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naturelle, et qui est purement arbitraire et contraire aux principes généraux (1).

Sous ce prétexte de nécessité, un locateur pourrait voiler sa malignité, sa vengeance, son injustice, aux dépens d'un locataire. Le serment même du locateur à l'égard de la prétendue nécessité (2) est-il suffisant pour assurer la sincérité de sa prétention? Ne peut-il pas être très-souvent suspect, et ne peut-il pas y avoir une espèce de parjure sans qu'il y ait le moyen de le prouver?

Remarquez ensuite, législateurs, que ce sera en outre un bénéfice pour la société, et un mérite pour le nouveau code, que d'avoir emporté le germe de si fréquents litiges, toujours vifs et toujours coûteux.

L'article 1763 nous invite à parler du colon partiaire, dont parle aussi la loi 25, §. 6, ff. loc. ibi. Partiarius colonus quasi societatis jure et damnum et lucrum cum domino partitur.

Leur bail forme entre eux une espèce de société où le propriétaire donne le fonds, et le colon la semence et la culture, chacun hasardant la portion que cette société lui donnait aux fruits (3).

Il est donc dit, à l'article 1763, que celui qui cultive sous la condition d'un partage de fruits avec le bailleur, ne peut ni sous- louer, ni céder, si la faculté ne lui en a été expressément accordée par le bail.

C'est-là une disposition dans toutes les règles, puisque dans ces sortes de contrats, ainsi que disent les patriciens, electa est industria.

Or, le colon partiaire étant celui qui terram colit non pactá pecuniâ, sed pro ratá ejus quod in fundo nascetur dimidia, tertiâ, etc.

Il est bien clair que c'est là le cas d'electa industria: : pour labourer mes terres, pour les exploiter, j'ai choisi l'adresse, la capacité de telle personne et non de telle autre.

Je vendrais bien à qui que ce soit un héritage, pourvu qu'il me le paie ce que j'en demande; mais je ne ferais pas un contrat de colonie partiaire avec un homme inepte, quelque condition onéreuse qu'il fût prêt à subir, et quelques avantages qu'il voulût m'accorder.

Il est établi dans l'article 1774 « que le bail << des terres labourables, lorsqu'elles se divisent

(1) Ce sont les paroles précises de Pothier, pag. 380; même édition.

(2) Pothier, pag. 259 et 260. (3) Domat, pag. 50, art. 3.

<< par soles ou saisons, est censé fait pour autant « d'années qu'il y a de soles. »

Par exemple, si les terres de telles métairies sont partagées en trois soles ou saisons, c'està-dire, si la coutume est d'ensemencer une partie en blé, une autre en petits grains qui se sèment au mois de mars, et qu'une autre se repose, le bail est présumé fait pour trois ans lorsque le temps que doit durer le bail n'est pas exprimé dans le contrat (1).

Venons au louage d'ouvrage et d'industrie, qui commence par l'article 1779.

Le contrat de louage, ainsi que nous l'avons déjà dit ailleurs, a beaucoup d'analogie avec le contrat de vente; et il est bon de remarquer ici qu'à l'égard des doutes qui peuvent s'élever sur certains contrats, s'ils sont de vente ou de louage, Justinien, dans ses Institutes (2), nous donne des règles pour les discerner (3).

A l'article 1780, il est dit « qu'on ne peut engager ses services qu'à temps, ou pour une entreprise déterminée. »

Il serait étrange qu'un domestique, un ouvrier pussent engager leurs services pour toute leur vie. La condition d'homme libre abhorre toute espèce d'esclavage.

«

Passons maintenant aux devis et marchés. L'article 1792 porte : « Si l'édifice construit à << prix fait périt en tout ou en partie par le vice << de la construction, même par le vice du sol, « les architecte et entrepreneur en sont res<< ponsables pendant dix ans » : Quod imperitia peccavit culpam esse, dit le texte in lege 9, dit la loi 143, ff. de Regulis juris. S. 5, ff. loc. Imperitiam culpæ adnumeratur,

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« bail quelque chose de plus que le cheptel « qu'il a fourni;

Et que toute convention semblable est re nulle. »

Cette disposition est fondée sur les principes de la justice, sur les bonnes mœurs, et sur cette égalité qui doit triompher dans les contrats.

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Et c'est aussi d'après les mêmes règles qu'il est écrit à l'article 1828, « qu'on ne peut pas stipuler que dans le cheptel donné au colon partiaire, celui-ci sera tenu de toute la perte. >> Législateurs, le titre que nous venons de parcourir est à la portée de tout le monde, et les matières que l'on y traite intéressent toute classe, tout ordre de personnes.

