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Mais il a tenu une conduite tout opposée.

Il ne s'empare pas du pouvoir, on le lui défère.

Un décret le nomme; le ministre de la guerre lui enjoint d'obéir.

Loin de céder avec empressement, le duc résiste.

Le 21, il envoie M. le colonel Lagorce chez M. le maréchal Moncey pour le prier de rester à un poste qu'il a si dignement rempli; le lendemain 22, il y va lui-même pour réitérer ses instances. Le même jour 22, à neuf heures du soir, madame la duchesse, qui ce jour-là avait dîné aux Tuileries, remet après dîner, à Napoléon, la démission de son mari. Est-ce là, je le demande, s'emparer du pouvoir ? Estce là surtout s'en emparer avec violence?

Eh bien !

Mais il est une dernière circonstance. Il faudrait, en tout cas, que le duc s'en fût emparé avant le 23 mars. fixons-nous sur les époques, et nous verrons que sième circonstance manque encore.

cette troi

On oppose le décret de nomination du 20 mars. Ce décret aurait pu être du 15, du 10 ou du 1er mars, qu'importe ? C'est là le fait de celui qui nomme, tandis qu'il s'agit, dans l'accusation, du fait de celui qu'on suppose avoir accepté.

Or, ce n'est que le 21 que Napoléon a dit au duc: Je vous ai nommé, etc. Ce jour-là, le duc n'a point accepté; le 22 à quatre heures, il insistait encore auprès de M. le maréchal Moncey pour l'engager à rester; à neuf heures du soir, le même jour, il était en état de démission. Il acceptera plus tard; eh! qu'importe ? Toujours sera-t-il vrai qu'il n'aura pas accepté avant le 23 mars comme le veut l'ordonnance, mais seulement après.

D'ailleurs, il ne s'agit pas de la simple acceptation de fonctions. Autrement il faudrait faire le procès à tous les fonctionnaires des cent jours, et le nombre des coupables serait grand, car je ne sache pas qu'une place soit restée

vacante à cette époque-là; mais il s'agit de l'emparement du pouvoir et de son exercice.

Or, il est de fait que M. le duc de Rovigo n'a exercé aucune fonction à l'hotel Moncey; il n'a pris possession que rue Cérutti, où les bureaux n'ont été transportés que le 23 et le 24. M. Yvert, chef de ces bureaux, vous a assuré que le duc n'a pu donner des signatures que le 25.

D'ailleurs, où sont les actes de son administration qu'on pourrait lui opposer antérieurement à cette époque? Il n'en existe aucun. Le changement d'inspecteur-général a entraîné des changemens secondaires. Or, qu'on interroge ceux qui à cette époque ont pu être atteints par des destitutions ou des changemens de destination; il n'en est pas un qui se soit trouvé dans ce cas avant le 25*.

Dans la première procédure, on avait parlé d'un ordre du jour rédigé le 23; mais outre que cette date est déjà hors les termes de l'ordonnance, il a été vérifié sur le registre de l'imprimeur que cet ordre du jour n'a été achevé d'imprimer que le 24 ; il n'a donc pu être expédié que le 25.

Enfin on a objecté au général Savary qu'il avait été payé de son traitement, à compter du 20 mars. Mais il a répondu lui-même que l'usage constant dans le militaire était de payer les officiers du jour de leur nomination, et non du jour de leur entrée en fonctions.

Après avoir ainsi détruit successivement toutes les charges, Me. Dupin se résume, et il conclut de toute sa discussion 1o que M. le duc de Rovigo n'a pas entretenu de correspondance criminelle avec l'île d'Elbe; 2° qu'il ne s'est pas emparé du pouvoir, qu'il ne s'en est pas emparé par violence, qu'enfin il ne s'en est pas emparé avant le 23 mars.

Tout à coup il s'arrête à cette dernière circonstance. Eh

* M. le président du conseil était dans ce cas; il avait été remplacé le 25.

quoi! dit-il, n'est-il pas de principe que la loi doit avertir avant que de frapper? Moneat priusquàm feriat, dit Bacon; une loi pénale surtout doit toujours précéder le délit, et ici c'est le 24 juillet 1815 qu'on défend de s'emparer du pouvoir avant le 23 mars précédent !

Voyez un peu, dit Me. Dupin, l'arbitraire qui en résulte. Le roi a quitté Lille le 23, et ce jour-là, lorsqu'à peine le roi a franchi le seuil de la frontière, lorsqu'il était encore en vue, une main audacieuse aurait pu avec impunité précipiter l'étendard royal et le remplacer par un autre; et la veille, ceux qui sur le rivage de Cannes, envahi et occupé à cette époque depuis vingt-deux jours, auraient accepté des fonctions, seraient trouvés coupables!

