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hypothèse que nous avons posée; car, dèslors si les obligations et les promesses présentent un intérêt assez grave pour alimenter une action en justice, elles offrent une cause trop vicieuse pour motiver et légitimer cette

mœurs, et si nécessaire pour prévenir les désordres d'une passion dont tous les législateurs ont cherché à réprimer les excès.

action.

Il est des choses qui, quoique licites par elles-mêmes, sont proscrites par la considération des abus et des dangers qu'elles peuvent entraîner; conséquemment si le jeu, sous le point de vue que nous l'envisageons, n'était pas déjà réputé mauvais par sa nature, il faudrait encore le réprouver par rapport à ses suites.

Quelle faveur peuvent obtenir auprès des lois les obligations et les promesses que le jeu produit, que la raison condamne, et que l'équité désavoue? Ignore-t-on que le jeu favorise l'oisiveté, en séparant l'idée du gain de celle du travail, et qu'il dispose les ames à la dureté, à l'égoïsme le plus atroce? Ignore-t-on les révolutions subites qu'il produit dans le patrimoine des familles particulières, au détriment des mœurs publiques et de la société générale?

Dans l'administration d'un grand Etat, la tolérance des jeux est souvent un acte nécessaire de police. L'autorité, qui ne saurait étouffer les passions, ne doit point renoncer aux moyens de surveiller ceux qui s'y livrent. Dans l'impuissance d'empêcher les vices, tâche est de prévenir les crimes.

sa

Mais tolérer les jeux ce n'est pas les au

toriser.

La loi romaine notait d'infamie ceux qui faisaient profession de jouer aux jeux de basard. Justinien avait prohibé ces jeux jusque dans les maisons des particuliers.

En France, les lois ont quelquefois puni le jeu comme un délit ; elles ne l'ont jamais protégé comme un contrat. Une ordonnance de 1629 déclare toutes dettes contractées par le jeu nulles, et toutes obligations et promesses faites pour le jeu, quelque déguisées qu'elles soient, nulles et de nul effet, et déchargées de toutes obligations civiles et naturelles.

La jurisprudence ne s'est jamais écartée des dispositions de cette ordonnance. On admet la preuve par témoins quand un citoyen se plaint de ce qu'une promesse contractée au jeu a été eachée sous la forme d'un simple prêt.

Nous n'avons pas cru devoir abandonner une jurisprudence si favorable aux bonnes

Notre ame est froissée; nous frissonnons quand on nous présente sur la scène le spectacle d'un joueur déchiré par ses remords environné des débris de son patrimoine, accablé sous son infortune, et ne pouvant supporter le fardeau de la vie au milieu des reproches et des pleurs d'une famille désolée. Eh quoi! la justice, en donnant une action utile pour les promesses contractées au jeu, viendrait-elle consommer avec son glaive le sacrifice commencé par la cupidité? Non, législateurs, la morale de nos lois ne peut être ni moins pure ni moins austère que celle de nos théâtres.

Mais en refusant, en général, toute action pour promesses coutractées au jeu, nous avons excepté de cette disposition les engagements et les promesses qui ont leur source dans des jeux d'adresse et d'exercice. Ces sortes de jeux sont utiles: on les a peut-être trop négligés dans nos temps modernes.

Cependant d'après une jurisprudence constante, nous avons autorisé les tribunaux, même quand il s'agit du paiement des promesses ou obligations produites par ces sortes de jeux, à rejeter la demande si la somme réclaméo leur paraît excessive.

par

Les motifs de cette jurisprudence, adoptés le projet de loi, sont évidents. On conçoit que des citoyens qui jouent à un jeu d'adresse ou d'exercice peuvent, pour soutenir entre eux l'émulation et l'intérêt, stipuler un prix pour le plus adroit ou le mieux exercé. Mais si le gain ou le prix convenu est immodéré, il devient illicite, parce que dès-lors la cause d'un tel gain cesse d'être proportionnée à l'objet qui doit le produire. Le jeu, quel qu'il soit, n'est qu'une récréation, et il y aurait du danger à le laisser dégénérer en commerce. Tous les gains qui passent certaines bornes sont injustes, parce qu'ils n'ont point d'autre cause que la corruption du cœur et l'égarement de l'esprit.

