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possesseur de l'Arménie, fixa sa résidence dans une plaine, d'un aspect agréable, laquelle était environnée d'une muraille de hautes montagnes à la cime neigeuse, et qui était arrosée par des rivières dont les eaux murmurantes la coupaient en s'infiltrant dans les terres, et la traversaient dans toute sa longueur. S'étant ensuite bâti une ville près de la montagne située au nord, il l'appela de son nom Arakadj; et la plaine qui s'étend à ses pieds prit celui d'Arakadzoden. Il eut pour fils Armaïs ; et, après avoir encore vécu quelques années, il

mourut.

« C'est dans cette même plaine, où se trouve une petite colline près des bords de l'Araxe, qu'Armaïs bâtit une ville et un palais, ouvrage qui fut admirablement exécuté avec des pierres d'une grande solidité. Il appela la ville Armavir. Les autres anciens historiens ont suffisamment raconté tous les exploits de sa bravoure. Il était déjà assez avancé en âge lorsqu'il engendra Amasia; et après il vécut encore quelque temps, et mourut.

« Amasia s'établit dans cette même ville d'Armavir, et fit des constructions au pied de la montagne située au midi, qu'il appela de son nom Masis; toute la plaine qui s'étend alentour prit celui de Masisoden. Après quelques années, il engendra Kegham, puis il termina ses jours.

«Kegham vint s'établir sur le côté nord-est d'un petit lac; et, y ayant bâti des villages et des fermes, il appela de son nom la montagne Kegham; et le bord du lac où il avait fait ces établissements prit le nom de Kerarkouni. Il eut deux fils, Harma et Sisag. Il assigna Armavir pour résidence a son fils Harma, lequel fut chargé de l'administration du royaume de son père. Quant à Sisag, il eut pour sa part le pays qui s'étend du bord du lac au sud-est, jusqu'à la plaine que traverse l'Araxe, dont les eaux rapides et tournoyantes se précipitent avec fracas par l'ouverture étroite et resserrée d'une caverne; d'où vient que

plusieurs ont nommé ce lieu Karavagh. Kegham bâtit ensuite un bel et vaste édifice, qui, d'abord nommé Keghami, fut appelé ensuite Quarni par le prince Quarnig, puis il mourut. Son fils Harma engendra Aram, et mourut aussi.

a

On raconte d'Aram un grand nombre de faits glorieux. Sa valeur guerrière recula les frontières de l'Arménie dans toutes les directions; et c'est à cause des actions illustres de ce héros que les nations voisines nous appellent de son nom Arméniens. Ce prince ne s'empara pas seulement des pays dont la conquête était facile, mais encore de la Cappadoce, qu'il soumit de vive force (*). »

Les Assyriens ne renoncèrent pas à leurs prétentions; et la conquérante Sémiramis vint plus tard faire valoir ses droits. L'historien Moïse de Khoren, dont nous avons déjà parlé, nous a transmis, sur cette expédition et sur les travaux exécutés par cette reine, des renseignements fort curieux que nous chercherions vainement chez tout autre auteur ancien. Bien que le récit romanesque semble un fragment détaché de quelque ancien poëme, nous avons cru qu'il pourrait intéresser le lecteur, à qui il donnera en même temps une idée de l'exposition historique et du style des meilleurs écrivains de l'Arménie.

ARA. SA MORT DANS UN COMBAT CONTRE SÉMIRAMIS (**).

« Peu d'années avant la mort de Ninus, Ara régit en maître sa patrie, ayant obtenu de ce prince la même faveur qu'il avait accordée à son père Aram. Mais l'impudique et voluptueuse Sémiramis, qui depuis longues années avait entendu parler de sa beauté, brûlait de s'emparer de sa personne, sans

(*) Jean VI. Hist. d'Arm., manusc. arm. de la Bibl. roy., no 91, pages 11, 12, 15, 17, 20.

(**) Moïse de Khoren, liv. 1, ch. 15.

toutefois rien oser entreprendre ouvertement. Or, après la mort ou plutôt après la fuite de Ninus dans l'île de Crète, comme je le crois (*), Sémiramis, donnant un libre cours à sa pas sion, envoya près du bel Ara des messagers chargés de dons et de présents, et qui devaient employer la prière et la menace pour l'engager à venir à Ninive, soit pour l'épouser et régner sur tout le pays qu'administrait Ninus, soit seulement pour satisfaire son amour, et retourner ensuite paisiblement dans ses États, avec de riches cadeaux.

