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avons fait les autres matières de cet ouvrage. Nous recourrons au procédé historique et expositif. Nous suivrons la contagion, non dans tous les pays, mais à travers les siècles, là où le flambeau de l'histoire a éclairé notre marche, en Grèce, à Rome, dans la nation juive et enfin dans notre France, fille aînée et si nous l'osons dire fille privilégiée de la Grèce antique et du

monde romain.

de la).- La contagion, la famine menacent les populations, Athènes et Rome comptent surtout sur le secours des dieux et, ce sont eux surtout qu'ils implorent. La pensée d'expiation morale s'allie dans leur esprit à l'idée de secours aux citoyens. Les fléaux sont, pour les hommes, des punitions, des enseignements et des épreuves. Le culte des dieux se confond avec le sentiment de la compassion pour les hommes. L'alliance de §1" Contagion en Grèce.-1. Lapeste décrite ces deux sentiments a ses racines les plus par Sophocle dans OEdipe-Roi. Elle n'est, profondes dans l'esprit humain; c'est briser le en réalité, que le tableau poétique de celle lien qui unit la terre au ciel que de séparer qui a éclaté à Athènes, l'an 430, avant l'amour et le service du prochain de l'amour Jésus-Christ. Le grand prêtre s'adresse à et du service de Dieu.-Voy. CHARITÉ (Esprit OEdipe:« OEdipe, souverain de mon pays, tu de la). vois cette foule qui se presse autour des autels élevés devant ton palais, des enfants en bas age, l'élite de la jeunesse, des prêtres courbés sous le poids des années, et moi, pontife de Jupiter. Le reste du peuple portant des branches d'olivier, se répand sur les places publiques et devant les autels de Pallas. Hélas! tu le vois, Thèbes se débat dans un abime de maux et peut à peine soulever sa tête hors de la mer de sang où elle est plongée; la mort atteint les fruits dans les entrailles de la terre. Ainsi la végétation était atteinte dans son germe, comme l'homme. La mort frappe les troupeaux et fait périr l'enfant dans le sein de sa mère. Une divinité ennemie, la peste dévorante, ravage la ville et décime la race de Cadmus Le noir Pluton s'enrichit de nos pleurs et de nos gémissements. Viens, ô le meilleur des mortels, relever cette ville abattue! >>

Quand le peuple souffre il se prend à tout ce qui est fort, il prie Dieu et implore l'Etat, ila recours au principe de toute puissance et aux représentants de la puissance collective de la nation. Enfants bien dignes de pitié, répond OEdipe, je ne connais que trop les maux que vous souffrez, et dans cette commune douleur aucun ne souffre de plus grands maux que moi. Je pleure les maux de Thèbes, les vôtres et les miens. Sachez que j'ai déjà versé bien des larmes et que mon esprit a tenté plus d'une voie de salut. Le seul remède que j'aie encore trouvé n'a pas été négligé. Le tils de Ménecée, Créon, mon beau-frère, est allé par mon ordre au temple de Delphies, demander au Dieu par quels vœux ou quels sacrifices je pourrais sauver la ville. Je compte avec inquiétude les heures de son absence; il tarde plus que Je ne pensais. Quand il sera de retour, je serais bien coupable si je n'exécutais pas les ordres du Dieu. »>

OEdipe apprend que ses crimes involontaires, en excitant la colère des dieux, ont causé le fléau. H se crève les yeux et des cend du trône, à titre d'expiation pour sauver Thèbes. Si c'est de l'histoire et non de la fable, les annales du genre humain comptent un grand dévouement de plus.

Le peuple d'Athènes dont Sophocle était l'interprète, ne sépare pas l'idée d'assistance aux hommes de celle de sacrifices et de prieres aux diens. Voy. CuARITÉ (Esprit

