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de la vigueur; aussi prit-elle tout ce qu'elle voulut. On ne doit s'étonner que d'une chose, c'est que quelques débris lui aient échappé.

Dans ce désordre général tout se trouva en sens inverse de ce qu'il aurait dû être. Il ne faut pas s'en étonner: tout avait été disposé pour l'attaque, tout devait gêner dans une retraite semblable.

Chaque débris de corps prit sa direction d'après la connaissance qu'il avait des localités; les uns se retirèrent à travers champs, les autres se maintinrent sur les chaussées et réussirent à repasser la Sambre.

Tel fut le résultat de la bataille de Waterloo, qui fut pour la France pire que celles d'Azincourt et de Poitiers; si l'empereur n'y fut pas pris lui-même, c'est que la fortune ne le voulut pas.

Dans les guerres précédentes, un pareil événement aurait eu des conséquences moins funestes. Il aurait été réparé avant que la nouvelle en fût portée à Paris; mais dans cette circonstance, le détail de nos malheurs arriva pour ainsi dire avant la perte de la bataille. Je raconterai tout à l'heure l'effet que ce désastre y produisit.

Les plus lumineuses conceptions ont besoin d'être couronnées par le succès pour être approuvées; un revers survient-il, la critique l'accompagne. L'empereur y fut d'autant plus exposé, qu'un grand nombre de personnes ne s'étaient pas fait illusion sur le résultat de la lutte. Celles qui n'avaient pas craint de tenter encore la fortune supportaient avec peine la perte des illusions dont elles s'étaient bercées; les reproches étaient d'autant plus vifs, qu'on avait espéré davantage.

On blama la combinaison militaire, on déprécia la manière dont elle fut développée; on alla jusqu'à accuser l'empereur d'avoir manqué de courage personnel dans cette occasion. Assurément ceux qui osaient l'outrager ainsi ne le connais

saient pas, il est même probable qu'ils n'avaient pas l'habitude de le suivre sur le champ de bataille. Eussent-ils osé, eux qui sans doute en avaient beaucoup, tenter de conquérir la France à la tête de moins de huit cents hommes ? Mais le temps a fait justice de ces basses imputations; elles sont aujourd'hui la confusion de ceux qui se les sont permises.

L'empereur à Waterloo se trouva dans une position à peu près semblable à celle où il avait été à la bataille de Marengo, mais à celle-ci il fut mieux servi.

On se rappelle qu'après avoir passé le Pô près de Pavie, il marchait à la rencontre de l'armée autrichienne, à laquelle il espérait faire lever le siége de Gênes, et que, pour empêcher qu'elle ne lui dérobât le passage du Pô à Turin (dont elle tenait la citadelle) ou à Plaisance qu'elle occupait également, il avait poussé des corps d'observation devant ces places, pendant qu'il se portait avec le gros de ses forces sur Tortone et Alexandrie, et menaçait ainsi la grande communication du pays de Gênes avec le Piémont. Ce fut le lendemain de son passage du Pô qu'il reçut l'officier que Masséna lui envoyait avec la capitulation de Gênes, et qu'il apprit que l'armée autrichienne revenait sur Alexandrie.

L'empereur avait pris cette direction et était venu se placer. en face de la Bormida, pour observer l'armée autrichienne. Il craignait à tel point qu'elle ne lui échappât, qu'il avait donné ordre au général Desaix, qui était en réserve à sa gauche, de se porter à Novi, afin d'intercepter la route et mettre l'ennemi hors d'état de gagner Plaisance.

Le général Desaix était parti à la pointe du jour de sa position de Rivalta, et marchait sur Novi, lorsqu'il entendit la canonnade qui s'échauffait à Marengo. Il arrêta sur-lechamp ses troupes, poussant son avant-garde de hussards sur Novi. Celle-ci pénétra dans la place, et revint au galop annoncer qu'il n'y avait personne. Il m'envoya alors (j'étais son premier aide-de-camp) près de l'empereur, pour lui

faire ce rapport et le prévenir qu'il avait pris sur lui d'ar

rêter son mouvement.

J'avais pris à travers champs en me dirigeant sur la canonnade, lorsque je rencontrai l'officier que l'empereur envoyait au général Desaix pour le ramener, ainsi que toutes ses troupes, sur le champ de bataille, et bien heureusement elles n'avaient pas marché plus loin dans la direction de Novi, car lorsqu'elles furent sur le terrain où l'on se battait, où elles arrivèrent aussi à travers champs, les affaires allaient on ne peut pas plus mal.

