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que de l'empereur de Russie lui fit trouver plus galant d'envoyer un de ses aides-de-camp pour assurer le voyage de l'impératrice, que de donner des ordres pour que toutes ces bandes spoliatrices s'éloignassent au moins à une distance respectueuse. Cela ne peut s'expliquer que par le plaisir secret qu'il éprouvait à se donner l'air de protéger l'impératrice. Nous verrons bientôt qu'il lui réservait une autre espèce d'outrage. L'arrivée à Blois de cet aide-de-camp, avec une pareille mission, fit une impression fâcheuse; il donna des passe-ports à la suite de l'impératrice, qui ne pouvait pas voyager avec cette princesse sans la protection de ce Moscovite. Les membres du gouvernement accompagnèrent leur souveraine à Orléans; le passe-port donné par l'aide-de-camp russe ne fut pas inutile, car un parti de cosaques poussa effectivement jusqu'à Beaugency et pilla une partie des équipages.

L'impératrice arriva à Orléans, où on lui fit encore une réception de souveraine; les troupes étaient sous les armes et les acclamations du public l'accompagnèrent jusqu'à son palais. On savait cependant tout ce qui avait eu lieu à Paris. Je faisais de bien tristes réflexions en voyant la ville d'Orléans pleine de troupes; nous en avions laissé encore bien davantage à Blois, où s'étaient successivement retirés les dépôts qui étaient à Versailles et à Chartres, ainsi que la colonne des troupes de la garde qui accompagnait l'impératrice, et cela d'après les dispositions du ministre de la guerre. Comment tout cela n'avait-il pas été réuni aux corps des maréchaux Mortier et Marmont, qui défendaient Paris? On ne peut en donner une autre raison, sinon qu'on ne l'avait pas voulu; mais assurément ces divers détachemens s'élevaient à plus de vingt mille hommes. Que l'on ajoute à cela l'arsenal de Paris, et l'on sera forcé de convenir que l'on a manqué de tête ou de cœur, et que l'empereur a été bien mal servi sous ce rapport.

L'impératrice était à peine rendue à Orléans, qu'on vit arriver dans cette ville un agent du gouvernement provisoire. On ne savait quel objet pouvait l'amener, mais il était tout frais sorti du donjon de Vincennes ; sa mission n'annonçait rien de bon. Les conjectures qu'elle faisait naître ne tardèrent pas à se vérifier. M. Dudon, qui avait été renfermé pour avoir déserté son poste, abandonné l'armée d'Espagne, et répandu la terreur dont il était saisi sur la route qu'il avait parcourue, avait de quoi se venger dans sa poche. C'était un arrêté (du moins il en parut un dans le Moniteur) dont les considérans expriment trop bien le système de déception de l'époque pour n'être pas reproduit. Il était ainsi conçu :

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"Le gouvernement provisoire, informé que, d'après les "ordres du souverain dont la déchéance a été solennellement (6 prononcée le 3 avril 1814, des fonds considérables ont été "enlevés de Paris dans les jours qui ont précédé l'occupation ❝ de cette ville par les troupes alliées; que ces fonds ont été "conduits en plusieurs transports sur divers points du "royaume ; qu'ils ont même été grossis par les spoliations de plusieurs caisses publiques dans les départemens; que les "caisses municipales et celles même des hôpitaux n'ont pas échappé à cette dilapidation; voulant, dans le plus bref "délai, faire rentrer au trésor les fonds qui lui ont été sous“traits, et qui appartiennent au service public.

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"Arrête ce qui suit :

“ARTICLE PREMIER. Tout dépositaire, tout rétentionnaire de fonds provenant de cet enlèvement et de cette spoliation, est tenu, dès l'instant où la connaissance du présent décret lui sera parvenue, de faire la déclaration desdits fonds au maire de la commune la plus prochaine du lieu où il se trouve, pour, par suite, en effectuer le dépôt dans la caisse du receveur-général ou municipal de ladite commune.

"ART. II. Tout conducteur de transport desdits fonds, de quelque qualité qu'il puisse être, est tenu d'arrêter le transport à l'instant, de faire sa déclaration au maire de la commune la plus voisine du lieu où il se trouve, et d'effectuer le dépôt où il est dit en l'article ci-dessus.

"ART. III. Tout commandant d'escortes militaires quelconques est tenu aux mêmes obligations que celles portées aux articles ci-dessus, et de veiller à ce que le dépôt soit fait immédiatement.

"ART. IV. Tout magistrat, tout administrateur civil ou militaire, préfet, maire, commandant de place, est tenu, dès l'instant où il a connaissance d'un transport de la nature de ceux indiqués au présent arrêté, de s'opposer de tous ses moyens et de toutes les forces qui sont à sa disposition, à ce que ledit transport soit continué, et est tenu de veiller à ce que le dépôt des fonds qui peuvent y être compris soit fait immédiatement, ainsi qu'il est dit aux articles précédens.