<< Comme les messages se répétaient sans qu'Ara donnât son consentement, Sémiramis entre en fureur, met fin aux négociations, et, à la tête de forces considérables, elle atteint, par ses marches forcées, le prince en Arménie. A en juger par les apparences, son intention n'était point de tuer ou de poursuivre Ara, mais bien de le soumettre et de l'amener par la force à consentir à ses impurs désirs. L'ardeur de sa passion était telle, que, lorsqu'on parlait de lui, elle tombait dans le délire, comme si elle le voyait. Elle arrive donc précipitamment dans la plaine nommée Ararad, du nom d'Ara; et, après avoir rangé ses troupes en bataille, elle recommande à ses généraux de prendre tous les moyens possibles pour conserver la vie au prince. Mais, lorsque le combat fut engagé, l'armée d'Ara fut battue, et il perit dans la mêlée de la main d'un des enfants de Sémiramis. Dans sa victoire, elle envoie sur le champ de bataille des hommes chargés de dépouiller les morts, pour chercher, au milieu des autres cadavres, celui de son cher amant. Ils trouvèrent Ara parmi les braves qui avaient succombé, et elle

(*) L'historien parle à deux reprises différentes de ce prétendu exil volontaire de Ninus dans l'ile de Crète, pour ne pas être témoin des excès de la reine, son épouse. Il ne dit pas sur quelle autorité il appuie cette opinion, dont on ne retrouve aucune trace chez les autres écrivains.

fit porter son corps dans son palais.

« Comme les troupes des Arméniens, désireuses de venger la mort d'Ara, étaient venues attaquer dans un second combat la reine, elle dit: J'ai commandé aux dieux de lécher ses blessures et de le ressusciter. Plusieurs fois l'excès de sa passion la porta à recourir aux enchantements de la sorcellerie pour le rappeler à la vie. Lorsque le cadavre tomba en putréfaction, elle le fit jeter et cacher dans une grande fosse. Puis, tenant en secret un de ses favoris paré comme Ara, elle répandit ce bruit: Les dieux ont léché les plaies d'Ara; il est ressuscité, et ils ont mis le comble à mes désirs. C'est pourquoi ils méritent désormais de recevoir de plus grands honneurs, puisqu'ils se sont montrés si propices à nos vœux. Elle éleva une nouvelle statue aux dieux, et l'honora en lui offrant beaucoup de victimes, voulant faire croire à tous que les dieux avaient ressuscité Ara. C'est en répandant ce bruit dans l'Arménie, et en l'accréditant parmi le peuple, qu'elle apaisa la guerre. »

La victoire de Sémiramis consolida la domination assyrienne; et, jusqu'an renversement de cette grande monarchie, l'Arménie resta tributaire et dépendante. Lorsque Varbag, gouverneur de Médie, lequel n'est que l'Arbacès des Grecs, se souleva contre Sardanapale, Baroïr, souverain de l'Arménie, entra dans cette conspiration, et le fruit qu'il en retira fut de rendre à son pays sa première indépendance. Tigrane Ier, contemporain de Cyrus, était un prince puissant ; et Xénophon nous dit que l'assistance qu'il prêta au fondateur de la nouvelle monarchie des Perses, contribua directement à sa victoire sur Astyages, roi des Mèdes. Son fils Vahakn fut tellement renommé par sa force et ses exploits, qu'il occupe, dans les anciens chants nationaux, la place de l'Hercule des Grecs. Ses successeurs, jusqu'à Vahé, continuèrent d'administrer le pays, en reconnaissant la suzerai

neté des rois de Perse (*). Mais les conquêtes d'Alexandre changèrent cet état de choses.

En effet, le jeune roi macédonien, en détruisant la dynastie persane, ne laissa point, dans les États environnants, de traces de la royauté. Il voulait être l'unique souverain, et il se contenta de placer dans l'Arménie un simple gouverneur. A la mort d'Alexandre, ses généraux se partagèrent l'empire; et celui qui s'empara de la Syrie réclama l'Arménie. Mais quelques sei-gneurs, qui souffraient impatiemment cette domination étrangère, chassèrent les conquérants; et la fondation de la nouvelle dynastie des Arsacides porta le coup mortel aux Grecs.

