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bonne et pure, sont les mêmes qui ont été les moteurs de tous les grands désordres depuis 1789 jusqu'à cette désastreuse époque, et qui chaque fois se sont montrés avec un degré de démoralisation de plus. Que disent-ils à présent à cette même nation qui redemande le prix des efforts qu'elle a faits pendant vingt ans, et du sang que ses enfans ont répandu? La renverront-ils au roi ou aux princes de la maison de Bourbon? Mais le roi ne peut être comptable de ce qu'il n'a pas reçu; le gouvernement provisoire de M. de Talleyrand, en trafiquant de l'armistice qui a précédé l'entrée du roi à Paris, a mis le monarque dans l'impossibilité de faire valoir les droits de conquête que pouvait encore appuyer la nation. C'est ce gouvernement provisoire qui a consommé sa ruine, et qui par là a peut-être jeté parmi elle les élémens de quelques discordes nouvelles. Enfin on dira aux Français: Si les Autrichiens avaient abandonné leur monarque dans les deux occasions où vous avez été à Vienne, la monarchie autrichienne était perdue. Si les Prussiens avaient été infidèles à leur roi après les malheurs dont leur pays fut accablé, c'en était fait de leur existence politique. Si les Russes avaient de même abandonné l'empereur Alexandre, parce que nous étions les maîtres de Moscou, cette vaste monarchie aurait été démembrée. Ces trois peuples ont supporté patiemment de longues calamités; ils ont obtenu le prix de leur persévérance. Quant à vous, Français, vous n'avez pas voulu vọir que, si vous n'avez pas subi le joug quinze ans plus tôt, c'est que vous aviez l'empereur à votre tête; maintenant vous vous convaincrez que, si les ennemis vous accablent de tout leur ressentiment, c'est qu'ils ne craignent plus le prince qui vous protégeait et qu'ils exécutent en sûreté l'arrêt prononcé contre la France depuis 1792.

Vous en aurait-il coûté autant pour lui donner les moyens de vous défendre qu'il vous en coûte après vous être séparés

TOME IV.-1ère Partic.

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de lui? Souffrez donc et ne vous plaignez pas; mais surtout évitez de nouvelles discordes qui achèveraient de perdre le reste de votre existence; songez que vous restez vingtquatre millions d'hommes, ayant les mêmes lois et la même langue, et qu'il y a là d'immenses ressources avec de la

sagesse.

CHAPITRE XVIII.

Etat de l'opinion.-Composition du ministère de Louis XVIII.-Les intrigans remettent les fers au feu.-M. Fouché.- Confidence singulière du duc Dalberg.-Projets sur la personne de l'empereur.-Le roi s'y refuse.— M. de Talleyrand.-Ses mesures avant de partir pour Vienne.-Projets de massacre. Ce qui m'arrive.

JE passerai rapidement sur tout ce qui eut lieu entre l'arrivée du roi et le retour de l'île d'Elbe. Je n'étais plus placé pour bien observer; je ne veux rapporter que des faits exacts, et j'aime mieux ne pas tout dire que de raconter des choses dont la vérité peut être contestée.

La déchéance une fois proclamée, chacun prit son parti, et la maison de Bourbon eut, à son retour en France, une force d'opinion que l'on pourrait comparer à celle que l'empereur avait eue contre le directoire à son arrivée d'Egypte. Il fallait bien peu de chose pour assurer au roi un règne paisible. Si l'on n'avait pas fait des événemens qui l'avaient replacé sur le trône une révolution, qui d'ordinaire en amène une autre; qu'il fût venu s'asseoir aux Tuileries sans rien changer que sa manière de vivre intérieure, il n'y a nul doute que l'administration aurait marché. Il y avait plusieurs raisons pour cela: la direction des affaires était dans les

mains d'hommes habiles, qui depuis long-temps étaient accoutumés à les diriger; en second lieu, il y a en France un besoin d'être gouverné qui est généralement senti, et fait que tout le monde obéit dès que les mesures qu'on prend sont raisonnables. Hormis les deux ministères de la police et des relations extérieures, qui doivent toujours être entre les mains d'hommes possédant la confiance particulière du monarque, le roi ne pouvait pas faire de meilleurs choix que ceux que l'empereur avait faits.

Mais un tel arrangement ne convenait pas aux intrigans qui s'étaient groupés autour du gouvernement provisoire. Celui-ci cherchait à brider le roi, et à prendre une position assez forte pour écarter tout ce qui aurait été tenté de signaler sa conduite au prince.

Au fait, ces messieurs n'avaient pas pactisé avec les étrangers, abattu l'empereur, pour rester dans leur obscurité; ils ne s'étaient vendus aux ennemis que pour avoir les premières places; ils n'entendaient pas qu'on les en frustrât: aussi ne négligèrent-ils rien pour persuader qu'il fallait qu'on les en pourvût.

