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contre-projet français; cette pièce a été portée par les plénipotentiaires des cours alliées à la connaissance de leurs cabinets; ils viennent de recevoir l'ordre de déposer au protocole la déclaration suivante:

L'Europe, alliée contre le gouvernement français, ne vise qu'au rétablissement de la paix générale, continentale et maritime. Cette paix seule peut assurer au monde un état de repos, dont il se voit privé depuis une longue suite d'années; mais cette paix ne saurait exister sans une juste répartition de force entre les puissances.

Aucune vue d'ambition ou de conquête n'a dicté la rédaction du projet de traité remis, au nom des puissances alliées, dans la séance du 17 février dernier; et comment admettre de pareilles vues dans des rapports établis par l'Europe entière, dans un projet d'arrangement présenté à la France par la réunion de toutes les puissances qui la composent ? La France, en rentrant dans les dimensions qu'elle avait en 1792, reste, par la centralité de sa position, sa population, les richesses de son sol, la nature de ses frontières, le nombre et la distribution de ses places de guerre, sur la ligne des puissances les plus fortes du continent; les autres grands corps politiques, en visant à leur reconstruction sur une échelle de proportion conforme à l'établissement d'un juste équilibre en assurant aux Etats intermédiaires une existence indépendante, prouvent par le fait quels sont les principes qui les animent. Il restait cependant une condition essentielle au bien-être de la France à régler. L'étendue de ses côtes donne à ce pays le droit de jouir de tous les bienfaits du commerce maritime. L'Angleterre lui rend ses colonies, et avec elles son commerce et sa marine; l'Angleterre fait plus, loin de prétendre à une domination exclusive des mers, incompatible avec un système d'équilibre politique, elle se dépouille de la presque totalité des conquêtes que la politique suivie depuis tant d'années par le gouvernement français lui a valu. Animée d'un esprit de justice et de libéralité digne d'un grand peuple, l'Angleterre met dans. la balance de l'Europe des possessions dont la conservation lui assurerait, pour long-temps encore, cette domination exclusive. En rendant à la France ses colonies, en portant de grands sacrifices à la reconstruction de la Hollande, que l'élan national de ses peuples rend digne de reprendre sa place parmi les puissances de l'Europe, et elle ne met qu'une condition à ces sacrifices, elle ne se dépouillera de tant de gages qu'en faveur du rétablissement d'un véritable système d'équilibre politique, elle ne s'en dépouillera qu'autant que l'Europe sera véritablement pacifiée, qu'autant que l'état politique du continent lui offrira la garantie qu'elle ne fait pas d'aussi importantes cessions à pure perte, et que ses sacrifices ne tourneront pas contre l'Europe et contre elle-même.

Tels sont les principes qui ont présidé aux conseils des souverains alliés, à l'époque où ils ont entrevu la possibilité d'entreprendre la grande œuvre de la reconstruction politique de l'Europe; ces principes ont reçu tout leur déve

loppement, et ils les ont prononcés le jour où le succès de leurs armes a permis aux puissances du continent d'en assurer l'effet, et à l'Angleterre de préciser les sacrifices qu'elle place dans la balance de la paix.

Le contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire français part d'un point de vue entièrement opposé; la France, d'après ses conditions, garderait une force territoriale infiniment plus grande que le comporte l'équilibre de l'Eu rope; elle conserverait des positions offensives et des points d'attaque au moyen desquels son gouvernement a déjà affectué tant de bouleversemens, les cessions qu'elle ferait ne seraient qu'apparentes. Les principes annoncés à la face de l'Europe par le souverain actuel de la France et l'expérience de plusieurs années ont prouvé que des Etats intermédiaires, sous la domination de membres de la famille régnante en France, ne sont indépendans que de nom. En déviant de l'esprit qui a dicté les bases du traité du 17 février, les puissances n'eussent rien fait pour le salut de l'Europe. Les efforts de tant de nations réunies pour une même cause seraient perdus ; la faiblesse des cabinets tournerait contre eux et contre leurs peuples; l'Europe et la France même deviendraient bientôt victimes de nouveaux déchiremens ; l'Europe ne ferait pas la paix, mais elle désarmerait.

Les cours alliées considérant que le contre-projet présenté par M. le plénipotentiaire de France ne s'éloigne pas seulement des bases de paix proposées par elles, mais qu'il est essentiellement opposé à leur esprit, et qu'ainsi il ne remplit aucune des conditions qu'elles ont mises à la prolongation des négociations de Châtillon, elles ne peuvent reconnaître dans la marche suivie par le gouvernement français que le désir de traîner en longueur des négociations aussi inutiles que compromettantes: inutiles, parce que les explications de la France sont opposées aux conditions que les puissances regardent comme nécessaires pour la reconstruction de l'édifice social, à laquelle elles consacrent toutes les forces que la Providence leur a confiées; compromettantes, parce que la prolongation de stériles négociations ne servirait qu'à induire en erreur et à faire naître aux peuples de l'Europe le vain espoir d'une paix qui est devenue le premier de leurs besoins.

