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condamnés à perdre la tête, notre sentence serait déjà prononcée; tout délai est un adoucissement à la sévérité musulmane. Ah! oui, s'écriait Serkis, celui des quatre frères dont l'imagination était la plus vive, et qui souffrait le moins patiemment les angoisses de la prison, nous serons exilés sur quelque terre sauvage et lointaine; mais, du moins, nous pourrons encore respirer librement et contempler la douce clarté du jour. Peut-être nous laissera-t-on emmener nos femmes et nos enfants! Alors, serait-ce un sacrifice que d'abandonner à la convoitise des Turcs ces richesses, source de nos infortunes. Non, nous retremperons au moins dans la disgrâce nos âmes amollies par la prospérité. Taisez-vous, Serkis, reprenait un jeune homme, leur cousin, gisant sur la paille dans l'angle du cachot, et perpétuellement enfoncé dans une morne méditation; ne vous livrez pas à vos folles imaginations, vous n'échapperez pas à la vengeance d'Haled, qui ne vous a laissé de vie, jusqu'à cette heure, que pour multiplier vos souffrances, en les prolongeant. Rappelez-vous les deux princes Vahabites que l'année dernière vous vîtes, à pareille époque, traîner sur un cheval maigre à la porte du sérail, pour y être décapités. Le même sort nous attend!

La plupart des prisonniers réprochaient à ce jeune homme ses prédictions sinistres, qu'ils attribuaient à un état de langueur et de mélancolie. Un soir, ayant prolongé plus que de coutume leur entretien, ils ne l'interrompirent que lorsque le sommeil vint fermer leurs paupières et leurs lèvres fatiguées. Ils reposaient tranquilleinent, et leur âme était sans doute rafraîchie par les illusions du rêve plus attrayantes que les imposantes réalités de la prison, iorsqu'ils furent réveillés en sursaut par le bruit des verrous et les voix des geôliers. C'était le 24 août. Les premières lueurs du crépuscule dissipaient avec peine les ténèbres d'une nuit sombre et humide; et les yeux des prisonniers, effrayés de cette visite inaccoutumée, recon5° Livraison. (ARMÉNIE.)

nurent difficilement le bostandji-bachi. Ils attendaient silencieusement leur sentence. Quelle est leur surprise, lorsque le bostandji-bachi leur dit: << Réjouissez-vous, mes amis, voici le terme de vos souffrances; je vous apporte les ordres du sultan. Grégoire et Serkis, vous serez relégués dans une île de l'Archipel; et vos deux frères, Michel et Jean, iront dans l'Asie Mineure. Quant au reste des prisonniers, le sultan n'a pas encore statué sur leur sort; ils attendront. Ainsi, que les quatre frères Duzzoglou me suivent. >>

A ces mots, les quatre frères, pleins de joie, se jettent au cou de leurs compagnons, les couvrent de baisers et de larmes, en disant que la douleur de les quitter ne sera compensée que par la nouvelle de la grâce qu'ils obtiendront certainement, puisqu'eux, les seuls coupables, ne sont condamnés qu'au bannissement. Ils sortent donc et s'acheminent à travers les allées du jardin. Quand ils ont marché quelques centaines de pas, le bostandji - bachi les arrête, en leur disant qu'ils doivent se séparer, puisque Grégoire et Serkis n'ont pas la même destination que leurs deux autres frères. En même temps, il dit à quelques-uns des gardes de conduire au Bosphore Michel et Jean. La scène touchante des adieux de la prison se renouvelle, et les quatre frères s'embrassent sans pouvoir se dire une parole, à cause de leur émotion. Les gardes les séparent; Grégoire et Serkis prennent la direction de la porte du sérail. Serkis marchait avec précipitation en avant, sautant et poussaut des cris de joie, sans prendre garde à la pluie qui, tombant avec abondance, pénétrait ses vêtements. Ils franchissent rapidement le portail; et, lorsqu'ils sont en face de l'hôtel des Monnaies, où les autres détenus étaient renfermés, Serkis élève sa voix robuste, et fait retentir ces paroles : « Courage, nos frères, nous sommes libres, et l'heure de votre délivrance est prochaine.» Les prisonniers, qui ont re connu la voix de Serkis, se précipitent aux fenêtres pour le voir, mais les

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gardes les repoussent et les contiennent dans leur prison. Ils prêtent attentivement l'oreille pour recueillir les autres paroles des Duzzoglou; mais tout à coup les cris d'allégresse se changent en d'autres cris perçants, entrecoupés, diminuant graduellement, jusqu'à ce que le plus morne silence succède à l'agitation du dehors. Les détenus du Zerpaneh frémirent et eurent comme un vague pressentiment des choses horribles qui venaient de s'accomplir.

