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L'empereur vient le 17, vers dix heures du matin, reconnaître le champ de bataille du 16; ce n'est que là qu'il a connaissance de la direction apparente de la retraite de Blucher sur Namur. Il reçoit en même temps avis de la présence des Anglo-Belges aux Quatre-Bras.

Il prend son parti de suite, marche de sa personne aux Anglais, et, comme il ne pouvait pas lui-même conduire deux opérations qui allaient avoir lieu sur un cadre trop étendu, il renonce à s'occuper des Prussiens; il charge le maréchal Grouchy de les suivre avec trente-six mille hommes qu'il lui laisse.

Remarquons ici que le maréchal dit lui-même qu'il fit observer à l'empereur qu'il allait se trouver bien éloigné de lui (on croyait encore que les Prussiens se retiraient par la route de Namur, sur laquelle on avait pris quelque artillerie), que, puisqu'il allait livrer bataille aux Anglais, il ferait beaucoup mieux de l'emmener et de ne faire poursuivre Blucher que par un faible corps; mais, dit-il, ces observations furent mal accueillies.

Le maréchal Grouchy dit que l'empereur ne croyait probablement pas que Wellington recevrait la bataille dans la position qu'il avait prise, parce qu'il s'était fait une trop haute idée du talent militaire de ce général, en le mesurant d'après ce qu'il aurait fait lui-même, etc. (Voyez la page 48 de la publication de Grouchy.)

Il dit ailleurs que de toutes les déterminations auxquelles pouvait s'arrêter Blucher, la plus probable, celle de manœuvrer pour joindre les Anglais, était précisément celle qui avait le moins occupé l'empereur.

Si ces réflexions ne sont venues à M. de Grouchy qu'après l'événement, elles ne méritent point de réponse; mais si elles lui sont venues avant, je comprends encore moins la direction qu'il a prise après s'être mis à la poursuite de Blucher.

Je trouve aussi à la page 40 une censure de la disposition

de l'armée dans son plan d'offensive, qui n'est pas moins hors de propos. Après l'événement, il est aisé de blâmer. On le fait quelquefois même après une bataille gagnée.

M. de Grouchy observe avec justesse qu'au début de la campagne, il était probable que l'on n'aurait d'abord affaire qu'aux Prussiens, puisque les Anglo-Belges étaient encore dans leurs cantonnemens, tandis que les Prussiens étaient rassemblés; mais le maréchal croit-il que, si toute l'armée réunie avait été conduite contre les Prussiens, ceux-ci l'eussent attendue? Etait-ce d'ailleurs ce qu'il y avait à faire?

Comment ne pas voir que le détachement du maréchal Ney dans la direction des Quatre-Bras qui laissait la supériorité du nombre à Blucher, lui a donné en grande partie la confiance de livrer la bataille du 16?

Si toute l'armée avait été employée dans la même direction, Blucher aurait fait sa retraite de suite sur les Anglais par la route la plus courte, et il y avait moins de chances à combattre la masse réunie des Anglo-Prussiens qu'à les diviser, et à manœuvrer de manière à pouvoir alternativement écraser l'un et l'autre avec la plus forte partie de nos troupes. Ce fut le détachement que le maréchal Ney conduisit dans la direction des Quatre-Bras qui fit abandonner à Blucher l'idée de re joindre Wellington par cette route, et lui fit prendre le parti de gagner de l'avance sur le corps qui allait le suivre, pour lui dérober une marche de flanc qui, en le ralliant aux Anglais, replaçait les choses dans l'état où elles auraient été au début de la campagne, sans la manière d'opérer de l'empereur. Blucher mit, par sa manoeuvre, les Français dans une position inverse de celle qu'ils avaient le 15 au soir. Ce n'est pas sa supériorité numérique sur Grouchy qui le fit réussir, puisque ces deux généraux ne se sont pas rencontrés avant la réunion, c'est la célérité de Blucher qui fit sa vraie supériorité.

M. de Grouchy ne voit que l'armée anglo-prussienne, qui était dans la Belgique : mais l'empereur voyait de plus celle de Russie et d'Autriche, qui étaient attendues sur le Rhin dans le cours de juillet; il n'avait pas un jour à perdre pour forcer les Anglo-Prussiens à des engagemens séparés et par conséquent désavantageux, afin d'avoir fini entièrement en Belgique et pouvoir se reporter sur le Rhin.

Laissons au reste les opinions du maréchal Grouchy et de ses censeurs jugeons ce général par ce qu'il a fait et ce qu'il devait faire.

Il avait déjà eu sa part des causes qui avaient fait perdre la matinée du 17, en venant lui-même consumer son temps dans l'antichambre de l'empereur, comme s'il avait pu y trouver des rapports de la marche de retraite des ennemis, au lieu de s'employer à rechercher, à la tête de ses reconnaissances, les traces des Prussiens; car à quel autre qu'au commandant de la cavalerie d'une armée ce devoir appartient-il ?