II. La peste décrite par Thucydide. — C'est l'an 430, un peu avant la mort de Périclès, que la peste décrite par Thucydide envahit l'Attique. Le fléau part de l'Ethiopie, descend en Egypte, parcourt la Libye, une partie de la Perse, gagne l'îte de Lemnos et vient fondre sur Athènes. Il se montre d'abord au Pirée, où l'on suppose qu'un vaisseau marchand l'introduit. Du Pirée, il se répand dans la ville. Il pénètre surtout dans les demeures malsaines où les citoyens, livrés à la culture. des champs, vivent entassés. La ville basse est atteinte avant l'acropole ou ville haute, mais les ravages sont plus grands dans celleci, sans doute parce que la population y est plus pressée; la rapidité de la contagion et son étendue font accuser l'ennemi d'avoir empoisonné les puits de la ville, le fléau se compliquant de la guerre du Péloponèse. Je fus moi-même atteint, dit Thucydide; je décrirai le mal si clairement, que les lecteurs attentifs à mon récit ne pourront manquer de le reconnaître, si jamais il se montre à eux. Pendant sa durée, toutes les autres maladies disparurent et toutes celles qui existaient au moment de l'invasion prirent le même caractère. Mais, sauf ce cas, il frappait soudain, en pleine santé et sans qu'ancun symptôme fit prévoir son approche. D'abord, on éprouvait de violentes chaleurs de tête, les yeux devenaient rouges et enflammés, la gorge et la langue sanguinolentes, l'haleine extraordinairement fétide. A ces symptômes succédaient l'éternuement et l'enrouement. Bientôt le mal gagnait la poitrine et causait de fortes toux. Quand il arrivait à l'orifice supérieur de l'estomac, il y excitait des soulèvements, suivis de toutes les évacuations de bile, auxquelles les médecins ont donné des noms, et qui fatiguaient extraordinairement les malades. Survenaient ensuite de violents hoquets qui causaient d'affreuses convulsions. Elles s'apaisaient promptement chez les uns, beaucoup plus tard chez les autres. La partie extérieure du corps, si on la toucbait, n'était ni brûlante ni pâle, mais rougeâtre, livide, couverte de petites plyetènes, et de petits ulcères. L'intérieur était dévoré d'un feu si ardent que le malade ne pouvait souffrir les vêtements les plus légers ni les plus fines couvertures. Il se tenait nu et souvent se jetait avidement dans l'eau la plus fraîche. Plusieurs,

restés sans gardiens, se précipitèrent dans les puits, emportés par une soif inextinguible. Il était indifférent de boire peu ou beaucoup. Une cruelle insomnie, l'absence de tout repos, furent des effets constants chez tous les malades. Tant que la maladie subsistait dans sa force le malade ne maigrissait pas et résistait aux souffrances. La plupart succombaient le septième ou le neuvième jour, consumés par un feu intérieur, sans que leur vigueur les eût abandonnés. Quand le malade franchissait ce terme, le mal descendait dans le bas ventre. Une violente ulcération s'y formait; il survenait une forte diarrhée, et l'on mourait de faiblesse. Le siége de la maladie partait de la tête pour envahir le reste du corps. Ceux qui échappaient en conservaient des traces aux extrémités, aux pieds, aux mains, aux organes sexuels. Quelques-uns perdaient un de leurs membres, d'autres devenaient aveugles. D'autres, parvenus à la convalescence, avaient perdu toute mémoire, ne reconnaissaient pas leurs amis, et ne pouvaient rattacher leur présent à leur passé. Les oiseaux, ni les quadrupèdes, n'approchaient pas des corps restés sans sépulture, ou s'ils s'en reraissaient ils étaient frappés de mort. Les animaux carnassiers disparurent du sol Attique. Les chiens eux-mêmes avaient fui la compagnie de l'homme.

Les uns mouraient parce qu'on les abandonnait, les autres malgré les soins qu'on leur prodiguait. Le remède qui réussissait à ceux-ci nuisait à ceux-là. La faiblesse et la force étaient également impuissantes pour sauver. Le découragement s'emparait des malades, dès le début, et ils s'abandonnaient sans résistance à leur sort. La contagion gagnait et tuait ceux qui se soignaient inutuellement. On s'infectait réciproquement comme des troupeaux malades, et ceux qui s'isolaient par crainte des pestiférés, mouraient délaissés. Plusieurs familles périrent tout entières faute de secours. Ceux qui se piquaient de vertu, rougissant de craindre pour eux, allaient chez leurs amis, mais leur dévouement était puni de mort. Ceux qui servaient les malades, épuisés de fatigue, étaient devenus insensibles aux plaintes des moribonds. Les malades guéris montraient plus de pitié, parce qu'ils avaient éprouvé les maux qu'ils voyaient souffrir et qu'ils jouissaient d'une pleine sécurité, car la peste ne frappait pas deux fois, du moins gravement. Ceux qui guérissaient se livraient à des transports de joie dans l'espérance qu'à l'avenir ils étaient hors d'atteinte de toute maladie.

