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Russie tint à une princesse qu'il venait de faire descendre du trône, et à laquelle il arrachait le diadème. Il ne pouvait pas assurément douter des sentimens dont elle était animée; aussi ne répondit-elle à tant d'offres de service que par un froid remercîment, ajoutant qu'elle n'avait plus rien à désirer que la liberté de retourner promptement dans sa famille. La conversation finit, et l'autocrate se retira.

Je tiens de feu madame la comtesse de Brignole, que je vis avant qu'elle ne partît pour Vienne, que de tout ce qui avait affligé l'impératrice, cette visite était ce qui lui avait été le plus pénible.

Il faut croire que l'empereur Alexandre avait craint que la jéune souveraine, justement offensée, ne s'excusât s'il lui demandait, dans les formes d'usage, la permission de lui rendre des devoirs, et qu'il imagina de s'y faire accompagner par son allié l'empereur d'Autriche; mais quelle que soit la couleur que l'on veuille donner à cette démarche, elle aura toujours quelque chose d'assez choquant, dans la forme comme dans les bienséances, pour en laisser apercevoir le motif.

En y réfléchissant, on trouve qu'elle est une conséquence de la marche adoptée par les souverains alliés, pour détacher la nation de l'empereur. L'on imagina sans doute, pour compléter l'œuvre, d'avilir l'impératrice, et de la présenter au public comme partageant les sentimens des âmes viles qui couraient rendre des actions de grâces aux ennemis pour les avoir affranchis de la prétendue tyrannie de son époux. Au reste on ne l'abusa pas; elle discerna fort bien le motif qui avait conduit l'empereur Alexandre. Elle est douée d'un trop bon jugement pour ne pas s'en être formé l'opinion qu'elle était autorisée à en concevoir.

Peu de jours après cette visite de Rambouillet, l'impératrice partit pour Vienne; elle alla le premier jour coucher à

Gros-bois, chez le prince de Neufchâtel, ayant passé par Versailles, Vervières et Soisy. Chacun alla la voir, et lui dire un dernier adieu.

Elle voyagea escortée par les troupes de son père, et prit la route même qu'avaient tenue les alliés pour venir de Bâle à Paris. Elle parcourut avec une noble fierté les départemens d'un pays qui, à pareille époque (elle avait été mariée à l'empereur le 8 ou le 10 avril 1810), à quatre ans de distance, avait élevé des arcs de triomphe sur son passage, avait semé des fleurs sur son chemin. Il la voyait partir alors comme la dernière victime des ennemis qui avaient dévasté ses cités, et emportant avec elle le lien qui semblait encore, peu de temps auparavant, devoir l'unir indissolublement avec les Français. Son cœur était déchiré pendant ce triste voyage, tout lui était amer; elle ne trouva un peu de distraction que lorsque ses yeux ne furent plus frappés des tableaux qui entretenaient sa douleur. Elle emporta les regrets de tout ce qui avait eu le bonheur de l'approcher, et laissa parmi nous le souvenir de toutes les vertus.

La mère de l'empereur était partie d'Orléans pour Rome avec son frère, le cardinal Fesch; le roi Louis suivit sa mère; le roi de Westphalie se rendit en Styrie; le prince Joseph alla en Suisse; les sœurs de l'empereur se retirèrent également en pays étranger. Il est temps de revenir à ce qui se faisait à Paris.

CHAPITRE XV.

Toujours M. de Talleyrand.-Incroyable transaction; ses motifs.-Le fermier des jeux Saint-Brice.-Arrivée du roi à Compiègne.-Harangue inconve nante de Berthier.- Saint-Ouen; la constitution du sénat.-Entrée de Louis XVIII à Paris.-Jugement sévère de la multitude.-Incidens fâcheux. —J'écris à Alexandre.—Pourquoi je ne puis aller dire adieu à l'empereur.

DEPUIS l'abdication de l'empereur, c'est-à-dire, depuis le s avril, la guerre était naturellement finie, puisque ce n'était qu'à lui, disait-on, qu'on la faisait; elle l'était effectivement, car les armées ennemies étaient de suite entrées en cantonnement, et une ligne de démarcation avait été tracée entre la portion de territoire qu'elles occupaient et celles où étaient réparties nos troupes. Les généraux de l'armée française étaient pour la plupart à Paris, ils y avaient même des troupes; l'armée entière avait d'ailleurs reconnu le gouvernement provisoire, et lui obéissait ainsi qu'à ses ministres, qui étaient fort assidus à rendre leurs hommages aux souverains alliés. On attendait le roi, qui ne devait pas tarder à arriver, et comme on ne pouvait pas espérer l'abuser par les contes que chacun se proposait de lui faire sur la part qu'il avait eue à son rappel au trône, on se hâta de lui lier les mains par une constitution que l'on fit faire à lá hâte par le sénat. Il n'y eut que les dupes qui furent pris à un leurre de cette espèce. Le sénat ne pouvait pas plus donner une constitution aux Français, qu'il n'avait eu le droit de prononcer la déchéance de l'empereur. Le roi avait un esprit trop supérieur à celui de tous ces casse-cous politiques pour se faire illusion sur les véritables causes de son retour.

