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L'empereur tâchait de me rassurer, mais je crois qu'au fond, il n'augurait pas mieux que moi.

Le vaisseau le Northumberland, qui devait conduire l'empereur à Sainte-Hélène, n'était pas prêt. On laissa ce prince dans la même situation à bord du Bellerophon dans la rade de Plymouth, jusqu'au 6 août, qu'il appareilla pour Torbay, accompagné du Tonnant, que montait l'amiral Keith, et d'une frégate sur laquelle étaient les officiers qui étaient venus de France avec l'empereur.

Le Northumberland devait se trouver à Torbay. II arrivait de Portsmouth, et marchait sous la conduite de l'amiral Cockburn, qui devait conduire l'empereur à SainteHélène. Les deux vaisseaux qui avaient fait voile de Plymouth le rencontrèrent à la mer, et tous trois vinrent mouiller à Torbay le 7 août après midi.

L'amiral Cockburn était à bord de l'amiral Keith, lorsque l'empereur y envoya le général Bertrand, pour savoir de lui comment on comptait le traiter, tant pendant la traversée que pendant son séjour à Sainte-Hélène.

Le général ne tarda pas à revenir, et apprit à l'empereur qu'on le faisait prisonnier de guerre ainsi que toutes les personnes qui l'accompagnaient, qu'on le dépouillait de son argent et de ses armes, qu'on avait même été jusqu'à vouloir lui ôter son épée. Le général Bertrand s'était récrié sur un tel procédé ; l'amiral Keith s'était rangé de son avis, et avait fait observer à l'amiral Cockburn qu'on la rendait même à un officier pris sur le champ de bataille, qu'à plus forte raison on devait le faire dans le cas dont il s'agissait. Il prit sur lui de laisser à l'empereur celle qu'il a si glorieusement portée.

Le lendemain 8 août, l'amiral Cockburn vint à bord du Bellérophon avec l'amiral Keith, qui paraissait affligé de ce triste message.

M. Cockburn était accompagné d'une personne qu'il avait

amenée de Londres, et avec laquelle, je crois, il avait quelque lien de parenté; ce fut cette même personne qu'il chargea de visiter les effets de l'empereur. On examina tout, pièce par pièce, sans oublier son linge. A la vérité, cette inspection se fit avec des formes polies qui rendaient cette dégoûtante visite moins insupportable; mais on s'empara de l'argent et de tout ce qui avait quelque valeur. Cela fait, on vint annoncer à l'empereur que le canot qui devait le conduire à bord du Northumberland était prêt*.

Il embrassa ses compagnons d'infortune, qui eurent la permission de venir lui dire un dernier adieu à bord du Northumberland.

Il me chargea particulièrement de dire au capitaine Maitland qu'il eût désiré lui donner une marque de souvenir, qu'il regrettait qu'on l'eût mis hors d'état de le faire; que, du reste, il ne conservait aucun ressentiment contre lui à raison de ce qui arrivait, parce que cela tenait à des considérations hors de sa puissance; qu'il ne croyait pas qu'il l'eût

* Le général Lallemand, qui nous avait rejoints à Niort, était parti de Paris après nous, c'est-à-dire lorsqu'il était à peu près évident qu'il n'y avait plus rien à espérer ni pour le fils de l'empereur ni pour le duc d'Orléans, avec n'importe lequel des deux partis il aurait eu une position toute faite.

Il avait apporté à l'empereur une lettre dont ce prince daigna me donner communication. Je lui dis ce que j'en pensais; mon opinion lui déplut, il me le témoigna, et me dit que je ne voyais qu'à travers les passions auxquelles je me laissais aller. Je lui répliquai: "Fort bien, sire, ne me croyez pas ; "mais pour votre satisfaction personnelle, avant de nous quitter peut-être pour jamais, demandez à Lallemand, qui était dans tout cela, pour qui l'on "travaillait lorsque vous êtes revenu.”

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L'empereur me prit au mot et me dit d'appeler Lallemand; je le fis, et assistai à la conversation, L'empereur demanda au général pour qui l'on travaillait avant qu'il revînt.-Pour le duc d'Orléans, lui répondit Lallemand. L'empereur se tourna alors de mon côté avec un sourire qui était dans son habitude quand il se rendait à une opinion contre laquelle il s'était d'abord buté; il nous renvoya l'un et l'autre, et mit en lambeaux la réponse qu'il avait faite à la dépêche que ce général lui avait apportée.

Ces lambeaux éveillèrent la curiosité des officiers qui étaient restés à bord, ils les rassemblèrent, et virent avec surprise de quoi il s'agissait.

trompée sciemment; qu'il lui avait reconnu au contraire assez d'honneur pour être persuadé qu'il serait affligé en voyant que la confiance qu'il avait mise dans son pavillon était devenu le piége de son infortune, et qu'il était particulièrement peiné de voir qu'on l'avait rendu l'instrument de la plus honteuse infraction à l'honneur et à la morale, à toutes les lois que respectent même les peuples les moins civilisés.

Au moment de quitter le Bellerophon, M. de Las Cases, qui suivait l'empereur à Sainte-Hélène, demanda au capitaine Maitland de lui signer une déclaration de quelques faits convenus entre eux, lorsqu'ils avaient traité ensemble dans la rade des Basques.

