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dénouement des événemens, et leur laisser le soin de le livrer aux ennemis.

Le général Becker, qui était un homme d'honneur et d'expérience, vit bien à quoi tous ces délais tendaient, et pour rien au monde il n'aurait voulu mettre son nom à une pareille infamie. Il écrivit sur-le-champ au gouvernement provisoire, et employa les expressions d'un galant homme. On lui répondit que pour la plus grande sûreté de l'empereur, le gouvernement avait demandé des passe-ports à lord Wellington, et qu'aussitôt qu'on les aurait reçus, on les enverrait.

C'était évidemment une autre perfidie que l'on couvrait du voile de l'intérêt que l'on portait à l'empereur; il n'y avait que des dupes qui pouvaient ne pas démêler ce que cela signifiait.

Nous nous rassurâmes cependant un peu plus en voyant arriver le ministre de la marine. Il venait donner connaissance à l'empereur d'une dépêche du président de la commission. Elle était conçue en ces termes :

Paris, 27 juin au matin.

Au Ministre de la Marine.

MONSIEUR LE DUC,

Il est urgent que l'empereur parte. L'ennemi s'avance, et est peut-être déjà à Compiègne. La commission désire que vous vous rendiez sur-le-champ à la Malmaison pour enga ger l'empereur à partir, parce que nous ne pouvons pas répondre d'un mouvement qui pourrait avoir lieu. Quant à la disposition de l'article 5 du décret d'hier relatif aux saufconduits, la commission vous autorise à le regarder comme Toutes les autres dispositions sont maintenues.

non avenu.

Signé, le duc D'OTRANTE.

P.S. Il serait important que l'empereur partit incognito.

Cette lettre excitait bien quelque soupçon, car enfin elle reposait sur un mensonge, et supposait une répugnance à partir qui n'existait pas. Mais le champ était ouvert, nous crûmes que nous n'avions plus qu'à nous éloigner; l'erreur ne fut pas longue.

Le ministre de la marine nous avait à peine quittés depuis quelques heures, qu'il fit passer à l'empereur une dépêche dont les dispositions étaient tout opposées à celles qu'il était venu communiquer lui-même. Elle était ainsi conçue:

SIRE,

Paris, 27 juin 1815, à deux heures après midi.

Ce matin lorsque j'ai eu l'honneur d'approcher V. M., je lui ai montré la lettre du duc d'Otrante par laquelle il m'annonçait comme non avenu l'article 5 du décret d'hier relatif aux sauf-conduits.

En retournant à Paris, j'ai rencontré vis-à-vis l'Elysée un courrier qui m'a remis une dépêche du duc d'Otrante, laquelle porte textuellement ce qui suit: "D'après les dé"pêches que nous avons reçues ce matin, l'empereur ne peut 66 partir de nos ports sans sauf-conduit. Il doit attendre ce "sauf-conduit en rade. En conséquence, l'arrêté d'hier "reste dans toute son intégrité, et la lettre que nous vous avons écrite ce matin pour annuler l'article 5, est nulle. "Tenez-vous au texte de notre arrêté d'hier.

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J'étais trop près des Tuileries pour ne pas m'y rendre. Le conseil de gouvernement s'était ajourné à trois heures ; j'y ai trouvé le projet d'une troisième lettre qui n'attendait que le retour du duc d'Otrante pour être signé et m'être envoyé. M. Berlier m'en a remis la minute, et l'expédition me sera remise ce soir. Voici ce qu'elle porte:

Paris, 27 juin, à midi.

Au Ministre de la Marine.

MONSIEUR LE DUC.

La commission vous rappelle les instructions qu'elle vous a transmises il y a une heure. Il faut faire exécuter l'arrêté tel que la commission l'avait pris hier, et d'après lequel Napoléon Bonaparte restera en rade à l'île d'Aix, jusqu'à l'arrivée des passe-ports.

Il importe au bien de l'Etat, qui ne saurait lui être indifférent, qu'il y reste jusqu'à ce que son sort et celui de sa famille soient réglés d'une manière définitive. Tous les moyens seront employés pour que cette négociation tourne à sa satisfaction. L'honneur français y est intéressé; mais en attendant on doit prendre toutes les précautions pour la sûreté personnelle de Napoléon, et pour qu'il ne quitte point le séjour qui lui est momentanément assigné.

Agréez, monsieur le duc, etc.

Le président de la commission du gouvernement,

Le duc D'OTRANTE.

