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une colonne nombreuse qui débouchait sur notre gauche. La garde impériale, qui devait appuyer Gérard, suspendit son mouvement pour s'avancer à la rencontre des masses ennemies qu'on lui annonçait. On ne tarda pas à reconnaître qu'on avait eu une fausse alerte, que les troupes dont l'approche répandait l'anxiété dans nos rangs étaient celles du premier corps qui arrivaient au canon. La garde reprit son mouvement, Ligny fut emporté, et l'armée prussienne obligée de vider le champ de bataille. Mais l'apparition du comte d'Erlon nous avait coûté deux heures. La nuit vint et couvrit de son ombre les vaincus. Ce ne fut pas tout: le faux mouvement du premier corps, qui fit, pour ainsi dire, évanouir les résultats de la bataille, ou du moins transforma en une affaire ordinaire une action qui devait être décisive, eut une autre conséquence non moins fâcheuse. Le maréchal Ney, qui était chargé de s'emparer des Quatre-Bras, avait été devancé; la position était couverte de troupes lorsqu'il se présenta pour l'occuper. Il avait laissé le deuxième corps à Frasne, et n'avait avec lui que dix-sept à dix-huit mille hommes. Il ne balança- pas néanmoins; il marcha aux masses qu'il avait en tête, les rompit, et se disposait à les suivre, lorsque deux divisions de troupes fraîches vinrent les recueillir. Accablé par ce surcroît de forces, il appela les troupes du premier corps à lui. Elles s'étaient éloignées, et exécutaient le mouvement qui eut une si funeste influence sur les combinaisons de l'empereur. Elles rebroussèrent chemin vers la nuit et rentrèrent à Frasne sur les neuf heures; mais alors tout était décidé, et ce corps, qui, aux QuatreBras comme à Fleurus, eût dû consommer la perte des ennemis, ne contribua qu'à les sauver. Ainsi le voulut la fortune.

Les efforts du maréchal ne furent cependant pas inutiles; car on l'a su depuis, les Prussiens n'avaient accepté la bataille que sur l'assurance qu'ils seraient soutenus. Wellington, accouru à leur quartier-général avant que l'action

s'engageât, leur avait annoncé que son armée serait réunie à deux heures aux Quatre-Bras, et déboucherait à quatre sur Saint-Amans. Il devait nous prendre en flanc, culbuter notre aile gauche, et la refouler au loin. Ses colonnes se mirent effectivement en marche, mais le maréchal s'avançait lui-même à leur rencontre, il les ébranla, les contint et les empêcha d'aller joindre leurs efforts à ceux des Prussiens.

Blucher était en fuite, l'empereur fit ses dispositions pour marcher aux Anglais. La déroute de Fleurus les obligeait d'évacuer la position qu'ils avaient si obstinément défendue : il résolut de les suivre en toute hâte, et de marcher sur Bruxelles en deux colonnes. L'une, composée des corps de Gérard, de Vandamme, et de la cavalerie d'Excelmann sous les ordres de Grouchy, fut chargée de suivre l'armée prussienne, qui se retirait dans la direction de Wavres; l'autre, à la tête de laquelle il se mit lui-même, se porta sur les Quatre-Bras. Il joignit le maréchal, et le chargea de poursuivre l'arrière-garde ennemie, qui se jeta dans la forêt de Soignes. L'armée anglaise y était tout entière; mais la nuit approchait, il était trop tard pour commencer l'attaque : on prit position. Malheureusement la colonne de droite. n'avait pas, à beaucoup près, fait autant de chemin que celle de gauche. Celle-ci avait parcouru un espace d'environ six lieues; celle-là s'était arrêtée à Gembloux qui n'est pas à plus de deux lieues du champ de bataille.

Quelque fâcheuse que fût cette circonstance, Wellington ne se fût peut-être pas encore décidé à en venir aux mains; mais Blucher, que son adversaire laissait paisiblement rallier ses colonnes éparses, avait repris courage et voulait courir les chances d'une nouvelle action. Il manda généreusement au général anglais, que, s'il consentait à la tenter, il ne marcherait pas avec deux corps, comme il le désirait, mais avec son armée entière pour l'appuyer. Il n'y mettait qu'une condition, c'est que si les Français n'attaquaient pas le 18, es troupes alliées réunies iraient les chercher le lendemain.

L'assurance du vieux Blucher en donna à son collègue, et la bataille fut résolue.

Pendant que les alliés se concertaient ensemble, la colonne de gauche restait toujours inactive, et consumait le temps à observer, à faire reconnaître les mouvemens de l'armée prussienne. La population nous était dévouée; le pays comptait une foule d'individus qui avaient servi dans nos rangs, et offrait, sous tous les rapports, beaucoup plus de facilités d'informations que n'en présentaient les contrées où nous avions long-temps fait la guerre, telles que l'Allemagne et la Pologne. Cependant Grouchy se laissa dérober les manœuvres qu'il devait déjouer, et annonça, au milieu de la nuit, qu'il était encore à Gembloux, ignorant si les Prussiens s'étaient portés sur Bruxelles ou sur Liége. Il prévenait, du reste, qu'il allait manœuvrer de manière à ne leur laisser ni gagner la première de ces deux villes ni se rallier à Wellington.* L'empereur, quoique satisfait de cette résolution,

SIRE,

* Gembloux, le 17 juin 1815, à 10 heures du soir.

