Page images
PDF
EPUB

savait faire sentir le poids, communiqua à ses généraux ce qui venait de se passer entre lui et M. de Montessuis. Il leur fit un long et affligeant détail de tous les maux qui allaient accabler la patrie, si quelqu'un ne donnait pas l'exemple de la réunion à un pouvoir qui pourrait se consolider et préserver la France de l'anarchie. Il leur dit que ce pouvoir était la maison de Bourbon, que les alliés rappelaient au trône, et avec laquelle Paris était déjà entré en arrangement; que la France ni les Français n'y perdraient rien; qu'il n'y aurait que l'empereur de sacrifié. Il leur annonça que, quant à lui, son parti était pris ; qu'il les avait assemblés pour le leur communiquer, les laissant les maîtres de leurs déterminations. Il n'ignorait pas qu'un esprit supérieur entraîne toujours les faibles, particulièrement dans des circonstances hors de la portée des intelligences communes.

Les généraux de son armée ne pouvaient d'ailleurs suspecter les intentions de leur chef, dès qu'il s'agissait de

Réponse de M. le Maréchal Prince de Schwarzemberg.

MONSIEUR LE MARECHAL,

Je ne saurais assez vous exprimer la satisfaction que j'éprouve en apprenant l'empressement avec lequel vous vous rendez à l'invitation du gouvernement provisoire, de vous ranger, conformément au décret du 2 de ce mois, sous les bannières de la cause française.

Les services distingués que vous avez rendus à votre pays sont reconnus généralement; mais vous y mettez le comble en rendant à leur patrie le peu de braves échappés à l'ambition d'un seul homme.

Je vous prie de croire que j'ai surtout apprécié la délicatesse de l'article que vous demandez, et que j'accepte relativement à la personne de Napoléon. Rien ne caractérise mieux cette belle générosité naturelle aux Français, et qui distingue particulièrement le caractère de V. Exc.

Agréez les assurances de ma haute considération.

A mon quartier-général, le 4 avril 1814.

Signé: SCHWARZEMBERG.

l'empereur. Ils crurent qu'il n'obéissait qu'à une rigoureuse nécessité, et adoptèrent le parti qu'il avait pris, déplorant toutefois d'être réduits à abandonner leur souverain.

On suivit les relations qu'avaient ouvertes Schwarzemberg. Les conditions de la défection furent discutées, convenues, sans néanmoins être signées.* Marmont conserva en conséquence la position qu'il occupait. Il continua de faire tête de colonne, soit qu'il balançât encore, soit même qu'il voulût revenir sur la surprise qu'on lui avait faite.

* ARTICLE ler.-Les troupes françaises qui, par suite du décret du sénat du 2 avril, quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, pourront se retirer en Normandie avec armes, bagages et munitions, et avec les mêmes égards et honneurs militaires que les troupes alliées se doivent réciproquement.

ARTICLE 2.-Si, par suite de ce mouvement, les événemens de la guerre faisaient tomber entre les mains des puissances alliées la personne de Napoléon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seraient garanties dans un espace de terrain et dans un pays circonscrit au choix des puissances alliées et du gouvernement français.

Chevilly, 4 avril, 1814.

CHAPITRE VII.

L'empereur de Russie hésite.-Consternation des conspirateurs.--Le gouvernement provisoire est sur le point de se dissoudre.-Conseil.-Le général Dessoles; ses sollicitudes pour mademoiselle de Dampierre.-M. de Pradt. -L'empereur se dispose à marcher sur Paris.-Ce qui l'arrête.-Abdication. Encore Marmont.-Projet coupable.-Ce que c'est que les garanties que veulent les alliés.-Etonnement de M. de Nesselrode.-En Russie on n'hésiterait pas tant.

LES choses allaient moins bien à Paris. L'empereur de Russie s'était tellement ménagé les moyens de changer de résolution, que je tiens de M. Anglès lui-même que les conspirateurs crurent un instant la partie perdue. La chose fut au point qu'au sortir d'une conférence qui avait eu lieu chez l'empereur de Russie, il fit charger sa voiture de voyage, persuadé que tout était fini. Ce fut l'engagement pris par Marmont qui ramena la sécurité dans toutes ces consciences coupables.

Il y avait à Paris de bons esprits qui, sans être bien contens du gouvernement impérial, se trouvaient humiliés d'être l'objet de la spéculation et du trafic de quelques intrigans accoutumés à tout servir et à tout trahir.