Celui qui opéra cette révolution était, nous dit Jean VI, le valeureux Arschag ou Arsace, de la race d'Abraham par Kedourgha, qu'il prit pour sa femme après la mort de Sara; il régna à la fois sur les Medes, les Perses et les Babyloniens. Aussi sa grande puissance lui merita-t-elle le nom de Parthe. Il soutint plusieurs combats contre les chefs les plus aguerris, et demeura toujours vainqueur. Les conquêtes le rendirent entreprenant, et il plaça sur le trône d'Arménie son frère Vagharschag, prince qui, à la bonté du caractère, unissait la prudence et la bravoure. Après de nombreuses victoires remportées sur

ses ennemis, il fit, avec un ordre convenable, beaucoup de règlements civils d'une grande utilité pour la vie publique. Il commença par donner à la royauté le lustre et l'éclat de ses mœurs personnelles; puis, lorsqu'il eut affermi le pouvoir dans ses mains il plaça dans son palais et dans tout son royaume des hommes distingués et capables, de la race d'Haïg ou des autres premières familles, variant pour chacun les attributions de sa dignité.

Ainsi, Pakarad, juif d'origine, dont on fait remonter la maison à David, fut spécialement chargé de couronner le roi, et cela pour le récompenser d'être venu le premier offrir ses services à Vagharschag. En outre, il fut nommé sbarabied, et il commandait un corps de onze mille hommes, outre qu'il avait le gouvernement du pont et de la ville de Césarée, nommée Midshag, ainsi que de toutes ses dépendances.

Le roi s'avança ensuite du côté de la mer, vers le mont Caucase; et il commanda à la peuplade sauvage des Chourdapars de quitter ses mœurs barbares et de renoncer à sa vie de brigandages et de meurtres, pour entrer dans son obéissance, et de lui payer tribut; moyennant quoi ils pourraient devenir dignes d'être élevés aux dignités et au rang de la noblesse arménienne.

(*) Voici la liste des princes de la race haïganienne qui se sont succédé pendant dix-huit siècles environ.

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Av. J. C.

838 Pharnabace 1er.

805 Pharnag II.

765 Sgaiorti. 748 Baroir.

700 Hratchéa, son fils. 6-8 Pharnabace II.

665 Badjoidj, son fils. 630 Gornhag, son fils. 622 Phavos, son fils. 605 Haigag II, son fils. 569 Érovant 1, son fils. 565 Tigrane 1er, son fils. 520 Vabakn, son fils. 493 Arhavan, son fils. 475 Nerseh, son fils. 440 Zareh, son fils. 394 Armok, son fils. 385 Paikam, son fils 371 Van, son fils. 351 Vahé, son fila

Après avoir ainsi porté ses soins dans les parties extérieures de son royaume, il songea à régler l'intérieur de son palais, et à y établir toutes les institutions utiles qui sont du ressort de la royauté. Ainsi, outre la dignité conservée à Pakarad, il créa des chambellans, des gardes du corps, des gardes-chasses chargés de prendre soin du gibier destiné à la table royale, des valets, des serviteurs, et des chiliarques pour les sacrifices. Il établit en outre des échansons, des fauconniers, et des hommes spécialement chargés d'apprêter la neige pour la boisson d'été, et d'autres pour les provisions d'hiver. Il avait une légion à qui la porte du palais était confiée; puis un grand nombre d'eunuques. La seconde dignité du royaume fut donnée à un personnage de la famille d'Astyages, roi des Mèdes, laquelle porte aujourd'hui le nom de Mouratsant.

L'administration de son palais une fois organisée, il nomma des chefs de province, des satrapes, des gouverneurs et des préfets, dont l'un résidait au nord, dans le pays de Koukar, et l'autre au nord-ouest, dans le canton d'Ardschk'n. Il régla les heures d'audience et les jours d'assemblée de conseil, et de fêtes. Il attacha aussi à sa personne deux hommes dont l'un devait l'avertir des bonnes actions qu'il faisait, et lui rappeler les sentiments de justice et d'humanité lorsqu'il s'en éloignait. L'autre devait l'engager à punir les méchants, et à les chatier selon leurs crimes.

Il voulut que l'on traitât avec plus de distinction les habitants des villes que ceux des campagnes; mais en même temps il défendit à ceux-là de s'élever avec orgueil et mépris au-dessus des paysans, cherchant à établir entre ces deux classes une union paternelle et dépourvue de jalousie; fondement de Ja stabilité et de la paix publique. Après toutes ces belles et sages institutions, qui lui ont mérité le nom de bon et de glorieux, il mourut à Nisibe, ayant occupé le trône vingt-deux ans (*).

(*) Jean VI. Manus. arm., no 91, p. 35.

Les armes victorieuses de ses descendants repoussèrent les Grecs jusqu'au delà de l'Euphrate. Un des membres de cette maison, Vagharschad, reçut comme domaine l'Arménie; et, dans sa personne, commence une nouvelle dynastie de rois qui subsista jusqu'à l'usurpation du trône de Perse par les Sassanides.