Les habitants de la campagne affluant dans la ville ajoutaient à ses maux sans adoucir les leurs, car il n'y avait pas d'asile pour les recevoir. Ils vivaient étouffés dans des taudis, durant les plus grandes chaleurs, succombaient pêle-mêle, les mourants entassés sur les morts. Des malheureux près d'expirer, avides de trouver de l'eau, se roulaient dans les rues et assiégeaient les fontaines. Les hierons (l'emplacement des jeux), où

CON

16 des cadavres des pestiférés qui y mouraient. l'on avait dressé des tentes, étaient comblés étaient violées, tant on avait perdu tout resLes cérémonies usitées dans les funérailles pect pour les choses divines et humaines. vait. On s'emparait des sépultures d'autrui. Chacun ensevelissait les morts où il pou Ceux-ci déposaient leur mort et le faisaient nait pas avant qu'en aient pu faire usage brûler sur un bûcher qui ne leur appartequ'on brûlait un mort, jetaient sur lui le ceux qui l'avaient dressé. Ceux-là, pendant corps qu'ils avaient à grand'peine apporté et se retiraient aussitôt.

du même tableau. Des pauvres, devenus tout Thucydide va nous montrer un autre côté à coup de riches héritiers par la mort inattendue d'un grand nombre de citoyens, s'abandonnaient publiquement à des débauches qui se dérobent ordinairement dans leurs jouissances, voyant que la vie et la l'ombre. Apercevant le terine prochain de richesse échappaient si vite, ils ne se refusaient aucune volupté. « Personne, » dit naïvement Thucydide, « ne se sentait le courage de se fatiguer par des actions honnêtes et vertueuses. Avant d'atteindre son but, qui sait si on ne serait pas surpris par la mort? Le plaisir et ce qui y conduisait sûrement, c'était là tout ce que l'on jugeait utile et honnête. Ni la crainte des dieux, ni les lois périr tout le monde indistinctement, on ju-humaines, n'éloignaient du crime. En voyant geait indifférent d'honorer les dieux, et quant aux lois humaines, nul ne s'attendait à vivre assez longtemps pour qu'on eût le loisir d'instruire son procès. On n'avait pas grand de tous, la mort, qui menaçait toutes peur des lois, mais du châtiment le plus les têtes. Avant de la subir, on croyait raisonnable de tirer au moins quelque parti de

la vie. »

ce qui manque moralement à l'ancien monde. Comme on sent, en lisant Thucydide, tout quelle ignorance, de la destinée de l'homme ici-bas, des avantages que l'âme peut retirer des souffrances du corps, de la notion divine de la charité, qui montre au Chrétien frère, un membre souffrant de l'Hommedans le pestiféré, un frère, et plus qu'un Dieu! Nul ne soupçonne que la contagion est un champ de triomphe pour celui qui souffre et pour celui qui assiste et qui console. Périclès, l'élève des philosophes, proclame à la vérité qu'il faut souffrir avec rédieux, mais le moment n'est pas venu où la signation tout ce qui vient de la part des parole des sages sera communicable à l'esprit des masses.

d'Hippocrate trouvant dans l'amour de son Thucydide ne mentionne pas la conduite art l'inspiration d'une sainte pitié. Le fléau s'était communiqué à la Perse avant d'envahir Athènes; Artaxerce qui a entendu parler du génie d'Hippocrate, le supplie de ven r dans ses Etats; il lui promet de le combler de richesses et de l'élever au rang des personnages les plus éminents; ni l'éclat de l'or, ni la dignité, ne peuvent déterminer le

père de la médecine à surmonter son antipathie pour une nation ennemie de la Grèce. Ce n'est pas de cela que nous voulons le Iouer; Hippocrate est soumis aux préjugés de son temps, et ce temps a duré jusqu'à la proclamation de la fraternité humaine par l'Evangile. Hippocrate pouvait faire une belle réponse à Artaxerce, en lui objectant qu'il devait son art à son pays avant de le consacrer aux étrangers, car nos concitoyens sont les plus proches de nos frères; il répond qu'il ne doit rien aux barbares ennemis des Grecs et qu'il n'a au surplus aucune ambition d'argent ni d'honneur. Artaxerce, furieux, envoie sommer la ville de Cos, atrie d'Hippocrate, de le lui livrer; il menace, en cas de refus, de détruire la ville et de saccager l'île tout entière. Les habitants de Cos ne se laissent point intimider. Les menaces d'Artaxerce, disent-ils, ne feront pas plus d'effet sur nous que celles de Daríus et de Xerxès. Nous ne livrerons pas notre concitoyen, et nous comptons pour nous défendre sur la protection des dieux.

