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TITRE VII.

De l'Echange.

Décrété le 16 ventôse an xII (7 mars 1804); Fromulgué le 26 du même mois (17 mars 1804).

[ARTICLES 1702 à 1707.]

EXPOSÉ DES MOTIFS, par M. le Conseiller-d'État BIGOT DE PRÉAMENÉU,

LÉGISLATEURS,

Séance du 28 ventóse an X11 (28 février 1804).

Le plus ancien des contrats est l'échange. Si l'imagination pouvait se figurer les temps où le droit de propriété n'était pas encore établi, on verrait les hommes se prêtant des secours mutuels, l'un aidant l'autre de sa force lorsque l'autre l'aidait de son adresse, et faisant ainsi l'échange des avantages qu'ils avaient recus de la nature.

Le droit de propriété ayant attribué à chacun exclusivement le produit de son travail, et la civilisation ayant multiplié avec les besoins les divers genres d'ouvrages, aucun n'a pu embrasser tous ces divers genres de travaux pour

fournir à tous ses besoins : sans l'échange, le droit de propriété eût été en vain établi; c'est à l'échange qu'il faut attribuer et les premiers degrés et les progrès de la civilisation.

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La multiplicité toujours croissante des échanges a fait rechercher les moyens de les rendre plus faciles telle a été l'origine des monnaies, que tous les peuples ont prises pour un signe représentatif de la valeur de tous les travaux et de toutes les choses qui peuvent étre dans le commerce.

Les métaux qui servent de monnaie peuvent aussi être un objet direct d'échange, parce qu'ils ont par eux-mêmes une valeur intrinsèque fondée sur l'emploi qu'on en fait en bijoux ou en meubles, et encore plus sur le besoin qu'en ont tous les peuples pour en faire leurs monnaies. Lorsqu'à ce titre, et revê us des empreintes qui servent de garantie au public, ils sont mis en circulation, on les considère moins comme marchandise que comme

signe représentatif des valeurs et comme instrument d'échange; et les transports de propriété qui se fout ainsi pour de la monnaie ont été, dès les temps les plus reculés, déșignés par lé nom de ventes.

Les échanges faits par le moyen des monnaies et distingués sous le nom de vente parurent aux législateurs romains d'une telle importance pour l'ordre social, qu'ils mirent le contrat de vente dans la classe des contrats nommés à l'exécution desquels la loi contraignait les parties, et ils laissèrent les échanges au nombre des contrats consensuels, des simples pactes, dont l'exécution fut d'abord livrée à la bonne foi des contractants, et pour lesquels il n'y eut ensuite, pendant plusieurs siècles, d'action civile que quand ils avaient été exécutés par l'une des parties.

Ces divers effets donnés par la jurisprudence romaine à la vente et à l'échange, ont fixé l'attention sur les différences dans la nature de ces deux contrats. Ces différences ne sont point essentielles, puisque des deux sectes entre lesquelles se divisaient les jurisconsultes, celle des Sabiniens soutenait que l'échange était un vrai contrat de vente. Il fut reconnu par la loi première, ff. de contrah. emptione, que l'échange ne doit point être confondu avec la vente; que dans l'échange on ne peut pas distinguer celle des choses échangées, qui est le prix de celle qui est marchandise: au lieu que dans la vente, celui qui livre la marchandise est toujours, sous le nom de vendeur, distingué de celui qui ne livrant que la monnaie ou le prix pécuniaire, est appelé acheteur.

uter

Aliud est pretium, aliud merx, quòd in permu- | peut pas être effectiveulent remplacé par une somme d'argent. tatione discerni non potest uter emptor, venditor sit. L. 1, ff. de contrah. empt.,

La vente et l'échange ne diffèrent pas seulement dans leur dénomination; ces contrats ont encore quelques effets qui ne sont pas les mêmes.

Dans l'une et l'autre, les deux contractants sont obligés de livrer une chose; mais dans l'exécution de cet engagement il y a une différence entre la vente et l'échange. Dans la vente celui qui achète doit livrer le prix consistant en une somme d'argent et cette obligation a les effets suivants :

Le premier, que toute chose pouvant se convertir en argent, il suffit qu'il soit possible à l'acheteur d'en réaliser le prix en vendant lui-même tout ce qu'il possède, pour que l'acheteur ait le droit de l'y contraindre. Le second effet est que la propriété de ce prix est transférée au vendeur par le seul fait du paiement, sans qu'il reste exposé à aucune éviction. Emptor nummos venditori facere cogitur. L. 11, §. 2 ff. act. vend.