Serkis marchait donc joyeusement vers la porte du Zerpaneh, et déjà il en soulevait le marteau, lorsqu'il aperçut dans le massif voisin de cyprès quatre bourreaux cachés et en embuscade. Cette vue lui révèle incontinent les atroces machinations d'Haled et les mensonges du bostandji-bachi, qui les menait à la mort en leur promettant le salut; il comprend que sa dernière heure approche. Les bourreaux s'élancent sur les deux frères et les garrottent. Grégoire les considère avec fierté, et, comme ces martyrs de la primitive Église qui faisaient généreusement à Dieu le sacrifice de leur vie, il se laisse lier et traîner au supplice sans perdre son calme. L'état de Serkis était tout autre. D'une nature bouillante, emportée, il ne peut supporter la vue de tant d'injustice, et il se sent le besoin, avant de mourir, de décharger tout le poids de sa colère et de ses malédictions sur les auteurs de sa ruine. Son exaltation et sa fureur concentrée ajoutent à sa force musculaire; les bourreaux ne peuvent le contenir, et ils appellent les gardes à leur aide. Pendant le trajet du Zerpaneh au lieu de l'exécution, Serkis, d'une voix tonnante et formidable, appelle la vengeance du ciel sur la tête d'Haled, enumère les iniquités de son vizirat, fait ses adieux à sa famille, plaint le sort de ses compatriotes enveloppés dans la proscription, et, maudissant la coupable condescendance de Mahmoud circonvenu par son ministre, il termine en s'écriant : « Que sa barbe soit teinte de notre sang! » Grégoire se taisait, et il n'ouvrit la bouche que pour

rappeler à son frère que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait autrefois pardonné à ses bourreaux en expirant, qu'il devait songer au salut de son âme et la recommander à Dieu. Les deux genoux à terre et les yeux levés au ciel, il prie avec une sainte ferveur, tenant serrée entre ses mains la relique qu'il avait coutume de porter. Il prononça quelques paroles en arménien, inintelligibles aux bourreaux et aux autres assistants. C'était vraisemblablement quelque prière de son Église. Serkis, tout en donnant des marques de piété et de foi, refusa de ployer le genou. Tandis que les deux frères se disaient du regard un dernier adieu, la hache des bourreaux abattit leur tête.

Lorsque le bostandji-bachi voit à ses pieds leurs cadavres sanglants, il songe à accomplir l'autre partie de sa mission, et il va retrouver les deux frères, Michel et Jean, qu'il avait envoyés au Bosphore. Ils l'attendaient dans une large caïque, ignorant le triste sort de leurs frères, et ne prévoyant pas celui qu'on leur réservait; ils discouraient sur leur exil et se consolaient de la sévérité de cet ordre, par l'espoir de revenir un jour dans leur mère patrie. Ils voient le bostandji-bachi accourir avec empressement, et, à un signal de sa main, des hommes cachés à la poupe se lèvent et viennent sur le pont. C'était aussi des bourreaux. Ils saisissent les deux frères, tandis que les rameurs conduisent plus loin la caïque, en face de l'hôtel Duzzoglou, situé sur la rive du Bosphore. Ils abordent, et les bourreaux de chercher un lieu où ils pourront pendre les deux frères, et de le trouver aussitôt, grâce à l'habileté qu'ils ont d'improviser des potences. On voulut, par un raffinement inouï de cruauté, réveiller dans l'âme des victimes toutes les émotions que le souvenir et le spectacle de ces lieux pouvaient leur apporter, comme un supplément aux douleurs du supplice.