Presque toutes les maisons sont louées à baux à loyer; une grande partie des biens ruraux le sont à baux à ferme : tous les citoyens de la France ont donc un égal intérêt pour en être instruits, et par conséquent les Piémontais aussi. Mais, pour bien comprendre une loi dans son véritable esprit, dans la justesse du sens, il faut la lire, il faut l'apprendre dans son original, dans sa langue primitive. C'est donc avec beaucoup de raison que le gouvernement, par son arrêté du 24 prairial an XI,

a pour ainsi dire pressé l'ordre administratif et judiciaire du Piémont à étudier votre langue, à s'y familiariser.

Le délai peut-être a été trop court, n'importe les Piémontais tâcheront de se conformer aux vœux du gouvernement. Les Piémontais seront désormais les émules de leurs frères aînés. Certainement ils le seront dans la bravoure, dans les vertus, dans les sciences, daus les arts. Quant à la langue, je l'avoue, auront quelque difficulté, mais avec le temps. ils atteindront sans doute le but proposé.

ils

Un Gilles Ménage, d'Anvers; un François Régnier, de Paris, ont su écrire, ont pu imprimer en langue italienne (1), ont pu être inscrits en Toscane, académiciens de la Crusca; les Piémontais ne pourront-ils pas un jour se rendre dignes d'être inscrits dans la classe dela langue et de la littérature française (2)? Je l'espère.

(1) Leurs ouvrages sont très-connus en Italie. On raconte de Régnier que l'académie de Crusca prit pour une production de Pétrarque une ode qu'il avait composée.

(2) Ils ont déjà un bon modèle à suivre dans leur compatriote Cerutti, auteur de l'Apologie des. Jésuites, et d'autres ouvrages.

TITRE IX.

Du Contrat de Société.

Décrété le 17 ventose an xII (8 mars 1804); -Promulgué le 27 du même mois (18 mars 1804).. [ARTICLES 1832 à 1873.]

EXPOSÉ DES MOTIFS par M. le Conseiller-d'Etat TReilhard.

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June succession dont ils partagent les bénéfices, ou entre deux voisins que la loi soumet à des obligations communes pour leur sûreté particulière et pour le maintien de l'ordre public.

Enfin, il se forme tous les jours des socié tés de commerce régies par les lois et les usages de cette matière, elles peuvent être soumises aux règles générales de la société; mais elles ont aussi leurs règles particulières, et n'entrent pas dans le plan du titre dont vous allez vous occuper.

Il s'agit uniquement de cette espèce de société qui se forme entre deux ou plusieurs personnes, à l'effet de mettre en common ou une propriété ou des jouissances; pour se rendre compte, et partager les bénéfices de

l'association.

Ce contrat peut avoir une infinité de causes particulières. On s'associe pour un achat, pour un échange, pour un louage, pour une entreprise, enfin pour toute espèce d'affaires; des associés peuvent donc en cette qualité être soumis à toutes les règles des différents contrats, suivant le motif qui les a réunis.

Tel est le caractère distinctif du contrat de société. Les autres contrats ont des engagements bornés et réglés par leur nature particulière; mais le contrat de société a une étendue bien plus vaste, puisqu'il peut embrasser daus son objet tous les engagements et toutes les conventions.

ART. 1833. Tout ce qui est licite est de son domaine; il ne trouve de limites que dans une prohibition expresse de la loi. Ainsi, on ne peut s'associer ni pour un commerce de contrebande, ni pour exercer des vols, ni pour tenir un mauvais lieu, ni pour des manoeuvres qui tendraient à faire hausser le prix d'une denrée, ni enfin pour aucun fait réprouvé par la loi ou par les bonnes mœurs.

Mais tout ce qui ne se trouve pas frappé de cette prohibition peut être l'objet du contrat de société.

Les parties sont libres d'insérer dans leurs traités toutes les clauses qu'elles jugent couvenables rien de ce qui est honnête et permis ne doit en être exclu.

Ce contrat est de droit naturel; il se forme et gouverne par les seules règles de ce droit; il doit surtout reposer sur la bonne foi: sans doute elle est nécessaire dans tous les contrats ; mais elle est plus expressément en

core requise dans les contrats de société; elle devrait être excessive, s'il est permis de le dire, et s'il pouvait y avoir des excès dans la bonne foi.

