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TITRE IV.

Des Servitudes ou Services fonciers.

Décrété le 10 pluviôse an xi (31 janvier 1804); - Promulgué le 20 du même mois (10 février).

[ARTICLES 637 à 710.]

EXPOSÉ DES MOTIFS, par M. le Conseiller-d'Etat BERLIER.
Séance du 29 nivóse an X11 (20 janvier 1804).

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Ainsi diverses causes peuvent concourir à l'assujétissement d'un fonds originairement franc; ainsi à côté de la liberté des héritages se placent les servitudes ou services fonciers, dont nous venons vous entretenir aujourd'hui.

Il ne s'agit point ici de ces prééminences d'un fonds sur l'autre, qui prirent naissance dans le régime à jamais aboli des fiefs.

Il ne s'agit pas non plus de services imposés à la personne et en faveur d'une personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds.

Dans ce travail, le gouvernement n'a point aspiré à la création d'un systême nouveau : en respectant les usages autant qu'il était possible, il a rapproché et concilié les règles de la matière; et malgré son extrême désir d'établir l'uniformité dans cette partie de la législation comme dans les autres, il y a quelquefois renoncé quand des différences locales la repoussaient invinciblement.

Pour vous mettre, législateurs, à même d'apprécier ce travail, je ne m'astreindrai point à justifier en détail chacun de ses nombreux ar

ticles.

Tout ce qu'un usage constant et conforme aux règles de la justice a consacré depuis des siècles, n'a pas besoin d'être motivé, et notre projet compte bien peu de dispositions qui ne soient dans ce cas.

Je me bornerai donc à vous offrir quelques notions générales de l'ordre qui a été suivi dans la rédaction de ce projet, et des vues qui y ont présidé.

ART. 639.-Les servitudes se divisent en trois classes: les unes dérivent de la situation des lieux, les autres sont établies par la loi; la troisième espèce s'établit par le fait de

l'homme.

Les deux premières classes ont quelque affinité entre elles; la troisième en est essentiellement distincte: mais comme elles ont chacune un caractère et des effets qui leur sont propres, je vais les examiner séparément et dans l'ordre qui leur est assigné par le projet de loi.

Des servitudes qui dérivent de la situation des lieux.

ART. 640. Les eaux se placent au premier rang des servitudes de cette espèce. C'est par la nature des choses que les fonds inférieurs sont assujétis à recevoir les eaux qui découlent des héritages supérieurs; ainsi le propriétaire d'un héritage inférieur ne peut se soustraire à cette servitude, qui est une charge tracée par la nature elle-même.

De son côté le propriétaire de l'héritage supérieur ne peut aggraver la servitude, ni changer le cours des eaux d'une manière qui porte dommage à l'héritage inférieur.

Ces règles sont fondées, d'une part, sur la nécessité, et de l'autre, sur l'équité. Mais la question des eaux se présente aussi sous un autre rapport.

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ART. 642. Mais si pendant plus de trente ans ce propriétaire a laissé aux eaux de sa source un cours à l'occasion duquel le propriétaire de l'héritage inférieur ait fait des travaux apparents, dans la vue d'user de ses eaux, et qu'en cet état celui-ci en ait acquis la possession trentenaire, cette possession ainsi caractérisée a semblé suffisante pour établir les droits de l'héritage inférieur.

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Dans cette espèce les rôles changent; et c'est l'héritage supérieur qui est assujéti envers l'héritage inférieur à respecter une possession qui, accompagnée d'actes patents et spéciaux, peut être considérée comme la suite d'arrangements passés entre les deux propriétaires ou leurs auteurs.

ART. 643. Hors ce cas et celui où l'utilité publique ou communale réclame l'usage d'une source, le propriétaire en a l'absolue disposition, de manière toutefois qu'il n'aggrave point la condition de ses voisins.

Tels sont les principes que notre projet pose sur la matière des eaux, en y ajoutant quelques règles sur l'usage que peuvent tirer des eaux courantes, les propriétés qui les bordent...

i Toutes ces décisions sont conformes à la raison et à la justice.

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ART. 646.- Mais si les eaux et leur cours tiennent le premier rang parmi les servitudes naturelles il en est d'autres que la situation des lieux entraine aussi évidemment. Tels sont en certains cas les clôtures et le bornage. Aola vérité quelques auteurs, en ne conen ne considérant me servitude que les devoirs susceptibles d'un exercice journalier, ou du moins périodique, ont pensé que ce qui avait teaiaux actions que nous examinons, let

notamment au bornage, n'était que la matière d'un réglement entre voisins.

