers, à quelque époque qu'ils aient été commis; les personnes qui s'en seraient rendues coupables, pourront être poursuivies conformément aux lois. 7. Ceux des régicides qui, au mépris d'une clémence presque sans bornes, ont voté pour l'acte additionnel (V. 22 avril 1815), ont accepté des fonctions ou emplois de l'usurpateur, et qui, par-là, se sont déclarés ennemis irréconciliables de la France et du gouvernement légitime, sont exclus à perpétuité du royaume, et sont tenus d'en sortir dans le délai d'un mois, sous la peine portée par l'article 33 du code pénal ( la

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