Un fait qui prouve combien ces artisans de troubles qui

n'avaient cessé de tromper la nation en trahissant constamment le plus faible au bénéfice du plus fort, s'attendaient peu à la rentrée du prince auquel ils voulaient faire croire qu'ils avaient rendu la couronne, c'est qu'ils n'avaient pas même de conventions faites avec lui. Assurément s'ils eussent réellement songé à le remettre sur le trône, et qu'ils eussent eu les vues d'intérêt public dont ils se targuent, ils auraient fixé quelques bases, exigé quelques garanties, ou bien ils eussent été les plus imprévoyans des hommes. Mais ils ne méritent pas ce dernier reproche; le roi fut ramené par les événemens, et quand ils virent qu'ils ne pouvaient l'éviter, que leurs intrigues n'avaient tourné qu'au profit de l'émigration, ils imaginèrent de s'approprier l'œuvre des circonstances, et de s'attribuer ce qui s'opérait malgré eux. Ils s'avisèrent alors d'improviser une constitution qu'il leur importait d'obtenir, d'abord pour leur propre sûreté, ensuite parce que c'était une pièce nécessaire pour entraîner les Français près desquels ils n'avaient, pour moyen de persuasion, qu'une proclamation du roi, qui même avait près d'un an de date. Ils croyaient qu'avec cette constitution ils allaient être à l'abri des conséquences qu'ils redoutaient; on verra combien ils étaient dans l'erreur. Je sais du reste que M. de Talleyrand ne donnait pas dans cette illusion. Il ne s'abusait pas sur les suites que pourrait avoir le retour de la maison de Bourbon, et avait songé à prévenir les conséquences fâcheuses qu'il serait dans le cas d'avoir pour lui personnellement. Il était dans un besoin d'argent extrême, et perdait un traitement annuel de 100 mille écus dont il jouissait sous le gouvernement de l'empereur. Il voyait bien que le roi ne pourrait conserver à personne des émolumens aussi considérables. Un fait vient à l'appui de ce que j'avance: M. de Talleyrand avait acheté, du produit de l'hôtel qu'il avait vendu à l'empereur, une maison de plaisance nommée Saint-Brice, à peu de distance de Saint-Denis. La perte de son traitement le mettait dans

TOME IV.-lère Partie.

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l'impossibilité de conserver cette maison qui était d'un entretien dispendieux; en conséquence, il chercha à s'en défaire. Personne ne se présenta pour l'acquérir, mais il sut y suppléer. Il fit venir le fermier-général de l'entreprise des jeux de Paris, et lui proposa de lui acheter cette propriété ; celuici déclina sa proposition, mais inutilement. On lui signifia qu'on ne l'avait pas fait appeler pour éprouver un refus, qu'il fallait acquérir, et que, si le contrat n'en était pas signé dans vingt-quatre heures, le bail était cassé et donné à un autre. Le fermier était sans appui, il avait affaire au chef du gouvernement provisoire, il se résigna et demanda le prix qu'on mettait à la maison. On lui répondit 250,000 francs ; il les fit payer le jour même, sauf à se les faire rembourser par les joueurs, et à se défaire comme il pourrait de la maison.

Il fallait que M. de Talleyrand n'eût pas des pressentimens rassurans, pour se défaire, par de semblables moyens, de tout ce qui pouvait être d'une réalisation difficile. Mais revenons à la position de la France vis-à-vis des étrangers, qui avaient déclaré ne vouloir lui imposer aucun sacrifice.

On attendait le roi, dont l'arrivée avait été assignée à jour fixe. On pouvait discuter sur la paix à loisir, puisque l'on ne se battait plus, et qu'il n'y avait plus d'effusion de sang à arrêter. Cependant on se hâta d'ouvrir une négociation, et l'on fit signer au comte d'Artois des préliminaires qui nous dépouillaient de tout ce que nous possédions encore dans les contrées qui avaient été si long-temps annexées à la France. Flottes, arsenaux, places, constructions de toute espèce, nous nous dessaisîmes de tout. Comment achetâmes-nous si cher un armistice qui existait par le seul fait de l'abdication? Comment payâmes-nous si haut une suspension d'armes dont nous jouissions déjà ? Comment M. de Talleyrand, qui connaissait si bien la valeur des objets négociables dans les transactions politiques, commença-t-il par priver la France

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