La mort des quatre frères apaisa la colère du sultan, au grand déplaisir d'Haled, qui le poussait au massacre général de tous les détenus. On prononça contre eux un arrêt de bannis

sement perpétuel, toutefois en exceptant les femmes, qui eurent la faculté de rester à Constantinople. Les contrées les plus sauvages de la Turquie d'Europe et d'Asie furent assignées pour la résidence des proscrits. Plusieurs y périrent d'ennui et de misère. D'autres eurent le courage et le talent d'y traîner leur chétive existence, jusqu'au moment où le sultan, convaincu des fourberies d'Haled, rappela les exilés. De ce nombre était Jacques Duzzoglou, qui avait échappé à la condamnation de ses frères comme miraculeusement. Au moment où l'orage éclata sur sa famille, Jacques, qui avait la mission d'inspecter les mines et les places fortifiées de l'Archipel, était éloigné de Constantinople. Haled envoie un bâtiment de l'État à sa poursuite, avec ordre de le ramener prisonnier. Lorsque ce vaisseau le rencontre, Jacques, qui montait un brick fin voilier, aurait pu se sauver, s'il avait suivi les conseils du capitaine espagnol, plein de tête et de résolution. Mais comme on lui faisait entendre perfidement que le refus de se soumettre entraînerait. la perte de ses frères, et que d'ailleurs il était fort de la conviction de sa propre innocence, il préféra aller partager courageusement les fers et les maux des autres Arméniens. Haled, qui avait intérêt à le perdre, osa dire au sultan qu'il n'avait cédé qu'à la force, et après avoir fait couler le sang de l'équipage. Jacques allait être condamné sans le courage du capitaine du vaisseau, qui, consulté par le sultan sur ce point, répondit qu'au contraire le prévenu avait témoigné le plus profond respect pour l'autorité de Sa Majesté, en portant à sa bouche l'arrêt de sa condamnation et en s'inclinant devant sa volonté suprême. Jacques ne fut pas exécuté; Haled le fit exiler; et, lorsque des lettres de grâce furent envoyées à ces malheureux disséminés dans toutes les provinces de l'empire, il revint à Constantinople, où le sultan lui rendit plus tard l'ancienne charge héréditaire de sa famille, la direction de la Monnaie, office qu'il remplit encore actuellement

avec une rare intégrité. C'est lui qui a recueilli les débris de sa famille, et l'a tirée de l'abjection où l'avait réduite cette catastrophe, en les associant à sa nouvelle fortune. De ses quatre frères, un seul, Serkis, avait laissé un fils en bas âge. Ses autres parents en prirent soin; ils ont voulu lui donner les avantages de l'éducation européenne, et, en ce moment, il puise dans nos écoles de Paris toutes les lumières de la science et de la civilisation modernes. La famille Duzzoglou, sans s'élever au même degré d'opulence et de crédit, occupe aujourd'hui un rang important dans la société arménienne. Elle a recouvré son ancien hôtel, qu'un juif nommé Eskel et banquier d'Haled avait acheté à vil prix, lors de la confiscation générale. Eskel perdit la vie par ordre du sultan, peu de temps après la fin tragique du vizir inique dont il dirigeait les affaires; car, pour le dénoûment de ce drame, il faut savoir que la fortune d'Haled fut inconstante comme celle de tous les coupables heureux. Ses ennemis, c'est-à-dire, tout le peuple de Constantinople et les grands seigneurs, parvinrent à détruire les préventions favorables du Grand Seigneur, et à ouvrir ses yeux sur la série de crimes dont il avait souillé son ministère. On trouva des preuves manifestes de sa complicité dans la révolte du pacha de Djanina, et les janissaires élevèrent si fortement la voix contre lui, que Mahmoud sentit la nécessité d'immoler à son intérêt celui qui, du reste, avait toujours tout sacrifié au sien propre. Il lui dit donc qu'il se séparait à contre-cœur de sa personne, mais que la tranquillité de l'Etat l'exigeait; qu'il était quelquefois nécessaire d'obtempérer aux injustes exigences d'un public ingrat et passionné; qu'au reste il conserverait à jamais la mémoire de ses services et de son dévouement pour le trône. Haled était trop fin pour ne pas comprendre que ces remerciments étaient au fond une vé ritable disgrâce. Il tremble pour sa vie, en pensant que ses ennemis, et il savait qu'ils étaient nombreux, travailleraient à sa ruine dès qu'il serait

éloigné de la cour. Le sultan se souviendrait-il alors de sa promesse? Pour avoir au moins une garantie, il prie Mahmoud de lui donner par écrit l'assurance qu'il ne reviendra plus sur les actes de son administration après sa retraite.