ART. 1967. On a examiné, en terminant ce qui regarde le jeu, si celui qui a volontairement acquitté ce qu'il a promis ou perdu, peut répéter ou faire réduire ce qu'il a payé. On a pensé qu'aucune demande en répétition ou en réduction n'est recevable : cette décision est conforme à l'ordonnance de Moulins, qui,

en pareil cas, vient seulement au secours des mineurs. Le droit des majeurs est consommé quand les choses ne sont plus entières; la loi ne saurait les écouter quand ils l'invoquent pour le fait même dans lequel ils l'ont méconnue. Nous ajouterons que le repentir de l'avare, qui a payé volontairement une dette du jeu, n'est pas assez favorable pour réveiller Pattention de la justice.

Le pari, autrement appelé gageure, participe à tous les vices du jeu; il est gouverné par les mêmes principes: les assurances par forme de gageure sont même formellement prohibées par l'ordonnance de la marine de 1681.

CHAPITRE II.

Du contrat de rente viagère.

ART. 1968.-Le Le projet de loi conserve les constitutions des rentes viagères.

Nous savons tout ce que l'on a dit pour et contre ces sortes de contrats. Mais on ne peut raisonnablement les approuver ni les critiquer, si l'on n'a égard en même temps aux circonstances ou à la situation dans laquelle peuvent se trouver les personnes qui se lient par de semblables engagements.

Les rentes viagères peuvent être considérées sous un point de vue économique et sous un point de vue moral.

Sous un point de vue moral, la rente viagère peut être regardée comme un contrat peu favorable, si elle n'a sa source que dans des principes d'égoïsme et dans la volonté d'augmenter un revenu déjà suffisant, en aliénant des fonds dont la disparition laisse des enfants, des proches, sans ressources et même sans espérances. Mais on n'apperçoit plus rien de répréhensible dans la rente viagère, si elle n'est qu'un moyen de subsistance pour un homme isolé qui n'a point d'héritiers, ou pour une personne âgée et infirme qui a besoin de recourir à cet expédient de finance pour vivre. Ici, comme ailleurs, il faut savoir distinguer la chose de l'abus que l'on peut en faire.

Sans doute le législateur devrait proscrire les rentes viagères, si l'usage n'en pouvait être qu'injuste et dangereux; mais il doit les maintenir, puisque l'usage en est souvent utile et nécessaire.

Dans un vaste Etat comme la France, la

situation des hommes peut être modifiée de tant de manières, il y a tant de mobilité dans les choses, et tant de distinctions à faire entre les personnes, qu'il est impossible à la loi de régler, dans un systême de justice distributive, ce qui peut être utile à chacun et à tous. La multiplicité des ressources doit être proportionnée à celle des besoins; on doit se reposer sur la liberté de chaque individu du soin de veiller à sa conservation et à son bien être. La loi gouvernerait mal, si elle gouvernait trop; la liberté fait de grands biens et de petits maux, pourvu qu'on ne lui laisse pas franchir les limites que l'intérêt public nous force de lui prescrire. Nous n'avons donc pas cru que l'abus possible des constitutions de rentes viagères fût un motif suffisant de bannir de notre législation civile ces espèces de contrats. Dans le cœur d'un père de famille, la nature saura défendre ses droits. C'est une longue expérience qui a fait consacrer la rente viagère comme une institution qui peut secourir l'humanité souffrante, et réparer, à l'égard d'une foule d'individus, les torts et les injustices de la fortune. Or, on sait que l'expérience est maîtresse et des lois et des hommes.

Dira-t-on que l'usage des rentes viagères habitue les hommes à calculer froidement sur la vie et sur la mort de leurs semblables, et peut leur inspirer des affections contraires à l'humanité ? Mais combien d'institutions civiles qui peuvent donner lieu aux mêmes inconvénients et aux mêmes calculs! Nous citerons en preuve les redevances et les servitudes viagères stipulées dans un contrat de vente, les legs et les réserves d'usufruit, les transmissions de propriété d'une tête à l'autre, et une foule d'autres actes de même nature. On a proscrit avec raison les assurances sur la vie des hommes, la vente de la succession d'une personne vivante, parce que de pareils actes sont vicieux en eux-mêmes, et n'offrent aucun objet réel d'utilité qui puisse compenser les vices et les abus dont ils sont susceptibles. Mais parce que le débiteur d'une rente viagère pourra dans le secret de ses pensées, envisager ma mort comme un échange de bonheur, faudrat-il que je renonce au droit de me constituer créancier de cette rente, qui doit soutenir mon existence et ma vie?

