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fallait que le général Drouet mit de suite toutes ses troupes en mouvement sur Paris, afin de hâter le départ du roi.

Fouché avait un double but. Il croyait que Drouet arriverait sans coup férir et assez tôt pour lui donner le temps de réunir la chambre des députés, qui était à Paris, et la faire appuyer par la garde nationale. Il se flattait, à la faveur de ces mesures, de pouvoir proclamer un gouvernement quelconque, et s'opposer à l'entrée de l'empereur, tant avec la garde nationale qu'avec les troupes du général Drouet, qu'il espérait aussi compromettre. Il croyait par là se remettre en harmonie avec Vienne et se donner le temps d'approfondir le mystère du retour.

Le général Lallemand partit en effet de Paris le 6 mars. Il se rendit à Lille, où il s'arrêta jusqu'à ce que le mouvement des troupes fût commencé. Dans le nombre se trouvaient les grenadiers à cheval ainsi que les chasseurs à cheval de l'ancienne garde. Lallemand commandait des dragons qui étaient placés dans le département de l'Aisne, vers Soissons; tout cela se mit en marche, et suivit pendant plusieurs jours la route de Paris. La cour en fut informée, et envoya en toute hâte le maréchal Mortier à Lille, pour faire rentrer toutes ces troupes dans leurs garnisons. Cela fut d'autant plus facile, que les colonels n'étaient pas dans la confidence du mouvement qu'ils exécutaient; tous croyaient marcher d'après des ordres du ministre de la guerre. Lorqu'ils surent qu'on les avait abusés, ils firent d'autant moins de difficultés pour rentrer dans leurs quartiers respectifs, qu'ils n'ignoraient pas que l'empereur arrivait. Ils jugeaient dès-lors inutile de prendre l'initiative dans des événemens qui allaient d'euxmêmes venir les trouver. Les grenadiers à cheval retournèrent à Arras après trois ou quatre marches inutiles.

Il n'y eut que les chasseurs à cheval avec les dragons du général Lallemand qui s'avancèrent jusqu'à Compiègne. Ils

avaient essayé, en passant à La Fère, d'emmener le régiment d'artillerie qui occupait la place. Il refusa de les suivre, et ce fut ce qui commença à éveiller les soupçons des chasseurs. Ils se disaient entre eux : "Il faut qu'il y ait quelque chose ❝là-dessous, ou les canonniers sont des j*** f*** qu'il faut "sabrer, ou bien l'on nous abuse, et nous sommes dans une "mauvaise affaire."

En arrivant à Compiègne, on voulut déterminer le 6ème de chasseurs à suivre le même mouvement; celui-ci s'y refusa. Les officiers des chasseurs de la garde se réunirent alors, et délibérèrent sur la situation dans laquelle on les avait engagés. Ils résolurent de retourner à leurs quartiers à Cambrai; ils signifièrent cette résolution à leur colonel, le général Lefebvre-Desnouettes, et l'engagèrent à s'enfuir, ce qu'il fit, ainsi que le général Lallemand.

Les officiers du régiment de chasseurs envoyèrent une députation au roi pour lui renouveler l'assurance de leur fidélité, et l'entreprise de M. Fouché fut manquée. Si elle avait réussi, il n'y a nul doute qu'il se serait déclaré pour le duc d'Orléans, parce que l'empereur n'étant plus à portée d'être saisi comme lorsqu'il était à l'île d'Elbe, il n'aurait il n'aurait pas voulu de la régence, qui le ramenait naturellement. Cette forme de gouvernement ne pouvait lui plaire qu'autant que l'empereur serait mort ou à Sainte-Hélène; il était trop avisé pour la désirer tant que ce prince restait libre.

Le général Lallemand fut arrêté par la gendarmerie: il aurait infailliblement été fusillé, si l'empereur ne fût arrivé à Paris aussi promptement qu'il le fit.

Fouché lui-même eût peut-être été perdu sans cette célérité; néanmoins il ne se déconcerta pas. Ce fut le 10 mars qu'il fut informé de la mauvaise issue de la tentative qu'il avait faite; on connaissait déjà les événemens de Grenoble, on s'attendait à ceux de Lyon. Il songea à se garantir du soupçon qui pourrait arriver jusqu'à lui, en demandant au

comte d'Artois l'honneur de l'entretenir en particulier; l'entretien fut accordé, et eut lieu chez la princesse de Vaudemont. L'ex-ministre conseilla au prince de nommer le duc d'Orléans régent du royaume. Il lui dit que sans cela on n'empêcherait pas l'empereur d'arriver à Paris ; que, du reste, on pouvait s'en rapporter à sa parole, qu'il promettait que Napoléon n'y resterait pas trois mois. Il se garda bien, comme on peut croire, de lui parler de la part qu'il avait eue au mouvement des troupes de Flandre ni de la correspondance qu'il entretenait avec Dalberg.

Il est nécessaire d'observer que Fouché était informé de ce qui se passait au conseil du roi.