Le roi ne connaissait personne; il dut nécessairement croire ceux qui se présentaient comme ayant tout hasardé dans l'intérêt de son retour. En conséquence, il confirma, à quelques changemens près, les choix du gouvernement provisoire; de cette manière, la majorité dans le conseil resta à M. de Talleyrand.

Ceci est important à observer, à cause des conséquences qui vont s'en déduire.

Talleyrand était ministre des relations extérieures ;

L'abbé de Montesquiou était ministre de l'intérieur ;

L'abbé Louis (ami de Talleyrand depuis 1789), ministre des finances;

Le général Dupont (créature de Talleyrand), ministre de la

guerre ;

Malouet, très attaché au roi, mais dupe de Talleyrand, ministre de la marine;

M. de Vitrolles, ministre secrétaire d'Etat.

La police, tant celle de Paris que du royaume, était entre les mains de M. Beugnot, qui était trop honnête homme pour n'être pas dupe de M. de Talleyrand. (On ne créa d'abord qu'un directeur-général de police; j'en dirai le motif tout à l'heure.

La garde nationale était entre les mains du général Dessoles: l'ex-garde impériale dans celles du maréchal Oudinot.

Le duc Dalberg était ministre d'Etat ainsi que Beurnonville. Comment le roi, ainsi entouré, aurait-il fait un pas contre le gré de M. de Talleyrand? Aussi les choses marchèrent-elles tant bien que mal pendant deux mois. Il fallait bien ce temps-là au roi pour apprendre à connaître les hommes auxquels il avait affaire.

La chambre des députés fut convoquée. On réunit celle qui avait été ajournée par l'empereur au mois de janvier précédent : elle accourut le cœur plein de vengeance. On croyait le retour des Bourbons amené, préparé de longue main, et par conséquent accompagné de toutes les garanties de liberté publique que l'on désirait; on se crut heureux, et on ne ménagea pas plus l'encensoir aux arrivans que les injures à l'empereur.

On ne peut s'empêcher de faire de tristes réflexions sur le caractère national, en comparant les diatribes de la tribune avec les flatteries dont elle avait si long-temps retenti: tant il est vrai qu'il faut vaincre, et que c'est le succès, et non la nature des intérêts que l'on défend, qui fait la gloire.

Plus on parlait, plus la presse était libre, et plus le roi reconnaissait, d'un côté, les forces qui étaient à lui, et de l'autre, la nécessité de prendre une autre position que celle que lui avait faite le gouvernement provisoire.

Par la même raison, celui-ci sentait le besoin de renforcer

son parti, et c'est dans cette circonstance que je jugeai de tous les projets à venir de M. de Talleyrand. Il avait besoin, pour les exécuter, de l'éloignement des étrangers: aussi fut-il expéditif de ce côté-là, et on en fut bientôt

débarrassé.

Cela fait, il chercha à grossir son parti, et eut recours à ce que l'on appelle vulgairement les jacobins. Ceux-ci n'existaient plus depuis long-temps, mais il en fallait ; on imagina ce moyen-ci pour en trouver. On supposa qu'ils étaient déjà en grand nombre, on répandit même qu'il y avait parmi eux de l'agitation. On en parla au roi, afin de pouvoir l'entretenir de M. Fouché, que l'on voulait lui donner pour ministre de la police. On lui signala le duc d'Otrante comme le seul homme vraiment habile sous ce rapport que possédât la France, comme le seul capable de contenir les jacobins, qui étaient d'autant plus à craindre qu'ils avaient des rapports avec les illuminés d'Allemagne.

C'était afin de pouvoir lui faire donner le portefeuille de la police que l'on n'avait d'abord nommé qu'un directeur-général dans cette partie, car celui-ci aurait vu sans se plaindre un ministre passer avant lui.

Si M. Fouché avait été agréé par le roi, on eût pu recréer à l'aise le parti des jacobins, tout en ayant l'air de le combattre et de le contenir. On aurait poussé ces démagogues aux places, aux fonctions électives. De cette manière, on aurait préparé l'exécution du projet que l'on avait été obligé d'abandonner lorsque les souverains alliés s'étaient déclarés pour les Bourbons.

Le roi refusa obstinément d'accepter M. Fouché, et déjoua ainsi le projet, sans s'en douter. Voici à ce sujet une anecdote que je tiens du duc Dalberg lui-même.

Il y avait déjà une quinzaine que le roi était à Paris, lorsque l'on admit à l'honneur de lui être présentées toutes les personnes qui avaient été pourvues de titres honorifiques

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