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paisible. On répandit que Louis XVIII ne s'était décidé à partir que sur la décision de son conseil. S'il l'avait assemblé, la résolution s'explique; elle eut lieu comme l'avait eu celle qu'on avait fait prendre à la régente au mois de mars précédent.

Il y avait en outre autour du roi des hommes qui faisaient déjà leur calcul particulier, et qui, regardant la partie comme perdue, pensaient à le quitter pour se rapprocher de celui qu'ils avaient précédemment abandonné. Or, en revenant, il fallait pouvoir se faire un mérite d'avoir contribué au départ du roi.

J'ai vu le 23 ou 24 mars, entre les mains d'un général fort connu dans l'armée, une lettre que Berthier lui avait écrite avant de sortir de la frontière, et dans laquelle il répétait ce qu'il avait dit moins d'un an auparavant à Fontainebleau, c'est-à-dire "qu'il n'était pas l'homme du roi, qu'il était "l'homme de l'armée et Français avant tout, qu'il voulait ser"vir son pays et ne pas émigrer. Enfin il se recommandait "déjà à la générosité de l'empereur."

Il lui écrivit quelques jours après; l'empereur lui répondit, mais il était trop tard, il avait dépassé la frontière lorsque la lettre lui parvint. Il se retira à Bamberg, essaya de repasser en France; mais arrêté par les alliés, il fut obligé de retourner sur ses pas, et périt misérablement à quelque temps de là.

L'empereur arriva à Paris le soir à sept heures. Tout était déjà réinstallé; chacun avait repris son poste au château. L'empereur y dîna, trouva son appartement fait; on eût dit qu'il revenait simplement de voyage. Les officiers du service d'honneur, les employés de toutes les espèces avaient repris leurs fonctions; rien ne manquait à la réception. Il y a des esprits gauches qui ont voulu voir les conséquences d'une conjuration dans la reprise de cette routine, tandis que chacun ne faisait que ce qu'il avait vu faire aux employés de la cour

de Versailles, à l'époque du retour du roi. Il y avait plus de vingt ans que les uns étaient rentrés dans l'obscurité, et il y en avait à peine un que les autres avaient été congédiés.

Il ne se trouva qu'un bataillon de la garde nationale dans la cour du château au moment où l'empereur arriva; mais avec ce bataillon, il y avait plusieurs milliers d'officiers de toutes armes qui avaient été mis à la demi-solde.

L'on avait été à la rencontre de l'empereur sur la route de Fontainebleau; il revint entouré d'une foule d'officiers-généraux à cheval. Il passa le long du boulevard neuf, ainsi qu'il avait coutume de le faire chaque fois qu'il revenait de Fontainebleau, traversa le pont de la Concorde, et entra aux Tuileries par le guichet qui donne sur le quai.

Il y avait autour de sa voiture la valeur d'un régiment de cavaliers de tous les corps, qui présentaient un désordre imposant; tous ces hommes poussaient des cris de vive l'empereur jusqu'aux nues. Lorsqu'il entra dans la cour du château, il fut impossible aux postillons d'approcher la voiture du vestibule, où il devait descendre. La foule était si grande, que les chevaux ne purent avancer. On se précipita à la portière, on l'ouvrit et on tira l'empereur de sa calèche ; il ne lui fut pas possible de mettre le pied par terre, ni dans la cour, ni sur l'escalier, ni dans les appartemens: on le porta, on le passa de bras en bras jusqu'à son cabinet.

Il fit de suite demander les anciens ministres et ordonna à chacun d'eux d'aller reprendre son portefeuille. Il n'y eut de nouvelle promotion que celle de M. Fouché, qui fut chargé de la police. Voici à ce sujet une petite anecdote qu'il n'est pas inutile de rapporter. Elle fera voir que l'intrigue s'agitait déjà, c'est-à-dire que l'on était déjà plus occupé d'éloigner ceux que l'on redoutait par des considérations personnelles, que d'aider l'empereur en l'entourant de tout ce qui pouvait le servir.

J'avais été, dans la matinée, rendre visite à l'archi-chan

celier, que je n'avais pas vu depuis un an. Je présumais que l'empereur l'enverrait chercher tout en arrivant, ainsi qu'il en avait l'habitude, chaque fois qu'il revenait de voyage. J'étais allé le prier de vouloir bien (si cela devenait nécessaire) dire à l'empereur que je désirais rester en repos, et que, s'il voulait absolument m'employer, pour rien au monde je n'accepterais le ministère de la police. Je lui témoignai combien ces fonctions-là me déplaisaient, et lui dis que, prévoyant bien que l'intrigue s'agiterait en tout sens, je ne me sentais nullement disposé à vivre au milieu des passions qu'elle allait soulever.