Les plénipotentiaires des cours alliées sont chargés en conséquence de déclarer que, fidèles à leurs principes, et en conformité avec leurs déclarations antérieures, les puissances alliées regardent les négociations entamées à Châtillon comme terminées par le gouvernement français. Ils ont ordre d'ajouter à cette déclaration celle que les puissances alliées, indissolublement unies pour le grand but qu'avec l'aide de Dieu elles espèrent atteindre, ne font pas la guerre à la France; qu'elles regardent les justes dimensions de cet empire comme une des premières conditions d'un état d'équilibre politique, mais qu'elles ne poseront pas les armes avant que leurs principes n'aient été reconnus et admis par son gouvernement.

Déclaration des Puissances Coalisées.

Les puissances coalisées se doivent à elles-mêmes, à leurs peuples et à la France d'annoncer publiquement, dans le moment de la rupture des conférences de Châtillon, les motifs qui les ont portées à entamer une négociation avec le gouvernement français, et les causes de la rupture de cette négociation. Des événemens militaires tels que l'histoire aura peine à en recueillir dans d'autres temps, renversèrent, au mois d'octobre passé, l'édifice monstrueux compris sous la dénomination d'empire français; édifice politique fondé sur les ruines d'Etats jadis indépendans et heureux, agrandi par des provinces arrachées à d'antiques monarchies, soutenu au prix du sang, de la fortune et du bien-être d'une génération entière. Conduits par la victoire sur les bords du Rhin, les souverains alliés crurent devoir exposer de nouveau à l'Europe les principes qui forment la base de leur alliance, leurs vœux et leurs déterminations. Eloignés de toute vue de conquête, animés du seul désir de voir l'Europe reconstruite sur une juste échelle de proportion entre les puissances, décidés à ne pas poser les armes avant d'avoir atteint le noble but de leurs efforts, ils manifestèrent, par un acte public, la constance de leurs intentions, et n'hésitèrent pas à s'expliquer vis-à-vis du gouvernement ennemi dans un sens conforme à leur résolution invariable. Le gouvernement français se prévalut de la déclaration franche des cours alliées pour témoigner des dispositions pacifiques. Il avait besoin, sans doute, d'en prendre l'apparence pour justifier aux yeux de ses peuples les nouveaux efforts qu'il ne cessait de leur demander. Tout cependant prouvait aux cabinets alliés qu'il ne voulait que tirer parti d'une négociation apparente, dans l'intention de disposer l'opinion publique en sa faveur, et que la paix de l'Europe était encore loin de sa pensée. Les puissances alliées, pénétrant ses vues secrètes, se décidèrent à aller conquérir en France même cette paix si désirée. De nombreuses armées passèrent le Rhin; à peine eurent-elles franchi les premières barrières, que le ministre des relations extérieures de France se présenta aux avant-postes.

Dès-lors, toutes les démarches du gouvernement français n'eurent d'autre but que de donner le change à l'opinion publique, de fasciner les yeux du peuple français, et de chercher à rejeter sur les alliés l'odieux des malheurs de cette guerre d'invasion.

La marche des événemens avait donné, à cette époque, aux cours alliées le sen timent de toute la force de la ligue européenne. Les principes qui présidaient aux conseils des souverains coalisés, dès leur première réunion pour le salut commun, avaient reçu tout leur développement. RIEN N'EMPÊCHAIT PLUS QU'ILS N'EXPRIMASSENT LES CONDITIONS NÉCESSAIRES À LA RECONSTRUCTION DE L'ÉDI

FICE SOCIAL. Ces conditions, après tant de victoires, ne devaient plus former un obstacle à la paix. La seule puissance appelée à mettre dans la balance des compensations pour la France, l'Angleterre, pouvait énoncer en détail les sacrifices qu'elle était prête à faire pour la pacification générale; les souverains alliés pouvaient espérer enfin que l'expérience des derniers temps aurait influé sur un conquérant en butte aux reproches d'une grande nation, et témoin pour la première fois, dans sa capitale, des maux qu'il a attirés sur la France; cette expérience pouvait l'avoir conduit au sentiment que la conservation des trônes se lie essentiellement à la modération et à la justice. Toutefois les souverains alliés, convaincus que l'essai qu'ils feraient ne devait pas compromettre la marche des opérations militaires, convinrent que ces opérations continueraient pendant les négociations: l'histoire du passé et de funestes souvenirs leur avaient démontré la nécessité de cette mesure. Les plénipotentiaires se réunirent avec celui du gouvernement français.