ART. 1855.- Si la société n'était formée que pour l'intérêt d'un seul, la bonne foi ne serait-elle pas étrangement violée? Il faut donc l'unir pour l'intérêt commun des parties qui contractent. C'est là la première règle, la règle fondamentale de toute société. Il est contre la nature qu'une société de plusieurs, de quelque espèce qu'on la suppose, se forme pour l'intérêt particulier, pour le seul intérêt d'une des parties. On n'a pas pu marquer plus fortement les vices d'une pareille société qu'en la qualifiant de leonine; c'est, d'une part, la force; de l'autre, la faiblesse il ne peut y avoir entre elles aucun traité, parce qu'il ne peut exister ni liberté, ni consentement. Or la société est un contrat consensuel,' et la loi ne peut voir de consentement véritable dans un contrat de société, dont un seul recueillerait tout le profit, et dont l'intérêt com-' mun des parties ne serait pas la base.

:

Tel est, législateurs, l'esprit de quelques dispositions générales contenues dans le pre-mier chapitre du projet.

ART. 1834. Je ne parle pas de la nécessité de rédiger un écrit pour toute espèce de société dont l'objet est d'une valeur de plus de 150 francs. La formalité de l'écriture n'est pas nécessaire pour la substance d'un contrat; elle est prescrite seulement pour la preuve : le contrat est parfait entre les parties contractantes par le consentement, et indépendamment de tout écrit: mais les tribunaux n'en peuvent reconnaître l'existence que lorsqu'elle est prouvée, et la prudence ne permet pas d'admettre d'autres preuves que celles qui résultent d'un acte, quand il a été possible d'en faire. Cette disposition n'est pas particulière au contrat de société; elle s'applique à toute espèce de convention. Vous avez déjà plusieurs fois entendu sur ce point des discussions lumineuses qui me dispensent de n'en occuper. Je passe donc aux diverses espè es de société..

ART. 1836. Elles peuvent être universelles ou particulières. Elles sont universelles, quand elles comprennent tous les biens des associés, ou tous les gains qu'ils pourront

faire.

ART. 1841.-Elles sont particulières, quand elles n'ont pour objet que des choses déterminées::

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Le motif de cette dernière disposition se fait assez sentir : c'est par des considérations d'une haute importance que vous avez établi entre quelques personnes des incapacités de se donner au préjudice de quelques autres. Ces prohibitions ne sont pas nombreuses dans notre législation; mais enfin il en existe: or, ce que vous avez expressément défendu, ce qu'on ne peut faire directement, il serait inconséquent et dérisoire de le tolérer indirectement; il ne faut donc pas que, sous les fausses apparences d'une société, on puisse, en donnant en effet, éluder la prohibition de la loi qui a défendu de donner, et que ce qui est illicite devienne permis, en déguisant sous les qualités d'associés celles de donateur et de donataire.

Les motifs de la prohibition de comprendre dans la société la propriété des biens à venir ne se font peut-être pas sentir si promptement ni si vivement.

Dans le droit romain, les biens à venir pouvaient être mis en société comme les biens présents; et une pareille convention n'offre, il faut l'avouer, rien qui répugne précisé ment à l'ordre naturel mais lorsque nous en avons examiné les conséquences, nous avons pensé qu'il était plus convenable de la défendre.

Les donations des biens à venir étaient aussi permises par le droit romain, et cependant peu de personnes ont refusé des applaudissements à la disposition de l'ordonnance de 1731, qui les a proscrites en général, et sauf les cas du mariage.

Si les actes de société peuvent déguiser des actes de donation, la prohibition de comprendre les biens à venir dans ces derniers doit entrainer, par une conséquence inévi

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Les associés peuvent insérer dans leur conles bonnes mœurs; la mesure de leurs entrat toute clause qui ne blesse ni la loi ni gagements est celle dont il leur a plu de convenir.

Nous l'avons déjà dit, la bonne foi est surtout nécessaire dans le contrat de société; et comme toute clause (Art. 1855) qui tendrait à jeter sur l'un toutes les charges, et à gratifier l'autre de tous les bénéfices, se trouverait en opposition manifeste avec la bonne foi et la nature de l'acte, pareille convention serait essentiellement nulle. II faut, pour que l'égalité ne soit pas violée, qu'il y ait entre les associés répartition des charges et des bénéfices: non qu'il soit nécessaire que toutes les mises soient égales ou de même nature et que la part dans les profits soit la même pour tous; mais il faut une proportion équitable entre la mise et le profit de chaque associé; il faut que la différence dans la répartition des bénéfices, s'il en existe une, soit fondée ou sur une mise plus forte, ou sur des risques plus grands

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ou sur de plus éminents services, ou enfin sur toute autre cause légitime en faveur de celui qui est le plus avantage.