De son côté, le vendeur doit aussi livrer la chose vendue; mais lorsque c'est un corps certain et déterminé; il est possible que la propriété en soit avec fondement réclamée par une tierce personne; le vendeur doit alors être garant, et l'obligation de transmettre cette propriété ne pouvant plus s'accomplir, il est tenu par l'effet de la garantie de restituer le prix, de rembourser les frais et de payer les dommages et intérêts.

ART. 1704. Il est donc juste que si l'un des copermutants a déjà reçu la chose à lui donnée en échange, et s'il prouve ensuite que l'autre contractant n'est pas propriétaire de cette chose, il ne puisse être forcé à livrer celle qu'il a promise en contre-échange, mais seulement à rendre celle qu'il a reçue. Il est également juste que celui qui est évincé de la chose qu'il a reçue en échange, ait le choix de conclure à des dommages et intérêts, ou de répéter sa chose.

ART. 1706. La rescision pour cause de

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lésion a été admise dans le contrat de vente d'immeubles en faveur du vendeur. Il était nécessaire de maintenir une règle dictée, par des sentiments d'humanité; c'est le moyen d'empêcher que la cupidité n'abuse du besoin, qui, le plus souvent, force le vendeur à ces aliénations.

Ce genre de réclamation n'a point été admis au profit de l'acheteur : c'est toujours volontairement qu'il contracte. S'il donne un prix plus considérable que la valeur réelle, on peut présumer que c'est par des considérations de convenance que lui seul pouvait apprécier; qu'ainsi le contrat doit à cet égard faire la loi.

Les motifs qui ont fait rejeter, à l'égard de l'acheteur, l'action en rescision de vente d'immeubles pour cause de lésion, l'ont aussi fait exclure dans le contrat d'échange. Il est également l'effet de la volonté libre et de la Dans l'échange, il s'agit d'objets mobiliers convenance des copermutants. Chacun d'eux ou immobiliers qui sont à livrer de part et est d'ailleurs à-la-fois vendeur et acquéreur. d'autres; chaque contractant ne peut donc Il y aurait donc contradiction, si dans le conaussi être contraint de livrer la chose menie trat d'échange l'action dont il s'agit était addont il n'est pas propriétaire, et d'en main-mise lorsque dans le contrat de vente elle tenir la possession s'il l'a livrée. Mais alors quelle est l'espèce de garantie que l'équité peut admettre?

L'objet déterminé, qui n'a été promis ou livré que pour un autre objet déterminé, ne

n'a point été accordée à l'acheteur.

Telles sont les observations particulières dont le contrat d'échange est susceptible: on doit d'ailleurs lui appliquer toutes les règles prescrites par le contrat de vente.

TITRE VIII.

Du Contrat de Louage.

Décrété le 16 ventôse an xII (7 mars 1804); - Promulgué le 26 du même mois (17 mars 1804). [ARTICLES 1708 à 1831.]

EXPOSÉ DES MOTIFS par M. le Conseiller-d'État GALLI.

LÉGISLATEURS,

Séance du 9 ventóse an X11 (29 février 1804).

Le gouvernement vous a présenté, pour être converti en loi, le titre vi de la vente. Celui de louage, que l'on vous présente aujourd'hui, lui ressemble beaucoup, et la différence qu'il y a entre eux n'empêche pas qu'ils aient aussi de grands rapports.

Le premier contrat que firent les hommes fut celui de l'échange (1).

Le second fut celui de la vente: Origo emendi vendendique à permutationibus cœpit, dit le texte dans la loi première, ff. de Contrahend. empt.

C'est par l'invention de la monnaie que l'usage de la vente s'est introduit (2). Or, il est probable que le contrat de louage a suivi immédiatement celui de la vente.

Les anciens jurisconsultes locationem sæpe venditionem appellârunt et conductorem, emptorem ; et cela propter vicinitatem emptionis et locationis c'est, entre autres, Cujas qui nous l'observe (3).

De là il résulte que plusieurs règles sont communes à l'un et à l'autre des deux contrats.

Nous en avons un exemple dans la loi xxxIx, ff. de Pactis, ibi: veteribus placet pactionem obscuram vel ambiguam venditori, et qui locavit, nocere. En voici la raison : parce qu'il est au pouvoir, soit du vendeur, soit du locateur, legem apertius con scribere (4).

