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arrivait déjà à Grenoble. On envoya le maréchal Macdonald prendre le commandement des troupes qui étaient à Lyon, et le maréchal Ney se mettre à la tête de celles qui étaient à Besançon. Le comte d'Artois et le duc d'Orléans se rendirent également à Lyon; mais comme l'empereur ne s'était point arrêté à Grenoble, et qu'il en avait emmené la garnison avec lui, entre autres le régiment d'artillerie avec ses pièces, il arriva à Lyon presque aussitôt qu'eux.

Déjà la nouvelle de sa marche était répandue d'un bout de la France à l'autre. On avait renvoyé les généraux dans leurs gouvernemens. La frontière n'était plus aussi éloignée qu'autrefois; les troupes surent presque aussitôt que l'empereur était en France, toutes brûlaient à l'envi d'aller le joindre.

A Lyon, l'on avait barricadé le pont de la Guillotière avec des pièces de bois, et l'on avait mis les troupes en bataille sur le quai. L'empereur arriva lui-même à la tête de sa colonne, et entra sur le pont comme si déjà les troupes qui se trouvaient de l'autre côté étaient à lui. Il ne se trompait pas elles ne l'eurent pas plus tôt aperçu qui faisait travailler à détruire la barricade, qu'elles allèrent aider à précipiter dans le Rhône les pièces de bois qui séparaient les colonnes, et se jetèrent dans les bras les uns des autres. L'empereur entra à Lyon et alla de suite voir les régimens qui étaient sous les armes, et qui l'accueillirent par mille cris de vive l'empereur!

Le comte d'Artois, le duc d'Orléans et le maréchal Macdonald furent obligés de prendre la fuite en toute hâte, et revinrent à Paris.

Voilà donc l'empereur maître de Lyon, et ayant déjà assez de troupes pour y organiser la guerre, s'il était besoin. Il m'a dit depuis qu'il n'avait marché aussi rapidement que pour atteindre les troupes, et qu'il n'avait eu qu'une peur,

c'était qu'au lieu de les envoyer contre lui, on ne les retirât assez loin pour qu'il ne pût les joindre: tant il connaissait l'affection que le soldat avait pour lui.

Pendant que l'empereur était à Lyon, le maréchal Ney, qui avait réuni les troupes de son gouvernement, s'était approché jusqu'à Lons-le-Saulnier. Il était de tous les maréchaux celui que l'empereur redoutait le plus ; il craignait qu'il ne cherchât l'occasion de l'attaquer et n'engageât la lutte aussi ne se borna-t-il pas à lui adresser la proclamation que l'on envoyait dans toutes les directions. Ce moyen était trop usé en France pour que le maréchal en fût dupe. L'empereur lui fit écrire par le général Bertrand, pour le prévenir qu'il eût à prendre garde à ce qu'il allait faire; qu'il le rendait responsable de la moindre goutte de sang qui serait répandue. Il le prévint qu'en revenant en France, ce n'était point une entreprise d'écolier qu'il avait faite; qu'il était sûr de réussir, quoi que lui, Ney, pût faire pour l'en empêcher. Cette lettre du général Bertrand fut remise au maréchal Ney à Lons-le-Saulnier, où étaient les généraux Lecourbe et Bourmont; aucun des trois ne fut à l'épreuve de cette injonction, ils s'imaginèrent que l'empereur était d'accord avec quelque puissance, qu'il y aurait de la folie à vouloir le traverser. Les deux généraux furent les premiers à conseiller au maréchal de ne pas s'opposer à un torrent qui serait plus fort que lui.

D'ailleurs les troupes savaient déjà ce qui s'était passé à Grenoble et à Lyon; elles n'eussent pas entendu à autre chose qu'à aller rejoindre l'empereur. Ney les fit assembler, leur lut la proclamation de l'empereur, et en ajouta une qu'il fit faire par un de ses secrétaires*, car tous ceux qui

• J'ai vu depuis un officier fort respectable qui m'a assuré avoir vu M. de Bourmont travailler à Lons-le-Saulnier, chez le maréchal Ney, à la rédaction de la proclamation que celui-ci fit lire aux troupes.

l'ont connu savent que la chose à laquelle il était le moins propre, c'était à faire des proclamations.

On ne peut pas, sans doute, approuver sa conduite; il aurait dû se retirer comme avait fait Macdonald. Cela n'eût rien changé au cours des choses, mais il eût sauvé les convenances, et ne se fût pas compromis.

Il faut néanmoins ajouter que MM. Lecourbe et Bourmont étaient avec lui quand il se laissa entraîner, et pour ceux qui connaissent le caractère du maréchal Ney, il ne peut y avoir de doute qu'il n'ait suivi les conseils de ces deux généraux.