Mahmoud consent à cette condition, et Haled part avec ses trésors pour aller jouir au fond d'une province de la sécurité qu'il ne pouvait espérer à Constantinople. A peine a-t-il fait quelques journées de marche, qu'il voit arriver un agent du gouvernement avec des lettres. C'était le kaboudji-bachi. Haled maudit dans son cœur l'inconstance de Mahmoud et sa facilité à se parjurer. « Mais, lui dit le kaboudji-bachi, c'est que Sa Majesté a connu enfin la vérité, elle sait tous vos forfaits; le sang innocent que vous avez versé comme l'eau de nos fontaines a crié et obtenu vengeance. Tendez le cou à mes janissaires.» Haled eut la tête tranchée, tous ses biens entrèrent dans le trésor pu blic, et son cadavre fut exposé sur les fourches patibulaires, comme celui des criminels.

Ainsi finit ce vizir, dont le nom est resté, à juste titre, un objet d'horreur et de malédiction parmi les Arméniens. Sa disgrâce l'empêcha de réaliser complétement le plan machiavélique qu'il avait conçu. Il avait abattu du premier coup les hautes têtes du parti catholique, en décimant la famille et les amis des Duzzoglou; mais il convoitait encore les fortunes de plusieurs autres maisons opulentes. Quel moyen pouvait-il prendre pour parvenir à ses fins? Il songeait à profiter des dissensions religieuses qui séparent les catholiques d'avec les schismatiques, en faisant entendre au sultan que les deux partis, formant une même nation, devaient avoir un même chef spirituel. Il savait que les catholiques, en refusant de se soumettre au patriarche, lui fourniraient l'occasion de déployer contre eux la sévérité et l'intolérance des lois; puis, la persécution entraînant la confiscation, il pourrait se livrer impunément à de nouvelles déprédations. La mort ne lui permit pas d'accomplir ses

détestables desseins, et cependant il réussit à semer au sein des Arméniens ces germes de divisions qui, en se développant, amenèrent la désastreuse réaction de 1828 contre les catholiques.

SIMON HYRAPIET.

Le sort des Arméniens de la Perse est encore plus précaire et plus dur que pour les sujets de la Turquie. Comme ils sont moins nombreux, et qu'ils ne disposent pas par leurs immenses capitaux du crédit public, ainsi que cela se passe chez les banquiers de Constantinople, et d'Angora, leur influence dans l'État est incomparablement moins grande, et ils sont par conséquent beaucoup plus exposés aux vexations et aux avanies, que leur attire déjà la qualité de chrétien, de la part des musulmans zélés. En second lieu, l'action de la civilisation européenne, qui presse et cerne de toute part la Turquie, en arrachant chaque jour à sa vieille barbarie quelque heureuse concession, n'est point aussi puissante dans le centre de la Perse, et l'intervention des ambassadeurs chrétiens n'offre point aux raïas un rempart contre les iniques exigences du despotisme orien

tal.

Jusqu'à nos jours le peuple de la Perse n'a guère cessé de traiter les Arméniens avec le même mépris que le schah Abas, qui ne voyait en eux qu'un troupeau d'hommes enlevés par jalousie à la domination turque, et traîné dans l'intérieur de son royaume pour le peupler et y importer une industrie qui pouvait lui être utile. Le cœur se soulève d'horreur, et la pensée cherche en vain dans la langue des expressions assez fortes et assez flétrissantes pour vouer à l'exécration de la postérité ce conquérant, quand le récit des historiens du temps vient étaler à vos regards le riche tableau de ses crimes et de ses brigandages. Qu'on se figure en effet douze mille familles ar rachées à leur patrie, dépossédées de leurs biens, chassées, comme un vil bétail, par des soldats grossiers, et cheminant attristées vers des terres in

connues, sans entrevoir aucun terme aux maux de tout genre qui les accablent. L'Europe, dans ses jours néfastes, n'a rien opposer à ces grandes scènes d'iniquité.