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Le contrat de louage doit être envisagé comme très-utile à l'agriculture. Tel a une métairie qui depuis quelque temps est fort dégradée; tel autre, un héritage qui pourrait être amélioré par des canaux, par des applanissements, tel pourrait en augmenter les revenus au moyen de quelques défrichements ou d'autres variations: mais comment pourrait-il se livrer à ces travaux, s'il n'a pas de fonds suffisants? Un contrat de louage, un fermier, mettent le propriétaire dans le cas de remplir ses vues. D'après ces réflexions, je ne puis comprendre qu'il puisse y avoir une opinion contraire. Un ancien philosophe (1) disait fort bien : Pauca admodùm sunt sine adversario.

Mais, quoi qu'il en soit de cette question, examinons la matière et la loi dont il s'agit, voyons quels en furent les principes et les bases.

La plus grande partie des dispositions de ce titre appartiennent à la substance et à la nature du contrat de louage, et ne sont appuyées que sur les règles générales du droit écrit, du droit commun, enfin sur les principes de cette philosophie qui est l'âme et la source de la jurisprudence."

Je me resserrerai donc dans des bornes plus étroites, et je ne vous occuperai que des matières les plus importantes ou les plus douteuses, et susceptibles de discussion.

Les six premiers articles ne consistent que dans la division de plusieurs sortes de louages,

(1) Senec. natural. Quæst. lib. 5.

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dans leurs définitions, et dans d'autres matières de toute évidence.

Le seul consentement sur la chose qui est louée, et sur le prix, fait le louage (1); il peut donc se faire par écrit ou verbalement, comme il est dit dans l'article 1714; car les actes qui en sont dressés, soit sous signature privée, soit par-devant notaires, ne sont dressés que pour servir à la preuve du contrat, ou pour acquérir des droits d'hypothèque et d'exécution (2).

L'article 1715 porte : « Si le bail sans écrit << n'a encore reçu aucune exécution, et que « l'une des parties le nie;

« La preuve ne peut être reçue par té« moins ;

«

Quelque modique qu'en soit le prix, et quoiqu'on allègue qu'il y a eu des arrhes « données;

« Le serment peut seulement être déféré à <«< celui qui nie le bail.

Cet article, tel qu'il est conçu, évite bien des procès sans que l'intérêt d'aucun y soit lésé, puisque c'est dans l'hypothèse que le bail n'aura pas encore en d'exécution.

L'article 1717 déclare que « le preneur (3) a le droit de sous-louer et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite ».

La loi romaine nous l'avait déjà dit: nemo prohibetur rem quam conduxit, fruendam alü locare, si nihil aliud convenit (4).

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L'article 1720 dit que le bailleur (5) doit faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, « autres qué les locatives ».

Notez autres que les locatives; car il y a certaines nenues réparations qu'on appelle locatives, dont l'usage a chargé les locataires des maisons (6).

Dans le cas de réparations urgentes durant le bail, il est dit, article 1724, que « si elles « durent plus de quarante jours, le prix du << bail sera diminué à proportion du temps et

(1) Pothier, du Louage, pag. 3, édit. d'Orléans; 1771. (2) Idem, pages 34, 38 et 39.

(3) Preneur, soit conducteur, Domat, titre 4, du Louage, pag. 2, 44, colonne 2, édition de Paris, 1771.

(4) L. 16, Cod. de Locato. L. 60, ff, eodem.

(5) Bailleur, soit locateur, Domat, titre 4, du Louage, page 44.

(6) Selon ce que dit Pothier, page 176.

Tome II.

« de la partie de la chose louée, dont le pre« neur aura été privé

La fixation du terme ne permettra plus aux parties de s'entraîner dans des questions peutêtre de peu d'importance, mais qui toujours out des suites très-dispendieuses.

L'article 1726 porte que «si le bail a été fait « sans écrit, l'une des parties ne pourra don«ner congé à l'autre qu'en observant les dé«lais fixés par l'usage des lieux ».

On a respecté, dans ce titre comme dans tous les autres, les usages des lieux: Inveterata consuetudo pro lege custoditur, et hoc est jus quod dicitur moribus constitutum. L. 32, § premier, ff. de Legibus.

Il est bon de remarquer que la loi romaine les respectait également en matière de louage. Loi XIX, cod. Loc (1).

