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"nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de "toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités "nationales. J'étais fondé à en espérer le succès; j'avais "bravé les déclarations de toutes les puissances contre "moi.

"Les circonstances paraissent changées. Je m'offre en "sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils "être sincères et n'en vouloir réellement qu'à ma personne! "Ma vie politique est terminée : je proclame mon fils, sous “ le titre de Napoléon II, empereur des Français.

"Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil "du gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser sans délai la régence par une loi.

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"Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante.

"Au palais de l'Elysée, ce 22 juin, 1815.

"NAPOLEON."

Cette réponse fut portée à la chambre des députés qui l'accueillit avec un mélange de joie et d'admiration.

Le conseil des ministres se sépara, et bientôt le palais de l'Elysée fut désert.

Cette abdication de l'empereur fut communiquée à la chambre des pairs et rendue publique. La faction de Fouché était déjà venue à bout de la première partie de ses projets; on va voir comment elle procéda à la seconde.

La chambre des députés se réunit l'après-midi pour élire les membres de la commission de gouvernement; ils devaient être au nombre de cinq, élus, savoir, trois par la chambre des députés et deux par celle des pairs.

Les premiers tours de scrutin de la chambre des députés portèrent Fouché et Carnot, quoiqu'ils fussent membres de la chambre des pairs. Les suivans ballottèrent le général Grenier avec diverses autres personnes, entr'autres le maré

chal Macdonald; mais Grenier l'emporta et fut élu au scrutin suivant.

La chambre des pairs nomma Caulaincourt et Quinotte, tous deux membres de cette chambre.

Avant cette élection, il y avait eu à la chambre des pairs une vive discussion sur la nature de l'abdication de l'empe

reur.

On tomba dans un travers d'esprit dont on eut beaucoup de peine à triompher. Il y eut des membres de cette chambre qui l'entretinrent de longs discours, peu compréhensibles pour ceux qui n'avaient pas l'habitude de pénétrer jusqu'à la vérité, à travers les considérations métaphysiques et les circonlocutions au moyen desquelles on cherchait à ménager les deux partis.'

On attaqua l'abdication, on demanda qu'elle fût pure et simple: sans doute on désirait, pour la seconde fois, s'arroger le droit de nommer un gouvernement.

C'était la première fois que je faisais partie d'une assemblée; je compris alors combien il avait été facile de faire tomber dans des écarts toutes celles qui ont été aussi malheureusement célèbres dans les dernières époques de notre révolution.

On déraisonnait complètement sur l'abdication de l'empereur, car enfin il ne pouvait la faire que conformément aux constitutions qui avaient prévu le cas, et indiqué son successeur tout acte de sa part qui aurait enfreint cette disposition était nul. Les chambres qui nommaient à l'exercice du pouvoir n'avaient pris ce droit que dans les termes de l'abdication de l'empereur; elles n'avaient pas celui de censurer cette abdication, ni d'en changer la nature, puisque l'empercur était présent lui-même, et qu'il pouvait à chaque instant dire quelle avait été son intention en abdiquant.

Quelques membres prirent la parole pour démontrer que la moindre altération qui serait faite à l'acte d'abdication le serait

par contre-coup à la constitution. Ils remarquèrent que, si une fois on admettait le principe, la conséquence que l'on serait en droit d'en tirer était la dissolution de la chambre, qui n'était nommée que d'après une convocation de l'empereur, en vertu des pouvoirs que lui avait donnés cette même constitution.

On s'échauffait sur cette question qui était vivement discutée à la chambre des pairs, lorsqu'on vint les prévenir qu'après quelques débats, la chambre des députés avait reconnu et proclamé Napoléon II.

La discussion cessa aussitôt; la chambre des pairs imita celle des députés, moins cependant par conviction des droits du jeune enfant que par résolution de ne point se séparer de la chambre des députés.

Il était difficile de ne pas s'abandonner à des réflexions affligeantes, en voyant la manière dont on employait le peu de temps que laissait encore l'approche des alliés. On ne pouvait que gémir de l'aveuglement de tous ces discoureurs, qui, au lieu de songer à opposer à la coalition un faisceau de volontés, se déchiraient comme s'ils avaient craint qu'elle manquât de prétextes pour nous forcer d'accepter ce qu'il lui conviendrait de nous proposer.

