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tionnelle. Comme les esprits étaient mal disposés pour le gouvernement, tout le monde fut favorable à Excelmann, et l'on crut avoir rencontré une occasion d'éclater.

Le ministre de la guerre ordonna l'arrestation du général. Celui-ci s'enfuit et demanda un conseil de guerre; on le renvoya devant celui de Lille, il s'y rendit. Les officiers de la garnison allèrent le chercher en cérémonie pour le conduire à la salle où se tenait le conseil, et le ramenèrent chez lui au milieu des acclamations après le jugement qui l'acquitta. Une telle décision, déjà si grave par elle-même, devint capitale à raison de la disposition où étaient les esprits.

M. Fouché saisit cette circonstance, et en même temps qu'il la commentait pour échauffer les têtes, il faisait entretenir les généraux qui commandaient des troupes hors de Paris. Il se mit en relation de suite avec quelques-uns de ceux qui tenaient garnison dans le nord, et réussit bientôt à les égarer. Il vint ensuite à la garde nationale.

Il avait naturellement action sur elle par M. Tourton. Le général Dessoles, qui la commandait, était d'ailleurs un homme qui avait fait ses preuves en révolution.

De plus, il avait su attirer à lui le général Lallemand, qui commandait une brigade de dragons dans les environs de Laon et Soissons. Il avait dès-lors assez de moyens ; il ne s'agissait que de mettre tout cela en mouvement, car ce n'est pas une petite chose que de se déterminer à franchir les bornes du devoir pour se jeter gratuitement dans une démarche criminelle. Fouché le savait mieux qu'un autre : aussi ne mit-il son nom nulle part, et se ménagea-t-il une porte de retraite au besoin.

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Il arriva aussi quelques scènes de rues que l'on saisit avidement pour railler la cour.

La célèbre actrice mademoiselle Raucourt mourut. Les sociétaires du Théâtre-Français, accompagnés de ceux des

autres théâtres de la capitale, lui rendirent les derniers devoirs et lui avaient composé un très beau cortége. Ils vinrent présenter la défunte à l'église de Saint-Roch; le curé ne voulut pas la recevoir. 11 ferma la porte de son église, dans laquelle il se tint pendant que tout le cortége se débattait dans la rue Saint-Honoré. Ce spectacle eut bientôt attiré la foule. On commença par rire, puis vinrent les menaces contre le curé, qui refusait toujours d'ouvrir son église. Il y avait déjà quelque temps que ce désordre durait, lorsque des Tuileries, où l'on avait été prévenu, il arriva un ordre pour faire ouvrir les portes de l'église de Saint-Roch et recevoir le corps de la défunte. La malveillance s'empara de ce fait, et en fit mille plaisanteries plus piquantes les unes que les autres.

A peu près à la même époque eut lieu l'exhumation du corps du roi Louis XVI et de celui de la reine Marie-Antoinette, que l'on transporta en grande cérémonie, le 21 janvier 1815, depuis le cimetière de la Madeleine, rue d'Anjou, jusqu'à Saint-Denis.

On était déjà si mal disposé, que l'on saisit l'occasion de manifester son mécontentement. On avait mis les troupes sous les armes de très bonne heure; elles bordaient la haie, à partir du cimetière jusqu'à la barrière par laquelle le cortége devait sortir pour se rendre à Saint-Denis.

Les restes du roi Louis XVI, ainsi que ceux de la reine Marie-Antoinette, consistaient dans un peu de terre blanchâtre que l'on avait retrouvée à la place où ils avaient été enterrés dans de la chaux vive. On conçoit aisément qu'ils avaient dû être consumés: on prétendit cependant que l'on avait retrouvé le crâne de la reine et même une de ses jarretières. C'était tant mieux.

Ces faibles restes avaient été placés sur un char funèbre d'une élévation si disproportionnée, qu'il était hors d'état de passer sous les réverbères de la rue. On n'en avait pas

fait la remarque, et on n'avait pris aucune précaution pour rehausser ceux-ci.

Le cortége se mit en marche; le char funèbre s'accrocha aux réverbères; on fut obligé, à diverses reprises, de s'arrêter pour le dégager. Il faisait mauvais le temps, la négligence de l'administration des cérémonies eurent bientôt mis tout le monde en gaieté. Chacun se répandit en railleries sur cette pompe funèbre; quelques voix même, saisissant le moment où les décorations du char s'engageaient dans un réverbère, firent entendre le cri: A la lanterne ! Il semblait qu'on eût pris à tâche de faire faire à la cour tout ce qui offrait prise aux saillies.

Je n'étais pas encore dans le monde lorsque la révolution commença, mais j'entendais dire à tous ceux qui avaient assisté à l'origine du drame que c'était par des bagatelles de cette espèce que l'on était parvenu à ébranler le colosse que son antiquité semblait avoir rendu indestructible.