Bientôt les armées victorieuses s'avancèrent jusqu'aux portes de la capitale ; le gouvernement ne songea, dès ce moment, qu'à la sauver d'une occupation ennemie. Le plénipotentiaire de France reçut l'ordre de proposer un armistice, fondé sur des bases conformes à celles que les cours alliées jugeaient elles-mêmes nécessaires au rétablissement de la paix générale: il offrit la remise immédiate des places fortes dans les pays que la France céderait, mais sous la condition de la suspension des opérations militaires. Les alliés, convaincus par vingt années d'expérience qu'en traitant avec le cabinet français, les apparences devaient soigneusement être distinguées des intentions,* substituèrent à cette proposition celle de signer sur-le-champ les propositions de la paix. Cette signature avait pour la France tous les avantages de la paix, sans entraîner pour les alliés les dangers d'une suspension d'armes. Quelques succès partiels venaient cependant de marquer les premiers pas d'une armée formée, sous les murs de Paris, de l'élite de la génération actuelle, dernière espérance de la nation, et des débris d'un million de braves qui avaient péri sur le champ de bataille, ou qui avaient été abandonnés sur les grandes routes depuis Lisbonne jusqu'à Moskou, sacrifiés à des intérêts étrangers à la France. Aussitôt les conférences de Châtillon changèrent de caractère; le plénipotentiaire français demeura sans instruction, et fut hors d'état de répondre aux propositions des cours alliées. Alors les projets du gouvernement français se montrèrent clairement aux cours: elles se décidèrent donc une démarche décisive, la seule qui fût digne de leur puissance et de la droiture de leurs intentions. Elles chargèrent leurs plénipotentiaires de remettre un projet de traité préliminaire, qui contînt toutes les bases qu'elles jugeaient nécessaires pour le rétablissement de l'équilibre politique, et qui, peu de jours auparavant,

* Les coalisés, fidèles à ce principe, ont en effet toujours séparé leurs intentions des apparences, qu'ils mettaient en avant dans leurs manifestes.

avaient été offertes par le gouvernement français lui-même, dans un moment où il croyait sans doute son existence compromise. Les principes de la reconstruction politique de l'Europe se trouvaient établis dans ce projet,

La France, rendue à des dimensions que des siècles de gloire et de prospérité, sous la domination de ses rois, lui avaient assurées, devait partager avec l'Europe les bienfaits de sa liberté, de l'indépendance nationale et de la paix. Il ne dépendait que de son gouvernement de mettre, par un seul mot, un terme aux souffrances de la nation; de lui rendre, avec la paix, ses colonies, son commerce et le libre exercice de son industrie. Voulait-il plus ? Les puissances s'étaient offertes à discuter, dans un esprit de conciliation, ses vœux sur plusieurs objets de possession d'une mutuelle convenance, qui dépasseraient les limites de la France avant la guerre de la révolution. Quinze jours se passèrent sans réponse de la part du gouvernement français. Les plénipotentiaires des alliés insistèrent sur un terme péremptoire pour l'acceptation ou le refus des conditions de la paix. On laissa au plénipotentiaire français la latitude de présenter un contre-projet, pourvu que ce contre-projet répondît à l'esprit et à la substance des conditions proposées par les cours alliées. Le terme du 10 mars fut fixé d'un commun accord. Le plénipotentiaire français ne présenta, à l'échéance de ce terme, que des pièces dont la discussion, loin de rapprocher du but, n'aurait fait que prolonger de stériles négociations. Sur la demande du plénipotentiaire de France, il fut accordé un nouveau terme de peu de jours. Le 15 mars enfin, ce plénipotentiaire remit un contre-projet, qui ne laissa plus de doute que les malheurs de la France n'avaient pas encore changé les vues de son gouvernement. Revenant sur ce qu'il avait proposé lui même, le gouvernement français demanda, dans un nouveau projet, que des peuples étrangers à l'esprit français, que des peuples que des siècles de domination ne pouvaient pas fondre dans la nation française, continuassent à en faire partie. La France devait conserver des dimensions incompatibles avec l'établissement d'un système d'équilibre, et hors de proportion avec les autres grands corps politiques de l'Europe; elle voulait conserver des points et des positions offensives, au moyen desquels son gouvernement avait, pour le malheur de l'Europe et de la France, amené la chute de tant de trônes, et opéré tant de bouleversemiens. Des membres de la famille régnante en France devaient être replacés sur des trônes étran-. gers. Le gouvernement français enfin, ce gouvernement qui, depuis tant d'années, n'a pas moins cherché à régner sur l'Europe par la discorde que par la force des armes, devait rester l'arbitre des rapports intérieurs et du sort des puissances de l'Europe.

Les cours alliées, en continuant les négociations sous de tels auspices, eussent manqué à tout ce qu'elles se doivent à elles-mêmes; elles eussent, dès ce moment, renoncé au but glorieux qu'elles se proposent; leurs efforts n'eussent plus tourné que contre leurs peuples. En signant

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