J'ai l'honneur de vous rendre compte que j'occupe Gembloux, et que ma cavalerie est à Sauvenières. L'ennemi, fort d'environ trente mille hommes continue son mouvement de retraite. On lui a saisi ici un parc de quatre cents bêtes à cornes, des magasins et des bagages.

Il paraît, d'après tous les rapports, qu'arrivés à Sauvenières, les Prussiens se sont divisés en deux colonnes; l'une a dû prendre la route de Wavres en passant par Sar-à-Valain, l'autre paraît s'étre dirigée sur Perwisse.

On peut peut-être en inférer qu'une portion va joindre Wellington, et que le reste, qui est l'armée de Blucher, se retire sur Liége, une autre colonne avec de l'artillerie ayant fait son mouvement de retraite sur Namur.

Le général Excelmann a ordre de pousser ce soir six escadrons sur Sar-àValain et trois sur Perwisse.

D'après leur rapport, si la masse principale des Prussiens se retire sous Wavres, je la suivrai dans cette direction, afin qu'ils ne puissent pas gagner Bruxelles, et tâcherai de les séparer de Wellington. Si, au contraire, mes

ne laissa pas d'être fort étonné de la lenteur que le maréchal mettait dans sa poursuite. Il attendait qu'il aurait fait diligence, et, au moment où il le croyait à sa hauteur, il apprenait qu'il était encore à Gembloux. Il lui avait annoncé, à la chute du jour, qu'il y aurait une grande bataille le lendemain, et lui avait ordonné, quels que fussent les mouvemens des Prussiens, de chercher à déborder la gauche de l'armée anglaise et d'appuyer notre droite, ne fût-ce que par des détachemens. Ce que Grouchy avait résolu de faire suppléait en partie à ces dispositions. Il lui expédia cependant une seconde fois l'ordre de passer la Dyle, pour se porter sur Saint-Lambert.

Mais lui-même avait de nouveau dépêché au major-général. Il lui donnait avis qu'il s'était remis sur les traces des Prussiens, que ceux-ci se retiraient sur Wavres, qu'il allait les poursuivre dans cette direction. Comment, après des assurances aussi positives, le maréchal différa-t-il son mouvement? Comment ne chercha-t-il pas à regagner le temps perdu? Comment, au lieu de n'arriver que le soir, ne se trouva-t-il pas dès le matin à la hauteur de Wavres? Comment du moins ne pas profiter des ponts dont la Sambre est couverte pour se tenir en communication avec l'empereur ? Comment, avec tant de moyens d'informations, s'est-il laissé dérober les mouvemens de l'ennemi? Comment, au

renseignemens prouvent que la principale force prussienne a marché sur Perwisse, je me dirigerai par cette ville à la poursuite de l'ennemi.

Les généraux Thielman et Borstel faisaient partie de l'armée que V. M. a battue hier. Ils étaient encore ce matin à dix heures ici, et ont annoncé que vingt mille hommes des leurs avaient été mis hors de combat. Ils ont demandé en partant les distances de Wavres, Perwisse et Hanut.

Blucher a été blessé légèrement au bras, ce qui ne l'a pas empêché de continuer à commander après s'être fait panser. Il n'a point passé par Gembloux.

Je suis, etc.

lieu de rendre un combat inutile devant Wavres, n'a-t-il pas cherché à le troubler? Je sais qu'il cite une dépêche du major-général à l'appui de son inaction,* mais il s'en faut que cette pièce le justifie; elle lui recommande même de ne pas s'isoler, de manoeuvrer dans la direction de la grande armée, de se tenir en communication avec elle.

J'ai tort sans doute de le supposer, mais il me sem le qu'il y a lacune, qu'on a omis, sûrement par inadvertance, le complément de la phrase où l'empereur ordonne au maréchal de manœuvrer dans notre direction; ce complément doit être quelque chose d'analogue à celui-ci : Pour vous rapprocher de nous le plus tôt possible, empécher l'ennemi de se glisser entre votre corps et notre droite. Je soumets mes doutes au maréchal, car je suis loin de soupçonner sa loyauté. Je les lui expose d'autant plus volontiers, que la lettre porte des traces évidentes d'altération ; car qui peut croire qu'une bataille engagée à midi soit gagnée à une heure? qui peut soupçonner le maréchal Soult d'écrire de telles choses? imaginer que le major-général prétende abuser ainsi un homme d'autant d'expérience que le maréchal Grouchy? Il y a

* Du champ de bataille de Waterloo,
le 18 juin à une heure après-midi.

MONSIEUR LE MARECHAL,

Vous avez écrit ce matin à deux heures à l'empereur que vous marcheriez sur Sar-à-Valain; donc votre projet était de vous porter à Corbaix ou à Wavres. Ce mouvement est conforme aux dispositions de S. M. qui vous ont été communiquées.

Cependant l'empereur m'ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction. C'est à vous de voir le point où nous sommes, pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications, ainsi que pour être toujours en mesure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite, et les écraser. En ce moment, la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo. Le centre de l'ennemi est à Mont-Saint-Jean; ainsi manœuvrez pour joindre notre droite.

Signé, le Duc DE DALMATIE.

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