Quand la peste s'empare d'Athènes, Hippocrate s'y montre aussitôt et ne quitte la ville qu'après qu'elle y a cessé ses ravages. Il est à la hauteur de sa mission. Tout ma

lade obtient ses soins, et ses élèves envoyés par lui dans toute l'Attique y suivent ses préceptes. Un zèle si généreux pénètre les Athéniens de la plus vive reconnaissance. I est ordonné par un décret qu'Hippocrate sera initié aux grands mystères comme Hercule et qu'on lui décernera une couronne d'or de la valeur de deux mille drachmes (dixhuit cents francs). Le décret devait être lu à haute voix par un héraut dans les jeux publics à la grande fête des Panathénées. La même loi lui accorde le droit de bourgeoisie et celui d'être nourri dans le prytanée toute sa vie s'il le veut aux frais de l'Etat ; enfin tous les enfants de la ville de Cos auront les mêmes droits à l'éducation publique dans les gymnases que les Athéniens eux-mêmes et ceux de ces enfants qui seront dans le besoin y seront nourris comme les enfants pauvres d'Athènes aux frais de l'Etat. On reconnaît les Athéniens à cet élan et à cette munificence.

Les uns attribuent à Hippocrate, d'autres à un médecin d'Agrigente, la mesure sanitaire qui consistait à allumer des feux dans les rues d'Athènes pour purifier l'air, mesure employée constamment au moyen âge et même dans des temps plus modernes. Des tentes dressées dans les hiérons, et la science d'Hippocrate et la précaution hygiénique dont on vient de parler, sont les seuls secours publics dont il soit fait mention. En dehors du zèle du grand médecin et de ses élèves, les soins manquent aux pestiférés; 'amour de la famille, la piété filiale, la tendresse paternelle et maternelle font euxmêmes défaut aux malades. La terreur a étouffé tous les sentiments généreux. Comment l'antiquité païenne ne s'était elle pas aperçue de cette vérité, que l'intérêt se

orte davantage sur les dévouements qui succombent que sur les malades qui survivent. Rien, peut-être, ne contient e plus claire révélation de la destinée humaine. Une seconde réflexion sort de la première. Les dévouements, au péril de la vie, ne sont des actes héroïques que parce qu'ils sont le triomphe de la puissance morale sur le sentiment de notre conservation, la plus violente impulsion de notre nature. De pareils sentiments devaient être rares chez des nations où l'épicuréisme, c'est-à-dire la satisfaction des sens était la religion dominante. Au christianisme seui était donné de créer des milices charitables, Farmi lesquelles on est sûr de trouver autant de héros que de soldats. Le christianisme, seul, pouvait donner l'explication des calamités publiques; la peste, la famine, la guerre, parce que, seul, il estime la vie humaine à sa vraie valeur, valeur nulle pour la terre, toute pour le ciel. A Athènes, où cette solution manquait la mort des gens do bien, confondus dans un même tombeau avec des scélérats; les fortunes des grands citoyens usur, ées par des hommes vils et obscurs, au milieu du désordre général, bouleversaient la morale publique. Les Athéniens se persuadaient, comme nous l'apprend Thucydide, que les dieux avaient cessé de prendre intérêt à la vertu, et le fléau ayant emporté les tribunaux avec les juges, le monde était désorganisé moralement. Quand on lit le récit des fléaux modernes, on sent à quel point l'influence du christianisme a changé toutes les perspecti

ves.

§ 11. Contagion dans l'ancienne Rome. -Vingt-deux pestes ont été constatées en Italie, tant sous la république que sous l'empire. Les anciens confondaient, sous le nom de peste ou de maladies pestilentielles, toutes les affections qui entraînaient à leur suite une grande mortalité. (Rapport de M. Prus sur les pestes et les quarantaines) Tite-Live nous servira de guide.