L'archi-chancelier était pour le moins aussi las que moi des affaires; il me déclara qu'à moins que l'empereur ne lui fît violence, il n'accepterait non plus aucune fonction.

Ce que j'avais prévu arriva. L'archi-chancelier fut le premier grand fonctionnaire que l'empereur fit appeler. Les ministres, qui avaient également été mandés, ne se présentèrent que successivement. C'était un singulier spectacle que de revoir les choses remises aussi vite à leur ancienne place. On se retrouvait dans le même salon où l'on s'était quitté un an auparavant, et sans presque s'être rencontré depuis.

CHAPITRE XXII.

Composition du ministère.-M. Fouché à la police.-Par quelles considérations ses nouveaux amis le recommandent à l'empereur.-Ce qu'il eût voulu.-Le roi ne se croit pas en sûreté à Lille.

L'EMPEREUR n'avait pas encore fini de dîner, qu'il arriva un officier venant de Soissons pour lui rendre compte que les deux frères Lallemand, qui y étaient enfermés, couraient des dangers, que le sous-préfet de cette ville refusait de les mettre en liberté. Il fit appeler le ministre de la police sans le désigner par son nom, et comme l'on hésitait à l'introduire, il m'appela par mon nom. Il m'ordonna d'écrire au souspréfet de rendre les deux frères Lallemand à la liberté, ce que je fis.

Lorsque l'empereur me donna cet ordre, il y avait plusieurs personnes présentes, et toutes crurent que j'allais rentrer au ministère de la police. Elles ignoraient mes dispositions particulières, et se hâtèrent de croiser les intentions que l'empereur venait de manifester.

Après qu'il eut entretenu M. l'archi-chancelier, il fit entrer M. le duc de Bassano, qui était celui qui désirait le plus mon éloignement du ministère, et qui sans doute ne lui conseilla pas de me conserver. Il ne cherchait déjà qu'à mettre l'empereur dans une lanterne sourde, et il se préparait à l'entourer de tous ses amis exclusivement.

Après M. de Bassano, l'empereur reçut le maréchal Davout; puis je fus admis.

Après quelques mots de conversation, il me demanda s'il devait croire à ce que j'avais dit le matin à l'archi-chancelier. Je lui répondis affirmativement. Il voulut connaître les motifs de ma résolution. Je ne les lui cachai pas; je lui détail

TOME IV.-lère Partie.

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lai toutes les tracasseries dont j'avais été l'objet pendant son absence, et lui avouai qu'elles m'avaient ôté le goût des affaires; et puis, lui dis-je, si l'on rend à V. M. un compte fidèle de tout ce qui s'est passé ici depuis deux ou trois mois, elle yerra que son retour contrarie plus d'un projet. Si elle eût tardé, elle eût sûrement trouvé un autre ordre de choses établi.

L'empereur se mit à rire et me dit: "Ainsi c'est un parti "pris chez vous, vous ne voulez pas du ministère ?-Non, "6 Sire," lui répondis-je.

Il ne me dit pas un mot de tout ce qu'avait dû lui insinuer M. de Bassano pour le dissuader d'un choix qu'il redoutait particulièrement; il me laissa les honneurs du refus, quoiqu'il ne m'eût peut-être pas nommé. Il voulut me donner le gouvernement de Paris. Je le refusai encore plus vivement que je n'avais refusé le ministère de la police. Je lui dis même que je ne me souciais pas de faire la moindre chose. Il me répondit que cela ne se pouvait pas, qu'il fallait travailler et le servir; qu'il voulait que je prisse la gendarmerie, puisqu'il était obligé de rendre le portefeuille à Fouché, contre lequel j'avais toujours été sa sauve-garde. Je n'avais rien à objecter de plausible, je me contentai de lui témoigner de l'étonnement de ce qu'il se confiait à un homme si peu sûr; il me dit alors qu'on lui avait assuré qu'il avait travaillé pour lui en faisant marcher les troupes de Flandre; je ne pus m'empêcher de sourire, tant j'étais indigné qu'on eût déjà osé lui faire un si impudent mensonge. Que peuvent jamais alléguer pour leur justification, ceux qui, pour éloigner un homme dont ils redoutaient les investigations, n'ont pas craint de se porter garans d'un traître, d'un homme qui se vantait d'avoir été l'âme de toutes les conspirations ourdies contre l'empereur ?

Après m'avoir donné congé, l'empereur reçut M. Fouché ; c'était une chose curieuse que de voir, jusqu'à la porte du cabinet de l'empereur, l'intrigue prendre poste et pousser à l'envi un homme qui avait trahi tous les partis, et avait déjà ar

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