On remarquait une direction indiquée au mouvement, que l'on excitait sans faire connaître la puissance qui l'appuyait. On avait l'exemple récent de Bordeaux: lorsque le maire de cette ville s'était déclaré pour le duc d'Angoulême, on avait usé de son influence pour faire arborer les couleurs royales. Les notables s'étaient assemblés et avaient été en corps demander au général commandant les troupes anglaises qui avaient pris possession de la ville, si c'était par son ordre que l'on y déployait des signes propres à allumer la guerre civile ;

et celui-ci avait répondu qu'il ne protégeait particulièrement aucun parti, qu'il laissait chacun libre d'en agir comme il l'entendait.

A Paris, on voyait le corps municipal qui était excité à s'immiscer dans le changement de gouvernement. Quelquesuns de ses membres même, tels que l'avocat Bellart et l'ancien notaire Pérignon, n'avaient pas craint de se mettre en avant. Tout cela avait fait penser ceux qui redoutaient de nouveaux orages, ou ne voulaient pas servir de marchepied à quelques intrigans. Plusieurs bonnes têtes imaginèrent d'écrire à l'empereur Alexandre, en conservant l'anonyme, mais en employant le style qui porte la conviction. On ne lui épargna pas les représentations sur l'estime ou la confiance que méritaient les hommes qui travaillaient eu

son nom.

Peut-être aussi lui-même chercha-t-il, par d'autres voies, à s'assurer au juste du véritable état de l'opinion. Soit que la masse d'intérêts qu'il fallait froisser l'ébranlât, soit toute autre considération, toujours est-il qu'il fut sur le point de répudier les casse-cous politiques qui s'attachaient à ses pas. Quelle influence ne pouvait pas avoir, dans cet état d'indécision, la présence de l'impératrice à Paris !

M. de Talleyrand, voyant les incertitudes de l'empereur Alexandre, craignit que ce prince ne lui échappât. Il jugea bien que l'on ne parviendrait pas à décider qui que ce fût à se prêter aux mesures nécessaires pour prévenir tout retour de l'empereur, si Marie-Louise restait sur le trône. Comme le danger était imminent et le devenait chaque jour davantage, il abandonna l'idée de la régence et se rallia aux Bourbons. Ce parti n'était pas sans inconvéniens pour lui, mais il excluait toute idée de retour après une transaction aussi étrange, aussi subite; il ne pouvait pas manquer de lui offrir des moyens de revenir à son premier thême, en faisant mouvoir le parti de la révolution avant de laisser les Bour

bons s'établir. La chose était facile: la plupart des places administratives étaient occupées par des hommes du parti.

Voilà donc Talleyrand décidé à faire adopter ce qu'il repoussait jusque-là de toutes ses forces. Dès lors il ne chercha plus qu'à fixer les irrésolutions de l'empereur Alexandre, et ne craignit pas, comme on dit, de le mettre au pied du mur. Il devenait au reste urgent de le décider, car le diplomate était déjà en butte aux reproches de tous ceux qui s'étaient engagés avec lui dans cette entreprise. Le gouvernement provisoire fut même sur le point de se dissoudre. M. de Talleyrand avait trop d'expérience des hommes et des affaires pour manquer de tête dans cette occasion: il réunit, à ce qui m'a été rapporté, les membres du gouvernement provisoire, à l'issue de la conférence qui avait dissipé tant d'illusions; il leur montra les dangers que chacun d'eux courait; il les détermina sans peine à le suivre chez l'empereur de Russie, qui occupait le premier étage de son hôtel. Il porta la parole et observa à ce prince que les personnes qui l'accompagnaient s'étaient exposées à tout perdre pour assurer son triomphe, que seuls ils avaient contenu la population dans l'obéissance, qu'ils n'avaient pas craint de compromettre leur existence, celle de leurs familles pour le servir, que pour prix de tant de dévouement ils allaient être abandonnés aux vengeances qu'ils avaient si aveuglement provoquées. Dans ce triste état de choses, ils venaient tous le supplier de leur assurer un asile, s'il persistait dans le dessein qu'il leur avait manifesté. Alexandre les rassura sur les dangers dont ils se eroyaient menacés, et leur dit qu'à la vérité ses idées n'étaient pas encore arrêtées, mais qu'il n'abandonnerait pas des hommes qui avaient tout compromis pour son service, et leur assurerait une existence dont ils seraient satisfaits. Les choses en étaient là lorsque M. de Talleyrand acquit la certitude qu'il pouvait compter sur la défection de Marmont et sur le zèle d'Oudinot. Dès-lors il fut plus assuré de réussir,

« PreviousContinue »