La première peste que nous rencontrons est celle de l'an de Rome 77. La seconde se rapporte à l'année 80. Elle apparaît à la suite d'un embrasement qui avait duré trois jours. Une peste est mentionnée l'an 110, sous le règne de Tulus Hostilius, Le caractère du fléau est d'engourdir le courage, de paralyser la force matérielle des soldats. Tullus, qui ne respire que la guerre, espère vaincre cette inertie involontaire par une agitation violente, mais la maladie l'atteint lui-même; elle abat sa fierté et le change en un autre homme. Dédaigneux des cérémonies religieuses jusqu'alors, il s'y livre à l'excès. Soit qu'il reçût l'impulsion, soit qu'il la donnât, le respect pour les dieux et l'entraînement vers le culte se réveillent dans toute la ville. Les révolutions de la nature comme les révolutions sociales sont des crises nécessaires aux sociétés humaines et aux individus pour secouer leur torpeur. Le bruit court, à Rome, que Tullus S'est en

fermé, pour offrir aux dieux des sacrifices occultes à l'imitation de Numa, et que n'ayant pas observé les rites prescrits, Jupiter blessé de ces inobservances a lancé contre lui la foudre dont il a été consumé avec toute sa maison. La crédulité publique est un des autres effets des fléaux. De l'an 262 à 264 elle se montre si impitoyable, dans Velitres, une des principales villes des Volsques, qu'elle moissonne les neuf dixièmes des habitants. Les Romains y envoyèrent une nombreuse colonie qui ne se rendit pas sans peine dans une ville où la maladie venait de faire de tels ravages. Rome transporta des colons, par le même motif, à Norba, ville considérable du pays latin. La contagion de l'an de Rome 356 est marquée par la cérémonie du lectisternium. Rome avait coutume, dans les grands dangers ou dans les grandes prospérités, d'ordonner des repas solennels en l'honneur des dieux. Des triumviri epulones, dont le nombre s'éleva, plus tard, à sept, présidaient à ces festins. Autour des tables qui étaient dressées dans les temples des dieux, on plaçait des lits couverts de tapis magnifiques, de coussins et de siéges. Sur ces lits étaient étendues les statues des dieux et des déesses qu'on invitait aux repas. Les particuliers, plus tard, reproduisirent, dans les festins, ces pompes religieuses. Les dieux prenaient leurs repas couchés et les déesses assises, apparemment dans un but de modestie, conformément aux usages suivis dans les repas, à Rome, quand la coutume orientale s'y introduisit. Il faut croire qu'elle existait déjà en partie à l'époque dont nous parlons. Rien, dans la peste de 356, ne se rapporte à des secours publics applicables à ce fléau. Chose étrange, en temps de contagion, on se réunit our manger en commun. Les portes des maisons sont ouvertes dans toute la ville; on y dresse des tables où tout le monde est reçu, les inconnus comme les amis. On se réconcilie avec ses ennemis; les querelles sont oubliées et les procès interrompus. Les prisonniers sont débarrassés de leurs chaînes, et, le fléau passé, on se fait un scrupule de remettre dans les fers ceux que les dieux en ont délivrés.

Ces coutumes seraient touchantes en temps de famine; elles sont inexplicables aux époques de contagion.

La peste et les autres fléaux, à Rome ainsi qu'à Athènes, sont considérés comme une punition des dieux. L'an de Rome 371, Manlius ayant été précipité du capitole pour le crime irrémissible d'avoir voulu se faire roi, le peuple, n'envisageant plus que ses bonnes qualités, le regretta. Une peste survint sur ces entrefaites, sans qu'on pût en apercevoir la cause; on l'attribua à une punition des dieux, pour le traitement qu'on avait fait subir à un si grand citoyen. On disait que le capitole avait été souillé par le sang de son libérateur; que les dieux ne pouvaient pardonner à Rome d'avoir mis à mort, en

(1) Ville du Péloponése.

leur présence, uu héros qui avait sauvé leur temple.

La peste, produit ordinaire de la famine, est cause, au contraire, de la famine à Rome, l'année suivante, en privant l'agriculture de ses bras. La révolte des masses en est la conséquence; le remède consiste à distribuer des terres dans les marais Pontins, et d'envoyer une colonie à Népète. On ne guérissait pas la peste ainsi, mais on cherchait à soulager ceux qui lui avaient survécu. Rome ne connaissait que les expédients; les secours proprement dits n'existaient pas.