L'article 1740 porte que «la caution donnée « par le bail ne s'étend pas aux obligations ré<< sultant de la prolongation ». Rien de plus juste, parce que l'obligation de la caution est censée fixée au temps du bail, et non à une prolongation à laquelle celui qui s'est rendu garant n'aurait eu aucune part et à laquelle il n'aurait point acquiescé (2).

Cette disposition doit paraître d'autant plus sage qu'elle est aussi appuyée sur la maxime constatée de tout temps, que fidejussores in leviorem causam accipi possunt, in duriorem non possunt (3).

ART. 1743.-La maxime du droit romain, emptorem fundi necesse non est stare colono cui prior dominus locavit, nisi eâ lege emit, L. 9, cod. Locati (4), a été très-judicieusement rejetée dans l'article 1743, puisqu'il y est dit: «Si le bailleur vend la chose louée, l'acqué<< reur ne peut expulser le fermier ou le loca« taire qui a un bail authentique ou dont la <date est certaine, à moins qu'il ne se soit « réservé ce droit dans le contrat de bail ».

Cette loi emptorem fundi avait bien son motif; mais ce n'était après tout qu'une subtilité (5). L'acquéreur, disait-on, n'étant que

(1) Voyez aussi Pothier, page 268.

(2) Domat, du Louage, titre 4, section 4, §. 9, p. 49. (3) L. 8, §. 7, 8 et 9; 1. 34., ff. de Fidejussoribus, §. 5, Inst. Cod. tit.

(4) Pothier, pages 228 à 231.

(5) Aussi ce n'est pas d'aujourd'hui que les Français se vantent, non sans raison, d'avoir banni toute subtilité de leur droit. Pothier, tome 11, partie première, chap. a du Prét, art. 2, page 717, édit. de 1781.

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« S'il s'agit d'une maison, appartement ou boutique, le bailleur paie, à titre de dom«mages et intérêts, au locataire évincé, une • somme égale au prix du loyer pendant le temps qui, suivant l'usage des lieux, est « accordé entre le congé et la sortie.

«S'il s'agit de biens ruraux, l'indemnité que « le bailleur doit payer au fermier est du tiers « du prix du bail pour tout le temps qui reste " à courir.

« L'indemnité se réglera par experts, s'il • s'agit de manufactures, usines ou autres établissements qui exigent de grandes avances ». L'article 1749 porte que « les fermiers ou les locataires ne peuvent être expulsés qu'ils ne soient payés par le bailleur, ou, à son défaut, par le nouvel acquéreur, des dommages et intérêts, et de toutes les autres • reprises qu'ils peuvent avoir ».

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C'est ici une autre disposition bien équitable; car l'objet principal de l'indemnité du fermier on locataire est précisément celui de ne pas être expulsé qu'il ne soit payé.

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L'article 1754 dit que les réparations locatives sont à la charge du locataire; il explique ensuite que ces réparations locatives sont celles désignées comme telles par l'usage des lieux.

A l'article 1755, il est statué que « le cu«rement des puits doit être à la charge du . « bailleur ».

Cela doit être ainsi (1); car dans une maison où il y aurait beaucoup de locataires, cet ouvrage ne se ferait pas, ou serait mal fait, ou pour le moins retardé, s'il dépendait du fait de plusieurs locataires que l'humeur, la fortune et les circonstances empêcheraient de s'accorder

entre eux.

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Cette jurisprudence est en opposition avec le texte du droit romain: Aede quam te conductam habere dicis, si pensionem in solidum solvisti, invitum te expelli non oportet, nisi propriis usibus dominus eam necessariam esse probaverit (2).

Or, l'on a trouvé qu'il y avait de très-fortes raisons pour abolir une loi qui n'est fondée sur rien de solide (3).

Effectivement, nous ne la voyons basée que sur le besoin qu'a de sa maison le propriétaire pour l'occuper par lui-même, et sur ce qu'on doit présumer qu'il n'eût pas voulu la louer s'il eût prévu ce besoin. D'où l'on tire la conséquence qu'on doit sous-entendre dans le bail à loyer qu'il en a fait une condition par laquelle il s'est tacitement réservé la faculté de résoudre le bail, en indemnisant le locataire, s'il venait à avoir besoin de sa maison pour l'occuper par lui-même (4).

L'on a donc observé que la loi Aede est une décision qui n'a aucun fondement sur la raison

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