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le droit de gens. Ils pouvoient, par exemple, vendre, acheter, donner, recevoir entre-vifs (1); ils étoient exclus de la jouissance des droits civils, ainsi qu'on vient de le voir, et par cette raison, ils étoient inhabiles à recueillir des successions légitimes ou testamentaires, comme ils étoient inhabiles à transmettre des successions à l'un ou à l'autre de ces deux titres. C'est ce qui faisoit dire de l'étranger qu'il vivoit libre en France et mouroit serf. Liber vivit, servus moritur.

231. Dans la vue de favoriser les rapports commerciaux entre la France et les puissances étrangères, des ordonnances exceptoient du droit d'aubaine le mobilier appartenant aux marchands étrangers qui fréquentoient les foires de Lyon.

232. Le droit d'aubaine cessoit aussi à l'égard des parens d'un étranger lorsqu'ils étoient régnicoles.

233. Les étrangers ne pouvoient pas obtenir la cession des biens ni plaider comme demandeurs devant les juges territoriaux, sans fournir la caution judicatum solvi.

234. Ils étoient incapables de posséder des offices ou bénéfices ou fonctions publiques. Répert. de jurisp., Étranger, S 1er.

235. Par un décret du 6 août 1790, l'Assemblée constituante, dans des vues de philantropie et voulant établir une sorte de fraternité

(1) Aujourd'hui la donation entre-vifs est regardée comme un acte de droit civil. Voyez Code civil, art. 25.

universelle entre toutes les nations, supprima le droit d'aubaine et de détraction, sans aucune condition de réciprocité.

236. Lors de la discussion du Code, on éleva de vifs débats sur le point de savoir s'il convenoit de maintenir ou bien de rapporter le décret de l'Assemblée constituante.

237. M. Roederer a fait un rapport très intéressant à l'égard de la position des étrangers en France avant et depuis le décret de l'Assemblée constituante; et a examiné, en même temps, si l'intérêt de la France exigeoit ou non le retour aux anciens principes. Je vais donner un extrait de ce rapport.

<< Sous les règnes de Louis XV et Louis XVI (dit ce jurisconsulte), la plupart des puissances de l'Europe convinrent avec la France, les unes, de l'abolition totale et réciproque de l'aubaine, les autres, avec réserve réciproque d'un droit de dix pour cent sur les successions, sous le titre de droit de détraction. Une multitude de traités furent conclus à cet effet.

« Le droit d'aubaine ne subsistoit plus qu'à l'égard d'un petit nombre d'états, lorsque l'Assemblée constituante, par un décret du 6 août 1790, abolit, et pour toujours, le droit d'aubaine et celui de détraction, sans aucune condition de réciprocité.

« Mais les droits d'aubaine et de détraction ne regardoient que la succession des étrangers morts en France; et les traités et le décret du 6 août 1790, n'abolissoient que ces droits. Or,

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l'usage existoit toujours en France de succéder aux François qui ne laissoient que des héritiers étrangers, comme, chez les étrangers, de succéder aux sujets de l'état qui ne laissoient que des héritiers françois. L'art. 3 du décret du 8 avril 1791 a aboli cet autre droit en faveur des héritiers étrangers, sans condition de réciprocité. Les étrangers, porte la loi, quoiqu'établis hors du royaume, seront capables de recueillir en France les successions de leurs parens, méme François.....

M. Roederer ajoute un peu après :

«1o. En vertu du décret du 6 août 1790, qui abolit sans réciprocité le droit d'aubaine, la Suède, la Prusse, et d'autres états qui, comme ceux-là, n'ont pas fait de traités pour son abolition, pourroient hériter de tous les biens immeubles d'un François situés en Suède; et la France laisseroit la Suède recueillir en France les immeubles laissés par un Suédois décédé en

France.

« 2o. En vertu de l'abolition gratuite du droit de détraction, les François qui auroient à recueillir à Hambourg la succession d'un François, en laisseroient dix pour cent au trésor public de Hambourg, tandis que les héritiers hambourgeois viendroient recueillir en entier la succession de leur compatriote mort en France.

« 3o. En vertu du décret du 8 avril 1791, qui abolit sans réciprocité le droit qu'avoit la France de succéder au François mort sans héritier républicole, des François-nés pourroient aller re

cueillir la succession de leur parent, sujet d'aucun état étranger, même de ceux qui ont aboli le droit d'aubaine; tandis que tout étranger appelé par le droit du sang à hériter d'un François, peut ou recueillir en entier sa succession, ou la partager avec des cohéritiers françois:

<< En deux mots, depuis le mois d'août 1790, et le mois d'avril 1791, tout étranger, sans habiter la France, peut recueillir en France la totalité d'une succession à lui laissée en France, soit par un étranger, soit par un François, soit que l'état auquel cet étranger appartient fasse jouir ou non les François de la réciprocité.

<< Maintenant les rédacteurs du projet de Code civil proposent de changer cet ordre de choses; ils proposent d'insérer dans le Code civil l'une ou l'autre de ces deux dispositions :

« L'étranger jouit en France des mémes droits civils que ceux accordés aux François par la nation à laquelle cet étranger appartient.

Ou bien :

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L'étranger jouit en France des droits civils qui lui sont accordés par les traités faits avec la nation à laquelle cet étranger appartient.

« Le sens de ces deux rédactions est également opposé au systême de l'Assemblée constituante; elles tendent toutes deux à rétablir, au profit du domaine de la république,

<< 1o. Le droit d'aubaine à l'égard de tout sujet d'un pays où ce droit ne seroit pas aboli à l'égard des François;

« 2o. Le droit de détraction à l'égard de tout sujet d'un pays étranger où ce droit seroit maintenu;

« 3°. Le droit d'hériter du François qui n'auroit pour héritiers naturels que des étrangers.

«< 4°. Enfin, la proposition des rédacteurs tend à rétablir l'exclusion des héritiers étrangers au profit des parens françois, pour la succession d'un François. >>

M. Roederer examine ensuite s'il est de l'intérêt de la France de laisser subsister les lois de 1790 et 1791, qui accordent aux étrangers, sans réciprocité et sans restriction, le droit d'hériter en France, soit d'un sujet de leur nation, soit d'un François; ou bien de n'accorder aux étrangers le droit de succéder en France, que conformément aux traités existans, ou à la charge d'une parfaite réciprocité.

Je ne suivrai pas M. Roederer dans l'examen de cette question. Je dirai seulement que M. Roederer termine son rapport par se déclarer contre le systême de l'Assemblée constituante qu'il trouve peu conforme aux intérêts de la France et même de l'humanité; il lui paroît que la France aura fait tout ce qu'exige d'elle sa longanimité, en provoquant, de la part des nations étrangères, l'abolition de droits barbares, par une abdication conditionnelle et subordonnée de ses propres droits; et il observe que, pour remplir cette vue, l'article présenté par les rédacteurs du Code civil doit être amendé de la manière suivante;

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