Mais en mettant à l'écart toute dispute de mots, si le bornage est un devoir réciproque de tout propriétaire rural envers son voisin qui le réclame, cette règle se place naturel

lement ici.

J'ai parlé des servitudes qui dérivent de la situation des lieux; je passe à celles qui sont établies par la loi.

Des servitudes établies par la loi.

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ART. 650. Je dirai peu de chose des servitudes qui sont en certains cas établies pour l'utilité publique ou communale.

Un chemin est-il à faire, un édifice public est-il à construire; la propriété particulière cède, moyennant indemnité, au besoin gé néral.

Ce principe exprimé déjà au titre de la propriété, n'est rappelé ici que pour le conplément du tableau.

Mais cette espèce de servitude, qui, planant sur tous les fonds, en atteint par intervalles quelques-uns et en absorbe plusieurs, peut n'être considérée que comme accidentelle, et, malgré son importance, ne tenir ici qu'une place secondaire.

ART. 651. C'est sous ce point de vue que notre projet la considère; il n'en parle que transitoirement, et s'occupe spécialement des servitudes qui, de leur nature se raitachant à l'état habituel des propriétés particulières entre elles, ont leurs effets réglés par la loi, indépendamment de la volonté particulière, et nonobstant toute opposition dont l'un voudrait user envers l'autre.

ART. 652. -Cette classe ode servitudes se divise elle-même en un fort grand nombre d'espèces : la mitoyenneté des murs, la distance requise pour certaines constructions, ou le contre-mur, les vues sur la propriété du voisin, légoût des toits, et le droit de passage.

Peu de mots sur chacune de ces servitudes suffiront pour faire connaître l'organisation qui leur est propre.

L'une des plus importantes sans doute est la mitoyenneté des murs, dont nos principales coutumes se sont occupées avec beaucoup d'étendue...

ART. 653. Le droit romain a bien aussi de nombreux textés relatifs au mur commun;

mais cette source n'était point en cette occasion la meilleure; car les maisons de Rome, bâties sans continuité entre elles ( ainsi que nous l'apprennent les lois mêmes de ce peuple, où elles sont ordinairement désignées sous le nom d'iles, insula), ne pouvaient donner lieu entre voisins aux mêmes difficultés que chez nous, ou du moins ces difficultés devaienty être bien rares.

Les dispositions de nos coutumes sur le mur mitoyen, nées de nos besoius, et de la forme même de nos habitations nous offraient un guide plus sûr et plus adapté à notre situation.

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Le projet les a donc suivies, et les a puisées surtout dans la coutume de Paris, avec laquelle la plupart des autres s'accordent, et qui même est devenue en plusieurs points la base de la jurisprudence des pays de droit écrit.

Une assez grave divergence pourtant existait entre quelques parties du territoire français, et notamment entre les pays coutumiers et ceux de droit écrit, non sur les effets de la mitoyenneté une fois acquise, mais sur le mode même de l'acquérir.

Dans une partie de la république, la mitoyenneté ne s'acquérait et ne s'acquiert encore aujourd'hui que par le concours de deux volontés; il ne suffit pas que l'une des parties veuille l'acquérir, il faut que l'autre y consente : c'est un contrat ordinaire ; et si le voisin refuse, à quelque prix que ce soit, de donner part à son mur, celui qui désire la mitoyenneté est tenu d'y renoncer, et de bâtir sur son fonds un mur, qui lui reste en totalité.

ART. 661. Dans beaucoup d'autres contrées, et notamment dans le vaste ressort de la coutume de Paris, suivie sur ce point par un grand nombre d'autres, l'acquisition de la de la mitoyenneté s'opère par la disposition de la loi, et sous la seule obligation de rembourser la moitié de la valeur du mur et du sol.

Cette règle est celle que nous avons suivie, comme la seule propre à prévenir des refus dictés par l'humeur ou le caprice, souvent contre l'intérêt même de celui à qui la mitoyenneté est demandée, et toujours contre les devoirs du bon voisinage,

Ainsi la mitoyenneté des murs est justement classée parmi les servitudes légales; autrement elle eût appartenu aux servitudes conventionnelles,

Je ne parlerai point de la manière dont le

projet règle les effets et les droits de la mitoyenneté des murs, neté des murs, ainsi que les caractères auxquels devra se reconnaître la mitoyenneté des fossés et des haies.

En établissant à ce sujet un droit commun, on l'a fondé sur nos habitudes et sur les usages reçus le plus universellement.

