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envoyé à l'île d'Elbe pour s'arranger avec l'empereur et lui conseiller son entreprise.*

L'on avait eu la même pensée à Vienne, d'où l'on avait aussi expédié quelqu'un avec une lettre pour Fouché, dans laquelle on lui demandait des explications sur ce qui avait pu amener le retour de l'empereur. On lui disait que l'on ne changerait rien à la détermination qui avait été prise de ne pas le reconnaître, mais que l'on accorderait tout autre

• J'ai vu à son retour la personne que M. Fouché avait envoyée près de M. de Talleyrand; l'empereur voulut aussi la voir, et la manda dès qu'elle fut arrivée.

Cette personne avait-elle une double mission? Je l'ignore. Il m'a cependant été assuré qu'à son départ de Paris, elle avait une lettre de l'empereur pour M. de Talleyrand, et j'ai quelques raisons de le croire; elle nous rapporta que ce diplomate présidait à peu près aux décisions des souverains alliés. Elle avait vu l'empereur de Russie chez lui, et comme on lui demandait des détails sur le retour de l'empereur, elle racontait à quel point était portée l'exaltation dont il avait été témoin. Elle ajoutait tout ce qui pouvait persuader que le mouvement était national.

Cet envoyé nous dit que M. de Talleyrand l'avait chargé de toutes sortes de choses affectueuses, particulièrement pour moi. Il lui avait assuré qu'il n'irait pas à Gand, mais qu'il se rendrait en Suisse où il attendrait les événemens; telle était sa première résolution.

Le malheur voulut que le lendemain ou le jour suivant on reçut à Vienne le Moniteur, dans lequel était la publication des premières mesures qui furent appliquées à ceux que l'on considérait comme les auteurs des événemens du mois d'avril 1814, et en tête desquels on avait inscrit M. de Talleyrand.

Il fit revenir la personne qui lui avait été envoyée de Paris, et lui montra ce Moniteur en lui ajoutant: "Ou l'on s'est moqué de vous en vous envoyant “ici, ou vous vous moquez de moi en me disant qu'il n'y aura point "de vengeances, puisque les voilà qui commencent." Dès-lors, M. de Talleyrand ne parla plus de se retirer en Suisse, et il prit la conduite opposée. La crainte d'être inexact m'empêche d'en dire davantage; mais ceci peut faire réfléchir bien du monde. On ne voit d'ailleurs pas la nécessité de frapper de mesures de rigueur des hommes que l'on ne pouvait pas atteindre en pays étrangers, et si cela n'était que simulé, on aurait dû les en avertir; mais la frayeur travaillait déjà quelques hommes, et les mesures allaient en conséquence.

gouvernement qu'on demanderait, fût-ce même la république.

Cette lettre, écrite par le ministre autrichien, fut apportée à Paris par un jeune homme du commerce de Vienne, qui, ne sachant comment arriver à Fouché, s'adressa à quelques personnes qui le tirèrent d'embarras. Metternich demandait au duc d'Otrante, d'envoyer un homme sûr à Bâle, et de lui donner des signes de reconnaissance que le jeune Viennois lui transmettrait. Ils serviraient à le faire reconnaître d'un agent autrichien qui s'y était déjà rendu, afin de s'expliquer plus au long.

Les démarches qu'avait dû faire ce jeune homme pour parvenir chez Fouché avaient transpiré. L'empereur fut averti; il le fit chercher, et l'interrogea lui-même. Le jeune homme ne cacha rien, il indiqua même le jour où il avait rendu la lettre dont il était porteur pour Fouché.

L'empereur, étonné que celui-ci ne lui en eût point parlé, commença à devenir soupçonneux; il jugea cependant qu'il aurait encore le temps de placer quelqu'un de sûr entre Fouché et l'agent autrichien. En conséquence, il fit donner à un officier de confiance les signes de reconnaissance apportés par le négociant allemand; il y ajouta des instructions particulières pour l'exécution desquelles il l'investit de pouvoirs très étendus, et prit ses mesures pour intercepter l'agent que Fouché aurait pu envoyer à Bâle, et qui serait venu contrecarrer ce qu'il se proposait de faire.

Cette mission réussit complètement; l'agent de l'empereur se présenta à l'émissaire de Metternich, qui, ne se doutant pas du piége, déroula de confiance toute la mission qui faisait l'objet de son voyage.

Après avoir expédié son agent, l'empereur manda Fouché. Il y avait plusieurs jours qu'il avait reçu la lettre que le messager de Vienne lui avait apportée, et il n'en avait point parlé.

L'empereur lui fit d'abord quelques questions indirectes, puis ayant ramené la conversation sur les affaires, il laissa entrevoir à Fouché qu'on lui avait fait quelques rapports désavantageux sur lui, et que s'ils étaient fondés, il se ferait beaucoup plus d'honneur en se retirant d'un ordre de choses qui ne lui convenait peut-être pas, que d'être déloyal envers le parti qu'il avait l'air de servir. "Si vous avez des scru"pules, lui dit-il, donnez votre démission."