M. Maitland répondit à M. de Las Cases: "Voyez, "d'après ce qui se passe, à quoi vous servira ma signa"ture, elle ne peut que me nuire; et croyez-vous que ma "position soit bien meilleure que la vôtre ?"

Nous étions au 8 août. Le Northumberland mit à la voile dans l'après-midi pour Sainte-Hélène. Le Béllerophon et le Tonnant rentrèrent le même jour à Plymouth.

CHAPITRE XIV.

Observations sur la conduite du gouvernement anglais.-Il cède aux exigences des souverains alliés. A qui est véritablement due la captivité de l'empereur. -Napoléon sur le Northumberland.-Confiance de Trianon.-On en reviendra.

QUELS qu'aient été les motifs du gouvernement anglais pour se conduire envers l'empereur comme il l'a fait, il n'en est pas moins vrai qu'il a agi contre le droit des gens, et contre sa propre dignité. Il avait bien senti tous les droits de la position de l'empereur, et il est présumable que c'est plutôt pour condescendre aux désirs des souverains alliés qui avaient concouru si puissamment à l'abattre, que les Anglais ont violé l'hospitalité qu'il avait reçue sur leurs vaisseaux, que

pour user d'un droit qu'ils n'avaient plus après qu'il y avait été accueilli.

L'empereur avait fait négocier avec le capitaine Maitland depuis le 11 juillet jusqu'au 15 du même mois, qu'il monta à son bord; il ne s'y rendit qu'après que cet officier eût reçu de son amiral l'autorisation de le recevoir.

Il est arrivé le 26 ou le 27 du même mois en Angleterre, et ce fut le 8 août suivant, à bord du vaisseau à l'honneur duquel il s'était confié, qu'il fut déclaré prisonnier et dépouillé.

On s'est étayé d'une convention qui avait été signée à Paris le 2 août pour rendre nulle une autre convention qui avait été faite à Rochefort plus de vingt jours auparavant.

Cette convention du 2 août n'est autre chose qu'un arrêt des souverains alliés, qui non seulement en ont obtenu l'exécution, mais encore lui ont fait donner un effet rétroactif à bord des flottes anglaises. Si les droits de la position de l'empereur avaient été litigieux, l'appui que l'on a cherché dans cette convention du 2 août suffirait pour les établir; car à quoi bon recourir aux dispositions de cette acte, si les Anglais s'étaient crus en droit de priver l'empereur de sa liberté ?

On a observé qu'il n'y avait point eu de convention écrite à Rochefort; cela est vrai, mais peu importe, les capitulations ou conventions écrites ne sont usitées que lorsqu'il est question de remettre une place de guerre, ou de régler le sort d'un corps de troupes.

L'empereur n'était plus qu'un particulier, et l'on aurait cru faire une injure à celui de qui on recevait l'hospitalité, que de stipuler quoi que ce fût. C'est la générosité qui règle les conditions en pareil cas, et l'honneur qui les exécute.

D'ailleurs, pour stipuler une convention écrite, il aurait fallu à M. Maitland un pouvoir, et il n'avait que l'approbation de son amiral, parce qu'il n'était question que de donner

passage à un particulier; on verra tout à l'heure combien M. Maitland était loin de la pensée que cela finirait ainsi.

En comparant la date de la signification faite à l'empereur par M. le chevalier Bombray avec celle de la convention signée à Paris le 2 août, on voit que le message de M. Bombray ne pouvait pas en être la conséquence, puisqu'il a eu lieu antérieurement, et que, entre son départ de Londres et son introduction chez l'empereur à bord du Bellérophon, il s'est encore passé plusieurs jours; la réponse de l'empereur à cette signification est du 31 juillet. M. Bombray a donc Les ministres n'agis

dû partir de Londres le 27 ou le 28. saient donc pas en vertu d'une convention passée, et surtout d'une convention passée à Paris le 2 août suivant.

On ne peut donc se défendre de la pensée que les ministres anglais avaient senti tous les droits de la position de l'empereur, ainsi que les dangers qu'il y avait pour eux à violer l'hospitalité qu'il avait reçue à bord des vaisseaux britanniques, où les lois du pays ont aussi leur puissance dans des cas de cette espèce; mais déterminés comme ils étaient à faire éprouver à ce prince le traitement qui lui était préparé depuis long-temps, ils se sont mis à couvert derrière la con vention du 2 août, qu'ils faisaient négocier et signer à Paris pendant qu'ils l'exécutaient par anticipation. Voilà pourquoi ils avaient tant recommandé l'interdiction de toute communication avec la terre.

Ils espéraient sans doute opposer cette convention du 2 août aux reproches dont ils redoutaient les suites avant d'avoir fait envisager au parlement ce grand événement sous un point de vue conforme à ce qu'ils avaient fait.

C'est aux Anglais à voir si leur dignité n'a pas été outragée dans cette occasion, comme aussi si leurs lois n'ont pas été violées. S'ils le reconnaissent, on peut s'en rapporter à eux du soin de repousser sur qui de droit l'opprobre que l'on a voulu leur faire partager.

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