La mise de chaque associé peut être différente l'un peut apporter de l'argent comptant, un autre une maison, un troisième son industrie; et ce n'est peut-être pas celui dont la mise sera la moins utile mais il faut toujours de la réalité dans cette mise; si elle n'était qu'illusoire et en paroles, la convention serait en effet léonine.

Elle est contraire à l'honnêteté et aux bonnes

mœurs, quand la mise ne consiste que dans une promesse de crédit, vaine le plus souvent, mais toujours coupable quand elle est payée. Loin de nous ces vils intrigants qui, vendant leurs manoeuvres et leur protection, trompent également et l'autorité dont ils surprennent la confiance, et l'honnête homme qui compte sur eux.

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ART. 1847. -S'il a promis son industrie, il doit tous les gains qu'elle peut lui procurer. ART. 1848.-S'il est créancier d'une somme exigible, et que son débiteur soit aussi le débiteur de la société, il doit faire de ce qu'il touche une juste imputation sur les deux créances; la bonne foi ne permet pas qu'il s'occupe moins de celle de la société que de celle qui lui est personnelle.

ART. 1850. S'il a causé des dommages par sa faute, il est tenu de les réparer, sans offrir en compensation les profits que son industrie a pu d'ailleurs procurer; car ces profits. ne sont pas à lui; ils appartiennent à la société.

ART. 1852. Par le même motif, l'associé a le droit de réclamer les sommes qu'il a déboursées pour elle; il est indemnisé des obligations qu'il a aussi contractées de bonne foi. ART. 1853. Si l'acte de société n'a pas déterminé les portions dans les bénéfices ou les pertes, elles sont égales.

Au reste, toutes les règles que les associés pourront établir sur le mode d'administration et de partage doivent être scrupuleusement observées quand elles ont été faites de bonne foi. Les dispositions que nous présentons à cet égard ne sont applicables qu'à défaut de convention par les parties on ne doit y avoir recours que dans le cas où l'acte serait muet. Alors seulement la loi est consultée; et comme elle supplée la volonté de l'homme dans un ART. 1859-1861. Si le mode d'adminiscontrat du ressort du droit naturel, et tout detration n'est pas réglé, les associés sont censés bonne foi, il faut, en cette matière surtout, s'être donné réciproquement le pouvoir d'adque la raison dicte, et que le législateur écrive. ministrer l'un pour l'autre : ils peuvent, sans ART. 1843. Vous trouverez ce caractère, le consentement de leurs coassociés, admettre j'ose le dire, dans les dispositions qui vous un tiers à leur part dans la société; mais ils sont présentées elles règlent l'époque où la ne peuvent pas l'adjoindre à la société même : société doit commencer, la durée qu'elle doit la confiance personnelle est la base de ce conavoir, les engagements des associés, soit pour trat; et l'ami de notre associé peut n'avoir pas fournir la mise, soit pour se faire mutuellement notre confiance. raison de leurs frais et avances, soit la pour réparation des dommages qu'ils ont pu causer, soit pour le mode d'administration, soit pour le partage des bénéfices, soit enfin pour tous les incidents qui peuvent survenir dans le cours d'une société: mais, nous le répétons encore, ces règles ne sont applicables que dans le silence des parties intéressées.

ART. 1844. Ainsi, à défaut de convention, la société commence à l'instant du contrat; elle dure pendant la vie des associés, ou jusqu'à une renonciation valable de la part de l'un d'eux, ou jusqu'à ce que l'affaire particulière qui en est l'objet soit terminée.

-

ART. 1854. Enfin, si les associés conviennent de s'en rapporter à un arbitre pour le réglement des contestations qui pourraient s'élever entre eux, ce réglement doit être sacré, à moins que quelque disposition évi demment contraire à l'équité n'en sollicitât hautement la réforme : encore a-t-on dû fixer un terme court à la partie lésée, pour faire sa réclamation.

Je crois, législateurs, que de pareilles dispositions se trouvent dans un accord parfait avec l'équité naturelle et la saine raison.

Telles seront les règles des associés entre eux, quand ils n'auront pas fait de conventions

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