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de le ramener pour le décider à se laisser emporter chez sa

mère.

Après le départ de l'impératrice, le pouvoir tomba dans les mains du prince Joseph, qui quitta le Luxembourg, où il demeurait, pour venir s'établir aux Tuileries. Il chercha à prolonger la défense, à utiliser le peu de moyens qui nous restaient, et ne se montra indifférent qu'à ce qui n'intéressait pas le service de l'empereur; car, je dois le dire, l'intrigue ne fut pas inactive autour de lui. Déjà avant que l'armistice de Lusigny fat rompu, il y avait eu un commencement de tentative pour le décider à se déclarer protecteur de l'empire, et faire prononcer par le sénat la déchéance de l'empereur. Les hommes qui étaient à la tête de ce complot étaient à peu près les mêmes que ceux qui, quinze jours après, se mirent en mouvement pour faire rappeler la maison de Bourbon, avec laquelle ils répugnaient de s'allier, ou du moins n'avaient pas encore de rapports bien arrêtés. Le prince Joseph non seulement rejeta l'insinuation, mais il démontra à ceux qui la lui présentaient le danger d'une entreprise dont le résultat le moins fâcheux devait détruire les dernières ressources qui restaient à l'empereur, dont l'ombre nous défendait encore; qu'elle pouvait même engendrer la guerre civile, et mettre les Français aux prises les uns avec les autres ; qu'au surplus, quelles que fussent les chances, on se trompait beaucoup, si on le croyait capable de se ranger parmi les ennemis de son frère. Il ajouta qu'il voulait bien oublier cette proposition, mais il défendit qu'on lui en parlât davantage, ou que l'on y donnât aucune suite, parce qu'alors il en ferait poursuivre les auteurs.

Le prince de Bénévent avec l'archi-trésorier et les ministres restèrent à Paris. Le moment approchait où cette longue agonie allait se terminer.

Le départ de l'impératrice ne pouvait rester ignoré des ennemis, qui étaient aux portes de la capitale. Il fut aussi

le signal d'une quantité d'autres départs particuliers qui avaient tardé jusqu'à ce moment à s'effectuer, en sorte que, depuis la barrière de Paris jusqu'à Chartres, ce n'était plus, pour ainsi dire, qu'un immense convoi de voitures de toute espèce. On ne peut se faire une idée de ce spectacle lorsqu'on ne l'a pas vu. Que l'on se figure le désordre qui accompagnait cette scène de désolation, et l'on sera moins étonné des conséquences dont elle a été suivie.

Paris était dans un état de désertion vers le midi, et toute la population du voisinage y affluait vers le nord. Cependant les ennemis, qui avaient, les jours précédens, poussé sur la route de Meaux le petit corps aux ordres du général Compans, venaient de le rejeter encore jusque sur les approches de la barrière de Bondy, entre l'étang de la Villette et les hauteurs de Ménilmontant. Les souverains alliés étaient là en personne.

De leur côté, les corps des maréchaux Marmont et Mortier, appelés au secours de la capitale, étaient arrivés à Saint-Mandé la nuit qui précéda l'attaque. Le soir, ils prirent leur position de bataille: Marmont appuya sa droite à la Marne, et développa à sa gauche les troupes de Mortier sous les hauteurs de Montmartre. Il était chargé de la direction des corps ;* il avait fait reconnaître Romainville, et

* Epernay, le 17 mars 1814.

6 heures et demie du soir.

Monsieur le duc de Raguse, l'empereur en arrivant ici a appris que l'ennemi avait passé la Seine sur ses ponts à Pont et marchait sur Provins. Sa Majesté s'est résolue à marcher sur Troyes; le quartier-général de l'empereur sera demain à Semoins et après-demain à Arcis. Sa Majesté laisse à Epernay le général Vincent.

L'empereur désire, monsieur le maréchal, que vous ayez la direction de votre corps et de celui du duc de Trévise, qui dans ce moment est à Reims avec deux divisions d'infanterie et la cavalerie du général Roussel, et qui a la division Charpentier à Soissons. Le ministre de la guerre a dû envoyer un ral de brigade avec quelques troupes à Compiègne.

géné

croyait, sur la foi des rapports qui lui avaient été faits, que les alliés n'y avaient pas paru: il fit marcher sur le village. Les Russes l'occupaient en force. L'action s'engagea, et devint bientôt des plus vives. Le duc de Padoue, qui conduisait la droite, ne put se soutenir: atteint, au milieu de la mêlée, d'un coup de feu qui le mit hors de combat, il fut remplacé par le général Lucotte, qui vint se reformer au cimetière du P. Lachaise. Ce mouvement rétrograde découvrait tout-à-fait la route qui va de Belleville à Saint-Mandé, Le duc de Raguse fut obligé d'abandonner l'attaque de Ro

Sa Majesté, monsieur le duc, désire que vous fassiez faire le plus de mouvemens possible de cavalerie pour imposer à Blucher et gagner du temps; si Blucher passe l'Aisne, vous devez lui disputer le terrain et couvrir la route de Paris. Il est probable que le mouvement de l'empereur va obliger l'ennemi à repasser la Seine; ce qui arrêtera Blucher, et rendra disponible le corps du duc de Tarente qui alors vous serait envoyé.

Il faut, monsieur le maréchal, pour les choses importantes écrire en chiffre par Epernay, et par des hommes intelligens qui sachent passer ailleurs que par les grandes routes.