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ART. 671. Mais la conciliation des usages a été jugée impossible lorsqu'il a été question des plantations limitrophes, ou du moins il n'a pas été permis de les assujétir à une mesure commune et uniforme.

Les principes généraux, déduits de la seule équité, iudiquent suffisamment sans doute que le droit de tout propriétaire cesse là où commencerait un préjudice pour son voisin; mais cette primitive donnée, commune à toutes les parties du territoire, n'écarte point la difficulté que nous venons d'indiquer. En effet, à quelle distance de l'héritage voisin sera-t-il permis de planter des arbres de haute tige, ou autres? Sera-ce à un ou deux mètres pour les premiers, à un demi-mètre pour les seconds? et la fixation précise d'une distance quelconque est-elle compatible avec la variété des cultures et du sol, sur un territoire aussi étendu que celui de la république ?

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Pour ne rien retrancher du légitime exercice de la propriété, mais pour ne pas blesser non plus les droits du voisinage, il a donc fallu se borner à n'indiquer sur ce point, et par voie de disposition générale, une distance commune, qu'en l'absence de réglements et usages locaux.

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ART. 674. Il n'a pas été moins nécessaire de renvoyer à ces réglements et usages tout ce qui se rapporte aux contre-murs, ou, à défaut de contre-murs, aux distances prescrites pour certaines constructions que l'on voudrait faire près d'un mur voisin, mitoyen ou non.

En effet, la loi ne saurait prescrire l'emploi de tels ou tels matériaux qui n'existent pas également partout; ici se trouve la pierre de taille, là il n'y a que de la brique, et pourtant ces éléments sont la vraie, l'unique mesure des obligations ultérieures; car mon voisin, s'il veut construire une chéminée, une forge ou un fourneau, ne peut néanmoins mettre ma propriété en danger, elle y sera selon qu'il emploiera tels matériaux au lieu de tels autres, ou que, selon la nature de mes constructions, il en rapprochera plus ou moins les siennes.

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Il a donc fallu encore s'en rapporter sur ce

point aux réglements et usages locaux, et renoncer par nécessité, au bénéfice de l'uniformité dans une matière qui ne la comportait pas. Au surplus cet obstacle n'existe pas pour les autres servitudes légales que nous avons encore à examiner; savoir, les vues, l'égoût, et le droit de passage.

ART. 675. Les servitudes de vues ou jours tiennent un rang assez importaut dans cette

matière.

On ne peut, en mur mitoyen, prendre des vues ou jours sur son voisin, autrement que par convention expresse : c'est une règle qui n'a jamais été contestée. Mais il s'agit plus spécialement ici de déterminer jusqu'à quel point l'exercice de la propriété peut être gêné, inême en mur propre; et c'est sous ce rapport que l'incapacité d'ouvrir des vues ou des jours sur son voisin, peut et doit être considérée comme une servitude établie par la loi.

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ART. 676. Ainsi l'on ne peut, même dans son propre mur s'il est immédiatement contigu à l'héritage d'autrui, pratiquer des ouvertures ou prendre des jours sur le propriétaire voisin que sous les conditions que la loi impose.

Cette modification du droit de propriété n'a pas besoin d'être justifiée; l'ordre public ne permet pas qu'en usant de sa propriété, on puisse alarmer les autres sur la leur.

C'est dans ces vues que le projet indique les hauteurs auxquelles les fenêtres doivent être posées au-dessus du sol ou du plancher, avec les distinctions propres au rez-de-chaussée et aux étages supérieurs.

Quelques voix avaient sur ce point réclamé des modifications pour les habitations champêtres; mais une mesure commune et modérément établie, a semblé devoir régir indistinctement les habitations des campagnes comme celles des villes , parce que l'ordre public veille également pour les unes et pour les autres.

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dans l'intérêt de celle d'autrui, est aussi une servitude légale; et d'ailleurs la cohérence de cette disposition avec les précédentes ne permettait pas de la placer ailleurs.

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ART. 682. Enfin le projet traite du droit de passage dû au propriétaire d'un fonds enclavé et sans issue.

Cette servitude dérive tout--la-fois et de la nécessité et de la loi; car l'intérêt général ne permet pas qu'il y ait des fonds mis hors du domaine des hommes, et frappés d'inertie, ou condamnés à l'inculture, parce qu'il faudra pour y arriver traverser l'héritage d'autrui. ART. 684. Seulement, en ce cas, le propriétaire qui fournit le passage doit être indemnisé, et celui qui le prend doit en user de la manière qui portera le moins de dommage à l'autre.