Si nous considérons les constitutions de rentes viagères sous un point de vue écono mique, nous pourrons nous convaincre que ces contrats peuvent devenir une spéculation

de commerce, et que dans plus d'une occasion ils sont plutôt un moyen d'acquérir que alié ner. On peut, par de sages combinaisons, multiplier les chances heureuses. Dans tous les contrats où le hasard entre pour quelque chose l'imagination n'oublie rien pour atteindre aux bienfaits possibles de la fortune.

ART. 1968. -Une rente viagère peut être constituée à titre onéreux, moyennant une somme d'argent, ou pour une chose mobilière appréciable, ou pour un immeuble.

Dans tous ces cas, la constitution d'une rente viagère n'est qu'une manière de vente, même lorsqu'elle est faite à prix d'argent; car l'argent est susceptible d'être loué ou vendu comme toutes les autres choses qui sont dans le commerce. On en dispose par forme de louage quand on le prête à intérêt; on le vend quand on aliène le fonds principal moyennant

une rente.

ART. 1969. La rente viagère peut aussi étre constituée à titre gratuit par donation entrevifs ou par testament; mais alors elle doit être revêtue des formes requises par la loi dans les actes qui la constituent.

Quand la constitution d'une rente viagère n'offre qu'une libéralité, elle est nulle si elle est constituée en faveur d'une personne prohibée; elle est réductible si elle excède ce dont le donateur ou le testateur peut disposer. ART. 1971. La rente viagère peut être constituée soit sur la tête de celui qui en fournit le prix, soit sur la tête d'un tiers qui n'a aucun droit d'en jouir.

ART. 1972. Elle peut être constituée sur une ou plusieurs têtes. ART. 1973. Elle peut être constituée au profit d'un tiers, quoique le prix en soit fourni par une autre personne.

Dans ce dernier cas, quoiqu'elle ait les caractères d'une libéralité, elle n'est point assujétie aux formes requises pour les donations, sauf les cas de réduction si la libéralité est excessive, et sauf les cas de nullité si une personne prohibée en est l'objet,

Toutes ces règles sont anciennes; le projet de loi ne fait que les rappeler.

Tout contrat de rente viagère créée sur la tête d'une personne qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet; cela est évident, car le contrat se trouve sans cause.

ART. 1975. Nous avons cru devoir aussi déclarer la nullité du contrat quand la rente a

été créée sur la tête d'une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat.

En effet, il est certain que si les contractants eussent connu la maladie de la personne sur la tête de laquelle on se proposait d'acquérir la rente, l'acquisition n'eût pas été faite, puisqu'une rente viagère sur la tête d'une personne mourante n'est d'aucune valeur. Or, on sait qu'il n'y a point de véritable consentement quand il y a erreur ou sur la chose, ou sur les qualités essentielles de la chose qui forme la matière du contrat.

ART. 1976. Nous décidons que la rente viagère peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer.

pour

Il ne peut y avoir de mesure absolue régler des choses incertaines; aussi l'action rescisoire a toujours été refusée dans les contrats aléatoires; c'est-à-dire, dans tous les contrats qui dépendent d'un événement incertain.

ART. 1977.- La constitution d'une rente viagère est résolue si le constituant ne donne pas les facultés stipulées pour son exécution.

Cette règle est commune à tous les contrats intéressés.

ART. 1978.-Le seul défaut de paiement des arrérages de la rente n'autorise pas celui en faveur de qui elle est constituée à demander le remboursement du capital, ou à rentrer dans les fonds par lui aliénés; il n'a que le droit de saisir et de faire vendre les biens de son débiteur, et de faire ordonner ou cousentir, sur le produit de la vente, l'emploi d'une somme suffisante pour le service des arrérages.