"ART. V. Tous les individus dénommés dans les articles du présent arrêté qui n'obtempéreraient pas aux injonctions qui leur seraient faites sont déclarés civilement et personnellement responsables des sommes qui pourraient avoir été soustraites par leur négligence ou par leur désobéissance, sont déclarés eux-mêmes spoliateurs des caisses publiques, et, comme tels, seront judiciairement poursuivis dans leurs personnes et dans leurs biens.

"Fait à Paris, le 9 avril 1814.

Signé, le Prince de BÉNÉVENT,

Le Duc DALBErg,

François de JAUCOURT,
BEURNONVILLE,

MONTESQUIOU.

L'arrêté est positif. Il s'agit de spoliations, de deniers publics; rien de plus sage que de faire rentrer au trésor ce qui en a été indûment extrait. Malheureusement les faits ne justifient pas les intentions que l'on afficha, ou plutôt les intentions sont en contradiction manifeste avec les faits: car enfin, M. Dudon n'était pas un novice; il n'était pas homme à se méprendre, et l'eût-il d'ailleurs été, il ne l'a pas fait dans le cas dont il s'agit, puisque ses opérations ont été approuvées. Or, que fit-il? Examinons. Il se rendit de Paris à Orléans par la route la plus directe, qui ne pouvait pas être celle où le gouvernement de la régente avait enlevé des caisses publiques, puisqu'il ne l'avait pas suivie. D'ailleurs, avant de faire partir M. Dudon, on s'était fort bien assuré, on l'avait pu du moins, dans toutes les administrations, qu'aucun denier public n'en avait été enlevé.

Du reste, ce n'était pas de ceux-ci, qui se retrouvent toujours, que l'on s'était occupé. En effet, à qui s'adressa M. Dudon en arrivant à Orléans ? A M. de la Bouillerie, trésorier de la liste civile, et qui, comme tel, n'avait pas de deniers publics. On voulait s'emparer de ceux que ce fonctionnaire avait en caisse, mais l'arrêté ne pouvait les atteindre, et on le sentait bien; aussi n'essaya-t-on aucune tentative sérieuse auprès de lui.

On eut recours à un officier de gendarmerie d'élite, M. Janin, de Chambéry, aujourd'hui officier-général, qui était commis à l'escorte de cet argent. Ce jeune homme, voyant un moyen de faire sa fortune, se donna à M. Dudon. Il rassembla son détachement, fit atteler d'autorité les caissons qui contenaient encore le trésor de l'empereur Napoléon, car on ne l'avait pas déchargé, et se mit en route pour Paris, où il arriva sans coup férir.

C'est ainsi que ce trésor fut enlevé; on ne respecta pas même le linge et les habits de l'empereur Napoléon. Les

fourgons furent ramenés le 12 dans la cour des Tuileries, d'où ils étaient partis le 30 mars.

Ainsi, dans le court espace de trois jours, M. Dudon s'était rendu à Orléans, et en avait ramené un lourd transport qui devait en mettre au moins quatre à parcourir le trajet qui sépare cette ville de la capitale. Comment eut lieu cette étrange célérité? comment concilier la date de l'arrêté avec celle de la rentrée des fonds? Je l'ignore, à moins toutefois qu'on n'admette une version assez plausible qui courut alors, c'est que l'arrêté eut moins pour objet de prescrire une spoliation sur laquelle on ne comptait pas, que de sanctionner ce qui avait été fait.

Quoi qu'il en soit, la proie faillit mettre le désordre dans la troupe chacun revendiqua l'honneur de la conception et voulut se faire une meilleure part. Les amis intervinrent et l'aubaine fut jugée assez bonne pour que personne ne se gardât rancune.

On a prétendu depuis que cette affaire n'avait eu lieu qu'après la dissolution du gouvernement provisoire. Le fait est inexact: il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer la date de l'arrêté. L'argent est d'ailleurs arrivé à Paris le jour même où le comte d'Artois fit son entrée dans cette capitale. Le prince ne put ordonner une chose qui était faite. Je reviens à la conduite de l'agent du gouvernement provisoire.

Il se montrait si pressant, qu'on n'eut que le temps d'exécuter diverses dispositions que l'empereur avait prescrites, lorsque M. Dudon signifia l'objet de son voyage. Il voulait annuler les ordres qui avaient été donnés en conséquence, mais on lui observa que ceux dont il était porteur ne pouvaient pas avoir d'effet rétroactif, et on l'obligea à se contenter de ce qu'il trouvait. Il est bon d'observer que l'argent que le gouvernement provisoire envoyait saisir était à l'em

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