An de Rome 389-390.- La peste enlève un grand nombre de citoyens, plusieurs magistrats, et ce Camille qui fut illustre par ses victoires et par son exil. Sa mort, quoique survenue dans un âge avancé, fut un deuil public. La contagion, comme on le voit, n'est pas concentrée dans les bas quartiers; elle frappe partout. On pratique la cérémonie religieuse du lectisternium pour la troisième fois. La contagion ne cessant pas, on institua en l'honneur des dieux les jeux scé niques. Le théâtre à Rome naquit de la peste. Ces moyens ne procurant aucun soulagement aux maux qui accablent la ville, et les esprits étant encore plus tourmentés par la recherche superstitieuse des remèdes que les corps par la maladie, dit Tite-Live, on se souvient d'une cérémonie ancienne fort bizarre qui consiste à attacher un clou dans un temple, clavum figere. On croit lire l'histoire de quelque peuple sauvage ou obscur, et non les annales du peuple romain. Les Volsiniens, peuple d'Etrurie, se servaient de ce moyen pour marquer le nombre des années; l'usage en avait passé à Rome; le clou s'appelait clavus annalis. La loi portait qu'il serait attaché le jour des ides (13 septembre) par le premier magistrat de la république. On ne dit pas si la maladie céda à ce remède étrange. La même cérémonie fut. mise en usage deux autres fois pour combattre d'autres calamités.

An 407. Une peste est marquée à Rome cette année. La cérémonie religieuse du lectisternium est renouvelée; c'est le seul détail que donne l'histoire.

Ans 458, 459, 460. Ces trois années, signalées par d'éclatantes victoires contre les Gaulois et les Samnites, sont affligées par une contagion opiniâtre qui ravage également la ville et la campagne. L'année 459, on consulte les livres sibyllins pour savoir quels remèdes y apporter; on y trouve qu'il faut transférer le dieu Esculape d'Epidaure (1) à Rome. Ce projet était inexécutable pour le moment, les deux consuls étant occupés en même temps à la guerre. On se contente d'indiquer un jour de prières solennelles pour invoquer la protection du dieu.

La contagion continue de sévir l'an 460: aucun secours ni humain ni divin n'en pouvait diminuer la violence. On fit partir enfin dix ambassadeurs pour amener le dieu d'E

que du Péloponèse, et y reçut le droit de bourgeoisie. Cette innovation fut tellement. mise au rang des secours publics, qu'il fut logé aux frais du trésor.

daure à Rome. Epidaure passait pour être le lieu de naissance d'Esculape. Le temple élevé en son honneur à cinq milles de la ville était rempli de riches présents. Les ambassadeurs s'y rendirent. Pendant qu'ils admiraient une statue de marbre d'une grandeur extraordinaire, ouvrage de Thrasymède, célèbre statuaire de Paros, un serpent gigantesque sortit tout à coup du sanctuaire, et saisit les spectateurs d'étonnement et d'une religieuse frayeur. Les prêtres s'écrient d'une voix solennelle que le dieu réside dans ce serpent, qu'il se montre de temps en temps sous cette forme, et toujours pour le bonheur des mortels. Le reptile apparut ainsi dans le temple deux jours de suite; le troisième jour, déroulant ses anneaux à travers la foule des spectateurs énus d'un saint respect, il s'avance majestueusement vers le port où était la galère romaine; il s'y glisse, s'arrête un moment à l'endroit occupé par Ogulnius, chef de l'ambassade, et revient s'y établir après avoir fait le tour de la galère et formé plusieurs plis et replis de sa queue.