S'il en était autrement, il n'y aurait point de solidité dans les contrats; ils seraient dissous par la plus légère infraction de la part d'un des contractants. On ferait prononcer la nullité d'un acte lorsqu'on n'a que le droit d'en demander l'exécution.

ART. 1979. Le constituant ne peut se libérer du paiement de la rente en offrant de rembourser le capital, et en renonçant à la répétition des arrérages payés; il est tenu de servir la rente pendant toute la vie de la personne ou des personnes sur la tête desquelles la rente a été constituée, quelle que soit la durée de la vie de ces personnes, et quelque onéreux qu'ait pu devenir le service de la rente, car le systême contraire changerait entièrement la nature du contrat.

ART. 1980. La rente viagère n'est ac

quise au propriétaire que dans la proportion du nombre des jours qu'il a vécu.

Néanmoins, s'il a été convenu qu'elle serait payée d'avance, le terme qui a dû être payé est acquis du jour où le paiement a dû être payé.

On peut constituer une rente viagère successivement reversible sur plusieurs têtes; on peut donc, par majorité de raison, stipuler qu'une rente viagère sera payée d'avance. Cette clause n'entraîne, pour le terme payé d'avance qu'une sorte de reversion tacite en faveur des héritiers, si celui en faveur de qui la rente est constituée est mort dans l'intervalle.

ART. 1981. La rente viagère ne peut être stipulée insaisissable que lorsqu'elle a été constituée à titre gratuit.

Les motifs de cette disposition sont sensibles. On a toujours distingué, avec raison, les rentes viagères créées à titre onéreux, d'avec celles qui sont créées à titre gratuit, par don ou par legs. Il a toujours été reconnu que les premières peuvent être saisies par les créanciers du propriétaire, quand même il serait stipulé par le contrat qu'elles ne pourront pas l'être. On conçoit que personne ne peut s'interdire à soimême la faculté de contracter des dettes, ni à ses créanciers celle de s'en faire payer sur ses biens.

Mais il en est autrement des rentes viagères

créées par don ou par legs. Le testateur ou donateur peut valablement ordonner que la rente viagère qu'il lègue ou qu'il donne ne pourra être saisie par aucun créancier du donataire ou légataire. La raison en est que celui qui fait une libéralité peut la faire sous telle condition qu'il juge à propos.

ART. 1982. -La rente viagère ne s'éteint pas par la mort civile du propriétaire, car c'est la vie naturelle que les contractants ont en vue.

ART. 1983. Mais comme le terme de la vie naturelle est la mesure de la durée d'une rente viagère, le propriétaire d'une telle rente n'en peut demander les arrérages qu'en justifiant de son existence ou de celle de la personne sur la tête de laquelle la rente a été constituée.

Législateurs, tel est le projet de loi sur les contrats aléatoires. En le sanctionnant par vos suffrages vous aurez posé une nouvelle pierre au grand édifice de notre législation civile. Cet édifice s'éleve rapidement et avec majesté. Encore quelques jours, et grâces au génie qui gouverne la France, et à votre sagesse qui sait si bien le seconder, nous offrirons à nos amis à nos ennemis le spectacle le plus imposant qu'une nation puisse donner au monde, et le plus beau monument qu'il puisse consacrer à sa propre gloire et à son propre bonheur.

TITRE XIII.

Du Mandat.

Décrété le 19 ventôse an XII (10 mars 1804); -Promulgué le 29 du même mois (20 mars 1804). [ARTICLES 1984 à 2010.]

EXPOSÉ DES MOTIFS par M. le Conseiller-d'État BERLIER.

LÉGISLATEURS,

Séance du 12 ventóse an x11 (3 mars 1804).

S'il est dans les affections naturelles de l'homme et dans l'ordre commun de ses habi tudes qu'il pourvoie lui-même à ses propres affaires, les maladies, l'absence, les obstacles de tous genres qui prennent leur source et dans la nature et dans l'état social, l'obligent souvent

à confier à autrui ce que tant de causes viennent l'empêcher de faire en personne.

De là le mandat, objet du titre que nous venons vous présenter aujourd'hui.

ART. 1984.-Le contrat de mandat, comme tous les autres contrats, repose essentiellement

sur la volonté réciproquement manifestée des parties qui le forment.