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Législateurs, je viens d'indiquer rapidement les diverses espèces de servitudes légales comprises au chapitre II du projet de loi.

De cette dénomination servitudes légales ou établies par la loi, il ne faut pas au surplus conclure qu'il ne puisse y être apporté des dérogations ou modifications par la volonté de l'homme, mais seulement qu'elles agissent, en l'absence de toute convention, par la nature des choses et l'autorité de la loi.

Je passe à la troisième classe de servitudes dont traite le projet de loi.

Des servitudes établies par le fait de l'homme.

On appelle ainsi toutes servitudes qui dérivent, ou d'une convention formelle, où d'une possession suffisante pour faire présumer un accord, ou de la destination du père de famille.

ART. 692, 693.- La destination du père de famille équivaut à titre quand il est prouvé que deux fonds actuellement divisés ont appartenu à la même personne, et que c'est par elle que les choses ont été mises dans l'état d'où résulte la servitude.

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Dans ce dernier cas, rien n'assure, rien ne peut même faire légalement présumer que le propriétaire voisin ait eu une suffisante connaissance d'actes souvent fort équivoques, et dont la preuve est dès-lors inadmissible.

La preuve de la possession trentenaire sera donc recevable dans la première espèce; mais mulle preuve de possession, même immémoriale, ne sera admise dans la seconde.

Cette décision, conforme à la justice et favorable à la propriété, est l'une des plus importantes du projet, et mérite d'autant plus d'attention, qu'elle n'était pas universellement admise dans le dernier état de la jurisprudence.

Nulle part on n'avait pu méconnaître la différence essentielle qui existe entre ces diverses espèces de servitudes; mais tout ce qui en était résulté dans quelques ressorts, c'est qu'au lieu de la possession trentenaire, on exigeait, à défaut de titres, la possession immémoriale, pour l'acquisition des servitudes discontinues.

De graves auteurs, et notamment Dumoulin, avaient adopté cette opinion: mais qu'est-ce qu'une possession immemoriale pouvait ajouter ici, et quelle confiance pouvaient mériter, audelà de trente ans, les mêmes faits, les mêmes actes que l'on avouait être équivoques et non concluants pendant cette première et longue série d'années?

En rejetant cette possession immémoriale, notre projet a donc fait une chose qui, bonne

en soi, s'accordera aussi avec les vues générales de notre nouvelle législation en matière: de prescription : la plus longue doit être limitée à trente ans; ct les actes qui ne prescrivent pas par ce laps de temps peuvent bien être considérés comme de nature à ne prescrire jamais.

ART. 706.

Il me reste peu de choses à dire sur le surplus du projet. Il traite des droits et devoirs respectifs des propriétaires d'héritages, dout l'un doit une servitude à l'autre ; et les règles prises à ce sujet dans l'équité et l'usage ne pouvaient présenter ni embarras, ni incertitude. Rien d'ardu ni de grave ne s'offrait d'ailleurs dans la partie du travail. qui exprime comment s'éteignent les servitudes établies par le fait de l'homme. ART. 705. Le non-usage pendant trente ans, qui en fait présumer l'abandon ou la remise, et la réunion dans les mêmes mains, du fonds qui doit la servitude, et de celui à qui elle est due; telles sont les causes d'extinction, auxquelles il peut s'en joindre accidentellement une troisième, lorsque le fonds qui doit la servitude n'est plus en état de la fournir.

ART. 686. Au surplus, le but essentiel de toute la partie du projet relative aux servitudes qui s'établissent par le fait de l'homme a été de les protéger, mais de les circonscrire dans les limites précises de leur établissement : ainsi le voulait la faveur due à la liberté des héritages et à la franchise des propriétés.

Législateurs, j'ai parcouru, et plutôt indiqué que discuté, tous les points du projet de loi relatifs aux servitudes ou services fonciers.

Sa sagesse n'échappera point à vos lumières. Vous n'y trouverez que peu de dispositions nouvelles, et vous remarquerez dans toutes ses parties la circonspection avec laquelle, en faisant disparaitre quelques nuances divers usages, on a néanmoins respecté les habitudes générales, et même quelquefois les habitudes locales, quand des motifs supérieurs en ont imposé le devoir.

entre

Sous tous les rapports qui viennent d'être examinés, le gouvernement a pensé que ce projet de loi obtiendrait de vous la sanction qui lui est nécessaire pour occuper dans le Code civil la place qui l'y attend.

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