Les Romains mettent à la voile, ne doutant pas qu'ils fussent en possession du dieu lui-même. En peu de jours ils arrivent à Antium. La mer, se soulevant avec fureur en cet instant, ne leur permit pas de passer outre. Le serpent, qui s'était tenu immobile jusque-là, sort du navire et se dirige vers T'entrée d'un temple célèbre de la ville, lieu planté de myrtes et de palmiers. Il enlace le tronc d'un de ces arbres des longs replis de sa queue et s'y tient attaché pendant trois jours. Pendant tout ce temps, il avait refusé de prendre sa nourriture ordinaire. L'alarme est grande dans l'ambassade romaine, qui voit s'échapper le fondement de ses espérances. Il les tire d'inquiétude en rentrant de lui-même dans la galère. Il arrive à Rome, où éclatent des mouvements de joie universels. La ville entière était accourue à un si merveilleux spectacle. Les bords du Tibre étaient couverts d'autels élevés au dieu nouveau qui y débarquait. On brûlait des parfums, on immolait des victimes. La galère étant parvenue à l'endroit où le Tibre, se partageant en deux branches, formait une fle, le serpent quitte le vaisseau, passe dans l'ile à la nage et disparaît pour toujours aux regards. Les sénateurs en conclurent que le dieu avait choisi ce lieu pour y établir sa demeure, et ils ordonnèrent qu'on y bâtit un temple à Esculape. Ce vœu est formé à peine que la maladie cesse. Le temple élevé en ce lieu devint depuis fort célèbre.

An 489. Un dictateur est nommé pour attacher le clou sacré et arrêter la contagion, plus meurtrière que la guerre; aucune Inesure hygiénique, aucun secours matériel aux citoyens. La nomination d'un dictateur nous donne la mesure de l'intensité du fléau. Il faut faire attention que les secours de la médecine n'existaient pas jusqu'à cette époque, car il n'y eut de niédecins à Rome qu'à partir de l'an 533, deux cent dix-neuf ans avant notre ère. Argathus y vint à cette épo

An 540. A l'automne de cette année, une contagion se déclare dans Syracuse, et de là gagne le camp des Romains et celui des Carthaginois. D'abord le mal est peu grave et la saison est comptée pour beaucoup dans l'invasion, mais bientôt la communication avec les pestiférés et les soins qu'on leur donne, dit Tite-Live, répandent la contagion. Ici les pestiférés sont abandonnés sans secours et meurent par la violence du mal, là ils reçoivent des secours qui deviennent funestes à ceux qui les approchent. Les yeux sont incessamment frappés du spectacle de la mort et des funérailles. Les oreilles retentissent jour et nuit des gémissements des mourants et des lamentations de leurs amis et de leurs proches. Mais bientôt les regards s'accoutument au spectacle du publicdésastre; les esprits s'endurcissent, les cœurs se ferment; non seulement on ne pleure plus ceux que le tépas moissonne, mais on ne daigne même plus leur donner la sépulture, et la terre est couverte de cadavres étendus sous les yeux devenus insensibles de ceux qui attendent d'un moment à l'autre le même sort.

Les Siciliens qui servent dans l'armée des Carthaginois se sont retirés dans leurs villes pour se soustraire à la contagion. Les Carthaginois périssent avec Hippocrate et Himilcon, leurs chefs, Marcellus, qui commandait l'armée romaine, imagine de loger ses soldats dans Syracuse, où la préservation de l'air extérieur leur procure beaucoup de soulagement, ce qui n'empêcha pas qu'il périt beaucoup de monde.

pas

An 547. Une nouvelle épidémie frappe l'armée romaine, en Sicile, l'an 547. Le consul Licinius le mande au sénat, en lui faisant connaître qu'il est lui-même atteint et qu'il ne lui serait pas possible de résister aux ennemis si la contagion ne s'était répandue dans leur camp avec encore plus de violence. Il ajoute que si l'armée n'est pas immédiatement licenciée il n'y restera pas un soldat. Les sénateurs lui répondent qu'ils lui laissent la liberté d'agir ainsi qu'il le jugera le plus convenable pour le bien de la république. (TITE-LIVE, liv. XXIX,

n° 10.)

An 578.- La contagion est très-violente. Elle emporte un grand nombre de citoyens et de très-illustres. Les prières aux dieux sont le seul refuge des Romains. On multiplie les vœux. On immole dans les temples un grand nombre de victimes. Il y avait des médecins alors et cependant il n'est parlé ni de leur entremise, ni de mesures bygiéniques prises dans cette circonstance.

An 627. Ce n'est pas à Rome ni dans 'Italie que se montre la contagion à cette époque; elle éclate dans l'Afrique romaine, sous le consulat de M. Fulvius Flaccus. Une affreuse nuée de sauterelles se précipite dans le nord de l'Afrique. Elle y ronge les

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