Il est très important que vous envoyez ordre sur ordre à la division Durutte, composée de toutes les garnisons de la Meuse, de vous rejoindre sur Reims, Réthel ou Châlons. Envoyez cet ordre de toutes les manières.

Comme M. le maréchal duc de Trévise est le plus ancien, puisqu'il est de la création, ayez l'air de vous concerter avec lui plutôt que d'avoir la direction supérieure; c'est un objet de tact qui ne vous échappera pas.

Je charge le duc de Trévise de nommer un major pour commander la place de Reims, la garde nationale et les batteries qui s'y trouvent, et de faire partir demain le général Corbineau pour venir rejoindre l'empereur.

Je recommande au duc de Trévise de porter tous ses soins à l'organisation de la garde nationale et de la levée en masse, et de se procurer quelques chevaux pour atteler la batterie laissée à Reims.

Si Blucher prenait l'offensive dans la direction de Reims, de manière à ce que cette ville se trouvât sous les pas de l'ennemi, et que vous et le duc de Trévise ne fussiez pas en état de la défendre, alors vous retireriez avec vous l'un ou l'autre, la garnison et les pièces de canon et vous emmenneriez les gardes nationaux de la levée en masse avec vous.

Signe: Le prince vice-connétable, major général,
ALEXANDRE.

mainville pour venir en toute hâte couvrir le premier de ces deux villages. Il était temps, car le général Compans avait abandonné la position qu'il occupait dans le bassin de la Villette pour se retirer plus en arrière. Les Russes, qui n'étaient plus contenus par nos troupes, s'étaient portés en avant, et débouchaient déjà sur sa droite, que le duc de Raguse ignorait encore la retraite de son lieutenant. Il fit néanmoins bonne contenance, et réussit à opérer son mouvement,

Pendant que ces choses se passaient, Paris était témoin d'une scène qui fait la honte de ceux qui en étaient les auteurs. Il y avait plus d'un mois que la garde nationale demandait avec instance qu'on lui délivrât des fusils de munition, au lieu de ces piques ridicules avec lesquelles on l'avait en grande partie armée; elle avait renouvelé plusieurs fois sa demande sans pouvoir rien obtenir. J'en écrivis à l'empereur, qui me répondit: "Vous me faites une demande ridi"cule; l'arsenal est plein de fusils, il faut les utiliser.

J'avais montré cette lettre au prince Joseph et au ministre de la guerre. Celui-ci m'avait répondu qu'il n'avait que très peu de fusils, qu'il les conservait pour l'armée, qui en avait besoin à chaque instant, en sorte que je ne pus rien obtenir. Ce ne fut qu'au moment où l'on attaquait les troupes postées sous les murailles de Paris, que le duc de Feltre consentit à livrer à la garde nationale quatre mille fusils au lieu de vingt mille dont elle avait besoin; encore, pour couronner l'œuvre, ne distribua-t-on les quatre mille fusils que lorsque les différentes légions étaient déjà réunies. Les chariots chargés de ces armes furent amenés devant elles, et on en fit la distribution. L'artillerie n'avait reçu que la veille dans la nuit l'ordre de délivrer ces fusils; à cette heure, le sort de Paris ne paraissait plus douteux. Le ministre de la guerre surtout ne dissimulait pas qu'il regardait la capitale comme perdue. Pourquoi donc ne pas ouvrir alors les arsenaux à la population, ne pas lui abandonner tout ce qu'ils contenaient, puisqu'on

ne pouvait pas empêcher ces armes de tomber dans les mains des ennemis ?

A la pointe du jour, le prince Joseph s'était établi à Montmartre, et avait fait prévenir les membres du conseil de défense de venir le joindre. J'y étais appelé, je m'y rendis un des premiers. Le tambour battait de tous côtés dans Paris; les citoyens s'assemblaient, le dévouement était général dans les faubourgs. Lorsque j'arrivai à Montmartre, je ne fus pas peu surpris de n'y voir aucune disposition de défense; on y avait grimpé deux ou trois pièces de campagne, et il y en avait deux cents dans le Champ-de-Mars, que l'on aurait pu transporter sur n'importe quel point de Paris avec les chevaux de carrosses de cette capitale. Le ministre de la guerre n'avait qu'un mot à dire, il ne le dit pas; rien ne fut disposé pour la défense, les plateformes n'étaient pas même ébauchées; il n'y avait pas une esplanade de faite pour mettre du canon en batterie.

Bien plus, Montmartre était sans troupes; la garde nationale fut obligée de l'occuper. Le moment où sa présence aurait pu y être utile était celui où elle recevait les quatre mille fusils que l'on avait eu tant de peine à arracher des

arsenaux.

L'ennemi, dont le plan était arrêté, avait développé tous ses moyens. Il faisait des progrès rapides sur les hauteurs. de Belleville et de Ménilmontant, où on n'avait pas à lui opposer le quart des troupes qu'il avait déployées sur ce point.

Les membres qui devaient composer le conseil de défense n'étaient pas arrivés; le prince Joseph m'engagea à aller moi-même voir ce qui se passait sur le point où l'attaque paraissait s'échauffer, et revenir lui rendre compte de ce que j'aurais vu. Je m'y rendis par l'extérieur de la muraille d'enceinte. Déjà nos troupes commençaient à céder; elles se défendaient cependant avec courage, et cela était d'autant

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