Mais à quoi m'arrêté-je, messieurs? dit Me. Dupin en finissant; vous vous éleverez à d'autres considérations. Vous n'êtes pas seulement juges, avant tout vous êtes jurés: tout peut et doit entrer dans la balance de vos déterminations. Eh bien! daignez m'écouter.

S'il est vrai que, dans les premiers temps de son établissement ou de son rétablissement, un gouvernement ne puisse être affermi que par des actes de rigueur, au moins on m'accordera que de tels actes sont superflus et même dangereux, quand rien ne menace plus son existence.

Ne parlons plus de 1816.... Aujourd'hui on est las, fatigué, rassasié; on ne demande, on ne veut que le repos; chacun se dit et répète aux autres :

Eh quoi! toujours du sang et toujours des supplices!

Remarquez d'ailleurs quelle bizarre différence entre le sort des hommes qui ont couru les mêmes chances et mérité qu'on portât d'eux le même jugement!

Le duc de Rovigo est accusé d'avoir recommandé le docteur Renoult pour une cause qui, si elle avait réellement existé, accuserait principalement ce docteur, et pourtant

celui-ci a été trouvé innocent, même en 1816. Condamnerat-on-pour le même fait le duc de Rovigo en 1819 ?

Ce duc est accusé pour avoir accepté un pouvoir que lui a déféré le prince d'Eckmühl:

Quand le bras a failli, l'on en punit la tête.

Ici, au contraire, M. le duc de Rovigo a été condamné à mort pour avoir obéi, et celui qui a donné l'ordre est prince, pair et maréchal, et digne de l'être en effet.

Messieurs, au nom de la patrie, entendez le cri de la France, ou plutôt écoutez le cri de votre propre cœur: écoutez cette inspiration qui ne trompe jamais. Tout vous dit: Plus de sang, plus de supplices, plus de vengeances, plus de réactions, plus de haines; union et oubli.

Général, oubliez vos malheurs; ne vous souvenez que de la justice qui va vous être rendue; cherchez désormais dans les douceurs de la vie privée, au sein d'une famille qui vous adore et que vous chérissez, un dédommagement aux disgrâces que vous avez éprouvées dans votre vie politique.

Quant à moi, messieurs, puisque la Providence a permis que je défendisse le premier et le dernier des noms inscrits sur une liste fatale, puisse la voix unanime qui acquittera celui-ci consoler les mânes de l'autre ! puissé-je voir aujourd'hui le terme de tant de funestes procès, et désormais n'avoir plus occasion de prêter le secours de ma toge à ces braves qui pendant si long-temps prêtèrent à la patrie l'héroïque appui de leur vaillante épée !

Après trois quarts d'heure de délibération, le conseil a déclaré, à l'unanimité des voix, que M. le duc de Rovigo n'était pas coupable, et ordonné qu'il serait mis sur-le-champ en liberté.

CHAPITRE ADDITIONNEL.

Le général Kellermann revendique pour lui seul la gloire de la journée de Marengo. Sa lettre.-Brochure anonyme.-Mes observations.-Le 9ème léger.-Le général Desaix.-L'état-major autrichien adjuge à chacun sa véritable part de gloire.

J'AVAIS, comme je l'ai déjà dit, écrit ces Mémoires pendant ma détention à Malte, et mon séjour à Smyrne, où je les ai terminés. Venu en Angleterre en 1819 dans l'intention de repasser en France, j'eus connaissance des réclamations qui s'étaient élevées au sujet de la bataille de Marengo. Elles me parurent si étranges qu'il ne me vint pas dans l'esprit que le général Kellermann pât les avoir faites. Je les attribuai à la ferveur de quelque ami maladroit, et me bornai à ajouter au récit de cette grande journée les réflexions qui la terminent. Elles ne contestent ni le mérite ni l'à-propos de la charge, et laissent au général une assez belle part de gloire pour qu'il en soit satisfait. Cependant elles ont déplu; un ami de la vérité s'est soulevé contre elles et leur a opposé des insinuations, des faits que je ne pouvais laisser sans réponse. J'ai dû rassembler mes souvenirs; mais l'anonyme m'avait prévenu qu'ils n'étaient pas sûrs: j'ai fouillé les documens. Quelle n'a pas été ma surprise, en parcourant la Bibliothèque historique, de voir que je m'étais mépris, que ce n'étaient pas les amis du général Kellermann, mais le général lui-même qui revendiquait l'honneur de la victoire de Marengo.

"Monsieur, écrivait-il au directeur de ce recueil, à la date du 8 octobre 1818, j'ai lu dans un des numéros de votre troisième volume un article sur un monument élevé à

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