Ainsi le seul pouvoir donné ne constitue point le contrat, s'il n'a été accepté expressément ou tacitement, et réciproquement; sans 'ce pouvoir, la simple gestion d'un tiers ne le constitue point mandataire.

Dans ce dernier cas, le maître de la chose peut bien poursuivre le gérant à raison de sa gestion, de même que celui-ci peut réclamer ses avances et même des indemnités, s'il a géré utilement pour le propriétaire; mais ces actions n'appartiennent point au contrat qui est l'objet de cette discussion.

De sa nature, le mandat est gratuit; c'est un office de l'amitié: ainsi le définit de droit romain (1), et notre projet lui conserve ce noble caractère.

ART. 1986. Cependant cette règle tournerait souvent au détriment de la société, si elle était tellement absolue, qu'on ne pût y déroger par une stipulation expresse.

Cette stipulation sera donc permise, car elle n'a rien de contraire aux bonnes mœurs, et même elle sera d'une exacte justice toutes les fois que le mandataire n'aura point assez de fortune pour faire à son ami le sacrifice de son temps et de ses soins; circonstance qui peut arriver souvent, et dans laquelle la rétribution sera moins un lucre qu'une indemnité.

ART. 1989. Le mandataire devra se renfermer strictement dans les termes de sa procuration.

Si le mandat spécifie les actes qui en sont l'objet, cette spécification deviendra la mesure précise des pouvoirs conférés par le man. dant, et tout ce qui serait fait au-delà sera nul.

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ART. 1988. Rien de plus simple ni de plus facile que l'application de cette règle, quand elle sera tracée par le contrat même; mais comment fixera-t-on le sens et l'étendue des man. dats conçus en termes généraux?

"Parmi les divers modes de constituer de tels mandats, il en est deux qui méritaient une at tention particulière, comme plus usités; savoir, le pouvoir de faire tout ce que le mandataire jugera convenable aux intérêts du mandant, ou celui de faire tous les actes que le mandant pourrait faire lui-même.

Dans l'examen de ces deux locutions, on a

(1) L. 1, §. nlt. ff. Mand.

vu des jurisconsultes renfermer l'effet de la première dans les simples actes d'administration, et attribuer à la seconde des effets plus étendus, et notamment la faculté de disposer de la propriété même.

L'on n'a pas suivi cette distinction; car en matière de propriété, l'on ne doit pas facilement présumer qu'on ait voulu remettre à un tiers le pouvoir d'en disposer; et si on l'a voulu, il est si facile de l'exprimer formellement, que la loi peut bien en imposer l'obligation, seul moyen de prévenir toute équivoque, et d'obvier aux surprises et aux erreurs.

Ainsi, en suivant et en expliquant à cet égard les dispositions du droit romain (1), tout mandat conçu en termes généraux n'embrassera que les actes d'administration; et s'il s'agit d'aliéner ou hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat devra être exprès.

ART. 1990.-Les femmes mariées et les mineurs émancipés pourront être mandataires: cette aptitude, qui n'est pas de droit nouveau, trouve sa cause dans la faveur due à tous les développements d'une juste confiance.

Celui qui remet ses intérêts à une personne de cette qualité a jugé sa capacité suffisante, et la loi peut adhérer à ce jugement, pourvu que les intérêts de la femme mariée et du mineur (mandataires) n'en reçoivent aucune atteinte, et que leur condition n'en soit pas changée; car le mandant ne saurait avoir contre eux les mêmes actions que contre les personnes qui jouissent de tous leurs droits.

Avec de telles précautions, la faculté dont il s'agit a semblé exempte de tout inconvénient, même en n'astreignant point la femme mariée à se munir de l'autorisation de son mari; car ici la question n'est pas de savoir si le mari pourra s'opposer à ce que sa femme reçoive ou exécute le mandat ( il a incontestablement ce droit ); mais si, à défaut d'une autorisation préalable et expresse, le mandat et ses effets seront nuls à l'égard des tiers et du mandant lui-même.

Une réflexion bien simple lève cette difficulté. En effet, si le mari laisse sa femme exécuter le mandat, il est réputé y consentir; et si des absences ou d'autres empêchements de cette nature écartent cette présomption comment, en ce cas, la femme pourrait-elle

(1) LL. 60 et 63, ff. de Procur.

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