Après avoir commis cette faute, le maréchal Ney en fit une plus grande encore. Il accusa réception de la lettre que le général Bertrand lui avait adressée, et écrivit luimême à l'empereur pour lui rendre compte de ce qu'il avait fait, en lui annonçant qu'il se rendait à Auxerre, où il espérait avoir l'honneur de le voir; ce qu'il fit effectivement.

MM. Lecourbe et de Bourmont lui avaient conseillé cette conduite, afin d'éviter la guerre civile dans laquelle euxmêmes ne se souciaient pas de s'engager. Le général Bourmont particulièrement n'avait pas oublié tout ce que les discordes lui avaient coûté de fatigues et de dangers. C'est lui qui observa au maréchal Ney que tout le monde l'abandonnerait, s'il prenait ce parti; il lui dit qu'il ferait beaucoup mieux de profiter de sa position pour se remettre bien avec l'empereur, et ne pas perdre le fruit de ses services passés par un dévouement inutile à la cause du roi, qui était perdue sans ressource.

CHAPITRE XXI.

L'empereur rallie toutes les troupes qu'il rencontre.-Le maréchal Oudinot. -Sa prévoyance.-Fouché ne sait qu'augurer du retour.-Parti auquel il s'arrête.—Surprise des troupes.—Entrevue de Fouché et du comte d'Artois. -Départ du roi.-Arrivée de l'empereur.-On eût dit qu'il revenait simplement de voyage.

Je reviens à l'effet que produisait sur l'opinion l'approche de l'empereur. Tout ce qui faisait partie de la cour se flattait qu'on parviendrait à l'arrêter dans sa marche, mais que de toute manière cela amènerait la guerre civile. Le roi avait envoyé M. le duc et madame la duchesse d'Angoulême dans le midi, et M. le duc de Bourbon dans la Vendée. On employait toutes les mesures dont on s'avisait pour arrêter l'empereur, et lui-même accourait partout où il savait qu'il y avait des troupes. Il faisait sur elles l'effet d'un talisman; dès qu'elles l'apercevaient, elles étaient à lui.

La garde impériale à pied était à Metz sous les ordres du maréchal Oudinot. Elle sut ce qui s'était passé à Lyon et à Lons-le-Saulnier, et n'heésita pas sur ce qu'elle avait à faire. Le maréchal, de son côté, eut bientôt pris son parti: il se ménagea entre la fidélité qu'il devait au roi, et les reproches qu'il craignait de la part de l'empereur. Une sorte d'insurrection éclata à point nommé parmi les troupes; il y avait eu violence, on ne pouvait lui imputer la défection du corps. Il resta cependant de sa personne à Metz, mais un aide-decamp discret alla prendre les ordres de l'empereur. En même temps, il expédia son fils à Gand, et le chargea de protester au roi de sa fidélité.

Après avoir pris ces mesures, il se rendit à Paris, où le ministre l'avait mandé. La cause des Bourbons semblait perdue ; les espérances dont on l'avait flatté ne lui paraissaient plus que des chimères, il livra tous les détails qu'il avait sur Gand.

Pendant que les événemens dont je viens de rendre compte se passaient à Grenoble, Lyon et autres lieux, l'intrigue de Paris faisait de sérieuses réflexions sur les conséquences dont le retour de l'empereur pourrait être suivi. Fouché ne s'abusait pas; il savait bien que toute la France se déclarerait pour l'empereur. Il ignorait encore son entrée à Grenoble et à Lyon, et comme il ne comprenait rien à un retour aussi inopiné, la première pensée qui lui vint fut que M. de Talleyrand l'avait joué, en faisant prévenir l'empereur de tout ce qui avait été convenu, pour se faire ainsi une position près de lui; il en était d'autant plus persuadé, qu'il attendait de Vienne le signal qui devait lui être donné pour faire agir contre le roi.

Et ce qu'il y a de singulier, c'est que, de son côté, Talleyrand crut que c'était Fouché qui l'avait joué en faisant avertir l'empereur, en sorte qu'ils furent en méfiance l'un de l'autre et se firent peur réciproquement. Fouché chercha aussitôt à se mettre en mesure, et voici à quoi il s'arrêta :

Il résolut de servir l'empereur, si celui-ci avait toutefois été prévenu par Talleyrand, et de se mettre en devoir de lui résister, si son retour était de son propre mouvement.

Il était loin d'imaginer que l'empereur arriverait si vite à Paris, n'aurait-il eu d'obstacles que la longueur du chemin ; Fouché pensait que le trajet lui assurerait le temps dont il avait besoin.

Il fit venir le général Lallemand le mars au soir, et lui parla de la nécessité de faire prendre de suite un parti au général Drouet, afin, disait-il, de s'opposer aux mesures arbitraires que la cour préparaît contre tout ce qui lui était suspect, et après bien des discours il finit par conclure qu'il

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