Le général Desaix n'eut que le temps de former ses troupes. L'empereur le fit charger immédiatement sur la colonne ennemie, qui déjà pénétrait dans le centre du champ de bataille, où rien n'était plus en état de lui résister. Son mouvement et la charge que le premier consul fit exécuter par le général Kellermann décidèrent de la victoire; mais si le général Desaix avait tardé une heure à arriver, nous eussions peut-être été entraînés jusqu'au Pô. Enfin si le général Desaix n'eût pas de lui-même arrêté ses troupes, qu'il eût continué, comme le portaient ses instructions, de marcher sur Novi, il n'eût pu arriver à temps sur le champ de bataille, où il mourut victime de sa patriotique prévoyance. Le temps des inspirations était passé; nous épuisâmes la coupe du malheur jusqu'à la lie.

TOME IV.-2nde Partie.

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CHAPITRE VI.

L'empereur ne se plaignait de personne.-Le général Gourgaud et le colonel Grouchy.-Discussion.-Allégations du maréchal Grouchy.

J'AVAIS terminé ces Mémoires depuis plus de deux ans, lorsque je lus à Londres la publication faite par le général Gourgaud à son retour de Sainte-Hélène sur les causes de la perte de la bataille de Waterloo, ainsi que la réponse du maréchal Grouchy.

J'avais aussi entendu tous les blâmes jetés sur le maréchal à cette occasion, non par l'empereur Napoléon, car, je puis l'attester, aucune plainte ne lui échappa contre qui que ce soit, dans les circonstances pénibles où il se trouva depuis cette malheureuse journée jusqu'à son départ pour Sainte-Hélène. Je l'avoue, en lisant l'ouvrage publié par le fils du maréchal Grouchy d'après les matériaux à lui donnés par son père, je n'y vois pas la justification des reproches dont il se plaint.

Je réponds à M. de Grouchy lui-même, et je le prends par ses propres assertions.

Au combat du 16, qui a duré jusqu'à la nuit, il commandait toute la cavalerie (forte d'environ cinq mille chevaux) qui a agi sur ce champ de bataille.

L'armée prussienne se retire pendant la nuit; l'empereur rentre de sa personne à Fleurus.

Le maréchal Grouchy vient lui-même dans cette ville le lendemain 17, demander des ordres.

Si, au lieu de venir à Fleurus, M. de Grouchy eût fait monter sa cavalerie à cheval une heure avant le jour, et l'eût portée en avant, il aurait mieux connu la direction qu'avaient prise les Prussiens, et il n'y a pas de doute que, s'il avait

envoyé des renseignemens positifs, pris par lui-même du point où il aurait infailliblement découvert l'arrière-garde de Blucher, l'empereur Napoléon aurait été beaucoup plus en état de lui donner la direction qu'il se plaint de n'avoir reçue que le 17 à midi.

Qu'allait-il faire le 17 au matin chez l'empereur à Fleurus sans lui apporter le résultat des reconnaissances de sa cavalerie?

Etait-ce à l'empereur à deviner pendant la nuit ce que faisait Blucher?

Le maréchal Grouchy prétend que l'empereur l'a détaché trop tard, et qu'il a de même fait marcher trop tard contre l'armée anglaise : ce reproche est étrange.

L'empereur ne pouvait faire agir que d'après les rapports des reconnaissances, qu'il devait espérer recevoir, sinon dans la nuit, du moins de grand matin: or le maréchal Ney, qui devait être dès le 16 à sa position des Quatre-Bras (laquelle ne fut occupée toute cette journée que par une brigade de l'armée de M. de Wellington), non-seulement n'y arriva pas le 16, mais même le 17 au matin il était encore à Frasnes. La chose fut au point que l'empereur dut faire envoyer aux Quatre-Bras une reconnaissance prise dans les troupes qui étaient près de lui. Elle y trouva les ennemis.

Si donc la matinée du 17 a été perdue, on ne peut qu'en accuser ceux qui ont laissé l'empereur dans l'incertitude du parti qu'avaient pris les ennemis, au lieu de lui donner les moyens d'utiliser cette matinée; dans la situation où la France se trouvait, les heures étaient comptées, et tout ce qui est arrivé, à partir de ce moment, prouve que l'on avait déjà repris l'habitude de compter sur l'empereur pour tout prévoir et tout faire. Comment M. de Grouchy peut-il trouver étonnant que, voyant cette inaction, les soldats aient employé le temps à nettoyer leurs armes et à faire la soupe? Etait-ce encore à l'empereur à les en empêcher?

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