Quelques-uns de ces rois jouèrent un rôle brillant; tel fut Tigrane II, qui s'affranchit totalement de la puissance des Parthes, et conquit la Syrie et plusieurs provinces de l'Asie Mineure. Les historiens romains ont décrit le faste de ce fidèle allié de Mithridate (*), qui balança quelque temps la fortune de leurs armes. Mais ce roi des rois, à la tête de trois cent soixante millé hommes, tous bardés de fer, ne put tenir devant les légions de Lucullus et de Pompée. Artavasde, tils et successeur de Tigrane, surpris par le perfide Marc-Antoine, est emmené captif à Alexandrie, où il fut décapité par l'effet d'un caprice de Cleopâtre.

Rome tendait à s'assimiler tous les peuples conquis par ses armes, et à effacer chez eux les traits distinctifs de leur nationalité. Elle laissa à l'Arménie ses princes, mais en limitant leur pouvoir comme celui de ses proconsuls. Les Arméniens se trouvaient sous le coup de deux puissances qui cherchaient simultanément à les dominer: c'étaient les Romains et les Parthes. Trouvant en ces deux peuples des ennemis déclarés de leur propre liberté, ils n'obéissaient qu'à contrecœur; et c'est ce qui faisait dire à Tacite (**): «La nation arménienne, dont le caractère de ses habitants nous est aussi peu connu que l'emplacement de son territoire, s'étend jusque chez les Mèdes, en bordant au loin nos pro

(*) Les historiens arméniens en s'appuyant sur une autorité qui nous est inconnue, prétendent que Mithridate ne s'empoisonna pas lui-même; que ce fut Pompée qui lui présenta le breuvage mortel, après s'être emparé de sa personne par les artifices de Pilate.

(**) Tacit. Ann., liv. 11, § 56.

vinces. Jetée au milieu de deux grands empires, elle est le plus souvent en discorde par haine contre les Romains, et par rivalité contre les Parthes. » La distinction de l'historien romain était juste. La même religion, le magisme, rapprochait les Arméniens des Perses, avec lesquels ils avaient aussi de commun des intérêts de dynastie, les mœurs et les lois. Ils étaient donc plus portés à faire alliance avec ces voisins qui respectaient encore mieux leur liberté politique que les conquérants de l'Italie, dont le despotisme inflexible et uniforme ramenait l'état social de chaque peuple nouvellement conquis à celui de la cité mère.

Mais, lorsque le christianisme eut pénétré dans ce pays et soumis les intelligences par la persuasion, les bienfaits de cette religion sainte et civilisatrice, importée chez eux de l'empire, changèrent les dispositions du peuple et le réconcilièrent avec les Romains. Il comprenait qu'il trouverait parmi eux ses protecteurs naturels contre la Perse, adonnée aux principes de Zoroastre et ennemie du nom chrétien (*). Abgare occupait la partie méri

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2.- - Erato, veuve de Tigrane III. Après an règne de courte durée, elle est forcée d'abdiquer.

Ap. J. C. 2.-Ariobarzane, prince mède que les Romains déclarent roi.

4. Artavasde III, ou Artabase, son fils, détrôné peu après.

5.- Erato remonte sur le trône. Sa mort est suivie d'un interrègne.

16. Vononės, roi des Parthes, fils de Phrahates IV. Chassé par Artaban III, il vint chercher un asile chez les Arméniens qui le placerent sur le tròne, où il ne put se maintenir.

17.- Interrègne.

dionale de l'Arménie; il résidait à Édesse. Sa magnanimité, la droiture de ses actes et ses vertus avaient répandu au loin sa réputation. Aussi fut-il choisi pour arbitre entre les enfants du roi de Perse, qui se disputaient la couronne. Il donna le sceptre à Ardachés, et sépara les autres frères avec leur sœur en trois branches nommées Garéni, Bahla, et Souréni. De ces trois familles sont sortis ses princes et d'autres personnages célèbres dans les annales de la nation. Ainsi le premier patriarche, saint Grégoire, descendait des deux maisons Souréni et Bahla.

C'est sous le règne d'Abgare, comme nous l'avons dit dans la partie religieuse de cette histoire, que le christianisme jeta dans les âmes ses premières semences. A sa mort, le royaume fut partagé entre son fils Anané et Sanadroug, son neveu. Mais ce dernier, dévoré d'ambition, marche sur Edesse, la livre au pillage, détruit la famille et la postérité d'Abgare, et transfère le siége de son royaume à Nisibe, qu'il orna d'édifices splendides. Après un règne de trente ans, dans lequel il se livra à toutes les perversi

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