Les alliés ne pouvaient manquer d'être bientôt informés de cet état de désunion, et il faut convenir qu'on n'omit rien de ce qui pouvait contribuer à nous mettre à leur discrétion.

Le 22 au soir, le fils de l'empereur était reconnu par les deux chambres, et la commission de gouvernement installée aux Tuileries.

Fouché vint encore ce soir-là à l'Elysée. Je m'y trouvai comme il arriva; l'empereur lui dit: "Ne vous fiez pas aux ❝ennemis, armez tant que vous pourrez. En agir autrement "serait trahir la France."

L'empereur fit demander le même soir au ministre de la ma

rinc de mettre à sa disposition les deux frégates qui étaient sur la rade de Rochefort. C'étaient les deux seuls bâtimens qui fussent prêts à faire voile.

Le ministre lui répondit qu'il allait prendre les ordres du gouvernement provisoire, c'est-à-dire ceux de Fouché, et qu'aussitôt sa réponse il s'empresserait de lui rendre ce dernier service.

Le lendemain 23, l'empereur fit renouveler la demande par le général Bertrand, qu'il chargea également de demander des passe-ports à Fouché.

Cette commission de gouvernement s'était assemblée aux Tuileries, d'où elle avait commencé l'exercice de son pouvoir. Le premier jour de son installation, elle envoya une députation aux souverains alliés pour entrer en arrangement. Fouché croyait de bonne foi qu'il allait renouer les communications qu'il avait ouvertes avant le retour de l'île d'Elbe, et il ne manqua pas de dupes pour partager ses illusions.

L'archi-chancelier alla porter sa démission à cette commission, le jour même où elle fut installée, ainsi que plusieurs autres fonctionnaires. Je fus du nombre et rendis ma commission de premier inspecteur-général de la gendarmerie.

Cette commission de gouvernement changea le même jour le commandant en chef de la garde nationale de Paris. C'était le général Durosnel, elle nomma à sa place le maréchal Masséna. Elle retira aussi au général Rapp le commandement de l'armée du Rhin, et le remplaça par le maréchal Jourdan*.

J'étais particulièrement trop persuadé des mauvaises intentions de Fouché à l'égard de l'empereur pour ne pas lui supposer quelques noirs projets, et je me mis en mesure de les traverser.

Je n'avais jamais été dupe de ses protestations. Je voyais

* Les généraux Durosnel et Rapp avaient été aides-de-camp de l'empereur.

bien qu'il allait se servir des avantages de sa position pour perdre l'empereur sans retour; car cela servait tous les projets qu'il pouvait avoir, soit en faveur de la branche aînée ou cadette de la maison de Bourbon, soit en faveur de la régence. La mort de l'empereur était nécessaire à la sécurité de sa vie ; il connaissait trop les révolutions pour s'exposer à un nouveau retour. Toute la journée du 23, j'entretins l'empereur de mes inquiétudes à ce sujet, et je m'employai du mieux qu'il me fut possible pour les lui communiquer, et lui faire adopter l'idée de partir sans perdre de temps.

Mon opinion était partagée par une foule d'honnêtes gens, qui avaient aussi l'expérience des révolutions, et qui étaient venu prévenir l'empereur de prendre garde à lui. Ils lui conseillèrent même de s'éloigner au plus tôt, car ces misérables (ils désignaient Fouché et consorts) le livreraient, s'il le fallait, pour se tirer d'affaire. Je ne nomme pas les hommes généreux qui vinrent lui donner cet avis, parce que je ne suis pas sûr que cela ne pût leur nuire.

L'empereur commença à soupçonner que l'on pourrait avoir la pensée d'une aussi coupable action, et fit de suite les dispositions de son départ.

Il aurait voulu emmener le général Drouot, qui avait été à l'île d'Elbe avec lui; mais ce général avait été nommé au commandement de la garde impériale: il crut ne pouvoir pas abandonner son poste dans un moment où la France était en danger. L'empereur n'insista point; mais il regretta Drouot, parce qu'il l'estimait et qu'il lui était attaché.

Le père ainsi que la mère du général Bertrand étaient venus du Berry pour le voir. Quoique bien sûr des sentimens du général pour lui, l'empereur ne lui parla pas encore du projet qu'il formait d'aller en Amérique, parce qu'il craignait d'alarmer la sensibilité de cette famille.

Il me

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