M. de Vitrolles avait été, comme je l'ai dit, fait ministre secrétaire d'Etat. Comme tel, il tenait la plume au conseil. Il était lié avec M. Dalberg, comme on l'a vu, et surtout avec madame la princesse de Vaudemont, à laquelle il communiquait ce qu'il fallait que sût Fouché. Je crois que c'est par là que celui-ci avait été averti de la nécessité qu'il y avait pour lui à ce qu'il vit le comte d'Artois, afin qu'en tout état de choses cela lui devint un antécédent utile.

Le mouvement des troupes de Flandre avait jeté la cour dans de vives alarmes. Elle le croyait excité par l'influence de l'empereur, tandis qu'au contraire il aurait été dirigé contre lui, si les choses eussent tourné comme Fouché l'espérait.

La défection successive de toutes les troupes donna au roi le soupçon que le ministre de la guerre, qui était alors le maréchal Soult, n'était pas étranger à un abandon aussi complet. Peut-être lui en avait-on parlé ainsi; c'était dans tous les cas une calomnie, le maréchal Soult était étranger à tout cela. Néanmoins le roi le changea, et nomma à sa place le duc de Feltre, qui avait été ministre de la guerre sous l'empereur.

Le duc de Feltre accepta, quoique la partic fût déjà à peu

près perdue. J'ai entendu faire à ce sujet plusieurs réflexions qui sont inutiles à reproduire; quant à moi, je n'avais pas vu le duc depuis le voyage de Blois, et je ne me mêlais plus de ce que chacun pouvait faire.

Il faut néanmoins convenir que c'était donner une preuve de dévouement au roi que de se charger du ministère de la guerre dans cette circonstance, d'autant plus qu'il ne devait pas s'écouler dix jours avant que l'empereur fût à Paris.

C'est aussi dans ce moment critique que le roi rétablit la préfecture de police de Paris, à laquelle il nomma M. de Bourienne. Il était trop tard pour prendre toutes ces mesures : l'empereur voyageait en poste; la population se précipitait sur son passage; toutes les troupes qu'on envoyait contre lui prenaient le plus court chemin pour le joindre. On touchait au dénouement; on rassembla un corps d'armée à Villejuif, mais on n'en était pas plus tranquille, et le roi dut songer à quitter Paris.

Il avait été à la chambre des députés pour la porter à prendre des mesures énergiques; l'empereur approchait : il n'y trouva que des paroles.

On essaya de former des corps de volontaires, mais il ne se présenta presque personne.

Enfin le 19 mars au soir, l'empereur arriva à Fontainebleau; il était à peine accompagné d'une vingtaine d'officiers.

Le roi, ainsi que le comte d'Artois et le duc de Berry, était encore à Paris, mais tout était prêt pour leur départ; on craignait même une insurrection, car l'on faisait bivouaquer de l'artillerie dans la cour du château des Tuileries.

A une heure du matin, le 20 mars, toute la maison du roi s'assembla dans la cour du château et sur la place du Carrousel. Le roi monta en voiture, et partit accompagné du comte

d'Artois et du duc de Berry, qui était à la tête de la cavalerie de la maison du roi.

Le corps de troupes qui avait été rassemblé à Villejuif sous les ordres du général Rapp alla se placer à Saint-Denis dès que le roi eut quitté la capitale. Jusqu'à huit heures du matin, le plus grand calme et le plus grand silence régnèrent dans les environs du château.

Le cortège du roi passa par le boulevard; il prit la route de Beauvais, et alla jusqu'à Montreuil-sur-Mer, ce qui fit croire qu'il allait de nouveau en Angleterre ; mais de Montreuil il se rendit à Lille par Béthune et Saint-Omer.

Toute la cavalerie de la maison du roi, formant à peu près deux mille hommes, était rassemblée à Béthune (Berthier, Marmont et Lauriston y étaient avec leurs compagnies). Le comte d'Artois en passa la revue, et après avoir adressé à cette troupe quelques paroles de regrets, il lui annonça que le roi la remerciait de ses services, et que chacun pouvait retourner chez soi. La plupart revinrent en effet à Paris. Toute la journée du 20 mars fut employée en petits mouveChacun s'empressait de prendre part à l'événement qui devait arriver à la fin de la journée. On placardait les rues des proclamations de l'empereur, lesquelles étaient à Paris depuis huit jours. On prit possession du trésor public; on allait aux casernes, et en même temps l'on envoya presser à Saint-Denis la défection des troupes que commandait le général Rapp.

mens.

On ne trouva de difficulté nulle part, parce que le roi était parti, et que chacun ne cherchait qu'à se faire une position près de celui qui venait le remplacer. Il en fut dans ce cas-ci comme il en a toujours été dans les révolutions: on a donné mal à propos le nom de conspiration à celle-ci, elle n'était que la conséquence du départ du roi. Si ce prince fût resté à Paris et se fût entouré de tout ce qui aurait voulu le défendre, vraisemblablement la solution du problême n'aurait pas été si

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