De tout ceci il résulte que la commission pense que la sûreté de V. M., exige qu'elle se rende sur les frégates de l'île d'Aix, et que l'état des négociations veut que les frégates ne partent qu'après l'arrivée des passe-ports.

En même temps que je fais connaître cet état de choses à V. M., je retourne aux Tuileries. J'y exposerai tout ce que m'a dit V. M., et je demanderai les ordres de la commission, sur le cas où V. M., arrivant à l'île d'Aix, voudrait étre conduite immédiatement en Angleterre sur une frégate ou un navire, au lieu de rester dans cette rade.

Je n'ai pas besoin de vous exprimer ce que me font éprouver ces contrariétés qui vous affectent, et que je croyais terminées.

Agréez, Sire, etc.

DECRÈS.

Nous verrons tout à l'heure comment la commission répondit au vœu manifesté par l'empereur, de passer directement en Angleterre. On ne pouvait se méprendre sur le but de toutes ces incertitudes, de ces mesures contradictoires. L'armée anglaise approchait, nos troupes avaient repassé l'Oise; il n'y avait pas un homme raisonnable qui ne vît que les ennemis pouvaient au lieu de passe-ports, envoyer enlever l'empereur à la Malmaison, où Fouché n'avait eu garde de manquer de faire dire que se trouvait ce prince.

Si Fouché n'avait pas eu dessein de faire tomber l'empereur dans les mains des ennemis, il ne l'aurait pas pressé de sortir de Paris, où il était sous la sauvegarde de l'honneur des chambres et des citoyens de cette grande ville, ou tout au moins il lui eût fait connaître dès le 22 au soir le danger auquel il était exposé.

Il est vrai qu'il voulut se donner l'air d'avoir été favorable aux vucs et aux intérêts de l'empereur. Mais quand le fit-il? Après qu'il eut envoyé à l'armée anglaise, et par conséquent lorsqu'il savait qu'il ne pouvait plus y avoir d'inconvéniens à satisfaire l'empereur sur des choses dont il ne jouirait pas ; il en usa vis-à-vis de ce prince comme on fait avec les hommes qui vont mourir: on ne leur refuse plus rien.

Un concours de circonstances heureuses sauva l'empereur de ce premier danger.

Le ministre de la guerre avait pris le commandement des troupes qui se retiraient sur Paris; dès qu'il vit que les ennemis s'approchaient de la rivière de l'Oise, il envoya ordre au

général Becker de brûler les ponts qui étaient en face de la Malmaison.

Becker alla lui-même faire exécuter cette disposition, et c'est probablement à cette prévoyance que l'empereur doit de n'avoir pas été pris, c'est-à-dire tué à la Malmaison, d'où il était parti, lorsque le détachement prussien chargé de l'enlever y arriva, car celui-ci avait été obligé d'aller chercher un passage sur la Seine, beaucoup plus bas qu'où il espérait en trouver. Il fallait qu'il fût conduit par un homme accoutumé à courir la chasse dans les environs, pour être venu si rapidement et sans hésiter par un aussi long détour que celui qu'il fit.

Le général Bertrand arriva de Paris avec des promesses, mais n'apporta pas plus d'ordre pour les frégates que de passe-ports.

L'empereur commença à réfléchir sérieusement à ce qui pouvait arriver, et comme diverses personnes venaient le voir à la Malmaison, il sut bientôt à quoi s'en tenir sur les trames de Fouché. La position était pénible, mais il avait manifesté l'intention de reprendre les armes; c'en fut assez pour détourner une partie du danger. Les ennemis s'étaient aventurés sur la Basse-Seine; ils s'étaient mis dans une position à être taillés en pièces. L'empereur, qui les suivait de l'œil, vit la faute et résolut d'en profiter. Il fit appeler le général Becker; il lui exposa l'état des choses, et le chargea de porter lui-même au gouvernement provisoire l'offre qu'il lui faisait de ses services. "Vous leur expliquerez, dit-il au gé"néral, que mon intention n'est point de ressaisir le pou"voir; que je veux battre l'ennemi, l'écraser, le forcer par "la victoire à donner un cours favorable aux négociations; "que ce résultat obtenu, je m'éloignerai, je poursuivrai "tranquillement ma route." Le général transmit la proposition, mais Fouché ne pouvait pas croire à la magnanimité qui l'avait dictée; elle dérangeait trop d'ailleurs les projets

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