La faim et la fatigue ayant considé rablement réduit le nombre des exilés, mille autres familles furent enlevées à la populeuse Arménie, et, en 1606, Abas lançait de nouveau ses bandes sur les districts de Ganzak, d'Artavil et d'Érivan, avec ordre de lui ramener dix mille familles. Reléguées dans les cantons de Gaurapat et de Vahrapat, elles furent entièrement anéanties en quelques années, comme ces plantes délicates qui, transplantées dans un sol malfaisant, se dessèchent et périssent de langueur.

Il n'y eut que la colonie de Julfa à prospérer, et encore le nombre de ses familles ne s'est-il jamais guère élevé au-dessus de deux mille cinq cents, malgré les flots de population qu'on versait, pour ainsi dire, dans son sein, à cette époque qu'on pourrait avec justesse appeler le temps de la traite des Arméniens. Julfa, comme nous l'avous dit, est en quelque sorte un faubourg d'Ispahan, et cette petite ville est exclusivement arménienne. Les habitants sont soumis à l'autorité d'un chef choisi dans leur sein et nommé Kalanthar, lequel relève du magistrat persan supérieur. Ce mode de constitution s'est conservé jusqu'à ce siècle. Lorsque la cour résidait à Ispahan, la présence du roi, qui avait toujours quelque intérêt à défendre cette industrieuse colonie, arrêtait les gouverneurs et les empêchait d'être aussi entreprenants à persécuter les chrétiens. Mais depuis que les souverains ont fixé le siége de leur royaume à Téhéran, la distance rendant la surveillance plus difficile et moins directe, la cupidité et les autres basses passions des gouverneurs, excitées et encouragées par l'espoir de l'impunité, ont suscité aux Arméniens des persécutions nouvelles et appesanti leur joug.

Nous relaterons ici, en preuve de cette observation, l'événement tragique qui a jeté dans le deuil, voici seule

ment quelques années, tous les habitants de Julfa. Simon Hyrapiet, fils du précédent kalanthar, avait été, durant plusieurs années, attaché au service d'Émini Daoulah, gouverneur d'Ispahan, près de qui il remplissait les fonctions de secrétaire. Son zèle, son activité et sa rare intelligence des affaires, l'avaient fait apprécier du gouverneur, qui, pour le récompenser, lui donna le commandement du village de Phériah, habité par des Arméniens et des Persans.

Simon Hyrapiet accepta cette dignité, nouvelle pour un Arménien, afin d'user de l'autorité qu'elle lui conférerait à l'avantage des chrétiens de sa nation. La droiture de sa conduite, la franchise de tous ses actes, lui attirèrent aussi la confiance des Persans; il était l'arbitre universel de tous les différends, et son éloquence populaire, secondée par une connaissance profonde de la législation du pays, gagnait chaque cause qu'il plaidait. De cette manière, il avait acquis un large ascendant sur les esprits de son district et des cantons voisins, tellement que l'état général des Arméniens s'était considérablement amélioré, et un Persan ne se serait pas permis, comme anciennement, la moindre avanie, retenu qu'il était par la crainte que lui inspirait-Simon Hyrapiet.

les

Cependant le khan de Lombun, beau-frère du gouverneur d'Ispahan, voyait avec un œil de mécontentement l'élévation de ce magistrat arménien, qui, en consolidant par son administration habile la position des raïas, mettait à l'abri de ses concussions, et opposait à sa rapacité une barrière infranchissable. Ce khan s'appelait Hadji Hachim; issu de la tribu de Lore, celle à la tête de laquelle il était placé est connue sous le nom de Chirouni. La puissance d'Émini Daoulah avait contribué à accroître la sienne, et il avait discipliné les hommes de sa tribu de manière à en former un petit corps d'armée dont il se servait contre les propres sujets du royaume, et surtout contre les chrétiens pour les spolier. Il portait l'audace jusqu'à pousser ses

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