Fouché eut l'air de ne pas comprendre. Il savait que la préfecture de police avait arrêté le jeune négociant venu de Vienne; il éluda néanmoins, et sembla n'attribuer qu'à de faux rapports, à des intrigues, l'inquiétude que l'empereur lui manifestait. Il ne s'abusait pas cependant, il connaissait assez le souverain auquel il avait affaire pour être persuadé qu'il n'oublierait pas cette trahison. Dès-lors, il ne s'occupa plus que d'arrêter l'élan national que l'on cherchait à exciter, et à nuire de tous ses moyens au succès de l'empereur.

On eût peut-être dû lui faire immédiatement son procès et le punir de toutes les perfidies dont il s'était rendu coupable depuis vingt-cinq ans ; mais les circonstances étaient si graves, et puis il convenait d'attendre le retour de l'agent envoyé à Bâle pour savoir quelle était la nature des communications qu'il avait ouvertes.

L'agent revint effectivement après avoir complètement abusé l'émissaire de Vienne, et s'être fait développer, dans les moindres détails, tout ce que l'on attendait de Fouché.

On lui proposait de trahir l'empereur. On accordait tout, pourvu qu'on livrât ce prince, et on ne voyait en France que Fouché qui pût entreprendre une semblable opération.

L'empereur, voyant qu'il n'y avait rien de tramé contre sa vie, regarda cela comme de l'intrigue, et eut assez bonne opinion de la rectitude d'esprit de Fouché, pour croire qu'il reconnaîtrait lui-même que de pareilles propositions, indé

pendamment de ce qu'elles avaient de honteux, devaient lui démontrer que les alliés n'étaient pas aussi assurés du succès que leurs partisans se plaisaient à le répandre. Ainsi, il ne s'agissait que de résister avec courage: il pensa qu'en prenant la chose au juste, Fouché verrait qu'il pouvait les déterminer à dévier d'une politique qui n'était pas même celle de tous, en menaçant de divulguer des ouvertures dont la moindre conséquence devait être de faire courir toute la nation aux armes.

Il y avait plusieurs bons partis à tirer de ces propositions rapportées de Bâle par l'agent que l'empereur y avait envoyé.

L'empereur n'hésita pas à s'expliquer avec le ministre. Il s'y décida d'autant plus volontiers, qu'avant de quitter Bâle, son agent avait engagé celui d'Autriche à l'attendre, en lui promettant de revenir au plus vite et de rapporter une réponse positive.

Fouché pris à la gorge donna à l'agent de l'empereur une lettre pour celui d'Autriche; mais elle était si singulièrement tournée, que l'on ne pouvait rien en conclure, sinon que le porteur était bien vraiment l'agent de Fouché.

C'était tout ce qu'il fallait, le porteur ayant assez d'habileté pour faire le reste. Il fut convenu qu'il excuserait l'ambiguïté de la lettre de Fouché par les dangers d'une arrestation, ce qui lui vaudrait encore plus de confiance.

Ce second message réussit comme le premier; l'agent de l'empereur revint, retourna même une troisième fois; mais celui d'Autriche, qui lui-même avait été à Vienne, ne reparut pas. Comment cela se fit-il? Est-ce parce que la campagne allait s'ouvrir, ou parce que Fouché avait trouvé le moyen de faire prévenir de la supercherie par Bâle, Vienne, ou Bruxelles, où il était aussi en communication avec le duc de Wellington? Je l'ignore. L'empereur fut un instant sur le point de faire arrêter Fouché; il changea de résolution en observant qu'il serait toujours à temps, lorsqu'il serait

mieux établi, et que, si les affaires ne se consolidaient pas, la punition de Fouché ne serait qu'une rigueur inutile.

Depuis qu'il était arrivé à Paris, on avait employé toute sorte de moyens pour recomposer l'armée qui avait été considérablement réduite. La déclaration des puissances coalisées ne pouvait pas manquer d'être promptement suivie d'une reprise d'hostilités, et les forces avec lesquelles elles menaçaient de nous attaquer étaient incomparablement plus considérables que celles que nous pouvions leur opposer. Tout le monde faisait la réflexion que, si l'empereur avait succombé lorsqu'il avait plus de troupes qu'il ne lui était possible d'en réunir cette fois-ci, il lui serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de triompher; on se livrait à l'inquiétude, mais on conservait de l'espoir; on était généralement fort aise du retour de l'empereur, parce qu'avec lui renaissait l'espérance de parvenir à tous les emplois, tandis que sous les Bourbons on avait reconnu qu'ils allaient redevenir exclusivement le domaine de quelques familles, ainsi que cela avait lieu avant la révolution de 1789. On faisait des vœux pour lui, tout en ne se dissimulant pas les difficultés qu'il aurait à surmonter.

L'on rappela dans les cadres de l'armée tous les hommes qui en avaient été congédiés. On mit de nouveau une prodigieuse activité à rassembler des soldats, à les habiller, ainsi qu'à les équiper; mais il y avait trop de choses à faire à la fois, et pas assez de temps pour les achever. On fut encore obligé de faire administrativement ce qui aurait dû être autorisé par le corps législatif, qui n'était pas rassemblé.

Le département de l'intérieur avait lui-même beaucoup de choses à faire; le vote des communes pour la réélection de l'empereur, ainsi que l'assemblée du Champ-de-Mai l'occupaient. Le ministère de la police se donnait aussi du mouvement; mais il n'agitait que les hommes connus anciennement par l'exagération de leurs principes, en sorte que

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