Il attachait avec raison une importance capitale à la perte du temps.

Il savait que l'empereur allait attaquer l'armée anglobelge.

Il était d'opinion que Blucher manœuvrerait pour secourir celle-ci et s'en appuyer lui même.

Voyons ce qu'il a fait.

D'abord il se plaint des termes vagues dans lesquels l'empereur lui avait donné son instruction, sans réfléchir que l'empereur la lui donnait, privé lui-même de tout renseignement sur la marche des Prussiens. Mais quand même l'empereur ne lui aurait rien dit du tout en le détachant, les devoirs du maréchal Grouchy n'en étaient pas moins précis; car enfin il ne pouvait pas entrer dans la tête d'un maréchal de France de demander les détails d'une direction à son général en chef, lorsque celui-ci le détachait particulièrement

pour connaître lui-même celle qu'avaient prise les ennemis, et lui laissait l'initiative de tous ses mouvemens.

L'instruction du maréchal Grouchy n'était pas du reste aussi incomplète sous le point de vue que nous envisageons; elle portait l'ordre précis de suivre les Prussiens et de se tenir en communication avec l'empereur. Si ce dernier point eût été exécuté, tout eût été bien, en ce que tout pouvait être prévu. D'ailleurs, moins son instruction était précise, plus elle lui laissait de latitude pour faire mieux, et s'il est vrai que l'empereur ne lui ait envoyé aucun ordre le 18, c'est une preuve qu'il comptait sur lui, car les troupes qu'il lui avait données lui étaient trop nécessaires pour qu'il restât indifférent à ce qu'elles deviendraient dans un moment aussi décisif.

Le maréchal Grouchy observe que, lorsqu'il partit du champ de bataille de Ligny le 17, à dix heures après midi, Blucher avait déjà dix-sept heures de marche sur lui; c'était un malheur sans doute, mais on ne pouvait pas faire que ce qui était fait n'eût pas eu lieu. Le seul moyen d'y remédier était de marcher avec célérité dans la bonne direction, et c'était au maréchal à la trouver.

Cela était d'autant moins impossible, que le maréchal Grouchy dit lui-même que ses troupes s'étaient reposées la nuit du 16 au 17, et la matinée du 17 jusqu'à deux heures, c'est-à-dire pendant ces mêmes dix-sept heures que l'armée prussienne avait gagnées sur lui.

Or, celle-ci avait combattu le 16, et avait marché toute la nuit du 16 au 17 pour se trouver réunie en arrière de Wavres le 17 à trois heures après midi. Elle était cependant plus nombreuse et plus embarrassante que celle qui la suivait.

Le maréchal Grouchy, au lieu de chercher à regagner le temps dont il déplore la perte, marche par Gembloux, et passe dans ce lieu la nuit du 17 au 18.

Il écrit de là à deux heures du matin à l'empereur, qui

lui répond le même jour à dix heures du matin*, et qui lui fait écrire de nouveau le même jour du champ de Waterloo, à une heure après midi. Grouchy avoue avoir reçu ces deux lettres, qui lui réitèrent chacune de maintenir sa communication avec l'empereurt.

* Premier Ordre au Maréchal Grouchy.

En avant de la ferme du Caillou, le 18 juin à dix heures du matin.

Monsieur le maréchal, l'empereur a reçu votre dernier rapport daté de Gembloux; vous ne parlez à S. M. que des deux colonnes prussiennes qui ont passé à Sauvenières et Sart-à-Walhain; cependant des rapports disent qu'une troisième colonne, qui était assez forte, a passé à Géry et Gentines, se dirigeant sur Wavres.

L'empereur me charge de vous prévenir qu'en ce moment S. M. va faire attaquer l'armée anglaise, qui a pris position à Waterloo, près de la forêt de Soignes; ainsi S. M. désire que vous dirigiez vos mouvemens sur Wavres, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d'opérations, et lier les communications, poussant devant vous les corps de l'armée prussienne qui ont pris cette direction et qui ont pu s'arrêter à Wavres, où vous devez arriver le plus tôt possible. Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite, par quelques corps légers, afin d'observer leurs mouvemens et ramasser leurs traînárds. Instruisez-moi immédiatement de vos dispositions et de votre marche, ainsi que des nouvelles que vous avez sur les ennemis, et ne négligez pas de lier vos communications avec nous; l'empereur désire avoir très souvent de vos nouvelles.

Le duc de DALMATIE,

↑ Second Ordre au Maréchal Grouchy.

Du champ de bataille de Waterloo, le 18 juin, à une heure après midi.

Monsieur le maréchal, vous avez écrit ce matin à deux heures à l'empereur, que vous marchiez sur Sart-à-Walhain: donc votre projet était de vous porter à Corbaix ou à Wavres. Ce mouvement est conforme aux dispositions de S. M., qui vous ont été communiquées.

Cependant l'empereur m'ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction.. C'est à vous à voir le point où nous sommes, pour vous régler en conséquence, et pour lier nos communications, ainsi que

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