Plus l'on voyait la cour faire de fausses démarches, plus l'on prenait des avantages sur elle, Les hommes à mouvement s'agitaient, les communications de M. Fouché étaient devenues plus actives, et dès les premiers jours de février tout annonçait l'explosion.

Il fallait que les administrations du roi eussent les yeux bien peu ouverts, car on conspirait, comme on dit, sur les bornes, au coin des rues. Personne, si ce n'est le ministère, n'ignorait ce qui se préparait.

Avant d'aller plus avant, je placerai ici une réflexion.

Je n'écris pas pour un parti, je recueille mes souvenirs et ne dois de secret à aucun de ceux qui non seulement ne m'en ont pas confié, mais qui ont eu la lâcheté de mettre mon nom sur une liste de proscription où les leurs auraient dû figurer les premiers, parce qu'ils étaient les seuls vrais coupables.

Je ne veux dénoncer personne; mais en écrivant les

événemens de l'époque, je tracerai les noms chaque fois qu'ils se trouveront liés à ma narration.

Si je rapporte des erreurs, je suis prêt à les redresser, mais pour les injures et les récriminations, je les tiens d'a

vance pour non avenues.

Je ne puis faire aucun mal à ceux qui m'en ont tant fait, et d'ailleurs je ne leur dois pas plus de ménagemens qu'ils n'en ont eu pour moi, soit au retour de l'île d'Elbe, soit au dernier départ de l'empereur. Je suis las d'être le bouc émissaire de ces excitateurs, et je veux leur renvoyer ce qu'ils ont mis à mon adresse; ils courent d'autant moins de dangers, que leur habileté en révolution les a déjà mis à couvert de ce qu'ils avaient à craindre.

M. Fouché regardait la chute du roi comme certaine. II n'y avait que sur le gouvernement qu'on pourrait faire succéder à ce prince, qu'il n'était pas fixé. Cet homme, à qui l'on accordait tant d'habileté, était hors d'état d'assembler deux idées. C'étaient cette légèreté d'esprit et cette inconséquence de caractère qui lui étaient propres, qui avaient fait appeler habileté ce qui n'était qu'une longue suite de duplicités. Il suffit d'ailleurs d'un peu de réflexion pour voir que si M. Fouché avait été un homme qui eût de l'âme, qui eût servi franchement son parti, il aurait succombé dix fois. Il ne s'est maintenu au milieu des orages révolutionnaires qu'en livrant successivement ceux auxquels il s'était attaché.

Je suis un des hommes du monde qui peut mieux le juger, parce que, lui ayant succédé, j'ai vu ce qu'il n'avait pas fait et ce qu'il avait laissé faire; c'est de cette époque que je suis revenu de l'opinion que j'en avais moi-même avant de connaître son administration. Sa vacillation continuelle n'a pas peu contribué à empêcher la fixation des esprits à un principe qui avait été adopté comme base du repos général.

Cet homme, qui avait occupé quinze ans la place administrative d'où l'on juge toutes les autres, ne savait comment il se conduirait le lendemain du jour où il aurait abattu le roi; car enfin, après avoir détruit, il faut réédifier et le faire assez promptement pour entraîner toutes les irrésolutions avant que la partie adverse soit revenue de son étonnement.

Il lui fallait un homme pour la partie militaire, un autre pour la partie civile; il fut obligé de s'adjoindre des collaborateurs. Il chercha à se rapprocher de deux hommes qui avaient fait leurs preuves en ce genre. Tous deux connaissaient le personnage auquel ils avaient affaire, tous deux méprisaient sa versatilité et éprouvaient la plus forte aversion pour lui; mais la nécessité reconcilie même des ennemis qui semblent ne devoir jamais s'entendre. Les auxiliaires que voulait se donner Fouché prêtèrent l'oreille, sans toutefois s'engager.

L'un et l'autre avaient trop d'expérience pour être dupes. Ils exigèrent avant tout que Fouché leur fit connaître les moyens dont il pouvait disposer. Celui-ci le fit-il? leur dit-il tout ce qu'il avait ébauché avec Metternich? Je l'ignore, mais je le crois, parce qu'une entreprise pour changer le gouvernement pendant la réunion du congrès de Vienne était une folie, à moins d'être d'accord avec une des grandes puissances étrangères. M. Fouché n'a eu garde de ne pas répondre aux objections qui lui en auront été faites; il a sans doute communiqué sa correspondance avec le duc Dalberg et avec les ministres étrangers. Après la communication de pareilles pièces, personne ne pouvait disconvenir que l'entreprise ne présentât des chances favorables. Les deux collaborateurs que s'était adjoint Fouché étaient fort attachés à l'empereur et incapables de prendre part à quelque chose qui n'aurait pas été dans ses intérêts. Le duc, qui les connaissait, eut

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